Mardi 19 septembre 2023 sur France 2 nous avons eu droit à une soirée spéciale et partiellement édifiante autour de la Russie, trois documentaires dont en tête d’affiche “Poutine et les oligarques”, de Paul Moreira. L’avantage de ce documentaire c’est qu’il a rompu avec le narratif habituel, celui du peuple russe ne supportant plus le communisme et choisissant avec Gorbatchev la liberté et la démocratie. L’inconvénient est qu’il s’est contenté d’interviewer des “exilés” oligarques et des “journalistes”, qu’il n’est pas allé en Russie et que cela donne dans l’exotisme entre le parrain et star wars…
Mais voyons plutôt en début de soirée le documentaire “Puutine et les oligarques” de Paul Moreira
Paul Moreira est un journaliste, documentariste, réalisateur, producteur et écrivain d’origine portugaise, à l’expérience télévisuelle importante, telle que la fondation de sa société de production Première Lignes, créatrice de “Cash Investigation”, ainsi qu’en 2017, la réalisation de son documentaire intitulé “Guerre de l’info : au cœur de la machine russe“, pour la chaîne Arte. Avec ce documentaire, Paul Moreira pretendait cette fois-ci s’intéresser aux rôles joués par ces banquiers sur la scène politique russe, étroitement liés à Vladimir Poutine, depuis son arrivée au Kremlin en 2000.
Avez-vous rencontré des difficultés majeures lors du tournage de ce documentaire ?
J’ai effectivement rencontré quelques difficultés dans la réalisation de ce documentaire ; la première étant que je ne pouvais pas aller directement sur place, notamment vis-à-vis du contexte actuel qui est assez dangereux, mais aussi pour la sécurité de mes sources. La seconde portait sur l’accès aux archives, qui alimentent une importante partie de ce documentaire. Il m’était déjà impossible d’acheter les images d’archives en euros, les chaînes de télévision n’en vendaient plus. Il a donc fallu se débrouiller de manière créative. Parfois, elles étaient étonnement accessibles, sur certains sites russes, quelques images également sur Youtube. J’ai travaillé avec des journalistes russes, qui m’ont indiqué les pistes à suivre. Nous étions trois sur la production de ce documentaire, et avons investi beaucoup de temps de recherche.
Quelles ont été vos motivations pour la réalisation de ce documentaire ?
J’ai entrepris d’explorer le mystère entourant Vladimir Poutine, en me concentrant sur l’importance de l’argent dans sa trajectoire politique. J’ai examiné sa relation avec le pouvoir et comment il se positionne vis-à-vis d’autres acteurs, car cela semble être la clé de son succès. Poutine est un personnage complexe qui cultive une image ambiguë et joue sur diverses facettes politiques. En étudiant son lien avec l’argent et le pouvoir, j’ai cherché à percer le secret de sa réussite. Je n’avais cependant jamais consacré de temps à étudier les oligarques russes, ces riches individus dont les fortunes représentent une part significative du PIB du pays. Mon travail s’est limité à quelques-uns de ces magnats.
Vous évoquez la “première génération” des oligarques, ceux qui ont marqué la chute de l’URSS ; qu’en est-il de ceux d’aujourd’hui ?
Je n’ai pas eu l’opportunité d’étudier en profondeur toutes les personnalités marquantes de l’histoire russe. Nous avons dû établir des lignes directrices narratives solides pour créer un documentaire captivant. En conséquence, notre attention s’est focalisée sur certains oligarques du passé, tels que Mikhaïl Khodorkovski, l’ancien propriétaire de la compagnie pétrolière Loukos. Nous avons même dû renoncer à certains personnages en raison du manque de clarté dans leurs histoires et de la fragilité de nos sources.
Cependant, ce projet documentaire a suscité un vif enthousiasme de ma part, notamment en raison du contexte de la guerre actuelle. J’avais l’impression d’être plongé dans les coulisses, de me retrouver au cœur des mécanismes pour comprendre les motivations qui guident ce personnage complexe qu’est Vladimir Poutine.
Donc voici les limites de son investigation !
Lors de la chute de l’URSS, un groupe de businessmen complétement “neuf” s’empare des ressources naturelles ainsi que du pouvoir économique et politique en Russie, cette première génération ne peut s’installer là que parce que les Etats-Unis, espions, capitalistes, règnent en maître et font la loi auprès de Gorbatchev, dont le reportage ne parle pratiquement pas, alors que nous qui avons lu Alexandre Ostrovski (Erreur ou trahison) savons que c’est lui qui a méthodiquement créé les conditions de cette fin de l’URSS. Et ce n’est pas un hasard s’il est encore plus détesté par les Russes qu’Eltsine dont nous pouvons admirer dans le reportage la décomposition ultime et la joie que celle-ci procure à Clinton.
Mais le documentaire qui se veut plus “captivant” qu’informatif a au moins le mérite de nous montrer que les Russes avaient le sentiment d’avoir été trahis et ils ont massivement voté pour les communistes de Ziouganov. Ce reportage est un des premiers a nous laisser entrevoir que ce ne sont pas les citoyens soviétiques qui ont choisi la fin de l’URSS mais que ce sont des êtres avides sélectionnés par la CIA qui ont créé une bande de voyous. 1990 : Après la chute du communisme, la Russie, conseillée par des économistes américains, fonce à toute vitesse vers un capitalisme totalement débridé. Le pays est la proie du chaos et de la violence surgissent de nouveaux acteurs, les businessmen sont des gangsters. Ils prolifèrent dans l’entourage du président Eltsine et s’approprient les ressources naturelles du pays. On les désigne comme les « oligarques ». Rapidement, leur pouvoir est menacé par l’indignation populaire, le mérite du film est qu’il est rare de nous montrer ce qu’il en a été réellement et de rompre avec la fiction d’un choix populaire du capitalisme. Pour se protéger, ils doivent préparer la relève d’Eltsine et pour cela ils créent une nouvelle marionnette, un garde du corps, un modeste gradé du KGB : Vladimir Poutine. Les oligarques assurent son élection à la présidence en 2000. Mais très vite, ils vont déchanter. L’exemple de Mikhaïl Khodorkovski, le plus flamboyant d’entre eux, emprisonné et dépouillé de son entreprise pétrolière, Ioukos, pour évasion fiscale et blanchiment d’argent, leur sert d’avertissement : il faut obéir ou tout perdre. Poutine devient leur maitre et leader. Pourquoi Khodorkovski reste-t-il sur place alors qu’on lui conseille la fuite? Par esprit de rédemption ou parce qu’ils sont persuadés que les Etats-Unis dont ils sont les créatures ne les laisseront pas tomber. C’est dit au passage mais c’est le fond et c’est la différence avec l’Ukraine encore aujourd’hui : les Etats-Unis sont les maîtres de l’Ukraine, ils ont des partisans, une cinquième colonne en Russie mais ils n’ont pas le pouvoir et c’est là ce qui confère pour cette mise en scène hollywoodienne un caractère diabolique au “système” et son mystère à Poutine.
2012 : Poutine est réélu. Perçu par la population russe comme un sauveur, parce qu’il s’est mis en scène comme un homme intègre prêt à combattre les oligarques pour le bien de la nation. Mais ce n’est qu’une illusion s’emploie à nous montrer le documentaire qui est assez faible dans cette partie. En réalité, Poutine a créé des pourvoyeurs une nouvelle génération d’oligarques la plupart issus du KGB. Le plus important d’entre eux selon le film est Igor Setchine. C’est lui qui a récupéré l’entreprise de Khodorkovski, Ioukos. Ces nouveaux oligarques utilisent des paradis fiscaux avec la complicité des institutions financières internationales pour dissimuler leur fortune et de vertueux journalistes qui en fait sont pour la plupart des médias financés par la CIA (ce qui n’est bien sûr jamais dit) cherchent à montrer que Setchine et Poutine jouissent d’une richesse opaque inexplicable. D’ailleurs il s’avère qu’effectivement le reportage a du mal à dépasser la rumeur dans ce domaine. Ce cash ne sert pas seulement à les enrichir, il est aussi utilisé pour des opérations d’influence politique, Shroeder, Sarkozy. Notamment pour soutenir l’extrême droite européenne. Il s’agit de l’argent qui doit rester secret, invisible. Pour les journalistes et les militants de l’opposition, l’enjeu va être de l’exposer. Une mission dangereuse à tel point que les auteurs du documentaire reconnaissent avoir rencontré seulement des sources en exil.
A ce stade et plus encore celui de la visite des biens des oligarques à Londres, nous sommes dans la rumeur, le reportage mérite une double lecture : soit le réalisateur a choisi le “captivant” et on accepte de le suivre dans une narration type “la guerre des étoiles” et l’on suit cette joyeuse troupe de gangsters pas très malins être doublé par le côté obscur de la force à savoir le KGB et là ça devient jouissif. Je recommande en particulier l’invitation de Poutine dans la Datcha de Staline : visiblement Poutine qui n’a pas oublié que son grand-père était le cuisinier de Staline met au pas tous ces joyeux drilles en s’inspirant dudit Staline, quelque chose entre le pouvoir des soviets et Ivan le terrible faisant la loi à ses boyards. Comme quoi ces gens-là avaient encore l’échine hérissée par le souvenir de l’incarnation du pouvoir incorruptible des soviets, Staline mort en 1953, mais cette peur devait être actualisée par le mécontentement populaire, l’obligation dans laquelle avait été Eltsine de tirer sur la Douma, on comprend mieux que le KPRF défile avec des drapeaux rouges et des portraits de Staline.
En dehors ce ces intermède de mise en tutelle de l’oligarchie, l’opposition libérale celle des journalistes, n’a pas grand chose derrière. Elle se la joue nécessairement sur le mode Dostoïevski (qui n’était d’ailleurs pas clair dans sa collaboration avec la police) avec des accès d’égalitarisme qui bizarrement ne s’exercent qu’à partir du moment où le “pouvoir” s’oppose au pillage occidental. Nous avons donc à partir de cet instant un déchaînement vertueux de journalistes, de nationalistes racistes transformé comme Navalny en héros de la démocratie, des faméliques créatures dénonçant les richesses arrachées au peuple russe. Pourtant les yachts, les palais et les fortunes n’ont rien de stupéfiant si l’on considère nos propres oligarques et leurs caprices. Si ce n’est la rapidité de l’accumulation.
Pourtant, il aurait été possible de s’intéresser à la répression bien réelle qui frappe les militants communistes, les campagnes mensongères contre leurs dirigeants politiques, de cela il n’est jamais question, d’ailleurs puisqu’on ne va pas sur place en matière d’opposition on est condamné à ne voir que celle des “libéraux” et des “oligarques” qui ne représentent pas grand chose.
Cette méconnaissance du peuple russe laisse libre cours à l’objet de la fascination, c’est l’exotisme de cet immense pays, un espace mystérieux dans des temps qui ne sont pas moins : il demeure là quelque chose de dévoyé de l’épopée révolutionnaire, ce collectif prêt à tout qui a réussi pendant soixante et dix ans à créer quelque chose dans lequel le capital investi dans la production, les terres, les ressources naturelles, les richesses, ne pouvaient pas être approprié par des individus qui spolieraient le peuple. Ce mystère celui d’un pouvoir collectif, était forcément de l’ordre du “mal” et c’est lui que l’amateur de sensations fortes traque dans ce documentaire : nous sommes non pas devant des capitalistes à la mode occidentale, non nous sommes devant des “conjurés” dont les buts sont pervers.
Nous sommes passés de Scarface à un genre en soi, la “kriminologie”, cela prend certains traits des investigations économiques sur les paradis fiscaux mais il faut absolument que ce monde qui ressemble cruellement au nôtre devienne l’empire du mal et que parce que Russe, Poutine soit d’une autre essence que les Clinton pourtant âpres au gain, les Bush, Trump. Il doit être “le mal”. L’argent des oligarques qui servait les plaisirs de la première génération et qui faisait les beaux jours de la côte d’Azur comme d’ailleurs de Londres tout à coup devient monstrueux quand il est instauré une ligne rouge pour arrêter le dépeçage européen.
Une telle conception du journalisme doit sacrifier au spectacle, à la représentation hollywoodienne et l’on sait que ce qui fait l’intérêt d’un film et son suspense c’est le “méchant”, de ce point de vue Poutine (la mode est passée de lui attribuer toutes les maladies) a plus de profondeur que nos propres dirigeants, plus de mystère, et l’histoire a plein de rebondissements.
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