Histoire et société

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En 2017, le réarmement de la Pologne n’en est qu’à ses débuts

La Pologne est un des premiers pays à s’être engagée dans un grand programme de réarmement. Outre pour sa traditionnelle politique de dissuasion de la Russie, elle voit son armée comme un instrument au service de ses ambitions géopolitiques en Europe et le pivot de sa relation privilégiée avec les Etats-Unis. et ce comme on peut le lire dans l’article dès 2012, c’est dire que la politique des USA pour achever de démanteler la Russie et affaiblir un allié potentiel de la Chine n’a même pas eu le prétexte de 2014 ou celui de 2022. (note de danielle Bleitrach dans histoireetsociete)

13 DÉCEMBRE 2017 parMARTIN MICHELOT | PAYS : POLOGNE

Comme la plupart des pays d’Europe Centrale, la Pologne a, dans les années suivant la fin de la domination soviétique, significativement baissé ses dépenses militaires. Les « dividendes de la paix », cette théorie chère à George H.W. Bush et Margaret Thatcher au début des années 90 selon laquelle la baisse des dépenses de défense résulterait en des bénéfices économiques de long terme, couplée à l’éventuelle intégration des pays d’Europe Centrale à l’OTAN en 1999 (2004 pour la Slovaquie), la protection offerte par les Etats-Unis, et la relative stabilité géopolitique sont les principaux facteurs explicatifs de cette importante baisse.

Par rapport à d’autres pays, et en premier lieu leurs voisins tchèques et slovaques et frères hongrois qui connurent des baisses plus importantes, la Pologne préserva toutefois des capacités significatives (sur la base de la part du budget de la défense par rapport au PIB, qui fut au plus bas d’1,75% en 2008), même si en-deçà des chiffres pré-1989. Ce point est important dans la mesure où c’est ce maintien de capacités opérationnelles (et d’expertise humaine) qui a permis la remontée en puissance rapide des forces armées polonaises que l’on constate depuis 2014. Dans le cas des trois autres pays du groupe de Visegrád (V4), la chute ne fut pas enrayée, et causa une perte quasi irrémédiable de capacités et de compétences qui a encore des conséquences aujourd’hui sur la capacité de ces pays à mettre en œuvre la modernisation nécessaire de leurs forces armées. [1]

Contrairement au cas de beaucoup de pays membres de l’OTAN, la modernisation des forces armées polonaises a été prévue avant 2014 et l’annexion illégale de la Crimée par la Russie. C’est en 2012 que fut présenté le « Plan de modernisation technique des forces armées polonaises 2013-2022 », qui détaillait la nécessité pour les 3 armées – de terre, de l’air et la marine – de procéder à des achats d’équipements militaires modernes afin de se libérer de la dépendance à des matériels soviétiques inadaptés et coûteux à maintenir, et qui ne répondaient que peu au besoin d’interopérabilité des forces de l’OTAN, au sein de laquelle la Pologne a(vait) des ambitions fortes. La dégradation significative de la situation de sécurité à la frontière Est de l’OTAN et la montée en puissance (perçue) de l’armée russe ont donné un coup de boost supplémentaire aux projets de modernisation.

55 milliards de dollars sur 15 ans pour l’armement

Il faut toutefois placer ces processus dans un temps long : en effet, n’importe quel achat de matériel militaire, auprès de fournisseurs américains ou européens, répond à des règles précises et extrêmement sensibles, et à des délais de livraisons qui s’étalent sur plusieurs années. Ainsi, depuis 2013, seulement 4 milliards de dollars de contrats ont été signés, alors que le budget annuel de la défense polonaise s’élève pour 2017 à environ 9,3 milliards d’euros. [2] Les effets de ce processus de modernisation se feront sentir aux alentours de 2021, quand les premières livraisons auront lieu, et aboutiront complètement à l’horizon 2030. Il est prévu que sur les 15 prochaines années, une somme totale de 55 milliards de dollars soit dépensée pour la modernisation des forces armées, pour un budget de la défense doublé et qui correspondrait à 2,5% du PIB. [3]

Il est donc clair que le réarmement de la Pologne n’en est qu’à ses débuts, et surtout qu’il a déjà aiguisé une compétition féroce entre grands groupes industriels qui souhaitent profiter de la manne financière promise par la Pologne, les Etats-Unis évidemment en tête. Ce processus est devenu éminemment politique, ce dont les gouvernements successifs polonais ont joué dans un premier lieu pour envoyer des messages politiques, et surtout celui de la relation de confiance avec les Etats-Unis, qui reste le principal (et ultime) garant de la sécurité sur le flanc Est, mais aussi nouer des liens avec la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France, qui détiennent les principales industries de défense européennes. A ce titre, la France s’est intéressée de très près au marché polonais et s’est positionnée sur plusieurs projets ; ce fut d’ailleurs le cas des hélicoptères Caracale qui causa en 2016 un embryon de crise diplomatique entre Paris et Varsovie à cause de l’annulation cavalière de l’appel d’offres (d’une valeur de 3,1 milliards d’euros) par le nouveau gouvernement polonais. [4] Malgré cela, la possibilité d’un contrat important de sous-marins et/ou de missiles de croisière embarqués a rendu possible un rapprochement à l’automne, et des discussions devraient être enclenchées pour réfléchir à un projet franco-germano-allemand de char lourd. Les intérêts industriels des uns et des autres peuvent donc aider à faire fi des tensions politiques du printemps et de l’été.

Poznan, nouveau QG des troupes US en Europe de l’Est

La relation entre la Pologne et les Etats-Unis va bien au-delà des intérêts industriels. La priorité donnée à l’achat de systèmes américains est le précurseur nécessaire, mais pas exclusif, à une décision de présence de troupes américaines pour participer aux efforts de réassurance des populations et de dissuasion contre la Russie dans la région. C’est au titre de l’excellente qualité de la relation américano-polonaise que Trump a visité la Pologne en juillet 2017, mais aussi pour offrir personnellement aux dirigeants polonais la garantie que Washington reste attaché politiquement et militairement aux garanties de sécurité mutuelles prévues par l’Article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. Pour les Etats-Unis, la Pologne est un « bon élève », c’est-à-dire que Varsovie dépense plus de 2% de son PIB sur son budget de défense (seuls les Etats-Unis, la Grèce, l’Estonie et la Grande-Bretagne en font de même, tandis que la France est à 1,8%. [5]). La campagne de Donald Trump et ses premiers pas ont été marqués par les admonestations fréquentes envers les pays qui ne remplissent pas ces objectifs – les « passagers clandestins » – et qui se sont mis d’accord au sommet de l’OTAN de 2014 pour arriver à cet objectif d’ici à 2024 (Emmanuel Macron prévoit que cet objectif sera atteint en 2025). Cet objectif symbolique participe aussi à la bonne qualité de la relation entre Varsovie et Washington, et offre des leviers politiques importants qui permettent à la Pologne d’être en position de demander des garanties de sécurité renouvelées aux Etats-Unis.

De par sa position géographique, la Pologne est idéalement positionnée pour servir de base pour le renforcement du flanc Est, et accueille à ce titre depuis le début de l’année le nouveau mini quartier-général logistique des troupes américaines présentes en Europe de l’Est. Symboliquement, ce QG a été déplacé d’Allemagne, où la majorité des forces américaines en Europe sont positionnées, pour être relocalisé à Poznan, à l’ouest du pays. Ce QG a pour charge de coordonner la présence d’environ 5700 soldats américains dans le cadre de l’opération « Atlantic Resolve » ; ces soldats ne sont toutefois pas seulement sur le sol polonais mais s’entraînent avec les forcées armées de tous les pays d’Europe Centrale et de l’Est membres de l’OTAN. Il est ici important noter que cette présence est « rotationnelle », les soldats étant présents dans la région pour une durée de neuf mois : en effet, le Traité Fondateur OTAN-Russie interdit la présence « permanente » dans les pays issus du Pacte de Varsovie de troupes d’autres pays de l’OTAN.

Il en va de même pour les troupes placées sous l’égide de l’OTAN en Pologne dans le contexte du programme de « Présence avancée rehaussée », qui prévoit le déploiement de quatre groupements tactiques multinationaux en Pologne et dans chacun des pays baltes. Chaque groupement tactique est mené par un pays différent, et symboliquement ce sont les Etats-Unis qui dirigent le groupement tactique basé à Orzsyz, au nord-est du pays. Environ 1000 soldats américains composent cette force, complétée de 71 soldats croates, 120 soldats roumains et 150 soldats britanniques, et qui est destinée à dissuader la Russie d’un éventuel aventurisme en territoire polonais, mais aussi à renforcer de manière extrêmement rapide les contingents présents dans les pays baltes en cas d’incident.

Une force de défense territoriale de 50 000 personnes à l’horizon 2020

En parallèle, afin d’accompagner la montée en puissance des forces armées polonaises, le nouveau gouvernement a décidé de créer une « force de défense territoriale » de 50 000 personnes qui viendrait s’ajouter aux 100 000 troupes d’active. Cette nouvelle ligne de défense a vocation à être opérationnelle sous 3 ans, d’ici au début 2020, serait équipée uniquement de matériel polonais, et se focaliserait uniquement sur la défense de leurs communautés plutôt que sur des manœuvres opérationnelles, et ne ferait pas formellement partie de la structure militaire mais resterait sous l’égide du Ministère de la défense polonais. Parfois critiquée comme étant une « armée privée », et détachée des nécessités et réalités militaires de la dissuasion envers la Russie, des voix se sont élevées pour mettre en avant les dangers de politisation de l’armée polonaise, soupçons encore renforcés par les piètres relations entre le Ministre de la Défense Antoni Macierewicz et son cabinet.

La Pologne, on l’a vu, n’en est donc qu’au début du renforcement et de la modernisation de son armée, et peut déjà se prévaloir d’être dans une position de force politique par rapport à ses engagements vis-à-vis de l’OTAN et des Etats-Unis. Même si la priorité polonaise reste évidemment la dissuasion de la Russie et la participation aux activités de défense territoriale et sécurité collective de l’OTAN, cette montée en puissance devrait aussi permettre à terme à la Pologne de participer aux éventuelles opérations militaires de maintien de la paix ou de stabilisation en Afrique ou au Proche-Orient (l’armée est encore présente en Afghanistan, tout comme les autres pays du V4), comme elle l’a déjà fait en Iraq au sein de la coalition internationale anti-Daech. Cette participation au-delà du voisinage a évidemment des visées stratégiques : mise en avant du rôle de la Pologne dans le règlement des conflits internationaux, création de leviers politiques envers d’autres pays européens, et dans une certaine mesure, démontrer qu’elle est capable de faire preuve de solidarité envers ses voisins européens – un message des plus importants pour la France.

Photo : U.S. Army.

Notes

↑1https://data.worldbank.org/indicator/MS.MIL.XPND.GD.ZS?locations=PL-CZ-SK-HU
↑2Soit environ quatre fois moins que le budget annuel du Ministères des Armées français.
↑3http://www.businessinsider.com/r-poland-to-allocate-additional-55-bllion-on-defense-by-2032-deputy-minister-2017-8
↑4, ↑5https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/helicopteres-pourquoi-la-pologne-se-moque-vraiment-de-la-france-605911.html

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