Voici un texte qui se situe au-delà de l’événementiel, ce qui est absolument indispensable à une démarche marxiste mais qui l’est plus encore dans la période de basculement historique dans laquelle nous sommes désormais. Avec la particularité dont nous devrions prendre conscience à savoir que nous sommes dans un pays la France, et dans l’UE, totalement intégré dans une dynamique impérialiste qui est celle des USA et dans laquelle les intérêts présentés comme nationaux ne sont que ceux d’une élite qui est devenue destructrice. Ce fait que nous voulons ignorer crée une confusion telle que souvent ce que nous croyons être paix, libération, n’est qu’une illusion entretenue par nos dirigeants et à laquelle nous sommes plus soumis que d’autres. Nous sommes alors pris en aveugles impuissants dans des forceps de l’histoire en train d’accoucher d’un autre monde. La malheureuse Arménie et les non moins malheureux Kurdes ont joué avec ceux qui étaient les plus dangereux pour eux et en payent le prix. Que l’on ne se fasse au moins pas d’illusion sur ce qui se joue, l’impérialisme finissant, l’UE avide de pétrole ne vont pas arrêter d’allumer des conflits qui broient les peuples à travers de tragiques et grotesques tant elles sont impuissantes répétitions de drames historiques. Malheureusement le vrai problème est qu’il n’existe pas en France une force en état de les défendre et ce faisant de défendre le peuple français sur lequel se referment les mêmes machoires. Faire appel à propos de l’Arménie au gouvernement de Macron, de fait l’appuyer dans sa soumission à l’OTAN et à l’UE en exigeant comme pour l’Ukraine de fait l’intervention de ces derniers c’est jeter de l’essence sur le brasier en croyant que c’est de l’eau. En rester aux tractions et aux divisions d’un clochemerle parlementaire face à de tels enjeux c’est se condamner au même destin que le peuple arménien, brader des millénaires d’histoire au nom d’illusions d’un journalisme de l’anecdote. Le retour à Marx et à Lénine s’impose plus que jamais pour adopter enfin un point de vue de classe, anti-impérialiste. Est-ce possible, pas dans l’immédiat. (note et traduction de Danielle Bleitrach)
01/10/2023
« La violence est la sage-femme de l’histoire »
Karl Marx
«Sauf le pouvoir, tout est illusion. »
Vladimir Lénine
Tsavet danem
Nous nous situons spontanément dans la contrainte des rythmes de l’immédiateté et du Clickbait, imposés par le journalisme bourgeois, mais si nous voulons en même temps tenter de maintenir la dialectique du récit, ce sera la seule manière d’avoir un point social dans le débat. Je commencerai ce petit texte par un bref contexte historique, par lequel je tenterai de faire la lumière sur ce qui se passe aujourd’hui au Haut-Karabakh.
Sans aucun doute, le point de départ pourrait peut-être être autre, puisque les événements racontés ici plongent leurs racines dans des processus historiques et des conflits territoriaux dont les racines sont très étendues. Mais en ignorant autant que c’est possible le rôle de l’Empire russe, la présence iranienne ou la botte turque génocidaire longtemps imposée au peuple arménien, qui fera inévitablement son apparition tout au long de ce récit, je me permettrai d’en situer le début dans l’année tumultueuse de 1917, lors de la création des républiques transcaucasiennes d’Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie.
Un certain contexte historique
Au milieu de la clameur des tambours de la glorieuse révolution d’Octobre, qui allait provoquer la chute définitive de l’Empire russe, ces trois pays, se situant tous dans la vague du soulèvement contre le pouvoir despotique et arbitraire, ont choisi sous le parapluie révolutionnaire de fonder la République démocratique fédérale transcaucasienne, avec l’intention déclarée de créer un front commun contre la grave menace de l’Empire ottoman. Le 22 avril 1918, ils établissent leur indépendance vis-à-vis de la Russie, ce mouvement n’était guère plus qu’un mirage, qui fut immédiatement rompu avec la dissolution de la fédération et la déclaration d’indépendance de la Géorgie le 26 mai de la même année, celle de l’Azerbaïdjan quelques jours plus tard et, finalement, avec peu d’alternatives au tableau, la fondation de la République démocratique d’Arménie (DRA).
Le traité de Batoum, les différends au sein de la Société des Nations, le traité de Sèvres, l’opportunisme britannique et la consolidation du pouvoir soviétique, accompagnent très tôt les premiers pas d’un Haut-Karabagh indépendant de fait à partir d’octobre 1917, après la création d’un Conseil national et la mise en place d’un nouveau gouvernement capable de prendre en main son propre destin. Malgré l’offensive militaire lancée par l’Azerbaïdjan, qui avait le soutien des troupes turques et la passivité ou la complicité directe de Londres, dans le but de faire valoir ses revendications territoriales, par un nettoyage ethnique qui coûta la vie à environ quarante mille Arméniens entre 1918 et 1920, la population du Karabagh résistera héroïquement, refusant à tout moment d’accepter pleinement sa soumission aux desseins de l’Azerbaïdjan.
Avec l’Arménie harcelée et affaiblie par les conflits militaires, un monde en mutation au milieu du tourbillon résultant de la fin de la Première Guerre mondiale et la pression continue exercée sur le Haut-Karabakh par un Azerbaïdjan renforcé par des différends et des intérêts géopolitiques qui sont venus alimenter ses revendications, la décennie des années vingt du siècle dernier a été caractérisée régionalement par l’expansion et la consolidation du pouvoir bolchevique et l’établissement de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan le 28 avril 1920.
Malgré la forte résistance azérie, qui a coûté la vie à environ 20 000 soldats, l’Armée rouge prendra le contrôle total de Bakou et occupera le Haut-Karabakh à la fin du mois de mai de la même année. Elle assumera effectivement le contrôle de la région, dans une certaine mesure temporairement définie par le Traité d’Alexandropol, qui forcerait l’Arménie à céder environ 50% de son territoire d’avant le conflit et à commencer à désarmer une grande partie de son armée. Le gouvernement arménien sortant signera ces conditions de quasi-reddition, tandis que les forces soviétiques occupaient son territoire et déclaraient la République socialiste soviétique arménienne le 2 décembre 1920.
Bien qu’après l’occupation militaire soviétique, le Haut-Karabakh ait été défini et reconnu par la nouvelle puissance comme un territoire contesté et, en principe, le Président du Gouvernement soviétique de l’Azerbaïdjan en soit venu à reconnaître le Zangezour, le Karabakh et le Nakhitchevan comme faisant partie intégrante de l’Arménie dans l’espoir d’obtenir l’établissement d’un nouveau statut, le Traité de Kars et les pressions de l’Azerbaïdjan, avec le ferme soutien de la Turquie, fait que le Haut-Karabakh est revenu sous contrôle azerbaïdjanais en tant que région autonome du Haut-Karabakh. Il convient de noter ici ce qui a pesé. À toutes les tentatives désespérées de l’historiographie occidentale pour personnaliser cette décision chez le dirigeant soviétique Joseph Staline, des voix telles que le professeur Arsène Saparov placent cette position politique uniquement dans le rapport de forces sur le terrain et dans une tentative ferme de pacifier une région encore embourbée dans la violence et l’instabilité.
Le souvenir indélébile de l’holocauste arménien, perpétré par les Jeunes Turcs entre 1915 et 1923, à travers les “marches de la mort”, les camps de concentration et divers massacres d’une violence inhabituelle, a imprégné la population arménienne de la ferme détermination de mener une lutte pour la survie, également présente dans sa confrontation avec l’Azerbaïdjan.
Le Haut-Karabagh à l’époque soviétique
Le déclin régulier et apparemment planifié de la population arménienne dans la région s’est accompagné d’une forte industrialisation et d’un progrès social rapide dans le pays. Ces éléments n’ont nullement empêché le pouvoir de l’Arménie soviétique et les dirigeants arméniens du Karabakh d’exiger avec insistance de Moscou le transfert de la région à Erevan. En raison du taux de natalité, la réduction de la population arménienne peut être atténuée dans une certaine mesure entre 1920 et 1987, mais après la Seconde Guerre mondiale, elle s’est considérablement accélérée en raison de la perte d’une grande partie de la jeunesse, qui a combattu héroïquement contre les troupes nazies, dans des groupes tels que la 89e division soviétique Tamanian. Cela a conduit de nombreux jeunes Arméniens à voir briller leur nom parmi les héros de l’Union soviétique.
Dans les décennies qui suivront le conflit mondial, le pourcentage total de la population arménienne dans la région sera considérablement réduit, contrairement au fort déséquilibre avec la croissance de la population azérie. En conséquence, une partie importante des villages arméniens du Haut-Karabakh disparaîtra progressivement au cours de ces années. À leur tour, la culture, les publications ou les médias arméniens ont été recouverts et remplacés par la culture azérie et russe, jusque dans les années quatre-vingt. Ces politiques ont été dénoncées par les dirigeants d’Erevan à Moscou et les demandes d’unification du Haut-Karabakh et des districts du nord avec l’Arménie ont été une constante au fil des ans qui s’est matérialisée avec une résurgence du nationalisme parmi la population.
La perestroïka et la chute du pouvoir soviétique
Le début du démantèlement de l’URSS, à travers la grande tromperie qu’a été la Perestroïka, a signifié la fin d’un calme et d’une paix relatifs dans la région, à travers l’émergence de manifestations massives en Arménie et au Haut-Karabakh, exigeant l’unification définitive du territoire appartenant au peuple arménien. En février 1988, les autorités du Karabakh ont décidé d’exiger, par le biais de la loi soviétique, un changement administratif accepté par l’Arménie en juin, mais rejeté par l’Azerbaïdjan, déclenchant ainsi des pogroms majeurs à Bakou et dans d’autres villes azerbaïdjanaises, qui finiraient par coûter la vie à de nombreux citoyens arméniens et provoquer une spirale de violence qui se terminerait par de violentes manifestations anti-azerbaïdjanaises au Haut-Karabakh et l’exil de centaines de milliers d’Arméniens qui ont quitté l’Azerbaïdjan, tout comme un grand nombre d’Azéris ont décidé de quitter l’Arménie au milieu de conflits nationalistes croissants.
La déclaration d’indépendance de l’Azerbaïdjan après l’effondrement soviétique, revendiquant le Haut-Karabakh comme faisant partie de son territoire, a été suivie de la tenue d’un référendum au Haut-Karabakh, par lequel la population de ce territoire contesté a exprimé sa décision de ne pas vouloir rester dans l’Azerbaïdjan et d’activer la proclamation immédiate de sa propre indépendance ratifiée en décembre, malgré le refus de reconnaître cette décision par une grande partie de la communauté internationale.
À partir de ce moment, la situation allait devenir encore plus tendue, dégénérant en une guerre sanglante qui, entre 1991 et 1994, a coûté la vie à environ 20 000 personnes et a causé plus d’un million de réfugiés. Les violations graves des droits de l’homme et le grand nombre de victimes des deux côtés du conflit sont restés la norme dans la région jusqu’à la signature de l’armistice en mai 1994. Grâce à cet accord, l’Armée de défense de l’Artsakh a réussi à obtenir le contrôle effectif d’une grande partie du Haut-Karabakh, la consolidation d’une connexion terrestre stratégique avec l’Arménie et sa présence dans sept districts de l’Azerbaïdjan.
Grâce à ce statu quo, favorisé en grande partie par la médiation russe dans l’établissement d’un cessez-le-feu, le pouvoir politique du Haut-Karabagh ou de la République d’Artsakh est né, en tant qu’État indépendant de facto, mais avec des liens clairs avec le gouvernement arménien, malgré la résistance continue de celui-ci pour éviter une unification définitive qui pourrait relancer les hostilités avec Bakou.
Dans le domaine diplomatique, en 1992, le « Groupe de Minsk » de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) a été formé, ce groupe était censé être celui à travers lequel les États-Unis, la Russie et la France cherchaient un accord de paix final qui, à ce jour, semble difficile à obtenir en raison des tentatives continues de résoudre le différend uniquement par la force militaire. À leur tour, diverses résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptées en 1993, ont demandé le cessez-le-feu immédiat, le retrait arménien de divers territoires occupés en dehors des limites du Haut-Karabakh et la médiation d’Erevan avec les dirigeants arméniens du Haut-Karabakh, afin d’assurer le succès des efforts de pacification menés par le Groupe de Minsk. Le déploiement de soldats de la paix dans le cadre de la médiation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, sans la participation directe du peuple arménien du Haut-Karabakh, a complété la table des négociations en 2004 à Prague et en 2007 à Madrid, aboutissant à un accord faible garantissant un degré élevé d’autonomie au Haut-Karabakh, le contrôle effectif d’un couloir qui relierait harmonieusement la région à l’Arménie et la mise en place de garanties de sécurité internationales. Ce choix et la responsabilité de sa mise en œuvre incombait en particulier au gouvernement russe. Le statut futur du Haut-Karabakh oscille donc entre la reconnaissance du droit à l’autodétermination effective de sa population, la délimitation territoriale et démographique d’un hypothétique référendum susceptible de résoudre la situation et la résonance du poids des armes sur la réalité des deux peuples.
La guerre d’avril
Après des incidents répétés avec de nombreux morts au cours des années précédentes, qui ont cimenté un climat de menace de guerre constante, dans la nuit du 2 avril 2016, les forces armées azerbaïdjanaises ont entamé une nouvelle confrontation contre l’Armée de défense du Haut-Karabagh et les Forces armées arméniennes, rompant ainsi le cessez-le-feu établi et déclenchant ce qui serait connu sous le nom de guerre d’avril ou guerre des Quatre Jours. Dans cette nouvelle escalade de la guerre, qui impliquerait l’utilisation de chars, d’artillerie lourde et d’hélicoptères de combat, au moins 300 personnes sont mortes des deux côtés et plusieurs centaines ont été blessées par diverses attaques aveugles contre la population civile. L’implication d’Israël, la fourniture d’armes modernes à l’Azerbaïdjan, l’implication déterminée du président turc Recep Tayyip Erdogan et l’extension des affrontements jusqu’à la frontière même entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont démontré les dangers d’un conflit qui avait une capacité manifeste de déstabilisation de l’équilibre régional et pourraient facilement impliquer directement des pays comme l’Arménie ou la Turquie dans des hostilités. Des pays dont la présence dans des alliances telles que l’Organisation du Traité de sécurité collective ou l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ne pouvait manquer de provoquer une escalade militaire aux conséquences incalculables.
Les accords de protection mutuelle établis par l’OTSC et la présence militaire russe sur le sol arménien placent Moscou dans un équilibre difficile entre parier sur les liens commerciaux croissants qui l’unissent à l’Azerbaïdjan et le soutien à ses liens culturels, militaires et politiques traditionnels avec Erevan. Par son rôle de coprésident du Groupe de Minsk, Moscou a jusqu’à présent joué un profil certes discret, essayant de ne pas attiser un conflit aux graves implications régionales, alors que le gouvernement de Vladimir Poutine est en ligne de mire à la suite de ses opérations en Ukraine et sa recherche d’un rôle dans la construction d’un monde multipolaire, ce monde multipolaire qui en finirait avec une réalité impérialiste prête à coincer l’ours tricolore dans un nouveau nid de frelons dans le Caucase.
Le retour de la guerre au Haut-Karabagh
Les escarmouches, les pertes militaires et les pertes civiles croissantes des deux côtés ont continué d’être présentes au cours des mois suivants, jusqu’à ce que le 27 septembre 2020, le gouvernement azerbaïdjanais décide de bombarder la République d’Artsakh et la ligne de contrôle qui sépare les troupes azéries et arméniennes dans le territoire contesté, avec l’intention apparente de prendre le contrôle des districts moins montagneux du Sud, permettant une ligne d’avance pour une future offensive contre les zones montagneuses, beaucoup mieux fortifiées et difficiles d’accès. Avec cette décision, Bakou a une fois de plus brisé le statu quo établi jusqu’à présent et provoqué comme réaction immédiate la mobilisation totale des troupes arméniennes, prêtes à défendre le territoire contesté.
Fortement renforcée militairement et économiquement, et avec le ferme soutien géopolitique de la Turquie et d’Israël, signe clair de leur ferme détermination à étendre leur sphère d’influence dans la région, cette nouvelle guerre au Haut-Karabakh a pris fin après la chute de Choucha aux mains des Azéris. Grâce à un faible accord de paix adopté par Erevan, Bakou et la médiation de Moscou, le gouvernement azerbaïdjanais a apparemment témoigné de son engagement à stopper l’avancée de ses troupes, tandis que le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, a accepté le difficile compromis de céder en un mois une partie des territoires occupés à proximité du Haut-Karabakh.
A peine quatre minutes après l’entrée en vigueur de cet accord, Erevan et Bakou s’accusent mutuellement d’avoir violé cette nouvelle route pour l’instauration d’un cessez-le-feu dans la région, en bombardant diverses cibles civiles. Le manque de soutien international ferme de son partenaire russe traditionnel, cette fois engagé dans la guerre en Ukraine, la faiblesse d’un gouvernement prêt à flirter avec l’Occident au détriment de ses alliances traditionnelles, en plus de la nette supériorité économique et militaire de l’Azerbaïdjan, renforcée sur le terrain par des drones de fabrication israélienne et de nouveaux équipements de renseignement militaire, elle laissa à nouveau l’Arménie pratiquement sans défense et à la merci d’un règlement diplomatique qui ne semblait être qu’un arrêt de la feuille de route expansionniste conçue par les forces azéries.
Avec peu de place pour la paix et avec un rôle très limité des quelque 2000 soldats russes qui devraient assurer la fin des hostilités et la protection pendant au moins cinq ans du corridor terrestre reliant l’Arménie et le Haut-Karabakh, les forces azerbaïdjanaises ont poursuivi presque sans relâche leur harcèlement contre la population arménienne, tandis qu’à Erevan, les manifestations violentes se sont multipliées, accusant Nikol Pashinyan d’avoir trahi son peuple. En bloquant les routes de la capitale, les manifestations massives, même avec la participation directe des membres du parlement arménien, ont considérablement accru la pression sur le gouvernement Pashinyan, exigeant sa démission et indiquant clairement que le peuple arménien ne partageait pas les concessions territoriales et politiques signées dans les bureaux par son gouvernement.
La violation des conditions convenues entre Erevan, Bakou et Moscou, les morts, les incursions terrestres azéries et le réarmement constant d’une guerre maintes fois fermée dans de faux laisseurs, prédisaient une venue difficile pour l’instauration d’une paix réelle et durable dans la région. Après plus de 25 ans engagés dans une recherche infructueuse d’une solution à ce conflit, les différents acteurs régionaux ne semblaient chercher qu’un répit qui retarderait autant que possible une nouvelle flambée de violence. Même à ce stade, tous les espoirs, aussi légers soient-ils, ont fini par retomber dans l’oreille d’un sourd.
Les prétentions impériales croissantes du président turc, Recep Tayyip Erdogan, à travers sa politique expansionniste envers le Caucase du Sud, ont pour objectif clair l’ouverture définitive du corridor de Zanvegur. Ce corridor permettrait une voie de communication directe entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan, traversant environ 30 kilomètres de territoire arménien et facilitant la connexion terrestre avec la Turquie. Cette situation fait d’Ankara un facteur évident de déstabilisation régionale fondamentale et une menace directe pour l’Arménie.
La violence et son poids aux frontières
Avec le sentiment évident d’être considéré comme le vainqueur incontesté de la deuxième guerre du Haut-Karabakh, Bakou a poursuivi sans relâche la stratégie de provocation et d’usure visant à provoquer un nouveau conflit, à occuper de nouveaux territoires et à bloquer, malgré la présence de troupes russes sur le territoire, la seule route reliant la République d’Artsakh à l’Arménie dans la zone de l’intersection Shushi-Karin. Sous couvert de manifestations civiles à caractère prétendument écologiste, dans le style de la feuille de route des révolutions de couleur, si admirée par l’Occident, le gouvernement azerbaïdjanais s’empare du territoire autour du corridor de Latchine, établissant un blocus qui parvient à couper toutes les routes de contournement alternatives et à installer progressivement un poste de contrôle militaire qui remplace en toute impunité le caractère civil supposé de ces manœuvres.
Avec plus de 120 000 habitants pris au piège dans la région, sans accès aux produits de base, aux médicaments, à l’électricité, à l’eau ou même au carburant pour leur permettre de se déplacer ou de quitter le siège établi par Bakou, la crise humanitaire a duré des mois, sous la menace directe d’une intervention militaire immédiate, si le gouvernement de l’Artsakh ne décide pas de dissoudre et de remettre le territoire à l’Azerbaïdjan.
Enfin, le 19 septembre 2023, sous prétexte d’une opération antiterroriste contre les forces de l’Artsakh, les troupes azéries avancent sur la région, face à une population victime de la faim et de l’abandon international. L’avancée fulgurante de Bakou vers le Haut-Karabakh, les violations continues des droits de l’homme, les crimes de guerre et la ferme détermination des troupes azerbaïdjanaises à procéder à un nettoyage ethnique qui empêche la chronicité possible du conflit, font que quelque 60 000 personnes, soit près de la moitié de la population totale estimée du Haut-Karabakh, décident de traverser la frontière vers l’Arménie.
Face à la passivité ou à la collaboration directe du gouvernement de Nikol Pashinyan à l’offensive de l’Azerbaïdjan, assurant à tout moment son refus d’interférer dans la défense de sa population, l’éloignement de Moscou de l’attitude inexplicable d’Erevan et de la passivité et du cynisme de l’Occident, donnant la priorité au gaz de Bakou sur l’établissement des garanties minimales pour le respect des droits de l’homme, ont fini par quitter l’Artsakh sans trop d’options et provoquer l’acceptation des locaux établis par l’Azerbaïdjan, avec l’annonce de Samvel Shakhramanian, président de la république autoproclamée du Haut-Karabakh, décrétant la dissolution de son gouvernement et la dissolution de la république arménienne sur le territoire de l’Azerbaïdjan.
En raison de la guerre en Ukraine et de la nécessité pour l’Europe de rompre sa dépendance aux ressources fossiles russes, Bruxelles a signé un accord en juillet dernier avec le gouvernement de Bakou pour doubler les approvisionnements en gaz d’ici 2027. Grâce au gazoduc BTC, seul moyen de transporter du pétrole brut sans passer par la Russie par le corridor gazier sud, qui traverse Bakou-Tbilissi-Ceyhan, l’UE semble oublier définitivement le minimum de respect des droits de l’homme et prioriser sans remords ni réflexion son besoin de gaz.
Il n’y a pas de paix pour les méchants
Le renforcement économique et militaire de Bakou, la passivité de la communauté internationale, la situation géopolitique défavorable après le déclenchement sur le sol ukrainien du conflit entre la Russie et l’OTAN, ajoutés à la tiédeur et à l’hésitation diplomatique incompréhensible du gouvernement Pachinyan, ont fait que l’héritage de tout un peuple, le sang de milliers de martyrs pour la liberté de leur terre et le sort de centaines de milliers d’Arméniens, sont en grave danger, bien au-delà de la catastrophe avérée subie au Haut-Karabakh.
Les intentions ouvertes de la Turquie et de l’Azerbaïdjan d’étendre leur influence régionale, unissant les deux pays aux dépens d’une plus grande partie du territoire arménien, les intérêts économiques de l’Union européenne dans la mise en place d’un corridor qui garantit leur accès à un vaste réseau d’oléoducs et de gazoducs situé à quelques kilomètres du Haut-Karabakh et le croisement des intérêts pour la puissance régionale qu’affronte Israël « sournoisement » sur le tableau, à savoir’Iran, la Russie et la Turquie transforment un conflit régional en une cocotte-minute avec un fort potentiel pour apporter leur grain de sable particulier à la conflagration mondiale qui a longtemps menacé notre existence.
En fait, alors que je termine cet article, Erevan et Bakou continuent d’invoquer une nouvelle guerre, augmentant leurs allocations d’armes au-dessus de 5% de leur PIB. Ceci, sans aucun doute, augmente les somptueux avantages économiques de l’industrie de guerre de Washington, Tel-Aviv, Ankara ou Moscou et, à son tour, renforce l’implication directe possible de ces deux derniers acteurs dans le conflit, après leurs affrontements précédents en Libye ou en Syrie. Il ne faut pas non plus oublier dans cette équation sadique l’Iran, un pays qui partage une frontière avec une grande partie des acteurs directement impliqués et qui a déjà montré son refus catégorique d’établir un éventuel nouvel équilibre régional qui cherche à déplacer ses frontières.
La vérité est qu’aujourd’hui, les milliers de personnes déplacées, les soldats arméniens victimes des humiliations azéries ou tous ceux d’Erevan qui contemplent impuissants les attaques aveugles contre leur patrimoine historique ou leur culture millénaire, semblent représenter la principale garantie que ce nouveau rééquilibrage des forces sur le terrain, n’est rien d’autre que l’invitation directe à la naissance cyclique de la violence, en tant que moteur et punition des processus historiques qui, au fil du temps, ont inexorablement tissé le destin du Haut-Karabakh.
[gl-pt] Haut-Karabakh, tsavet danem*
*Tsavet danem = Laisse-moi porter ta peine
« la violence est l’accoucheuse de l’histoire»
Karl Marx
« Sauf le pouvoir, tout est illusion »
Vladimir Lénine
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Ivan
Je n’appelle pas ça un texte marxiste, mais un réquisitoire partial contre l’Azerbaïdjan. C’est à peu près du niveau d’un article du Monde ou de Libération.