Ayant adhéré au PCF en 1956, face à ce que j’estimais une contrerévolution dans un pays profondément marqué par le nazisme et de tradition antisémite comme la Hongrie, spontanément je pourrais refuser une telle analyse. Comme la fin du “rideau de fer” a été initiée en Hongrie, avant Berlin, on pourrait même y lire une tentative de se blanchir d’une responsabilité historique. Mais ce cercle hongrois a une indépendance intellectuelle, une productivité indéniable sur le passé mais surtout sur l’actualité… 1956 est un de ces moments de crise du socialisme qu’un contexte international rend contrerévolutionnaire mais il nous invite à mesurer que premièrement dans aucun pays socialiste la fin du pacte de Varsovie ou celle de l’URSS n’a été présentée aux peuples comme la remise en cause du socialisme mais au contraire comme son amélioration par une liberté largement fantasmée. L’auteur de l’article va plus loin, et rejoint ce qui se dit beaucoup y compris dans le film “camarade” de Konchalovsky, comme dans le livre d’Ostrowski (erreur ou trahison) à l’intérieur de l’Etat soviétique qui restait fondamentalement social, des traitres ont brisé la résistance ouvrière en s’alliant avec l’impérialisme des Etats-Unis et ils ont utilisé le mécontentement des masses pour imposer effectivement une contrerévolution. La seconde idée est sous-jacente à tout le travail de ces marxistes hongrois : le nouveau contexte international permet-il ou non une réflexion sur le contenu réel des mouvements sociaux en évitant qu’une gauche atlantiste en détourne le sens réel ? (note et traduction avec deepl de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
D’abord le pouvoir de Kádár, puis la nomenclature et l’intelligentsia qui eux voulaient changer le système socialiste, ont interprété le soulèvement comme une contre-révolution.
1192. PROCLAMATION : La double contre-révolution contre 56
Bien qu’on m’ait assuré l’autre jour sur une chaîne de télévision que pratiquement tout ce qui concerne la révolution de 1956 se retrouve désormais dans les manuels scolaires hongrois, j’ai des raisons de dire que les commémorations s’éloignent de plus en plus de ce que l’on pourrait vraiment appeler une révolution. À mon avis,
Une révolution se produit lorsque les revendications et les changements débouchent sur l’extension de la justice sociale à un cercle plus large qu’auparavant.
En ce sens, il y a eu des révolutions le 15 mars 1848, du 28 au 31 octobre en 1918, le 21 mars 1919. L’Assemblée nationale provisoire multipartite du 21 décembre 1944 a également initié des changements révolutionnaires. Et – qu’on le veuille ou non – l’exercice dictatorial du pouvoir appelé démocratie populaire a également abouti à l’avancement social de masses de la population plus nombreuses que jamais, à la création d’opportunités éducatives et à la rupture des barrières de classe rigides.
Le véritable moment révolutionnaire de 1956, dont les politiciens font aujourd’hui l’éloge se situe le 23 octobre, avec la création des conseils ouvriers. C’est exactement ce qui n’avait pas été discuté sous le régime de Kádár, et il est clair que cela ne sera pas discuté lors des réunions actuelles, ni lors de la cérémonie de dépôt de gerbes. Le régime de Kádár a dépeint les événements comme une contre-révolution – c’est-à-dire qu’il a projeté dans la rébellion l’intention de recréer la structure de classe antérieure, plus injuste socialement, basée sur l’exploitation du capital privé. C’était en grande partie un mensonge, bien que sous des contraintes géopolitiques qui l’ont rendu véridique.
Naturellement, l’objectif des masses qui sont descendues dans la rue pour diverses raisons, et en particulier certaines de leurs voix, y compris le prince primat József Mindszenty, était de restaurer les rapports de propriété capitalistes, le système des grands domaines, y compris l’Église catholique. Mais comme je l’ai décrit plus haut dans plusieurs articles publiés sur le blog Beshouting, une partie significative des travailleurs, par exemple à Debrecen, a manifesté sous les armoiries de Kossuth en disant : « Nous sommes convaincus que dans ces résolutions et ces revendications, nous nous en tenons aux principes du marxisme-léninisme, et qu’en publiant et en sensibilisant les gens, nous servons la cause d’un nouveau développement socialiste et démocratique ». Dans une émission de radio de 2020, l’avocat et politologue Péter Szigeti a également expliqué :
« Bien qu’avec des différences territoriales, à bien des égards, cela a commencé comme une révolution socialiste classique : des conseils ouvriers ont été formés, la propriété publique, les usines, les fermes d’État ont été protégées, la terre n’a pas été autorisée à être divisée. »
Comme l’indiquent les neuf points lus lors de la séance du 31 octobre du Parlement des conseils ouvriers : l’usine appartient aux travailleurs / l’organe suprême de direction de l’entreprise est le conseil ouvrier, démocratiquement élu par les travailleurs / le directeur est un employé de l’usine qui répond au conseil ouvrier / le conseil ouvrier se réserve les droits suivants : approuver les plans, approuver et utiliser la base salariale, décider de tous les contrats d’approvisionnement étrangers, des opérations de crédit / approuver les bilans / les bénéfices l’utilisation / la gestion des affaires sociales, etc. Dans le même temps, le droit de grève aurait été maintenu.
Le but des conseils ouvriers, qui portaient le caractère révolutionnaire de l’insurrection de 1956, était donc d’établir un pouvoir réel pour les ouvriers, de transférer la propriété de l’entreprise des mains de la nomenclature aux ouvriers. En d’autres termes, ils voulaient rendre le système socialiste, voire communiste, c’est-à-dire communautaire. Ce n’est pas une coïncidence si cet aspect des événements était principalement entouré de silence pendant l’ère Kádár. D’une part, cela contredisait la pratique développée en Union soviétique pendant la période stalinienne, dans laquelle la bureaucratie État-parti-État était l’exercice effectif du pouvoir. D’autre part, dans cette position de pouvoir, la nomenclature hongroise se sentait également de plus en plus à l’aise. Par rapport à 56, je considère que c’est le premier moment contre-révolutionnaire, alors que le système social dominé par les institutions du parti-État était lui fortement social.
Dans un résumé daté du 20 juillet 1989 (!), le philosophe András György Szabó a souligné qu’au fil du temps, des voix à l’intérieur et à l’extérieur du Parti socialiste ouvrier hongrois à Kádár ont tout fait pour leur faire croire que les prétendues revendications très anciennes des conseils ouvriers « ne correspondent pas aux conditions modernes d’aujourd’hui ». Dans les débats, « l’idée de la propriété ouvrière et de l’autogestion ouvrière est présentée comme économiquement absurde et historiquement déracinée par le néolibéralisme ». Ils l’ont fait en dépit du fait qu’ils étaient au courant des résultats d’une enquête menée auprès de millions de travailleurs américains :
« Le propriétaire (de l’action) travaille plus dur et plus attentivement » et serait même « prêt à renoncer à une augmentation de salaire immédiate et sûre afin d’augmenter sa participation ». (cf. Conscience, n° 137, printemps 2023, p. 136)
Cette attitude contre-révolutionnaire de la nomenclature soviétique, est-européenne, y compris hongroise, du parti et de l’État, qui cherchait à rétablir l’exploitation du capital privé, à supprimer les droits des travailleurs et à saper les droits sociaux, s’expliquait par le fait qu’à la fin des années quatre-vingt, elle se préparait déjà à la privatisation, c’est-à-dire à l’acquisition d’importantes richesses précédemment prises à d’autres, nationalisées, forcées ou nouvellement créées grâce aux efforts des masses ouvrières. c’est-à-dire de devenir un capitaliste privé. En fait, elle est allée au-delà : elle a acquis d’innombrables biens – terres de la communauté villageoise, pâturages, forêts, lacs, bâtiments – qui avaient servi à la communauté pendant des siècles.
Bien que la nouvelle classe dirigeante se soit référée à 56 comme à une révolution en paroles, elle l’a considérée comme contre-révolutionnaire sur la base de ses actions, car elle n’avait pas l’intention de réaliser ses revendications révolutionnaires en relation avec le changement de régime de 1989-1990. Au début, 1956 a été très souvent dépeint comme un mouvement indépendantiste antisoviétique et anticommuniste par d’anciens membres du Parti communiste eux-mêmes ou par des successeurs privilégiés de la couche dirigeante du régime précédent. Plus tard, avec l’exposition croissante au capital étranger et à l’influence des grandes puissances occidentales, elle a commencé à être présentée de plus en plus comme une lutte entre les rues, les « gars de Pest » et les troupes soviétiques.
Quant à la situation actuelle, elle évoque déjà la phrase « Une fois comme tragédie, parfois comme farce » de Slavoj Žižek, qui reprend l’idée de Hegel d’après Marx. János Csák, ministre de la Culture et de l’Innovation, qui a prononcé un discours à l’ambassade de Hongrie à Washington le 21 octobre, a résumé son discours sur Facebook :
Il y a 67 ans, les Hongrois se sont rebellés contre l’oppression soviétique, défiant une grande puissance disposant de millions de forces armées. La révolution de 56 nous a donné une base pour la coopération avec des pays épris de liberté comme les États-Unis. Pour préserver notre mode de vie, notre liberté et notre souveraineté, nous devons nous parler. Nos relations avec l’Amérique sont très diverses. Nous avons des collaborations qui vont de la recherche, du sport et de la culture aux domaines économique et militaire.
Je ne sais pas que Radio Liberty opérait déjà non loin de là, et qu’ils encourageaient les insurgés par l’intermédiaire de l’Europe libre de Munich à tenir bon, l’aide arrive ! Pendant ce temps, au-delà du rideau de fer, tous les décideurs et les journalistes de l’intérieur savaient que le contrôle des champs pétroliers et gaziers du Moyen-Orient et du canal de Suez ne serait pas risqué par les États-Unis dans un affrontement avec l’Union soviétique. Mais qui se souvient du grand jeu de pouvoir de l’époque, quand il y en avait de nouveaux ? Et pour ceux qui s’en souviendront, par exemple, des jeux de violon de Zoltán Mága et de son fils étudiant à New York seront proposés, et la commémoration sera dorée avec la sérénité générée par un groupe de danse folklorique d’enfants. Parce qu’ils ont été promus lors de la cérémonie américaine. Voilà, vous les gars de Pest, en particulier les conseils ouvriers… ! #
PHOTO DE TITRE : La révolution hongroise de 1956 a été célébrée avec Zoltán Mága avec un portrait du cardinal Mindszenty en arrière-plan à l’ambassade à Washington le 21 octobre 2023 – Des orateurs à l’intérieur et à l’extérieur du Parti socialiste ouvrier hongrois à Kádár ont fait de leur mieux pour nous faire croire que les prétendues très anciennes revendications des conseils du travail « ne correspondent pas aux conditions modernes d’aujourd’hui » (Source de la photo : Mága Zoltán Office)
Un groupe de jeunes organise une série d’événements à Budapest intitulée « Les oubliés de 56 – les conseils ouvriers à l’ombre de la révolution ». Détails sur Facebook.
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Xuan
Une question se pose quand même concernant le “pouvoir ouvrier”. Le mot d’ordre du pouvoir ouvrier dans les usines – tel qu’on le retrouve dans le programme du PCF aujourd’hui, et que j’avais vu aussi en 68 – est-il compatible avec le rôle dirigeant du parti communiste ? C’est-à-dire avec l’organisation centralisée d’une planification, et même d’une planification combinée avec un marché socialiste. Est-il compatible avec la définition d’une marge de profit collectif destinée aux besoins sociaux collectifs ? Une marge répartie par l’Etat en fonction des rapports entre régions, entre la ville et la campagne, entre les zones développées et les autres, entre les objectifs nationaux et ceux locaux, etc.
Ou bien s’agit-il d’un communisme primitif voulant zapper la phase de dictature du prolétariat, c’est-à-dire au fond niant la nécessité d’un état après la révolution, dans la société socialiste ?
Je veux dire par là que les conseils ouvriers étaient peut-être une saine réaction, mais aussi une réponse erronée.
Daniel Arias
Les conseils ouvriers sont déjà une réalité dans le droit français et d’autres pays en Europe. Chez nous c’est ce que l’on appelle les SCOOP qui depuis leur existence ont tout de même du mal à se développer en masse malgré les nombreux avantages sociaux pour les travailleurs et les avantages fiscaux qui leurs sont accordés.
Cette forme d’organisation a cependant une limite dans le développement industriel actuel qui est le caractère national, limite qui serait la même pour des entreprises nationalisées.
La chaîne de valeur est de plus en plus internationale et pose des problèmes juridiques particuliers pour ce type d’entreprises je n’ai pas connaissance de coopératives multinationales.
Des coopérations comme celle des constructeurs automobile chinois et Renault me semblent compliquées sous forme coopératives hors des contrats commerciaux les échanges de parts de capitaux sont très limités.
Mais le droit peut évoluer et probablement plus vite que les mentalités des travailleurs qui rechignent et ignorent encore cette forme sociale de production qui pour nous en France reste un progrès malgré ses limites.
Ces limites outre celles de l’internationalisation de la production sont aussi d’ordre social où la coopérative et ses travailleurs auront aussi un intérêt a maintenir une concurrence de marché qui ne peut être bénéfique à l’ensemble de la société que si une instance supérieure organise l’ensemble: l’État.
L’attribution efficace des ressources entre les entreprises ne peut être décidée dans le seul cadre des entreprises ce qui est déjà le cas dans la forme capitaliste actuelle.
La coopérative n’est qu’une démocratisation de la forme capitaliste qui conserve encore l’ancienne coquille qu’il faudra briser pour intégrer encore plus la production dans l’intérêt général.
Nous pouvons avoir des coopératives démocratiques pour produire des véhicules de toutes sortes mais nous avons besoin d’un ministère pour l’organisation. Pour organiser et développer la mobilité, la marchandise ou plutôt le produit doit être au service de la fonction. La révolution dans la mobilité n’est pas que technologique elle est aussi et surtout dans l’organisation sociale: urbanisme, organisation du travail, mode d’accès aux transports,…,la gestion de la mobilité jusqu’au dernier kilomètre.
L’intérêt général peut aussi être la limitation des trajets, télétravail, temps de travail, antagonique avec les intérêts des entreprises automobiles quelque soit leur statut.
Le Marché en lui même a ses propres limites qu’il soit socialiste ou non.
Je reste convaincu que la forme sociale de production soviétique reste la bonne mais il lui manquait la lutte anti corruption et la vigilance des communistes contre les bureaucrates.
L’affaiblissement de l’État monopoliste comme lutte contre les corrompus est aussi une réaction si cette lutte entrave les progrès réalisés. D’ailleurs la revendication des conseils ouvriers n’abolis pas l’État et la question de sa direction reste entière.
Vu la mentalité actuelle en France la promotion des SCOOP est peut être le plus accessible et un pas timide vers un mieux et une protection relative de nos intérêts stratégiques. Une carte à puce développée par une SCOOP n’aurait pu être achetée par la CIA comme ce fût le cas. Les cartes SIM de tous les téléphones dans le monde sont une invention française et une honte pour notre Ministère de la Défense incapable de défendre les intérêts nationaux.
L’État socialiste reste une étape indispensable pour la défense de l’intérêt général des nations et international.
La question centrale, également posée par la chute de l’URSS, est celle de la qualification de la classe dirigeante bourgeoise sous sa forme nomenklatura ou démocratique par la promotion des meilleurs communistes dévoués à l’intérêt général. Ce qui implique la formation et la participation au gouvernement des prolétaires, dont les intérêts objectifs sont la meilleure garantie pour le progrès.