Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La Russie mise sur l’infrastructure à grande vitesse, par Olga Samofalova

Toujours la question du développement ferroviaire russe, les problèmes de financement mais aussi le développement parallèle à celui de la Chine en matière de géopolitique (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/economy/2024/2/17/1253877.html

La construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Moscou à Riazan, Kazan, Ekaterinbourg, Adler et Minsk est tout à fait réalisable, a déclaré le président russe Vladimir Poutine lors d’une visite de l’usine Ural Locomotives à Verkhnyaya Pyshma, dans la région de Sverdlovsk. Il a souligné que la Russie semble s’être rapprochée de la réalisation de projets ferroviaires à grande vitesse. Selon lui, le président du Belarus, Alexandre Loukachenko, soutient l’idée de construire une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Moscou et Minsk.

La ligne à grande vitesse Moscou-Saint-Pétersbourg sera le point de départ du développement des services ferroviaires à grande vitesse en Russie.

Le prototype du train russe pour la ligne à grande vitesse devrait être créé en 2026, et les 28 premiers trains de ce type devraient être construits d’ici 2028, a déclaré le ministre des transports, Vitaly Saveliev. Au total, 44 trains électriques à grande vitesse seront nécessaires pour la ligne à grande vitesse entre Moscou et Saint-Pétersbourg. Le parc de matériel roulant nécessaire pour la future ligne à grande vitesse vers Ekaterinbourg, Adler et Minsk pourrait s’élever à plus de 250 trains.

Saveliev a donné des détails sur la première ligne à grande vitesse vers Saint-Pétersbourg. La durée du trajet sera de 2 heures 15 minutes, entre Moscou et Tver – 39 minutes, entre Saint-Pétersbourg et Veliky Novgorod – 29 minutes. Les trains partiront de la gare ferroviaire de Leningrad avec des arrêts à la gare de Riga [Rijskij vokzal, une gare de la capitale, NdT], Petrovsko-Razumovskaya et Zelenograd. Le prix du billet dépendra du nombre d’arrêts. Les trains circuleront toutes les 15 minutes. Le directeur de Sberbank German Gref, répondant à la question, a déclaré qu’avec l’avènement de la ligne ferroviaire à grande vitesse, “les avions vont mourir”.

Une question importante est celle du financement, car le projet est très coûteux et, comme toute infrastructure, il faut des décennies pour l’amortir.

Le coût de la voie à grande vitesse entre Moscou et Saint-Pétersbourg est estimé à 1 700 milliards de roubles. Près de 610 milliards de roubles seront prélevés sur le budget, le reste provenant d’investissements privés. Le groupe Sinara et Sber se montrent intéressés. Le ministre des transports, Vitaly Saveliev, a déclaré qu’aucune décision n’avait encore été prise quant à l’affectation à ce projet d’un montant de 580 milliards de roubles provenant du Fonds de la richesse nationale (FNB). “Il y a des nuances, car les fonds du FNB sont programmés de manière très serrée. C’est pourquoi nous avons trouvé une solution parallèle, nous allons recalculer le modèle une fois de plus, il y aura la participation des deux régions et des banques qui ont engrangé de gros bénéfices”, a-t-il noté. Selon lui, il faut un peu de temps pour recalculer le modèle financier. Le calendrier du premier projet et le début de la construction seront également précisés ultérieurement.

“Les lignes ferroviaires à grande vitesse sont des infrastructures techniquement complexes. Tous les pays ne disposent pas du potentiel industriel nécessaire pour créer à la fois la ligne ferroviaire elle-même, sur laquelle il est possible de se déplacer à des vitesses de 300 kilomètres par heure ou plus, et le matériel roulant capable de rouler en toute sécurité à de telles vitesses. Cependant, le “club” des pays dotés de lignes ferroviaires à grande vitesse compte déjà plus de 20 pays, dont le Maroc et l’Ouzbékistan.

Le leader incontesté est la Chine, qui exploite plus de 40 000 kilomètres de voies ferrées à grande vitesse, soit plus que le reste du monde réuni. Il est grand temps que la Russie rejoigne ce “club”, – estime Maxime Fadeev, premier vice-président du Centre for Infrastructure Economics.

Pour comprendre : les “Sapsans” qui circulent entre Moscou et Saint-Pétersbourg actuellement ne sont pas des TGV. “Il s’agit d’une ancienne ligne ferroviaire qui a fait l’objet d’une profonde modernisation et sur laquelle les “Sapsans” n’accélèrent que sur certains tronçons à une vitesse d’environ 220 km/h, la plupart du temps la vitesse ne dépassant pas 200 km/h. Des trains de nuit classiques circulent également sur cette ligne. La nouvelle ligne TGV est une ligne ferroviaire spécialisée qui transportera des trains à une vitesse de 350 km/h et plus, ce qui réduira considérablement la durée du trajet, qui passera de quatre heures actuellement à un peu plus de deux heures”, explique Maxime Fadeev.

Les nouveaux projets devraient avoir des voies séparées, de préférence sans intersection avec des autoroutes ou d’autres voies, ajoute Sergey Grishunin, directeur général du service d’évaluation de la NRA.

La construction d’une ligne de passagers séparée pour le TGV permettra de ramener le trafic de marchandises sur l’axe principal entre Moscou et Saint-Pétersbourg, ce qui donnera en 2030 un effet supplémentaire de 30 millions de tonnes de fret sur un volume total de 74 millions de tonnes, selon le rapport de Saveliev.

“Les effets socio-économiques de la création de la ligne ferroviaire à grande vitesse sont colossaux et dépassent de plusieurs fois le coût de la construction de la ligne principale. Outre l’effet évident de gain de temps de parcours, il s’agit également des effets dits d’agglomération : plus la population est importante dans la zone d’accessibilité en deux heures, plus la productivité du travail dans l’économie est élevée, toutes choses égales par ailleurs. Cela a été prouvé par de multiples études scientifiques et par l’expérience mondiale.

En fait, Moscou, Saint-Pétersbourg, ainsi que Tver et Veliky Novgorod deviendront une seule agglomération avec un seul marché du travail et un seul marché des ventes. Le gradient salarial sera réduit et la capitalisation du parc immobilier augmentera. Cet effet sera particulièrement sensible pour les habitants des régions de Tver et de Novgorod, qui seront intégrées dans une seule agglomération de plus de 25 millions d’habitants”, explique le premier vice-président du Centre for Infrastructure Economics.

Les quatre autres projets de lignes ferroviaires russes à grande vitesse reliant Moscou à Riazan, Kazan, Ekaterinbourg et Adler ont fait l’objet de nombreuses questions et de longues discussions. Cependant, la décision a été prise qu’ils étaient nécessaires. “Tous les projets susmentionnés, à l’exception du projet Moscou-Riazan, constituent l’épine dorsale de l’infrastructure ferroviaire à grande vitesse en Russie. Il existe une forte demande de trafic de passagers dans toutes ces directions, et le volume des effets socio-économiques pourrait être encore plus important que dans la direction Moscou – Saint-Pétersbourg, qui est la première priorité. Outre l’amélioration du trafic de passagers, cela permettra également de décharger les chemins de fer existants et de libérer leur capacité pour le transport de marchandises, ce qui est extrêmement important pour le commerce intérieur et extérieur”, estime M. Fadeev. Il y a eu beaucoup de controverses, a-t-il dit, parce que ces projets sont coûteux à mettre en œuvre et qu’il est nécessaire de leur donner la priorité dans le cadre des contraintes budgétaires existantes.

Sergei Grishunin note que la rentabilité des projets n’a pas encore été prouvée, même si, techniquement, ils permettront de créer une seule agglomération, de soulager la région capitale des bureaux et des sièges des organisations gouvernementales, et de stimuler le trafic touristique.

Mais le projet de construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Moscou et Minsk est plus important d’un point de vue politique qu’économique. “Du point de vue des prévisions de trafic de passagers et de l’efficacité économique, ce projet est moins intéressant que la ligne à grande vitesse vers Saint-Pétersbourg, Ekaterinbourg et Adler. Il n’y a pratiquement pas de grandes villes sur la ligne Moscou – Minsk, la plus grande étant Smolensk, avec un peu plus de 300 000 habitants”, note M. Fadeev.

Cependant, il faut être conscient que certaines difficultés peuvent entraver la mise en œuvre de ces projets.

– “Pour l’instant, il n’y a pas de technologies propres, et celles reçues de Siemens et d’Alstrom doivent être adaptées et finalisées. En outre, le prix de l’émission est trop élevé pour que l’on puisse miser dessus maintenant”, déclare Grishunin.

Cependant, en termes de technologies, il n’y a rien d’irréalisable ici, car elles existent dans de nombreux pays du monde, et ce depuis longtemps, y compris dans les pays “amis””, estime M. Fadeev. “Bien sûr, pour nos industriels, produire suffisamment de matériel roulant en peu de temps est un sérieux défi, mais en fin de compte, le matériel roulant peut toujours être acheté et adapté aux conditions russes”, ajoute l’expert. En termes de financement, il s’agit de sommes importantes, mais il s’agit d’un investissement stratégique dont les principaux bénéficiaires seront la population et les entreprises, estime-t-il.

Il ne faut pas craindre que le train à grande vitesse tue l’avion. En effet, le trafic de passagers peut diminuer pour les compagnies aériennes là où la ligne à grande vitesse apparaîtra. Par exemple, entre Moscou et Saint-Pétersbourg, on estime qu’il passera de 4,8 millions actuellement à 3,8 millions par an après la mise en service de la ligne à grande vitesse.

Comme certains passagers passent par les aéroports de Moscou, il n’est pas pratique pour eux de se rendre au centre-ville par le train, et les compagnies aériennes à bas prix peuvent proposer des tarifs plus bas, note M. Fadeev.

“Comme le montre la pratique, les chemins de fer ne sont pas aussi flexibles en matière de tarification que l’industrie aéronautique, qui peut organiser des vols à des prix dérisoires, car elle ne gagne pas sur un vol particulier, mais sur une destination, et il peut être pratique de transférer un vol pour presque rien, de sorte qu’à partir de là, l’avion se rende à une destination rentable”, ajoute Sergei Grishunin.

“En outre, dans les années à venir, la Russie connaîtra un déficit important de sa flotte en raison du retrait progressif des Airbus et des Boeing, et du fait que le Russian SuperJet et le MS-21 ne seront pas encore produits en nombre suffisant. Les chemins de fer à grande vitesse résoudront en grande partie ce problème, et la flotte existante sera utilisée là où elle est la plus efficace ou sans alternative”, conclut M. Fadeev.

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6 Commentaires

  • Bosteph
    Bosteph

    Les liaisons actuelles Moscou – Saint Petersbourg sont assurées par des rames Velaro de Siemens . Le constructeur Allemand, et bien entendu Alstom (je pense notamment â Moscou – Kazan) avai(en)t leurs chances pour le programme LGV de la Russie . Hélas, se sera sans ces constructeurs, vu qu’ ils viennent du monde otanien . Le grand vainqueur sera donc, en toute logique, Chinois – CRRC par exemple.

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  • Michel BEYER
    Michel BEYER

    https://lvsl.fr/le-paradoxe-ecologique-des-grands-projets-ferroviaires/
    Ou le train passe…la vie reprend!
    Qu’en est-t-il des grands projets ferroviaires en France?

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    • Bosteph
      Bosteph

      Des projets de prolongement de la LGV, depuis Montpellier, vers Perpignan (objectif Espagne) . Vers 2032-35 pour Montpellier-Beziers, si pas de problème (recours de riverains ?), le teste vers Perpignan plus tard . Bordeaux-Toulouse, et son antenne vers Dax (Espagne visée) est en projet pour 2030 (trop ambitieux) ou 2040 (plus réaliste)………si pas de problème. Reste aussi le fameux Lyon-Turin, dont le grand tunnel (54 kms) et ses accès côté Italien sont bien lancés (travaux), mais les accès côté France – depuis Lyon (une Ligne Nouvelle à construire jusqu’ à Saint Jean de Maurienne (accès grand tunnel) et une antenne sur Chambéry), et une modernisation intégrale (voie et caténaires) de l’ axe Dijon-Louhans-Bourg-Ambérieux-Chambéry – ont pris du retard, leurs financements (dont UE) venant juste d’ être décidé entre tous les financeurs, les responsables politiques Français étant responsables de ces retards . Petit résumé de chez nous.

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      • Daniel Arias
        Daniel Arias

        Chez moi la ligne de chemin de fer Rez-de-Chaussée – Neuvième étage à pris 9 mois de travaux avec la cage d’ascenseur déjà construite 45 ans avant.

        Au lieu d’investir dans des LGV nous pourrions déjà changer les motrices ou les entretenir comme celle datant de 1977 qui nous rejoins à la capitale et dont les utilisateurs sont désormais étonnés quand elle n’a pas de retard, retards parfois allant jusqu’à 6 heures..

        Les intercités sont totalement délaissées et les autoroutes de plus en plus dangereuses ou pour joindre deux villes vous roulez le plus souvent entre 90 et 130 km/h. Un train ne serait-ce qu’à 150km/h apporterait déjà un confort et surtout une sécurité d’une grande modernité.

        Il faudrait surtout une innovation sociale pour rendre le train attractif en devenant compétitif par rapport à la voiture et plus pratique. Il faudrait calculer le prix du billet sur la base du coût du même trajet en voiture et non pas raisonner en “clients” encore une aberration de cette stupidité qu’est le “marché”.

        Ensuite il faut intégrer pour rester attractif le dernier kilomètre et prendre en charge les passagers du train par autocar, bus, taxi, voyages à la demande ou véhicule en accès partagé rien de tout cela n’est impossible avec notre développement technologique seul manque une administration publique du transport avec un budget et une planification.

        Et là vous pourrez donner immédiatement à la plupart des habitants de notre pays un tiers de pouvoir d’achat en plus en jetant leur propre puis sans fond qu’est la voiture particulière personnelle. (L’autre tiers de pouvoir d’achat peut se gagner sur le logement).

        Sur ces campagnes très concrètes le PCF pourrait être beaucoup plus agressif.

        Pour économisez 60% de votre salaire votez communiste !

        Et ce n’est qu’une partie de la lutte d’autres gains sont possible et même sans augmenter les salaires et hypothéquer nos capacités à l’export en nationalisant la totalité de la médecine (sécu à 100% et centres de soins par quartiers), de l’industrie pharmaceutique, de l’énergie, des banques, du logement, de l’enseignement, des centres de vacances,…

        Bref ça s’appelle le socialisme réel, le reste n’est qu’enfumage pour prolonger l’agonie des peuples soumis aux exploiteurs.

        Les travailleurs, nous savons faire sans patrons et sans ceux qui racontent des histoires fabuleuses sur les possibles troisièmes voies qui masquent si mal les trahisons.

        Il faut prendre confiance et surtout ne pas donner de force à ceux qui brossent le poil à la petite bourgeoisie ce n’est pas là que les communistes ont à gagner ; laissons cette classe aux sociaux démocrates quand il y a tant de salariés à convaincre et à libérer de leurs chaînes en leurs faisant prendre conscience de leur capacités de production et de gestion.

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        • Bosteph
          Bosteph

          La FNAUT (usagers des transports) ne peut qu’ être d’ accord avec vous . Mais si lignes surchargées (cas de Montpellier-Espagne et le secteur Aix Les Bains-Montmélian (section du Lyon – Turin)), des LGV s’ imposent . A nos “responsables” de bien déterminer les courant de trafic, après – LGV : TGV + convois fret “rapides” (120 km/h) et TER + fret “plus classiques” (80-100 km/h sur la ligne classique parallèle.

          Et avoir une politique des transports plys orientés vers les transports collectifs ! Plus d’ autoroute à construire, il y en a déjà assez et il faut entretenir les autres !

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  • Franck Marsal
    Franck Marsal

    Le capitalisme dominant ne veut pas du ferroviaire. Il déteste ce mode de transport collectif, ouvert, de mixité sociale, naturellement de monopole public et dont la production est un nid de communistes. Donc, tout est fait pour le tuer : sous-investissement, privatisation, mise en concurrence, séparation absurde entre le “gestionnaire d’infrastructure” et “”entreprise ferroviaire, concurrence déloyale du fret routier.
    Pour le TGV, qui est une invention magnifique, un bijou d’ingéniérie, il s’agit de le transformer en avion ultra-cher, réservé à une élite, et ne desservant que les grandes métropoles (même Grenoble ou Dunkerque sont pour eux des villes secondaires !).
    Cela marche en partie, et fait que, avec le concours d’une propagande soi-disant écolo, une partie de la population rejette le TGV dont on lui fait croire qu’il est responsable du mauvais entretien du réseau et des trains “du quotidien”. TGV dont cette population comprend bien qu’il ne lui est plus destiné puisqu’il dessert de moins en moins ses gares et que ses tarifs sont sans cesse plus cher.
    Pour les prolos, on a inventé le ouigo, un train à part, afin que les marmots braillards ne dérangent plus les cadres concentrés sur leur ordinateur.
    Pourtant, un réseau LGV reliant les grandes villes et une rénovation complète du réseau classique, avec un relèvement de vitesse à 160 km/h voire 200 partout où c’est possible et une signalisation moderne qui développerait les capacités de circulation permettrait un formudable bon en avant du pays, une baisse radicale des coûts unitaires à tous niveaux par économie d’échelle.
    Mais il faut pour cela réorienter les flux de plus-value vers l’investissement public.

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