Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Interview du président russe Vladimir Poutine avec le journaliste Tucker Carlson. Texte complet (1ère partie)

Marianne a commencé à traduire les 38 pages complètes de l’interview. Elle en a traduit ici une douzaine et continuera demain. Ici il y a l’histoire de la Russie, en Europe, tout ce qui mène au Maidan, et c’est passionnant. Espérons que malgré la censure, le pilonnage que subit la population française, il se trouvera quelques individus pour le lire et entamer une diffusion qui est indispensable à notre rôle citoyen confrontés au danger terrible d’une guerre mondiale et qui dévasterait le continent européen. Peut-être un jour il y aura des gens qui percevront ce qu’ils doivent au travail constant, non rémunéré et même pas gratifié de Marianne Dunlop. Pour le moment on est plutôt payés d’insultes et de rumeurs minables… (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

https://www.pnp.ru/politics/intervyu-prezidenta-rf-vladimira-putina-zhurnalistu-takeru-karlsonu-polnyy-tekst.html

Т. CARLSON (tel que traduit) : Monsieur le Président, merci beaucoup.

Le 24 février 2022, vous vous êtes adressé à votre pays et à votre nation lorsque le conflit en Ukraine a commencé. Vous avez dit que vous aviez agi parce que vous étiez arrivé à la conclusion qu’avec l’aide de l’OTAN, les États-Unis pourraient lancer une attaque surprise, une attaque contre votre pays. Pour les Américains, cela s’apparente à de la paranoïa.

Pourquoi pensez-vous que l’Amérique aurait pu lancer une attaque surprise contre la Russie ? Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion ?

V. Poutine : Ce n’est pas que l’Amérique allait lancer une attaque surprise contre la Russie, je n’ai pas dit cela.

S’agit-il d’un talk-show ou d’une conversation sérieuse ?

Т. Carlson : C’est une excellente citation. Je vous remercie.

Nous avons une conversation sérieuse.

V. Poutine : Votre formation de base est historique, si j’ai bien compris, n’est-ce pas ?

Т. Carlson : Oui.

V. Poutine : Alors je vais me permettre – juste 30 secondes ou une minute – de faire un peu d’histoire. Cela ne vous dérange pas ?

Т. Carlson : S’il vous plaît, bien sûr.

V. Poutine : Ecoutez, où nos relations avec l’Ukraine ont-elles commencé, d’où vient l’Ukraine ?

L’État russe a commencé à se constituer en tant qu’État centralisé, on considère que l’année de la création de l’État russe est 862, lorsque les Novgorodiens (il y a une ville appelée Novgorod dans le nord-ouest du pays) ont invité le prince Riourik de Scandinavie, des Varègues, à régner. En 1862, la Russie a célébré le 1000e anniversaire de son existence en tant qu’État, et à Novgorod se trouve un monument dédié au 1000e anniversaire du pays.

En 882, le successeur de Riourik, le prince Oleg, qui remplissait en fait les fonctions de régent pour le fils en bas âge de Riourik, et Riourik est mort à ce moment-là, est arrivé à Kiev. Oleg écarte du pouvoir deux frères qui, semble-t-il, faisaient autrefois partie de la suite de Riourik, et c’est ainsi que la Russie commence à se développer, avec deux centres : Kiev et Novgorod.

La date suivante, très importante dans l’histoire de la Russie, est 988. C’est le baptême de la Russie lorsque le prince Vladimir, arrière-petit-fils de Riourik, baptise la Russie et adopte l’orthodoxie – le christianisme oriental. C’est à partir de cette date que l’État russe centralisé a commencé à se renforcer. Pourquoi ? Un territoire unifié, des communications économiques uniformisées, une seule langue et, après le baptême de la Russie, une seule croyance et l’autorité du prince. L’État russe centralisé commence à se former.

Mais pour diverses raisons, après l’introduction des règles de succession au trône – également dans le Moyen Âge – par Yaroslav le Sage, un peu plus tard, après sa mort, la succession au trône a été compliquée, elle n’a pas été transférée directement du père au fils aîné, mais du prince décédé à son frère, puis à ses fils en différentes lignées. Tout cela a conduit à la fragmentation de la Russie, qui avait commencé à prendre forme en tant qu’État unique. Il n’y a rien de particulier à cela, la même chose s’est produite en Europe. Mais l’État russe fragmenté devint une proie facile pour l’empire qu’avait créé Gengis Khan. Ses successeurs, le Khan Batyi, sont venus en Russie, ont pillé presque toutes les villes et les ont réduites en ruines. La partie méridionale, où se trouvait Kiev et d’autres villes, a tout simplement perdu son indépendance, tandis que les villes du nord ont conservé une partie de leur souveraineté. Elles payaient un tribut à la Horde, mais conservaient une partie de leur souveraineté. Puis, avec Moscou pour centre, l’État russe uni a commencé à se former.

La partie méridionale des terres russes, y compris Kiev, a commencé à être progressivement attirée par un autre “aimant” – ce centre qui se formait en Europe. Il s’agit du Grand-Duché de Lituanie. On l’appelait même “lituanien-russe”, car les Russes constituaient une part importante de cet État. Ils parlaient le vieux russe et étaient orthodoxes. Puis il y a eu une unification – l’union du Grand-Duché de Lituanie et du Royaume de Pologne. Quelques années plus tard, une autre union a été signée, déjà dans le domaine spirituel, et une partie des prêtres orthodoxes s’est soumise à l’autorité du pape. C’est ainsi que ces terres sont devenues partie intégrante de l’État polono-lituanien.

Mais pendant des décennies, les Polonais se sont livrés à la polonisation de cette partie de la population : ils y ont introduit leur langue, ont commencé à introduire l’idée qu’ils n’étaient pas tout à fait des Russes, que puisqu’ils vivaient près de [U] la frontière [kraï], ils étaient des Ukrainiens. À l’origine, le mot “Ukrainien” signifiait qu’une personne vivait à la périphérie de l’État, “près de la frontière”, ou qu’elle était engagée dans le service frontalier, en fait. Il ne désignait pas un groupe ethnique particulier.

Les Polonais faisaient donc tout leur possible pour poloniser cette partie des terres russes et la traitaient en fait de manière assez dure, voire cruelle. Tout cela a fait que ces régions ont commencé à se battre pour leurs droits. Ils ont écrit des lettres à Varsovie, exigeant que leurs droits soient respectés, afin que des personnes soient envoyées ici, y compris à Kiev…..

Т. Carlson : Quand cela s’est-il passé, dans quelles années ?

V. Poutine : C’était au XIIIe siècle.

Je vais vous raconter ce qui s’est passé ensuite, et je vais vous donner les dates pour qu’il n’y ait pas de confusion.

En 1654, un peu plus tôt, les gens qui contrôlaient le pouvoir dans cette partie des terres russes se sont adressées à Varsovie, pour demander de leur envoyer des personnes d’origine russe et de confession orthodoxe. Et comme Varsovie ne leur répondait pas et rejetait pratiquement ces demandes, ils ont commencé à s’adresser à Moscou pour que Moscou les leur envoie.

Pour que vous ne pensiez pas que j’ai inventé quelque chose, je vais vous donner ces documents…..

Т. Carlson : Je ne pense pas que vous ayez inventé quoi que ce soit, non.

V. Poutine : Et pourtant, ce sont des documents d’archives, des copies. Voici les lettres de Bogdan Khmelnitsky, l’homme qui contrôlait alors le pouvoir dans cette partie des terres russes que nous appelons aujourd’hui l’Ukraine. Il a écrit à Varsovie pour réclamer leurs droits et, après avoir essuyé un refus, il a commencé à écrire à Moscou pour leur demander de les placer sous la férule du tsar de Moscou. Voici [dans le dossier] des copies de ces documents. Je vous les laisse en souvenir. Il y a une traduction en russe, par la suite vous les traduirez en anglais.

La Russie n’a pas accepté ces documents tout de suite, car elle craignait une guerre avec la Pologne. Néanmoins, en 1654, le Zemsky Sobor (organe représentatif de l’autorité de l’ancien État russe) a pris une décision : cette partie des terres de l’ancienne Russie est devenue une partie du royaume de Moscou.

Comme on pouvait s’y attendre, la guerre avec la Pologne commença. Elle dura 13 ans, puis un armistice fut conclu. Et ce n’est qu’après la conclusion de cet acte de 1654, après 32 ans, je crois, que la paix avec la Pologne fut conclue, une “paix éternelle”, comme on disait à l’époque. Ces terres, toute la rive gauche du Dniepr, y compris Kiev, sont passées à la Russie, et toute la rive droite du Dniepr est restée à la Pologne.

Puis, à l’époque de Catherine II, la Russie a restitué toutes ses terres historiques, y compris le sud et l’ouest. Tout cela a duré jusqu’à la révolution. A la veille de la Première Guerre mondiale, profitant de ces idées d’ukrainisation, l’état-major autrichien a commencé à promouvoir très activement l’idée de l’Ukraine et de l’ukrainisation. On comprend pourquoi : parce qu’à l’approche de la guerre mondiale, on voulait bien sûr affaiblir l’ennemi potentiel, on voulait créer des conditions favorables dans la zone frontalière. Et cette idée, née en Pologne, selon laquelle les habitants de ce territoire n’étaient pas tout à fait russes, mais constituaient un groupe ethnique particulier, les Ukrainiens, a commencé à être promue par l’état-major autrichien.

Des théoriciens de l’indépendance ukrainienne sont apparus dès le XIXe siècle, qui parlaient de la nécessité de l’indépendance ukrainienne. Cependant, tous ces “piliers” de l’indépendance ukrainienne ont insisté sur la nécessité d’entretenir de très bonnes relations avec la Russie. Néanmoins, après la révolution de 1917, les bolcheviks ont tenté de restaurer la souveraineté d’État, une guerre civile s’est déroulée, y compris [la guerre] avec la Pologne. Une paix avec la Pologne a été signée en 1921, par laquelle la partie occidentale, sur la rive droite du Dniepr, est revenue à la Pologne.

En 1939, après que la Pologne a coopéré avec Hitler, car la Pologne a effectivement coopéré avec Hitler, Hitler a proposé (nous avons tous les documents dans nos archives) de faire la paix avec la Pologne, un traité d’amitié et d’alliance, mais a exigé que la Pologne rende à l’Allemagne ce que l’on appelle le corridor de Dantzig, qui reliait la partie principale de l’Allemagne à Königsberg et à la Prusse-Orientale. Après la Première Guerre mondiale, cette partie du territoire avait été cédée à la Pologne et la ville de Gdansk a remplacé Dantzig. Hitler leur a demandé de la céder pacifiquement, ce que les Polonais ont refusé. Ils ont néanmoins coopéré avec Hitler et ont participé ensemble à la partition de la Tchécoslovaquie.

Т. Carlson : Puis-je vous poser une question ? Vous dites qu’une partie de l’Ukraine est en fait une terre russe depuis des centaines d’années. Pourquoi ne les avez-vous pas prises il y a 24 ans, lorsque vous êtes devenu président ? Vous aviez des armes. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

V. Poutine : Je vais vous le dire, je suis en train de terminer ce récit historique. Il est peut-être ennuyeux, mais il explique beaucoup de choses.

Т. Carlson : Ce n’est pas ennuyeux, non.

V. Poutine : Bien. Je suis donc très heureux que vous l’ayez apprécié à ce point. Merci beaucoup.

Avant la Seconde Guerre mondiale, alors que la Pologne coopérait avec l’Allemagne, refusait de satisfaire aux exigences d’Hitler, mais participait néanmoins avec Hitler à la division de la Tchécoslovaquie, parce qu’elle ne renonçait pas au corridor de Dantzig, les Polonais ont forcé, ils ont joué à leurs jeux et ont forcé Hitler à commencer la Seconde Guerre mondiale à partir de là. Pourquoi la Pologne a-t-elle déclenché la guerre le 1er septembre 1939 ? Elle n’était pas coopérative. Hitler n’avait pas d’autre choix que de commencer la réalisation de ses plans avec la Pologne.

D’ailleurs, l’Union soviétique – j’ai lu les documents d’archives – s’est comportée très honnêtement, et l’Union soviétique a demandé à la Pologne la permission d’envoyer ses troupes pour aider la Tchécoslovaquie. Mais le ministre polonais des affaires étrangères de l’époque a déclaré que même si les avions soviétiques se dirigeaient vers la Tchécoslovaquie en traversant le territoire polonais, ils seraient abattus au-dessus du territoire polonais. Bon, ce n’est pas grave. Ce qui est important, c’est que la guerre a commencé et que la Pologne est devenue elle-même victime de la politique qu’elle avait menée à l’égard de la Tchécoslovaquie, car selon les fameux protocoles Molotov-Ribbentrop, une partie de ces territoires est allée à la Russie, y compris l’Ukraine occidentale. La Russie, sous le nom d'”Union soviétique”, retrouvait ainsi ses territoires historiques.

Après la victoire de la Grande Guerre patriotique, comme on appelle chez nous la Seconde Guerre mondiale, tous ces territoires ont finalement été attribués à la Russie, à l’Union soviétique. Et la Pologne, en guise de compensation, nous devons le supposer, a reçu les territoires occidentaux, à l’origine allemands : la partie orientale de l’Allemagne, une partie des terres, ce sont les districts occidentaux de la Pologne d’aujourd’hui. Et, bien sûr, elle a récupéré l’accès à la mer Baltique, elle a récupéré Dantzig, qui a retrouvé son nom polonais. C’est ainsi que cette situation s’est produite.

Lorsque l’Union soviétique a été formée en 1922, les bolcheviks ont commencé à former l’URSS et ont créé l’Ukraine soviétique, qui n’existait pas du tout jusque là.

Т. Carlson : C’est exact.

V. Poutine : En même temps, Staline a insisté pour que ces républiques en cours de formation soient incluses en tant qu’entités autonomes, mais pour une raison inconnue, le fondateur de l’État soviétique, Lénine, a insisté pour qu’elles aient le droit de quitter l’Union soviétique. Et, toujours pour des raisons inconnues, il a doté l’Ukraine soviétique en terres, en personnes vivant sur ces territoires, même s’ils n’avaient jamais été appelés Ukraine auparavant, pour une raison quelconque, lors de sa formation, tout cela a été “injecté” dans la RSS d’Ukraine, y compris toute la côte de la mer Noire, qui a été reçue à l’époque de Catherine II et qui, en fait, n’a jamais eu de relation historique avec l’Ukraine.

Même si l’on se souvient de 1654, lorsque ces territoires ont été rattachés à l’Empire russe, il y avait trois ou quatre régions de l’Ukraine actuelle, mais aucune région de la mer Noire. Il n’y avait tout simplement rien à objecter à cela.

Т. Carlson : En 1654 ?

V. Poutine : Oui, exactement.

Т. Carlson : Vous avez des connaissances encyclopédiques. Mais pourquoi n’en avez-vous pas parlé pendant les 22 premières années de votre présidence ?

V. Poutine : L’Ukraine soviétique a reçu un grand nombre de territoires qui n’ont jamais rien eu à voir avec elle, tout d’abord la côte de la mer Noire. Ces territoires s’appelaient autrefois Novorossiya lorsque la Russie les a obtenus à la suite des guerres russo-turques. Mais ce n’est pas important. Ce qui est important, c’est que Lénine, le fondateur de l’État soviétique, a créé l’Ukraine exactement comme cela. La RSS d’Ukraine s’est donc développée pendant de nombreuses décennies au sein de l’URSS et les bolcheviks, également pour des raisons inconnues, se sont lancés dans l’ukrainisation. Non seulement parce qu’il y avait des natifs d’Ukraine à la tête de l’Union soviétique, mais aussi parce qu’une telle politique existait en général – elle était appelée “indigénisation”. Elle concernait l’Ukraine et d’autres républiques de l’Union. Des langues et des cultures nationales ont été introduites, ce qui, en général, en principe, n’était pas mauvais. Mais c’est ainsi que l’Ukraine soviétique a été créée.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Ukraine a reçu une partie des territoires polonais d’avant la guerre – aujourd’hui l’Ukraine occidentale -, une partie des territoires hongrois et une partie des territoires roumains. La Roumanie et la Hongrie ont également vu une partie de leurs territoires intégrés à l’Ukraine soviétique et qui y sont encore aujourd’hui. Par conséquent, nous avons toutes les raisons de dire que l’Ukraine est, dans un certain sens, un État artificiel créé par la volonté de Staline.

Т. Carlson : Et pensez-vous que la Hongrie a le droit de reprendre ses terres ? D’autres nations peuvent-elles reprendre leurs terres et peut-être ramener l’Ukraine aux frontières de 1654 ?

V. Poutine : Je ne sais pas comment revenir aux frontières de 1654. L’époque du règne de Staline est appelée le régime stalinien, tout le monde parle du fait qu’il y a eu de nombreuses violations des droits de l’homme, des violations des droits des autres États. En ce sens, bien sûr, il est tout à fait possible, sinon de dire qu’ils ont le droit de le faire – de reprendre ces terres qui sont les leurs, alors, au moins, c’est compréhensible….

Т. Carlson : Avez-vous dit à Orban qu’il pourrait récupérer une partie des terres ukrainiennes ?

V. Poutine : Je ne l’ai jamais fait. Jamais, pas une seule fois. Lui et moi n’avons même pas eu de conversation à ce sujet. Mais je sais pertinemment que les Hongrois qui vivent là-bas veulent bien sûr retrouver leur patrie historique.

D’ailleurs, je vais vous raconter une histoire très intéressante, je vais faire une parenthèse, c’est une histoire personnelle. Au début des années 80, j’ai quitté Leningrad, Saint-Pétersbourg, en voiture, pour traverser l’Union soviétique en passant par Kiev, je me suis arrêté à Kiev, puis je me suis rendu en Ukraine occidentale. Je suis entré dans une ville appelée Beregovo, et tous les noms des villes et des villages sont en russe et en hongrois, une langue que je ne comprends pas. En russe et en hongrois. Pas en ukrainien, mais en russe et en hongrois.

Je traversais un village, des hommes en costume trois pièces noir et des chapeau haut-de-forme noirs étaient assis près des maisons. J’ai demandé s’ils étaient des comédiens. On m’a répondu : non, ce ne sont pas des comédiens, ce sont des Hongrois. J’ai dit : “Que font-ils ici ? “. “C’est leur terre, ils vivent ici”. Tous les noms en hongrois ! À l’époque soviétique, dans les années 80. Ils conservent la langue hongroise, les noms, tous les costumes nationaux. Ils sont hongrois et se sentent hongrois. Et bien sûr, lorsqu’il y a une violation…..

Т. Carlson : Oui, je pense qu’il y a beaucoup de cela. Il est probable que de nombreux pays soient mécontents des changements de frontières survenus au cours du XXe siècle et avant. Mais le fait est que vous n’avez rien dit de tel avant, jusqu’en février 2022. Et vous avez parlé du fait que vous vous sentiez physiquement menacé par l’OTAN, en particulier par la menace nucléaire, ce qui vous a incité à agir. Est-ce que je vous ai bien compris ?

V. Poutine : Je comprends que mes longs dialogues ne font probablement pas partie du genre de l’interview. C’est pourquoi je vous ai demandé au début : allons-nous avoir une conversation sérieuse ou un spectacle ? Vous avez répondu “une conversation sérieuse”. Alors, s’il vous plaît, ne vous offusquez pas.

Nous sommes arrivés au moment où l’Ukraine soviétique a été créée. Puis, en 1991, l’Union soviétique s’est effondrée. Et tout ce que l’Ukraine avait reçu en cadeau de la Russie, offert généreusement, elle l’a emporté avec elle.

J’en viens à un moment très important de cette conversation. Après tout, l’effondrement de l’Union soviétique a été initié par les dirigeants russes. Je ne sais pas ce qui a guidé les dirigeants russes à l’époque, mais je soupçonne qu’ils avaient plusieurs raisons de penser que tout irait bien.

Tout d’abord, je pense que les dirigeants russes s’appuyaient sur les fondements de la relation entre la Russie et l’Ukraine. En effet, une langue commune – 90 % des habitants parlent russe -, des liens de parenté – une personne sur trois a des liens de parenté ou d’amitié -, une culture commune, une histoire commune et, enfin, une religion commune, le fait d’être au sein d’un même État depuis des siècles, une économie fortement interconnectée – tous ces éléments sont fondamentaux. Tous ces éléments sous-tendent l’inévitabilité de nos bonnes relations.

La deuxième chose est très importante, et je veux que vous, en tant que citoyen américain, et vos téléspectateurs l’entendent également : les dirigeants russes précédents ont supposé que l’Union soviétique avait cessé d’exister, qu’il n’y avait plus de lignes de démarcation idéologiques. La Russie est allée volontairement et proactivement jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique et a supposé que cela serait compris par ce que l’on appelle – déjà entre guillemets – “l’Occident civilisé” comme une proposition de coopération et d’alliance. C’est ce que la Russie attendait des États-Unis et de ce que l’on appelle l’Occident collectif dans son ensemble.

Il y avait des gens intelligents, y compris en Allemagne. Egon Bahr, un homme politique important du parti social-démocrate, a insisté personnellement dans ses conversations avec les dirigeants soviétiques avant l’effondrement de l’Union soviétique sur la nécessité de créer un nouveau système de sécurité en Europe. Il fallait aider l’Allemagne à s’unir, mais aussi créer un nouveau système incluant les États-Unis, le Canada, la Russie et d’autres pays d’Europe centrale. Et il ne fallait pas que l’OTAN s’étende. C’est ce qu’il a dit : si l’OTAN s’étend, tout sera comme pendant la guerre froide, mais plus près des frontières de la Russie. C’est tout. Un bonhomme intelligent. Personne ne l’écoutait. D’ailleurs, il s’est fâché une fois (nous avons aussi cette conversation dans nos archives) : si, dit-il, vous ne m’écoutez pas, je ne reviendrai plus jamais à Moscou. Il était en colère contre les dirigeants soviétiques. Il avait raison, tout s’est passé comme il l’avait dit.

Т. Carlson : Oui, bien sûr, ses paroles se sont réalisées, vous en avez parlé à de nombreuses reprises, je pense que c’est tout à fait vrai. Et beaucoup de gens aux États-Unis pensaient aussi que les relations entre la Russie et les États-Unis seraient normales après l’effondrement de l’Union soviétique. Or, c’est le contraire qui s’est produit.

Cependant, vous n’avez jamais expliqué pourquoi selon vous tout cela a pu se produire, pourquoi cela s’est produit. Oui, l’Occident a peut-être peur d’une Russie forte, mais il n’a pas peur d’une Chine forte.

V. Poutine : L’Occident craint davantage une Chine forte qu’une Russie forte, parce que la Russie compte 150 millions d’habitants et la Chine 1,5 milliard, et que l’économie chinoise croît à un rythme effréné – cinq et demi pour cent par an, parfois même plus. Mais cela suffit à la Chine. Bismarck a dit un jour : l’essentiel, ce sont les potentiels. Le potentiel de la Chine est colossal ; c’est aujourd’hui la première économie du monde en termes de parité de pouvoir d’achat et de volume économique. Elle a déjà dépassé les États-Unis depuis un certain temps, et le rythme s’accélère.

Nous n’allons pas parler de qui a peur de qui, nous n’allons pas parler dans ces catégories. Parlons plutôt du fait qu’après 1991, alors que la Russie s’attendait à être intégrée dans la famille fraternelle des “nations civilisées”, rien de tel ne s’est produit. Vous nous avez trompés – quand je dis “vous”, je ne parle pas de vous personnellement, bien sûr, mais des États-Unis – vous nous avez promis qu’il n’y aurait pas d’expansion de l’OTAN vers l’est, mais cela s’est produit cinq fois, cinq vagues d’expansion. Nous avons tout supporté, nous les avons persuadés, nous avons dit : ne le faites pas, nous sommes des vôtres maintenant, comme on dit chez nous, des bourgeois, nous avons une économie de marché, nous n’avons pas le pouvoir du parti communiste, trouvons un accord.

En outre, je l’ai également dit publiquement – prenons maintenant le temps d’Eltsine – il y a eu un moment où “un chat gris est passé entre nous” (1). Avant cela, Eltsine s’était rendu aux États-Unis, souvenez-vous, il avait pris la parole devant le Congrès et avait prononcé ces mots merveilleux : “Que Dieu bénisse l’Amérique”. Il a tout dit, c’était des signaux : laissez-nous entrer.

Non, lorsque les événements en Yougoslavie ont commencé… Avant cela, Eltsine était cajolé et loué – dès que les événements en Yougoslavie ont commencé et qu’il a élevé la voix pour les Serbes, et nous n’avons pas pu nous empêcher d’élever la voix e faveur des Serbes, pour les défendre… Je comprends qu’il y avait des processus compliqués là-bas, je comprends. Mais la Russie ne pouvait pas ne pas élever la voix pour les Serbes, parce que les Serbes sont aussi une nation spéciale, proche de nous, avec une culture orthodoxe, etc. C’est un peuple qui souffre depuis des générations. Peu importe, ce qui compte, c’est qu’Eltsine se soit exprimé en faveur de la Serbie. Qu’ont fait les États-Unis ? En violation du droit international, de la Charte des Nations unies, ils ont commencé à bombarder Belgrade.

Les États-Unis ont laissé le génie sortir de la bouteille. D’ailleurs, lorsque la Russie s’est opposée et a exprimé son indignation, qu’a-t-on dit ? La Charte des Nations unies, le droit international sont obsolètes. Aujourd’hui, tout le monde se réfère au droit international, mais à l’époque, on commençait à dire que tout était dépassé, qu’il fallait tout changer.

En effet, certaines choses doivent être changées, parce que l’équilibre des pouvoirs a changé, c’est vrai, mais pas de cette manière. Oui, d’ailleurs, ils ont tout de suite commencé à dénigrer Eltsine, à dire qu’il était alcoolique, qu’il ne comprenait rien, qu’il n’avait pas de sens. Lui, il a compris et il a bien compris, je vous l’assure.

Bon, je suis devenu président en 2000. Je me suis dit : d’accord, la question yougoslave est réglée, il faut essayer de rétablir les relations, d’ouvrir cette porte par laquelle la Russie essayait de passer. Et d’ailleurs, j’en ai déjà parlé publiquement, je peux le répéter, lors d’une réunion ici au Kremlin avec Bill Clinton sur la fin de son mandat – ici même dans la pièce voisine – je lui ai dit, je lui ai posé une question : écoutez, Bill, que pensez-vous, si la Russie soulevait la question de l’adhésion à l’OTAN, pensez-vous que ce serait possible ? Soudain, il m’a répondu : vous savez, vous savez, c’est intéressant, je pense que oui. Et le soir, lorsque nous l’avons rencontré au dîner, il a dit : vous savez, j’ai parlé à mon équipe – non, ce n’est pas possible maintenant. Vous pouvez lui demander, je pense qu’il entendra notre interview – il le confirmera. Je ne dirais jamais une chose pareille si ce n’était pas le cas. OK, ce n’est pas possible maintenant.

Т. Carlson : Étiez-vous sincère à l’époque ? Auriez-vous rejoint l’OTAN ?

V. Poutine : Ecoutez, j’ai posé la question : est-ce possible ou non ? Et j’ai reçu la réponse : non. Si je n’étais pas sincère dans mon désir de connaître la position des dirigeants…..

Т. Carlson : Et s’il avait dit oui, auriez-vous rejoint l’OTAN ?

V. Poutine : S’il avait dit oui, le processus de rapprochement aurait commencé, et finalement il aurait pu avoir lieu si nous avions vu le désir sincère des partenaires de le faire. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Eh bien, si c’est non c’est non, d’accord, très bien.

Т. Carlson : Comment pensez-vous que cela s’est produit ? Quelles étaient les raisons ? Je comprends que vous soyez amer à ce sujet, je le comprends. Mais pourquoi pensez-vous que l’Occident vous a rejetés à ce point ? D’où vient cette hostilité ? Pourquoi les relations ne se sont-elles pas améliorées ? Quels en étaient les motifs, de votre point de vue ?

V. Poutine : Vous avez dit que je ressentais de l’amertume face à leur réponse. Non, ce n’est pas de l’amertume, c’est juste un constat. Nous ne sommes pas un couple marié, et l’amertume et le ressentiment ne sont pas des substances que l’on retrouve dans de tels cas. Nous avons juste réalisé que nous n’étions pas les bienvenus, c’est tout. Bon, bon. Mais construisons des relations d’une manière différente, cherchons un terrain d’entente. Vous devriez demander à vos supérieurs pourquoi nous avons reçu une réponse aussi négative. Je ne peux que deviner pourquoi : un pays trop grand avec ses propres opinions, etc. Et les États-Unis – j’ai vu comment les problèmes sont résolus à l’OTAN….

Je vais vous donner un autre exemple, concernant l’Ukraine. Les dirigeants américains “font pression” – et tous les membres de l’OTAN votent docilement, même si ça ne leur plaît pas toujours. Je vais vous dire à ce propos ce qui est arrivé à l’Ukraine en 2008, bien que cela fasse l’objet d’un débat, je ne vous apprendrai rien de nouveau ici.

Néanmoins, après cela, nous avons essayé de construire des relations de différentes manières. Par exemple, lors des événements au Moyen-Orient, en Irak, nous avons établi des relations avec les États-Unis avec beaucoup de courtoisie et de calme.

J’ai soulevé à plusieurs reprises la question de savoir si les États-Unis devaient soutenir le séparatisme ou le terrorisme dans le Caucase du Nord. Mais ils ont continué à le faire. Les États-Unis et leurs satellites ont apporté un soutien politique, un soutien en matière d’information, un soutien financier et même un soutien militaire à des formations terroristes dans le Caucase.

J’ai un jour soulevé cette question avec mon collègue, le président des États-Unis. Il m’a dit : ce n’est pas possible, avez-vous des preuves ? J’ai répondu : oui. J’étais prêt pour cette conversation et je lui ai donné ces preuves. Il les a examinées et vous savez ce qu’il a dit ? Je m’excuse, mais c’était comme ça, je cite texto, il a dit : eh bien, je vais leur botter le cul. Nous avons attendu et attendu une réponse, mais il n’y a pas eu de réponse.

J’ai dit au directeur du FSB : écrivez à la CIA, avez-vous obtenu des résultats de la conversation avec le président ? J’ai écrit une fois, deux fois, puis nous avons reçu une réponse. Nous avons la réponse dans les archives. La CIA a répondu : nous avons travaillé avec l’opposition en Russie ; nous pensons que c’est une bonne chose et nous continuerons à travailler avec l’opposition. C’est drôle. Enfin. Nous avons compris qu’il n’y aurait pas de conversation.

Т. Carlson : L’opposition contre vous ?

V. Poutine : Il s’agissait dans ce cas des séparatistes évidemment, des terroristes qui ont combattu contre nous dans le Caucase. C’est de cela qu’ils parlaient. Ils l’appelaient l’opposition. C’est le deuxième point.

Le troisième point, très important, est celui de la création du système américain de défense antimissile, au début. Nous avons longtemps persuadé les États-Unis de ne pas le faire. En fait, après avoir été invité par le père de Bush Junior, Bush Senior, à lui rendre visite à l’étranger, j’ai eu une conversation très sérieuse avec le président Bush et son équipe. J’ai suggéré que les États-Unis, la Russie et l’Europe créent ensemble un système de défense antimissile, dont nous pensons qu’il est aujourd’hui créé unilatéralement et qu’il menace notre sécurité, bien que les États-Unis aient officiellement déclaré qu’il était créé pour contrer les menaces de missiles en provenance de l’Iran. C’est également la raison d’être du système de défense antimissile. J’ai suggéré de travailler à trois – la Russie, les États-Unis et l’Europe. Ils m’ont répondu que c’était très intéressant. Ils m’ont demandé : êtes-vous sérieux ? J’ai répondu : absolument.

Т. Carlson : Quand était-ce, en quelle année ?

V. Poutine : Je ne me souviens pas. C’est facile à trouver sur Internet quand j’étais aux États-Unis à l’invitation de Bush père. Il est encore plus facile de le découvrir maintenant, je vais vous dire de qui.

On m’a dit : c’est très intéressant. J’ai dit : imaginez que nous travaillions ensemble sur un tel défi stratégique de sécurité mondiale. Le monde changerait. Nous aurons probablement des différends, probablement économiques et même politiques, mais nous changerons radicalement la situation dans le monde. On me dit [en réponse] : oui. On me demande : êtes-vous sérieux ? Je réponds : bien sûr. Il faut y réfléchir, me dit-on. Je répondu : s’il vous plaît.

Puis le secrétaire à la défense Gates, ancien directeur de la CIA, et la secrétaire d’État Rice sont venus ici, dans ce bureau où nous vous parlons en ce moment. Ici même, à cette table, de l’autre côté de la table, vous voyez cette table, ils se sont assis de ce côté. Moi, le ministre des affaires étrangères, le ministre russe de la défense – de l’autre. Ils m’ont dit : oui, nous y avons réfléchi, nous sommes d’accord. J’ai dit : Dieu merci, c’est très bien. – « Mais avec quelques exceptions ».

Т. Carlson : Vous avez donc décrit à deux reprises comment les présidents américains ont pris des décisions que leurs équipes ont ensuite fait dérailler ?

V. Poutine : Exactement. En fin de compte, bien sûr, on nous a envoyés sur les roses. Je ne vous donnerai pas les détails, parce que je pense que c’est incorrect, parce qu’il s’agissait d’une conversation confidentielle. Mais le fait que notre proposition ait été rejetée est un fait.

C’est à ce moment-là que j’ai dit : “Écoutez, mais alors nous serons obligés de prendre des mesures de rétorsion. Nous créerons des systèmes de frappe qui viendront certainement à bout du système de défense antimissile ». La réponse a été : nous ne faisons pas cela contre vous, et vous faites ce que vous voulez, à condition que ce ne soit pas contre nous, pas contre les États-Unis. J’ai dit : d’accord. Nous l’avons fait. Nous avons créé des systèmes hypersoniques à portée intercontinentale et nous continuons à les développer. Nous sommes aujourd’hui en avance sur tous les autres pays en matière de création de systèmes de frappe hypersoniques : les États-Unis et d’autres pays, et nous les améliorons chaque jour.

Mais ce n’est pas nous qui avons fait ça, nous avons proposé d’emprunter une voie différente et nous avons été rejetés.

À propos de l’expansion de l’OTAN à l’est, ils ont promis : pas d’OTAN à l’est, pas un pouce vers l’est, comme on nous l’a dit. Et ensuite, qu’est-ce qui s’est passé ? Ils ont dit : « Eh bien, ce n’est pas fixé sur le papier, alors nous allons nous étendre ». Cinq élargissements, ils ont inclus les États baltes, toute l’Europe de l’Est, etc.

J’en viens maintenant à l’essentiel : ils sont arrivés jusqu’à l’Ukraine. En 2008, lors du sommet de Bucarest, ils ont déclaré que les portes de l’Ukraine et de la Géorgie étaient ouvertes à l’OTAN.

Voyons maintenant comment les décisions sont prises là-bas. L’Allemagne et la France semblaient s’y opposer, ainsi que d’autres pays européens. Mais ensuite, le président Bush, qui est, n’est-ce pas, un homme si dur, un politicien si dur, comme on me l’a dit plus tard : il a fait pression, et nous avons dû accepter. C’est drôle, on se croirait au jardin d’enfants. Où sont les garanties ? Quel est ce jardin d’enfants, quel genre de personnes sont-elles, qui sont-elles ? Vous voyez, ils ont été “soumis à pression”, ils ont accepté. Puis ils disent : « L’Ukraine ne fera pas partie de l’OTAN ». Je dis : je ne sais pas ; je sais que vous avez accepté en 2008, mais pourquoi ne le ferez-vous plus à l’avenir ? « Eh bien, ils nous ont obligés”. Je dis : pourquoi ne vous pressent-ils pas demain pour que vous acceptiez à nouveau ? C’est n’importe quoi. Je ne comprends pas à qui il faut s’adresser. Nous sommes prêts à parler. Mais avec qui ? Où sont les garanties ? Il n’y en a aucune.

Ils ont donc commencé à “mettre en condition” le territoire de l’Ukraine. Quoi qu’il en soit, je vous ai raconté l’histoire, comment ce territoire s’est développé, quels types de relations il entretenait avec la Russie. Une personne sur deux ou sur trois a toujours eu des liens avec la Russie. Et pendant les élections dans l’Ukraine indépendante et souveraine, qui a obtenu son indépendance grâce à la Déclaration d’indépendance, qui dit d’ailleurs que l’Ukraine est un État neutre, en 2008, les portes de l’OTAN se sont soudainement ouvertes devant elle. C’est un film intéressant ! Nous n’étions pas d’accord sur ce point. Ainsi, tous les présidents qui sont arrivés au pouvoir en Ukraine se sont appuyés sur un électorat qui, d’une manière ou d’une autre, était favorable à la Russie. Il s’agit du sud-est de l’Ukraine, d’un grand nombre de personnes. Et il était très difficile de “casser” cet électorat, qui avait une attitude positive à l’égard de la Russie.

Viktor Yanukovych est arrivé au pouvoir, et voici comment : la première fois qu’il a gagné après le président Koutchma – ils ont organisé un troisième tour, ce qui n’est pas prévu par la Constitution de l’Ukraine. Il s’agit d’un coup d’État. Voyez-moi ça : il y a quelqu’un à qui ça ne plaisait pas, aux États-Unis.

Т. Carlson : En 2014.

V. Poutine : Non, c’était avant. Non, non, c’était plus tôt. Après le président Koutchma, Viktor Ianoukovitch a remporté les élections. Mais ses opposants n’ont pas reconnu cette victoire, les États-Unis ont soutenu l’opposition, et un troisième tour a été programmé. Vous vous rendez compte ? C’était un coup d’État. Les États-Unis l’ont soutenu et il [Viktor Iouchtchenko] est arrivé au pouvoir à la suite du troisième tour… Imaginez que quelqu’un aux États-Unis n’aime pas quelque chose – il organise un troisième tour, ce qui n’est pas prévu dans la Constitution américaine. Mais ils l’ont quand même fait là-bas [en Ukraine]. Viktor Iouchtchenko, qui était considéré comme un homme politique pro-occidental, est arrivé au pouvoir. D’accord, mais nous avons également établi des relations avec lui, il s’est rendu à Moscou pour des visites, nous sommes allés à Kiev, et moi aussi j’y suis allé. Nous nous sommes rencontrés dans une atmosphère informelle. Il était pro-occidental – bon, d’accord. Laissons-les faire, mais que les gens travaillent. La situation devrait évoluer à l’intérieur, en Ukraine même. Après avoir dirigé le pays, la situation s’est détériorée et Viktor Yanukovych est arrivé au pouvoir.

Il n’était peut-être pas le meilleur président ni le meilleur politicien – je ne sais pas, je ne veux pas faire d’évaluation – mais la question de l’association avec l’Union européenne a été soulevée. Nous avons toujours été très loyaux à l’égard de l’Union européenne : c’est comme vous voulez. Mais lorsque nous avons lu cet accord d’association, il s’est avéré que c’était un problème pour nous, parce que nous avons une zone de libre-échange avec l’Ukraine, des frontières douanières ouvertes, et l’Ukraine était censée ouvrir ses frontières à l’Europe dans le cadre de cette association, et tout aurait afflué vers notre marché.

Nous avons dit : non, ça ne marchera pas comme ça, nous fermerons nos frontières avec l’Ukraine, nos frontières douanières. Ianoukovitch a commencé à calculer ce que l’Ukraine gagnerait et ce qu’elle perdrait, et il a annoncé à ses homologues européens : je dois y réfléchir avant de signer. Dès qu’il a dit cela, les actions destructrices de l’opposition, soutenue par l’Occident, ont commencé, et tout a abouti au Maïdan et au coup d’État en Ukraine.

(1) L’expression signifie : “Soudain, il y a eu de la méfiance, de la division, de la mauvaise volonté l’un envers l’autre”. En général on dit “un chat noir”, et ici il est gris, pour atténuer l’effet.

(à suivre)

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3 Commentaires

  • Nicolas
    Nicolas

    Je viens de lire cette première partie, et comme je retiens beaucoup mieux ce que je lis, et à mon rythme, que ce que j’entends, ce texte m’est bien plus précieux que les vidéos de l’interview qu’on peut voir ici ou là, plus ou moins bien traduites, plus ou moins bien doublées en français.
    Il me tarde de lire la suite.
    Un grand merci à Marianne pour ce travail de traduction.

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  • Michel BEYER
    Michel BEYER

    Merci Danielle et Marianne.
    Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a perdu son temps à l’école. Il connaît l’histoire de la Russie par coeur.
    Toutes les vérités qu’il a distillé sur l’OTAN doivent mettre mal à l’aise les anciens présidents américains. Je crois que après l’épisode de la Yougoslavie, il ne se faisait guère d’illusions sur la réponse des occidentaux. Dans un sens, il les a piégés. La réponse négative dévoilait en partie leur objectif, le démantèlement de la Russie. Pour revenir sur la Yougoslavie, il ne faut pas oublier le”dommage collatéral” sur l’ambassade de Chine à Belgrade à titre d’avertissement.

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  • Chabian
    Chabian

    Vraiment, merci pour ce travail. Cela permet d’établir une chronologie détaillée et commentée de ce long conflit. Et Poutine respecte l’histoire quand il utilise les mots de “Couloir de Dantzig”, “Königsberg” et “Prusse orientale”, sans aucun commentaire référent à la Russie. Il faudrait aussi assortir l’interview de notes de contexte, d’éclaircissement ou de contestation sur certains points, silences, ou raccourcis de Poutine…

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