Difficile ! Ce film, ce second procès de Pierre Goldman a lieu en novembre 1975 à Amiens. Cette date est celle où la vague contrerévolutionnaire nous lèche les pieds, la révolution d’octobre a terminé son ellipse. Mai 68 a été une parodie et l’ultime parade de la classe ouvrière française avant que ses bastions soient démantelés. Ce qui s’est fait dans le sang et la torture en Amérique latine, au Chili, avec le plan Condor, le néo libéralisme, en France un gouvernement socialiste avec participation communiste va l’imposer en vertu du programme commun. Partout c’est le reflux, la crise pétrolière, la révolution conservatrice, le programme commun annonce le triomphe de la social démocratie sur le communisme, et est lancé dans la fouléepas seulement le procès du stalinisme, mais celui de l’URSS post stalinienne. Le temps du mitterrandisme est venu, la plupart des gauchistes passent du col mao au rotary club. Goldman qui va mourir en 1979 assassiné par l’extrême droite est l’enfant perdu de ce court vingtième siècle commencé en 1917 et terminé en 1991. Celui où être juif vous conduisait au communisme alors qu’aujourd’hui cela peut vous conduire tout naturellement à approuver la bande de néonazis qui œuvre derrière le juif Zelensky en Ukraine.
Illustration: Pierre Goldman à son procès d’assise en 1974 à Paris.
Pierre Goldman, comme ceux qui dans ma génération lui ont ressemblé, a espéré apaiser son angoisse, le traumatisme d’une enfance dans la peur et la fuite, en reproduisant l’héroïsme de ses aînés. Certains l’ont fait jusqu’à la folie quand le ressac révolutionnaire est intervenu tels des Holderlin face à l’échec allemand de la Révolution française. Il y a en contrepoint sa très discrète famille, y compris Jean-Jacques Goldman à la présence muette et l’étreinte de son demi-frère, le père qui n’en finit pas de refuser le malheur et tous les fanatismes. Comment comprendre la malédiction qui nous avait frappés nous enfants juifs, ayant subi la guerre, l’angoisse de nos parents, le bruit des bombes, la peur, l’invite à nous taire… Il ne nous restait plus qu’à tenter de nous hisser jusqu’à l’Histoire, au sens de notre vie, celle où nous serions à la hauteur de la génération précédente, des révolutionnaires qui avaient combattu le nazisme. Comment éradiquer nos bourreaux alors que tout invitait à l’oubli ? Nous allions être confrontés à des temps d’une médiocrité insurmontable. Je réalise encore plus cela quand, remuée par ce film au retour chez moi je tombe sur un nouvel épisode de cette sordide pitrerie, les âneries de Mélenchon autour de Roussel Doriot… J’ai envie de les vomir tous ces nains… Je me dis que ces gens-là à partir du moment où ils n’ont pas un mot pour dénoncer les nazis ukrainiens derrière l’OTAN ne méritent pas que l’on s’intéresse à leur clochermerle parlementaire. Pas un mot sur le ministre des armées français qui malgré ce qui s’est passé au Canada va faire allégeance à Azov et à Biden à Kiev. Je suis traversée alors par la violence des colères de Goldman, son attitude durant le procès m’est imposée comme la seule légitime : ces gens-là n’ont pas la moindre idée de ce qu’est le fascisme, ils ne connaissent que la médiocrité des coups de jarnac électoraux, ils croient que la réalité c’est le buzz médiatique…
Voilà le procès Goldman se situe en 1976, quand après le Chili, il y a eu un tournant historique où une telle chose est devenue possible alors qu’avant ça aurait été un sacrilège. Si l’on fait abstraction de ce tournant post-soixante-huitard, celui de l’eurocommunisme et après logiquement la montée au pinacle de cet antisémite de Walesa avec l’aide de certains juifs polonais, ce qui se passe aujourd’hui avec ce match de ping pong débile autour de Doriot, ce juif Zelensky qui se met à la tête des bandéristes, on ne perçoit pas à quel point les dépressions de Goldman sont compréhensibles aujourd’hui plus qu’hier, elles parlent de cet autre temps, celui de l’holocauste célébré pour mieux le renier et il ne me reste plus qu’à espérer dans celui dans lequel nous allions nous engouffrer, celui dont on peut croire que l’histoire, notre histoire va arrêter d’être salie y compris par ceux qui auraient dû la défendre.
Que peut-on attendre de la France ?
Parce que dans le fond, toute ma vie et celle de tant d’autres part de ce qu’éprouvait Goldman et qu’il décrit dans ce livre chef d’oeuvre Souvenirs d’un juif polonais né en France a été un combat contre ce pessimisme de la fin de l’histoire. Même si, comme Goldman, nous sommes allés chercher la passion révolutionnaire ailleurs, même si on a partagé sa colère. Ce livre magnifique c’est une Polonaise, Monika, qui me l’a fait découvrir en m’affirmant qu’elle ressentait la même chose pour avoir participé à la destruction de la Pologne socialiste en suivant Solidarnosc… Elle n’était pas juive et la seule polonaise rencontrée qui n’avait aucune trace d’antisémitisme… Elle était simplement elle aussi une enfant perdue des révolutions avortées, elle portait en elle cette violence et ce défi à toute assimilation.
Même si on a refusé en étant un communiste français des années Marchais, le parti pris de ce film de Cédric Kahn, ce qui détermine toute sa mise en scène. Quel est donc ce parti pris ? La France serait un pays dans lequel a définitivement triomphé le pétainisme comme le proclame alors le film le Chagrin et la pitié (1971) ou Lacombe Lucien de Louis Malle (1974), même Truffaut et son dernier métro sont tout sauf clairs sur le sujet. La Nouvelle vague avec Truffaut c’est le ralliement à Hollywood, la destruction du cinéma français y compris le cinéaste communiste maudit et génial que fut Gremillon avec son autre vision de la France.
Oui c’est dans ce contexte où l’on commence à faire surgir derrière La Bataille du rail, une compréhension de la collaboration celle d’hier pour justifier celle de la contrerévolution avec un gauchisme de salon, la révolution est un exotisme. La France mitterrandienne, celle qui crie “vive la crise” et prône Soljenitsyne puis Solidarnosc comme le prolongement de mai 68, ce qui la conduira directement en 2014 à célébrer le Maidan se croit encore et toujours de gauche, elle est encore le public du procès et défilera avec 10.000 autres derrière le corbillard de l’enfant perdu assassiné. Ce temps où pour se survivre il faudra se renier et où comme Goldman on s’accroche à quelques refus de céder, ne serait-ce que celui de ne pas ressembler à tous ceux qui ont suivi la trajectoire de Libération, vendue par le vieux Sartre à la porte des usines pour mieux prôner les boatpeople et gommer toutes les débâcles nord américaines…
Goldman reconnaît sa déchéance de gangster, elle vaut bien celle de cette gauche, mais il s’accroche à l’idée qu’il n’aurait jamais pu assassiner pour de l’argent des femmes innocentes comme il refuse de donner un nom qui aurait pu l’innocenter… on ne donne rien à la police.
Tout le procès fait à Pierre Goldman accusé de quatre braquages à main armé, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes repose sur des témoignages oculaires, fragiles qui varient, qui croire? quand face à un témoin qui prétend reconnaitre on demande à Goldman de tenir l’arme pointée, de trois quart, celui-ci reproduit la scène en mettant en joue le gendarme qui le garde. Une partie des spectateurs hurle devant la provocation, l’extrême-droite. L’autre, la gauche, à un autre moment se dressera en mimant la moustache d’Hitler et le bras tendu dans un salut nazi face au témoin policier qui s’enferre. Le spectateur est juré comme chez Sidney Lumet – dont on ressort en salle des œuvres – et comme chez lui juges, accusé, témoins doivent être entendus, compris du public, on leur demande de répéter. Le public, juré, spectateur ici est alors divisé en deux factions la gauche y compris celle des salons parisiens mais aussi militants du tiers monde, et de l’autre côté la France profonde face au métèque. Plusieurs caméras restituent cet espace d’affrontement politique.
Parce qu’au delà du témoignage fragile, le film expose la mise en scène de la police qui présuppose la tête de l’emploi pour le tueur. Expose mais laisse le doute : la maladresse, la négligence dans l’établissement des preuves, relève-t-elle du hasard ou de l’expéditif devant un type jugé d’avance parce qu’il est basané parce que son poil trop noir résiste à l’engin sommaire de la police, parce qu’il transpire trop pour conserver un costume correct ? Ce sur quoi on ose juger est d’autant plus contestable que les individus témoins, policiers, juges et jurés appartiennent à une société française qui dans le fond, comme le hurle Pierre Goldman, est indigne de témoigner tant elle est elle même raciste, une masse de petits blancs bourrés de préjugés. Les avocats de Pierre Goldman, dont maitre Kiejman, lui aussi juif polonais mais refusant la victimisation (par dignité et intelligence ou pour faire carrière en se faisant accepter ?), veulent s’en tenir aux FAITS et ceux-ci sont peu probants. Pour Goldman, le FAIT est “Je suis innocent et à cela vous ne pouvez rien y faire, pas même vous, c’est ontologique”. Le juif se dresse comme le nègre pour refuser d’être interprété, décrit. Il réclame des preuves autres que les préjugés criminels. Les trois avocats tentent d’interdire à leur client de crier à tous ces gens-là qu’il leur dénie le droit de le juger vu ce qu’ils sont eux-mêmes, c’est suicidaire, Goldman n’en a cure, du fond de sa déchéance de voyou il lui reste cette dignité. Les avocats plaident contre l’avocat général mais aussi contre le refus d’être jugé de leur client. Les affrontements sont multiples et Pierre Godman filmé souvent debout, en accusateur, en est la statue du commandeur face à ce monde raciste, exploiteur, criminel : cette France dont après 1968, il n’y a plus rien à espérer, la révolution n’aura pas lieu, il n’y a plus qu’a attendre Mitterrand, la force tranquille, les sympathies pour Bousquet.
Toute ma vie alors que mon engagement s’est fait sur des bases assez proches de celles de Pierre Goldman, j’ai continuer à refuser cette vision de la France, celle d’une majorité de pétainistes : j’ai expliqué que je n’aurais pas survécu si la société française avait été universellement fermée sur elle-même et son confort, antisémite de Dreyfus à Goldman en passant aujourd’hui par cette manière de banaliser le nazisme. J’ai voulu espérer que le peuple français valait mieux que le spectacle donné par ses élites, pour cela il suffisait de réveiller les communistes… Même s’ils feignaient d’être comme les autres, ils se réveilleraient…
Pierre Goldman avait eu tort de désespérer, résultat il n’y a plus eu que le terrorisme d’un Carlos, encore aujourd’hui c’est cela qui m’irrite dans les insoumis, il y a dans cette vision moralisatrice une impasse.
Le parti communiste, ceux qui justement s’inscrivaient a contrario de ce pétainisme, m’était apparu jadis comme le seul chemin possible pour un juif, ça où l’exil du sionisme. J’aime ce pays, il est mien.
Le film nous ramène sans cesse à la violence d’une telle alternative, un des épisodes psychotiques parmi d’autres des dépressions de Goldman, est quelque chose que nous connaissons bien nous qui avons toute notre vie hantée par le cauchemar de l’arrestation nazie, la peur de la prison et la sécurité d’y être. Le cinéma nous met dans cette condition-là. Tout est fait dans le film pour nous tenir dans ce huis clos, celui du procès, celui où Goldman tente d’exister : l’absence de musique comme s’il était interdit d’être distrait. Il y a d’étranges plans dans lesquels le père, le juge avant la plaidoirie semblent faire corps avec la salle, comme si tout ce procès n’admettait aucune échappatoire. La force des dialogues est coupé de plans dans lesquels les visages du public sont comme à Guignol grimaçants d’émotions, pourtant la théâtralité de l’appareil judiciaire a été effacée, il n’y a pas de juge en rouge, ni d’hermine, tout est sépia comme la couleur des mulâtres, métèques, noirs comme la compagne de Goldman ou le malheureux ami qui l’a trahi apeuré par l’interrogatoire réservé aux gens de sa couleur.
Tous ceux qui périodiquement hurlent dans le public “Goldman innocent”, en appuyant le discours de l’accusé sur le racisme de toutes les institutions françaises donnent de la force à ce boxeur ivre sur le ring qu’est Goldman dans un box des accusés qui n’a pas encore de vitres.Ce ring m’a rppelé la bimah des juifs ashkénazes, cette plate-forme au centre de la nef de la synagogue d’où est lue la Torah durant les services à la synagogue. Sur la bimah, il y a une table (שולחן, choulhan en hébreu) où sont placés les rouleaux de la Torah, lors de la lecture qui est reservé aux seuls hommes qui à tour de rôle montent et descendent avec leur châle et bandelettes en se balançant en récitant la loi et l’histoire. Nous les femmes devions rester dans un espace extérieur, cachées parfois derrière un rideau, à contempler ce spectacle rituel. Le dispositif du film- est ce voulu, est-ce un hasard?- place Goldman sur cette plateforme qui est celle de la thora, qui a le droit de dire l’histoireet la loi ?
Ces institutions se défendent, l’avocat général est d’une intelligence redoutable, ils envoient à leur tour un uppercut, “monsieur Goldman vous n’êtes pas un assassin mais vous avez assassiné” , le tout dans une lumière naturelle dans laquelle le procès n’est jamais découpé en journées, mais en séquences autour des moments forts des démonstrations. Nous sommes réellement dans une unité de temps et de lieu. Le film ne prétend pas restituer le procès dans son intégralité, il fait au contraire partie de ces réalisations qui, comme Brecht, cherchent dans la fiction à exprimer la vérité, le sens et c’est une réussite. Ce qui tranche comme une lame (celle de la guillotine) c’est ce que l’on trouve dans le livre de Goldman, une langue hautaine et noble et une dialectique politique, philosophique, le plus bel hommage à la France est dans cette clarté.
Danielle Bleitrach
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jo nice
“Clochemerle parlementaire”
Superbe formule! ça me parle j’ai lu le bouquin éponyme de Chevalier récemment.