Nous condamnons les assassinats de journalistes perpétrés par Israël à Gaza et nous appelons les médias occidentaux à respecter l’éthique journalistique dans leur couverture des atrocités commises par Israël contre les Palestiniens. Cette lettre ouverte a été présentée dans un article de DefendDemocracy qui donne des exemples des nombreuses pressions auxquelles sont soumis les journalistes ayant signé cette lettre : démissions, licenciements. On imagine aussi les pressions plus indirectes en termes d’ostracisme dans les rédactions, de limitation des promotions etc… Il s’agit donc d’un acte courageux et souvent risqué pour les signataires ce qui souligne l’ampleur de ce mouvement de remise en cause de la chape propagandiste au sujet de la Palestine. (note de Jean-Luc Picker pour histoireetsociete)
Source : https://www.protect-journalists.com/
Vous êtes journaliste ou travaillez dans les rédactions, en activité ou à la retraite, et vous souhaitez signer cette lettre : merci de remplir ce formulaire
9 novembre 2023
La terrible campagne de bombardements et l’interdiction des médias à Gaza constituent une menace inédite pour la collecte des informations. Le temps presse.
Plus de 11000 Palestiniens ont trouvé la mort au cours des 4 semaines du siège mené par Israël. Parmi eux, on dénombre au moins 35 journalistes selon le décompte du Comité pour la Protection des Journalistes. Le groupe qualifie la guerre en cours de conflit le plus meurtrier pour les journalistes depuis qu’ils ont débuté le recensement des morts de journalistes en 1992. De nombreux journalistes ont aussi été blessés, arrêtés, ont disparu ou ont perdu les membres de leur famille.
En tant que journalistes, rédacteurs, photographes, producteurs ou autres travailleurs de la presse partout dans le monde, nous sommes horrifiés par les assassinats de nos collègues et de leurs familles par les forces et le gouvernement israéliens.
Nous écrivons pour appeler avec force à mettre un terme aux violences contre les journalistes à Gaza et pour demander aux chefs des salles de rédaction de se montrer clairvoyants dans leur couverture des atrocités qu’Israël commet en permanence contre les Palestiniens.
Les journalistes dans la bande de Gaza doivent travailler malgré les constantes coupures de courant, les pénuries alimentaires et d’eau et l’effondrement du système sanitaire. Des journalistes sont tués dans l’exercice de leurs fonctions alors qu’ils sont clairement identifiés comme travaillant pour la presse, d’autres sont morts la nuit dans leurs maisons. Une enquête de Reporters Sans Frontières a aussi mis en évidence le ciblage délibéré de journalistes lors de 2 frappes d’Israël au Sud Liban qui a tué Issam Abdallah, vidéographe de Reuters, et blessé 6 autres journalistes.
Des membres des familles de journalistes ont aussi été tués. Wael Dahdouh, chef du bureau de Gaza d’Al Jazeera, une voix reconnue dans tout le monde arabe, a appris à la radio, le 25 octobre, la mort de sa femme, de ses enfants et d’autres membres de sa famille, tués par une frappe israélienne. Le 5 novembre, Mohammad Abu Hassir, journaliste de l’agence Wafa News, a été tué avec 42 membres de sa famille par une frappe israélienne sur sa maison.
Israël interdit l’entrée de la presse étrangère, restreint de façon draconienne les télécommunications et bombarde les bureaux de la presse. Plus de 50 bureaux principaux des médias à Gaza ont été touchés au cours de mois écoulé. Les forces israéliennes ont informé officiellement les salles de rédaction qu’elles « ne pouvaient pas garantir » la sécurité de leurs employés contre les frappes aériennes. Cette déclaration -conforme à la ligne suivie par Israël depuis des décades qui cible, souvent de manière mortelle, les journalistes- confirme leur volonté d’interdire toute parole indépendante.
Le Syndicat des Journalistes Palestiniens a appelé les journalistes occidentaux à condamner publiquement les attaques contre les journalistes. « Nous appelons nos confrères journalistes du monde entier à agir pour stopper l’effroyable bombardement de notre peuple à Gaza » ajoute le groupe dans son communiqué du 31 octobre.
Nous avons écrit cette lettre est notre réponse à leur appel.
Nous sommes solidaires de nos collègues de Gaza et nous acclamons leurs efforts héroïques pour continuer à informer au milieu du carnage et de la destruction. Sans eux, beaucoup des atrocités observées sur le terrain resteraient invisibles.
Nous rejoignons de nombreuses associations de journalistes telles que Reporters sans Frontières, l’Association des Journalistes des pays Arabes et du Moyen Orient et la Fédération Internationale des Journalistes pour demander un engagement ferme d’Israël à arrêter la violence contre les journalistes et les autres civils. Les rédactions occidentales tirent d’immenses bénéfices du travail des journalistes de Gaza et doivent appeler immédiatement à leur protection.
Nous demandons également des comptes aux rédactions occidentales pour l’utilisation d’éléments de langage qui permettent de justifier le nettoyage ethnique contre les Palestiniens. Le double standard, les inexactitudes et les fabrications qui abondent dans les publications états-uniennes sont bien documentées. En 2021, plus de 500 journalistes ont signé une lettre ouverte exposant leurs préoccupations quant à la façon dont les médias états-uniens taisent l’oppression des Palestiniens par Israël. Leur appel à une information débarrassée de ce biais n’a pas été entendu. Au contraire, les rédactions ont continué à ignorer le point de vue des Palestiniens, des Arabes et des Musulmans et ont utilisé un langage inflammatoire destiné à renforcer les clichés racistes et islamophobiques. Elles ont relayé de l’intox générée par les dirigeants israéliens et se sont refusées à enquêter sur les meurtres indiscriminés de civils à Gaza, commis avec le soutien du gouvernement des Etats-Unis.
Depuis l’attaque du 7 octobre organisée par le Hamas, au cours de laquelle plus de 1200 israéliens (y compris 4 journalistes) ont péri et près de 240 autres ont été pris en otage, ces problèmes se sont amplifiés. Les rédactions ont en général présenté le conflit en cours comme ayant été provoqué par l’attaque, en omettant de présenter les références historiques nécessaires à la compréhension de l’événement, le fait que Gaza est de facto une prison de réfugiés de la Palestine historique, que l’occupation par Israël est illégale du point de vue de la loi internationale et que les Palestiniens sont régulièrement bombardés et massacrés par le gouvernement israélien.
Les experts des Nations Unies ont alerté qu’ils étaient « convaincus que le peuple Palestinien était face à un risque de génocide significatif », pourtant les médias occidentaux restent très hésitants à citer les experts en génocide et à décrire précisément le risque existentiel qui prévaut à Gaza.
Notre devoir est de demander des comptes aux pouvoirs. Sinon, nous courrons le risque de devenir des auxiliaires du génocide.
Nous renouvelons notre appel aux journalistes pour qu’ils exposent toute la vérité sans peur et sans complaisance. Pour qu’ils utilisent les termes précis définis par les organisations internationales de droits humains, tels que ceux « d’apartheid », « de nettoyage ethnique » et de « génocide ». Pour qu’ils reconnaissent que l’utilisation d’euphémismes pour cacher les preuves des crimes de guerre ou l’oppression des Palestiniens par Israël constitue une faute autant professionnelle que morale.
L’urgence du moment est absolue. Nous devons impérativement changer nos manières de faire.
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Cette lettre a été écrite par un groupe de journalistes basés aux Etats-Unis et travaillant pour des rédactions locales et nationales. Certains membres du groupe ont aussi participé à une lettre ouverte écrite en 2021 qui exposait les nombreuses inquiétudes quant à la couverture par les médias états-uniens de la situation en Palestine.
Toutes les signatures ont été vérifiées. Au moment de sa parution le 9 novembre 2023, la lettre avait été signée par environ 600 journalistes en activité ou retraités. Depuis, plus de 700 signatures se sont ajoutées, portant le total aux environs de 1300 (chiffres du 13 novembre 2023).
Le 10 novembre, sur la demande de son employeur (Associated Press), un journaliste a demandé à ce que sa signature soit retirée, ce qui a été fait.
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