Au cœur du “patriotisme” russe la lutte des classes ne faiblit pas et même dans le Donbass, face à l’ennemi commun, elle fait des victimes en particulier chez les communistes qui n’ont pas la même conception de l’internationalisme, toutes choses tout à fait ignorées en France qui pourtant a connu et connait les mêmes lignes de séparation héritées parfois de la Révolution française, notre “souverainisme” connaît les mêmes interprétations très hostiles les unes aux autres. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
https://svpressa.ru/society/article/394764/
Faut-il ériger des monuments à des personnages historiques controversés ?
À Rostov-sur-le-Don, le monument à la mémoire du commandant de la Première Guerre mondiale et chef du mouvement blanc, le baron Petr Wrangel, inauguré le 7 novembre, a été recouvert d’une palette et d’un scotch. Sera-t-il enlevé ?
Les communistes locaux ont protesté toute la semaine contre son installation dans le corps de cadets local portant le nom de Nicolas II. Des piquets de protestation à durée indéterminée exigeant le démantèlement du monument ont été organisés près des établissements d’enseignement supérieur.
Selon les organisateurs de la manifestation, les étudiants, observant ce qui se passait, “ont manifesté leur soutien aux revendications et ont commencé à rechercher de manière indépendante des informations supplémentaires sur les atrocités commises par l’armée de Wrangel en Crimée pendant la guerre civile”.
Les administrations universitaires ont interféré avec l’action politique. Deux des protestataires, Maxim Lonskikh et Andrei Khalymov, membres du Komsomol, ont été arrêtés malgré l’absence de motifs (les piquets de grève solitaires n’ont pas besoin d’être autorisés par les autorités en vertu de la loi sur les rassemblements).
“Les provocateurs rouges qui menacent de faire du grabuge doivent être punis avec toute la rigueur de la loi. Il appartient aux forces de l’ordre de faire respecter la loi si, en temps de guerre, quelqu’un menace directement de manifester et de déstabiliser le pays”, ont déclaré les initiateurs de l’installation du monument, qui ont soutenu l’action des justiciers.
“Les camarades communistes viennent de démontrer une fois de plus qui ils sont : des ennemis de la Russie et du peuple russe et des traîtres à la patrie. Rien de nouveau”, s’est plainte Elena Semyonova, directrice exécutive de la Société Alexandre III.
La section locale du KPRF a réagi par une déclaration. Ses auteurs soulignent que les diplômés du deuxième corps de cadets du Don, créé par le baron, étaient membres du corps de la garde russe pendant la Seconde Guerre mondiale et ont participé à des affrontements avec des unités de la 57e armée de l’Armée rouge.
La liste des autres péchés du “baron noir” s’étend sur plusieurs pages. “Les initiateurs de l’installation du monument dans les conditions de l’opération militaire spéciale de la Fédération de Russie nous offrent un tel symbole de la dépendance totale de la Russie à l’égard de l’Occident collectif”, note le service de presse des communistes.
Curieusement, les deux camps opposés ne “jurent” que par le SVO. Lors de l’inauguration du monument, l’un des responsables cosaques a déclaré qu’il avait participé à l’annexion de la Crimée, qu’il s’était battu pour le Donbass et qu’il pensait que l’opération militaire spéciale ne prendrait fin que lorsque le drapeau russe serait planté sur Kiev.
Ainsi, les Russes assistent à une “lutte intraspécifique” de patriotes en désaccord sur l’interprétation de certains moments de notre histoire. Les descendants idéologiques des Blancs qui ont perdu au début du XXe siècle tentent de se venger des Rouges qui ont gagné à l’époque, en utilisant les symboles comme bélier.
Certes, le thème patriotique est probablement le seul où il y a au moins une intersection de forces antagonistes. L’internationalisme des Rouges est incompréhensible pour les Blancs, de même que leur flirt excessif, à leurs yeux, avec les couches inférieures de la société. Beaucoup de Blancs rêvent de fouetter les gueux avec des knouts. Il faut être clair…
C’est pourquoi il est peu probable que ce conflit se termine un jour. Il semble que les Blancs espèrent que leurs efforts seront remarqués par le gouvernement central, qui réalisera leur idéal social, tandis que les Rouges seront repoussés de force dans un ghetto idéologique. Peut-être établiront-ils aussi une monarchie pour plaire à leurs sujets.
Les communistes s’en rendent compte et résistent. La protestation de l’organisation de Rostov du KPRF a été activement soutenue par leurs camarades à Moscou.
L’inauguration du buste du Gardue blanc Wrangel à l’occasion de l’anniversaire de la Grande Révolution socialiste d’octobre est une provocation de la “cinquième colonne” et le résultat des activités subversives de la “coterie” anti-russe, a déclaré Alexandre Yushchenko, chef du service de presse du KPRF et membre du comité central du parti.
Viktor Alksnis a exprimé une opinion similaire à notre journal. “Sans le soutien officiel des autorités, il est impossible d’agir de la sorte. Les autorités appellent à l’unité du peuple (le 4 novembre ! – “SP”) et poursuivent en même temps une ligne antisoviétique. Rappelons le masquage du mausolée de Lénine”, a déclaré le colonel à la retraite.
A son tour, l’historien Evgeny Spitsyn a proposé de rappeler aux cadets, en fait des enfants de 10 à 17 ans, qu’en dépit des mérites militaires, des exploits et des médailles, Wrangel “par sa participation à la lutte contre son propre peuple sur l’argent des interventionnistes a biffé toute sa vie héroïque”.
“Pendant les dix jours de l’opération Perekop-Chongar, l’Armée rouge a perdu 10 000 morts et blessés. L’opération a été menée par Mikhail Frunze et il est devenu le vainqueur de cette bataille. Alors pourquoi avoir érigé un monument en l’honneur du vaincu ? – demandent des historiens “populaires” sur le Net.
Rappelons que le pouvoir soviétique, avant même de vaincre Wrangel, avait déjà un plan de propagande monumentale. Aujourd’hui, il est probable que non seulement il n’y a pas de plan, mais que l’on comprend même qu’il est nécessaire de rationaliser les initiatives dans ce domaine. Est-il nécessaire d’ériger des monuments à la mémoire de personnages historiques aussi controversés ?
Le monument érigé à Rostov-sur-le-Don n’est pas le premier dédié à Wrangel. Le premier monument à la mémoire du chef du mouvement blanc en Russie a été inauguré sur le territoire de l’église Saint-André-le-Premier-Appelé à Kertch en 2016, et une plaque commémorative lui est dédiée près de Kaliningrad.
Et Wrangel n’est qu’une broutille. Le monument à l’ataman Krasnov, qui a collaboré avec les nazis pendant la guerre, érigé dans le village d’Elanskaya dans le district de Sholokhovsky (le nom officiel du mémorial est “Les cosaques du Don dans leur lutte contre les Bolcheviks”) – c’est là que se trouve le véritable mépris pour le peuple.
Mais Krasnov a été immortalisé au moins grâce à une initiative privée. Presque sur six acres. Alors que le maréchal Mannerheim a été honoré à Saint-Pétersbourg par le ministre de la culture Medinsky lui-même, qui a installé une plaque commémorative à la mémoire de l’organisateur du siège de Leningrad (des militants de gauche l’ont brisée à coups de masse et la plaque a dû être enlevée).
Qu’est-ce que cela, sinon une politique d’État, même si seule une partie de la classe bureaucratique en est le chef d’orchestre ? Il y a aussi des monuments à l’amiral Koltchak, le dictateur de Sibérie, à Irkoutsk et à Omsk. Dans le nord de la région d’Omsk, les habitants se souviennent bien du nombre de personnes qui y ont été torturées….
Tous ces exercices monumentaux indiquent clairement la volonté d’une partie des classes supérieures de se trouver des prédécesseurs historiques. Impossible d’hériter des Rouges, renversés par Eltsine, leur père politique. Restent les Blancs. Et au sens large, les monarchistes et les libéraux.
Les classes supérieures ne veulent pas hériter des Rouges parce qu’elles devraient alors changer leur politique actuelle – blanche, élitiste, contre une rouge – dans l’intérêt de la majorité. Elles devraient mettre au pas les oligarques, limiter l’influence des libéraux et modérer leurs propres appétits. Et à quoi leur sert le pouvoir alors ?
Comme toujours, ces gens ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Hier, un monument à la mémoire de l’amiral Koltchak à Omsk a été aspergé de peinture. L’inscription “bourreau” est apparue à proximité. La police recherche les auteurs de ces actes. Le vandalisme est un mal. Mais la politique anti-populaire n’est pas moins mauvaise. Avec ou sans Wrangel.
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