Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Piégés dans le parti démocrate

C’est un bon angle de perception non seulement pour les Etats-Unis mais pour toutes les “démocraties” relevant du même système hégémonique occidental. Il est assez évident que ce qui suscite un peu d’espoir (le mot est peut-être trop fort) dans les élections de ce système est tout ce qui suggère à l’électeur la possibilité d’échapper aux pièges tendus par la compétition officielle et ses partis représentatifs. En France, cela fait la Force du RN mais de ce point de vue Roussel refusant y compris le cadre de la NUPES a perçu une donnée essentielle du problème, pourtant il risque de se heurter à une autre réalité plus fondamentale, celle de la logique du “système”, le véritable piège dans lequel le citoyen occidental est pris. Le constat de l’article va bien au-delà de l’absence d’issue à la crise économique, politique et idéologique, puisqu’il analyse les mesures phares de Biden : ce n’est pas la solution aux problèmes du pays qui est recherchée, la logique qui régit la nouvelle ère des dépenses d’infrastructure est fondamentalement géopolitique et anti-chinoise. Son précédent ne doit pas être recherché dans le New Deal, mais dans le keynésianisme militaire de la guerre froide, considéré par les « sages » qui l’ont mené comme une condition de la victoire dans la lutte de l’Amérique contre l’Union soviétique. Cela devrait inciter à comprendre que “le piège” dans lequel l’électeur est pris, y compris en France est géopolitique, à savoir celui d’une guerre dans laquelle les Etats-Unis ont décidé de nous entraîner, la Russie aujourd’hui, l’Afrique, la Chine comme la nouvelle grande guerre mondiale. Si l’on ignore cette réalité en croyant pouvoir gérer la situation française indépendamment, le piège y compris sous forme d’une guerre civile et d’un désaveu de tous les partis se refermera sur nous comme sur tous les pays du bloc atlantiste en priorité. Faire du refus de la guerre un des axes essentiels du combat démocratique renouvelé est juste mais encore faut-il savoir ce qui engendre la guerre sans se tromper d’adversaire, ce qui est loin d’être gagné. (note et traduction de Danielle Bleitrach)

PAR ASHLEY SMITH –Facebook (en anglais)GazouillerRedditMessagerie électronique

JoeBiden, résident de P, a fait de « Bidenomics » la pièce maîtresse de sa campagne de réélection, la vantant comme une rupture explicite avec « l’économie de ruissellement » de Ronald Reagan et un retour aux politiques du New Deal de FDR. Le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, l’appelle « le nouveau consensus de Washington », tandis que la secrétaire au Trésor Janet Yellen l’appelle « économie moderne de l’offre », une stratégie de développement post-keynésienne. Mais les bidénomiques devraient être étiquetés « keynésianisme impérialiste ».

Biden l’a conçu pour préparer le capitalisme américain à la rivalité impériale avec la Chine, améliorer les inégalités sociales nationales et neutraliser les défis de la gauche et en particulier de la droite trumpienne. Bien que l’administration n’ait pas réussi à obtenir une augmentation des dépenses en infrastructures sociales, elle a mis en œuvre une nouvelle politique industrielle investissant dans les infrastructures matérielles et la fabrication de haute technologie pour restaurer la suprématie américaine sur Pékin et d’autres rivaux.

Biden a obtenu le soutien de la plupart des responsables syndicaux, de la bureaucratie des ONG et des politiciens progressistes et socialistes. Ils ont aidé à démobiliser la lutte, à l’exception du nouveau militantisme de base dans le mouvement ouvrier exprimé par des grèves contre Hollywood, des votes « non » contre les contrats de trahison et des campagnes syndicales parmi les travailleurs non syndiqués.

En revanche, la droite républicaine a intensifié sa lutte pour son programme réactionnaire dans les États dits rouges et au niveau national. De plus, Donald Trump, malgré sa condamnation et ses multiples inculpations, reste le grand favori pour remporter l’investiture présidentielle républicaine.

Face à cette menace, la majeure partie de la gauche suivra l’exemple de Bernie Sanders, Alexandria Ocasio Cortez et Ilhan Omar en soutenant et en faisant campagne pour Biden. Cela laisse le champ libre aux républicains pour se présenter comme la seule opposition aux démocrates, leur donnant l’occasion de gagner des sections de la petite bourgeoisie mécontente, de la nouvelle classe moyenne et de la classe ouvrière profondément insatisfaites des bidenomics.

Une fois de plus, la gauche se retrouve piégée dans le Parti démocrate, largement démobilisée et désorientée. Le moment est venu de prendre en compte la stratégie électoraliste ratée qui nous a conduits dans cette impasse, de l’abandonner et d’en adopter une nouvelle basée sur l’organisation de la lutte sociale et de classe et le rétablissement de notre indépendance vis-à-vis des deux partis capitalistes.

Les racines des Bidenomics

Rompre avec cette stratégie ratée commence par une compréhension précise du programme de Biden et des raisons pour lesquelles il l’a adopté. Il n’a jamais eu l’intention de mettre en œuvre un programme néolibéral et n’a pas adopté les bidenomics, comme certains à gauche le prétendent, en raison de la pression du petit mouvement socialiste américain, Bernie Sanders, et d’autres politiciens de gauche.

Biden et ceux qui pensent pour lui l’ont développé pour surmonter le déclin relatif de l’impérialisme américain. Trois développements avaient conduit Washington dans cette situation inattendue. Premièrement, le long boom néolibéral a permis la montée de nouveaux rivaux impériaux, en particulier la Chine et la Russie, ainsi que de puissances sous-impériales de plus en plus affirmées comme l’Arabie saoudite et l’Inde, parmi beaucoup d’autres.

Deuxièmement, les défaites de Washington en Irak et en Afghanistan ont sapé son hégémonie au Moyen-Orient et dans le monde. Enfin, la Grande Récession a frappé particulièrement durement les États-Unis et l’UE, tandis que la Chine, sur la base de son plan de relance massif, est devenue pendant un certain temps l’épicentre de la croissance mondiale.

Ces changements ont mis fin à l’hégémonie incontestée de Washington et ont inauguré un nouvel ordre mondial multipolaire asymétrique. Les États-Unis restent la puissance dominante, mais sont moins capables de dicter la politique internationale qu’ils ne l’ont fait au cours des dernières décennies.

Ce nouvel ordre est assailli par les crises profondes et multiples du système qui ont exacerbé les inégalités de classe et sociales et déclenché la polarisation politique dans les pays du monde entier. Aux États-Unis, ces inégalités ont déclenché des vagues de lutte d’Occupy à Black Lives Matter et une vague de militantisme syndical parmi les travailleurs syndiqués et non syndiqués.

La combinaison de la crise et de la résistance a conduit à l’émergence d’une nouvelle gauche socialiste avec le DSA (DSA signifie Democratic Socialists of America, ce qui pourrait se traduire par Socialistes Démocratiques d’Amérique ; c’est un groupe qui se situe dans la lignée du Parti Socialiste Américain, d’Eugen Debs, et dont la figure la plus connue internationalement est la députée de New York, Alexandra Ocasio Cortez. NDLR) comme organisation nationale la plus importante. Cette radicalisation à gauche a permis les deux campagnes infructueuses de Bernie Sanders pour la nomination présidentielle du Parti démocrate. Dans le même temps, les crises ont poussé des sections de la nouvelle classe moyenne et de la petite bourgeoisie vers une politique de plus en plus réactionnaire.

Trump a surfé sur cette vague de radicalisme de droite jusqu’à la présidence en 2016, transformant le GOP en un parti d’extrême droite. Une fois au pouvoir, Trump a mis en œuvre un programme d’« hégémonie illibérale », promettant de « rendre sa grandeur à l’Amérique » en mettant « l’Amérique d’abord ». Il a abandonné la grande stratégie bipartite de Washington consistant à superviser le capitalisme mondial et à incorporer des États avec la carotte et le bâton dans le soi-disant ordre libéral fondé sur ses règles.

Au lieu de cela, il a nié les accords de libre-échange comme l’Accord de partenariat transpacifique proposé par Obama, mis en œuvre des politiques protectionnistes, inauguré la rivalité ouverte entre grandes puissances avec la Chine et la Russie, et établi une relation transactionnelle avec les ennemis et les alliés. Dans son pays, il a mené des attaques brutales contre des groupes opprimés, en particulier des migrants, les utilisant comme boucs émissaires pour détourner l’attention des racines capitalistes des crises dans la vie des gens.

Les politiques de Trump ont intensifié la radicalisation de gauche exprimée dans un crescendo de lutte allant des marches des femmes aux rassemblements pour défendre les droits des migrants, la révolte des enseignants de l’État rouge, la grève pour le climat de 2019 et le soulèvement Black Lives Matter, la plus grande mobilisation populaire de l’histoire des États-Unis. Cette résistance a montré l’immense potentiel d’une nouvelle gauche pour mener une lutte massive et perturbatrice pour un changement systémique.

Les quatre années de mauvaise gouvernance erratique et droitière de Trump, en particulier sa gestion incompétente de la pandémie, ont accéléré le déclin relatif de l’impérialisme américain, fait douter ses alliés de la fiabilité de Washington et enhardi ses antagonistes comme la Chine et la Russie ainsi que les puissances sous-impérialistes comme l’Arabie saoudite. Après la tentative de Trump de renverser l’élection du 6 janvier en encourageant ses cadres d’extrême droite à diriger une foule dans le saccage du Capitole, les États-Unis ne ressemblaient pas à une « ville brillante sur une colline », mais à un « pays de merde » qui se désagrégeait.

Leur programme, pas le nôtre

Bien avant les élections de 2020, la faction de l’establishment de Biden a conçu le keynésianisme impérialiste pour surmonter les défis nationaux et internationaux de Washington. Il comprend trois objectifs étroitement liés: 1) reconstruire les fondements du capitalisme américain, 2) stabiliser la politique intérieure sous l’hégémonie du Parti démocrate et 3) restaurer et protéger la suprématie impériale de Washington sur la Chine et la Russie.

L’administration Biden a présenté sa proposition phare Build Back Better pour atteindre les deux premiers objectifs. En son centre se trouvait une nouvelle politique industrielle conçue pour rénover les infrastructures américaines et financer de nouvelles industries manufacturières dans les secteurs de la haute technologie et de l’économie verte. Il a également promis d’investir dans les infrastructures sociales, principalement en augmentant les dépenses en services sociaux et en finançant l’éducation STEM pour former les travailleurs aux compétences en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques dont les industries du 21e siècle ont besoin pour concurrencer la Chine.

Cependant, contrairement à toutes les comparaisons avec le New Deal de FDR et la Great Society de LBJ, Biden n’a jamais prévu de restaurer l’ancien État-providence détruit par Ronald Reagan et Bill Clinton. Au mieux, il visait à augmenter les dépenses sociales américaines aux faibles niveaux de l’Europe néolibéralisée.

Biden avait l’intention de réprimer la polarisation politique du pays. Il espérait coopter la gauche au sein du Parti démocrate, l’amener à abandonner son programme et soutenir Build Back Better. Il voulait également saper l’attrait du nationalisme d’extrême droite de Trump en ouvrant les vannes des dépenses dans les États rouges et les États du Midwest.

Associé à ce programme national et basé sur celui-ci, Biden a élaboré une nouvelle grande stratégie de « multilatéralisme musclé » pour atteindre le troisième objectif de réaffirmer la suprématie américaine sur le capitalisme mondial et contre ses rivaux des grandes puissances. Contrairement à Trump, cependant, il a promis de reconstruire et d’élargir ses alliances et de les unir toutes dans une soi-disant « ligue des démocraties » pour rivaliser avec les « puissances autocratiques », la Chine et la Russie.

Comme Trump, il n’avait pas l’intention d’intégrer ces rivaux dans un ordre international néolibéral, mais plutôt de les contenir. Il a promis de maintenir les sanctions contre la Chine, de mettre fin à la dépendance des États-Unis à l’égard de Pékin dans les principales industries stratégiques de haute technologie et d’affronter Pékin et Moscou.

Coopter la gauche

Biden a gagné l’establishment du Parti démocrate au keynésianisme impérialiste, battant facilement Sanders lors des primaires de 2020. Avec l’aide de Sanders, Biden a obtenu le soutien des responsables syndicaux, de la bureaucratie des ONG et de la majeure partie de la gauche, y compris des sections de la direction de DSA.

Sanders et ses alliés ont justifié leur soutien à Biden en soulignant les éléments qu’ils ont obtenus dans la plate-forme du Parti démocrate, qu’ils ont présentés comme preuve de leur rattachement de Biden vers la gauche. En réalité, ils avaient été tirés vers la droite, entamant un processus d’abandon de Medicare for All, du Green New Deal, des plans de définancement de la police, de l’annulation de la dette et d’autres réformes pour soutenir les Bidenomics.

Le président Joe Biden se tient derrière un podium flanqué d’une douzaine de policiers en uniforme.
« Nous devrions tous être d’accord : la réponse n’est pas de supprimer le financement de la police. C’est pour financer la police. » Photo par Alex Brandon.

Sanders a ouvert la voie, prédisant que Biden serait « le président le plus progressiste depuis FDR ». Mais Roosevelt, à vrai dire, n’est pas un modèle socialiste. Rappelez-vous, il s’est déclaré le « meilleur ami que le système de profit ait jamais eu » et a conduit les États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale pour établir Washington comme la puissance impérialiste dominante du monde.

Néanmoins, Sanders et le reste des socialistes élus ont rapidement commencé à soutenir le keynésianisme impérialiste de Biden comme la seule option réaliste pour la gauche. Leur tâche auto-assignée est devenue d’essayer de convaincre les démocrates de droite de voter pour Build Back Better et de repousser les tentatives du GOP (Grand Old Party = Parti Républicain) de bloquer ou d’édulcorer la législation.

Lutte démobilisatrice

D’autres à gauche ont affirmé qu’ils pouvaient à la fois se rallier derrière les démocrates et construire des mouvements pour lutter pour un programme plus radical. Mais l’élection de Biden a eu le dessus, entraînant une baisse spectaculaire de la lutte pendant la campagne et surtout après l’investiture de Biden en 2021.

Les libéraux, la bureaucratie des ONG et les responsables syndicaux ont canalisé la résistance contre Trump dans la campagne Biden. L’extrême gauche organisée était trop petite et désorientée par la montée de l’électoralisme réformiste pour gagner un débat au sein des différents mouvements afin de soutenir leur lutte indépendante pour leur propre programme.

Le revers le plus important a été pour Black Lives Matter. À un moment décisif, l’ancien président Obama a rencontré LeBron James et l’a convaincu d’annuler la grève de la NBA après la fusillade raciste de Jacob Blake par la police. Peu de temps après, les patrons, les propriétaires et les joueurs de la ligue ont annoncé un plan visant à transformer les arénas de la NBA en lieux de vote sûrs.

Eux, en collaboration avec les démocrates libéraux, l’establishment des droits civiques et la bureaucratie des ONG, ont transformé Black Lives Matter en Black Votes Matter dans une campagne de facto pour élire Biden, un ennemi du mouvement et de ses principales revendications. Il avait voté en faveur de la nouvelle loi Jim Crow, s’était opposé à la suppression du financement de la police et avait offert la promesse habituelle d’une réforme de la police.

Non seulement BLM, mais toute la résistance sous Trump a été canalisée dans la campagne de Biden. Le résultat a été une baisse de la lutte organisée au moment où il était le plus nécessaire de faire face à l’escalade des attaques contre le droit à l’avortement, à l’aggravation constante du changement climatique, aux conditions horribles pour les migrants à la frontière et à l’intérieur du pays, et à une épidémie continue de meurtres et de brutalités racistes de la police.

Une exception partielle à ce modèle a été la nouvelle résistance d’en bas au sein du mouvement ouvrier. La combinaison des pressions exercées sur les travailleurs essentiels pendant la pandémie, de la flambée de l’inflation et des profits pervers obtenus par les entreprises a poussé les gens à résister.

Ils se sont organisés chez Amazon, Starbucks et dans des programmes d’études supérieures. Ils ont organisé des grèves dans un éventail d’entreprises et ont voté à plusieurs reprises contre les contrats de vente. Cet été, l’organisation syndicale a atteint son apogée avec la grève des travailleurs de l’hôtellerie à Los Angeles et la fermeture d’Hollywood par les acteurs et les écrivains. Mais même avec cette augmentation de la lutte, les grèves et la syndicalisation restent à des niveaux historiquement bas.

Remettre à neuf le capitalisme américain

Avec la gauche dans sa poche arrière et la lutte démobilisée, Biden et l’establishment du parti ont conclu des accords avec les démocrates centristes et une poignée de républicains pour promulguer le keynésianisme impérialiste. Il n’a pas pu faire passer Build Back Better dans son intégralité parce que les terribles jumeaux, Joe Manchin et Kristen Sinema, de mèche avec le GOP, ont bloqué le financement de l’infrastructure sociale.

Biden a tenté de contourner leur opposition par le biais de décrets, par exemple, en annulant certains prêts étudiants. Mais la majeure partie de l’augmentation permanente promise des dépenses sociales ne s’est jamais matérialisée. Pire encore, les républicains ont utilisé la Cour suprême pour annuler certaines des ordonnances de Biden, comme celle sur la dette étudiante. Mais ce n’était pas un Green New Deal. Bien que le montant en dollars semble élevé, il s’étale sur une décennie et est inférieur à ce que les États-Unis dépensent chaque année au Pentagone.

Néanmoins, Biden a réussi à faire adopter un énorme ensemble de lois qui représenteront plus de 4 1 milliards de dollars de dépenses au cours de la prochaine décennie. Pour commencer, il a signé le plan de sauvetage américain (ARP) de 9,<> billion de dollars pour sortir l’économie de la forte récession déclenchée par les confinements et l’interruption des chaînes d’approvisionnement.

Il a subventionné les entreprises pour les aider à éviter la faillite, financé les gouvernements des États pour augmenter temporairement les dépenses sociales, promulgué le crédit d’impôt pour enfants et, comme la loi CARES de Trump, émis des chèques à chaque citoyen (à l’exclusion des migrants, bien sûr). Sur la base de recherches financées par l’opération « Warp Speed » de Trump, l’ARP a déployé des vaccinations de masse, permettant à Biden de rouvrir l’économie pour que les bénéfices retournent malgré la pandémie en cours.

En plus de cela, il a signé trois projets de loi bipartites qui constituent le cœur de sa nouvelle politique industrielle pour assurer l’avantage concurrentiel de Washington sur la Chine. Le premier d’entre eux était la Loi bipartite sur les investissements et les emplois dans les infrastructures de 1,2 billion de dollars. Il investit de l’argent dans la réparation et la modernisation des routes, des chemins de fer et des ponts, ainsi que dans l’expansion d’Internet haute vitesse et la construction de nouvelles bornes de recharge pour véhicules électriques (VE) partout au pays.

Deuxièmement, il a mis en œuvre la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) de 740 milliards de dollars, qui est censée être la plus grande législation climatique de l’histoire des États-Unis. Il finance le développement de la fabrication d’énergie solaire, éolienne et de véhicules électriques pour mettre fin à la dépendance à l’égard de la Chine, qui a accaparé le marché de ces industries. Il a également financé l’IRS pour poursuivre les riches fraudeurs fiscaux et a permis à Medicare de négocier et de plafonner les prix des médicaments.

Mais ce n’était pas un Green New Deal. Bien que le montant en dollars semble élevé, il s’étale sur une décennie et est inférieur à ce que les États-Unis dépensent chaque année au Pentagone. De plus, il permet l’expansion de la production de combustibles fossiles et finance une technologie de capture du carbone non éprouvée pour atténuer l’augmentation des émissions. Au mieux, il ne parviendra à réduire les émissions américaines que de moitié d’ici 2050, lorsque les climatologues affirment que le pays doit être à zéro net.

Troisièmement, Biden a adopté la loi CHIPS and Science Act de 280 millions de dollars pour assurer la suprématie de la haute technologie américaine sur la Chine. Il finance la construction d’usines de fabrication de semi-conducteurs aux États-Unis, encourage le « soutien ami » des chaînes d’approvisionnement de haute technologie et subventionne la recherche et le développement universitaires et d’entreprises dans les domaines des STIM.

Réaffirmer l’hégémonie impériale

Sur la base de ce plan de rénovation du capitalisme américain, Biden a mis en œuvre sa stratégie de multilatéralisme musclé pour la rivalité des grandes puissances avec la Chine et la Russie. Il a abandonné l’unilatéralisme de Trump, mais a conservé l’accent mis par son prédécesseur sur la maîtrise de l’affirmation accrue de ces puissances de leurs intérêts impérialistes.

La stratégie de Biden a inclus des dimensions géopolitiques, économiques et militaires. Sur le front géopolitique, il a tenté de remettre « l’Amérique en tête de la table » en se regroupant en bloc comprenant les alliés traditionnels de Washington, en les convainquant et en les cajolant pour qu’ils obéissent aux diktats impériaux américains pour contenir la montée en puissance de la Chine et de la Russie.

Au cœur de cet effort a été la réaffirmation par Biden des structures d’alliance traditionnelles comme l’OTAN en Europe et la Quad en Asie-Pacifique. Il en a également créé de nouveaux comme AUKUS qui unit l’Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis pour fournir à Canberra des sous-marins à propulsion nucléaire capables d’échapper à la détection chinoise.

L’administration a réuni tous ses alliés lors de deux sommets et en a annoncé un troisième en Corée du Sud pour lancer un nouveau bloc, qu’elle a appelé « la ligue des démocraties », pour s’opposer aux soi-disant « États autocratiques » de la Chine et de la Russie. Personne ne devrait prendre au sérieux ce vieux cadre de la guerre froide, pour deux raisons.

Tout d’abord, les sommets comprenaient des sommets pro-américains. États ayant un faible classement dans le classement annuel des libertés démocratiques de Freedom House et excluant d’autres ayant un classement plus élevé simplement parce qu’ils s’opposent aux États-Unis. Deuxièmement, ce cadre vise à attiser les conflits avec les adversaires des États-Unis, et non à améliorer les antagonismes.

Sur le front économique, Biden a soutenu les sanctions et le protectionnisme de Trump contre la Chine et les a en fait augmentés, lançant une nouvelle guerre des puces pour empêcher Pékin d’acquérir une technologie avancée de semi-conducteurs. De même, il a imposé des sanctions à la Russie et expulsé 10 diplomates pour ingérence de Moscou dans les élections américaines.

L’administration Biden a adopté une nouvelle stratégie de « réduction des risques » pour rompre les relations économiques avec la Chine dans les industries de haute technologie ayant des applications militaires et bloquer les investissements dans les entreprises chinoises pour les empêcher de développer leurs capacités dans les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et l’informatique quantique. Il a utilisé ses anciennes et nouvelles alliances géopolitiques et militaires pour pousser des États comme l’Allemagne à adopter cette stratégie envers la Chine.

Sur le front militaire, Biden a considérablement augmenté le financement du Pentagone, l’augmentant de cinq pour cent par rapport au dernier budget de Trump à 768,2 milliards de dollars en 2022 et le portant encore plus à 858 milliards de dollars en 2023. Il a utilisé ces fonds pour moderniser l’armée, la préparer à la guerre avec la Chine et la Russie, et la déployer agressivement dans de nouvelles bases et exercices, en particulier en Asie-Pacifique, pour contrer le nombre croissant de bases de Pékin et l’affirmation de la puissance navale.

Le creuset ukrainien

La réorientation de M. Biden sur la rivalité entre grandes puissances a connu un début désastreux avec son retrait désordonné d’Afghanistan, qui a fait apparaître les États-Unis comme faibles et incompétents aux yeux de Pékin et de Moscou. Vladimir Poutine a profité de ce moment pour lancer son invasion impérialiste de l’Ukraine dans l’espoir de rétablir l’ancien empire russe.

Cette invasion lui a explosé au visage, car la résistance ukrainienne a stoppé la Russie dans son élan, surprenant les États-Unis et les puissances de l’OTAN qui s’attendaient à la chute du pays. Biden a saisi l’occasion de soutenir l’Ukraine pour ses propres motifs impérialistes. Il a uni les alliés de l’OTAN, les a incités à imposer des sanctions sans précédent à Moscou, a fait pression sur eux pour qu’ils augmentent leurs budgets militaires et a fourni de l’argent et des armes à Kiev.

Bien sûr, la gauche internationale devrait défendre le droit de l’Ukraine à demander un tel soutien aux États-Unis dans sa lutte pour l’autodétermination. Mais nous devons garder les yeux grands ouverts sur le fait que M. Biden ne soutient l’Ukraine que par procuration, afin d’affaiblir le rival impérial de Washington, la Russie.

Les motivations de Joe Biden sont apparues clairement lorsqu’il a convaincu l’OTAN de désigner la Chine comme “un défi stratégique” pour la première fois en 2022, puis a déclaré en 2023 que les “ambitions déclarées et les politiques coercitives de Pékin remettent en cause nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs”. En conséquence, l’OTAN a commencé à collaborer avec les alliés de Washington en Asie contre la Chine.

Biden a également fait pression sur ses alliés pour qu’ils commencent à mettre fin à leur dépendance vis-à-vis de la Russie pour le gaz et le pétrole, qu’ils “dé-risquent” leurs relations économiques avec la Chine et qu’ils préparent leur arsenal militaire en vue d’une guerre impérialiste. Mais M. Biden n’a pas réussi à obtenir la soumission de puissances sous imperialistes comme le Brésil, l’Arabie Saoudite, Israël et bien d’autres, qui font l’équilibre entre les États-Unis, la Chine et la Russie. N’oublions pas que les États-Unis sont les bouchers de l’Irak et qu’ils soutiennent l’apartheid israélien.

Néanmoins, les États-Unis continuent d’accroître la pression sur les États du monde entier pour qu’ils plient le genou devant leurs diktats. En particulier, Washington a tenté de les contraindre à se joindre à eux pour affronter la Chine au sujet de Taiwan, un territoire crucial non seulement sur le plan géopolitique, mais aussi sur le plan économique, puisqu’il produit 90 % des puces électroniques les plus perfectionnées au monde. Le droit à l’autodétermination du peuple taïwanais est noyé dans ce tsunami impérial.

Triangulation, style Biden

Au pays, Biden a trahi les attentes populaires d’une réforme systémique pour répondre aux revendications des travailleurs et des opprimés. Tout comme Bill Clinton dans les années 1990, Biden a suivi une stratégie de triangulation – adopter des positions entre démocrates libéraux et républicains réactionnaires – dans l’espoir de saper l’attrait de l’extrême droite.

Ainsi, il a maintenu le cœur de l’assaut vicieux de Trump contre les migrants et leurs droits. Il a appliqué le titre 42, qui maintenait la frontière fermée non seulement aux travailleurs sans papiers, mais aussi aux demandeurs d’asile, entraînant une augmentation spectaculaire des expulsions. Lorsqu’il a finalement mis fin au titre 42 en mai 2022, il l’a remplacé par un nouveau plan d’application des frontières conçu pour dissuader les demandes d’asile.

Cela fait partie du plan plus large de Biden visant à étendre le régime frontalier au Mexique et en Amérique centrale et à déléguer des États pour empêcher les migrants de partir. Il canalise également de l’argent vers ces États pour établir des industries d’ateliers de misère afin de surexploiter leurs citoyens et les migrants.

Incroyablement, l’administration a célébré la restriction de leurs droits et a crédité leur répression du mérite d’avoir provoqué une baisse des passages frontaliers. Cependant, dans une décision de justice sur une affaire portée par l’ACLU, un juge fédéral a suspendu la restriction de l’asile de Biden, seulement pour que la Cour du 9e circuit la remette en place.

La baisse temporaire des passages frontaliers semble avoir pris fin, avec des arrestations en hausse en juillet. Et la US Customs and Border Patrol, l’ICE et les autorités mexicaines se préparent à dissuader, arrêter et expulser des centaines de milliers d’autres qui traversent l’Amérique centrale.

Un grand groupe de personnes demandant l’asile à la frontière américaine s’assoient et s’allongent au milieu de sacs de couchage et d’autres effets personnels. Ils ont l’air épuisés.
Demandeurs d’asile à la frontière américaine. Photo de Sandor Csudai.

De même, malgré la sympathie déclarée de Biden pour les victimes noires de la brutalité policière, il a mené l’hostilité contre le mouvement visant à supprimer le financement de la police. Dans son discours sur l’état de l’Union de 2022, il a déclaré: « Nous devrions tous être d’accord : la réponse n’est pas de supprimer le financement de la police. C’est de financer la police. » Non seulement BLM, mais toute la résistance sous Trump a été canalisée dans la campagne de Biden. Le résultat a été une baisse de la lutte organisée au moment où elle était le plus nécessaire.

Sa loi George Floyd, qui n’a pas été adoptée, proposait une nouvelle itération de réformes libérales telles que la police communautaire, la formation et les caméras corporelles qui, au mieux, donneraient un coup de jeune aux forces répressives de l’État. Pire encore, son « plan Safer America » promettait d’embaucher 100 000 policiers supplémentaires à travers le pays.

Les démocrates de droite comme le maire de New York, Eric Adams, et d’autres ont surpassé Biden, profitant de la panique morale fabriquée sur le mouvement de définancement pour lancer une répression de la loi et de l’ordre. Cette répression a donné aux républicains le feu vert pour réclamer une répression encore plus grande..

Le bilan de M. Biden en matière de droits et d’accès à la procréation n’est guère meilleur. Avec une majorité Democrate au cours des deux premières années de son mandat, il n’a pas codifié l’arrêt Roe v. Wade, ni même annulé l’amendement Hyde qui interdit le financement de l’avortement par le gouvernement fédéral. Même après l’arrêt Dobbs de la Cour suprême, qui a fait de l’avortement un droit protégé au niveau fédéral, Joe Biden n’a pas fait grand-chose, si ce n’est l’utiliser pour obtenir des voix lors de l’élection présidentielle de 2024.

De plus, face à la guerre totale du GOP contre les transgenres, Joe Biden n’a guère opposé de résistance, si ce n’est des expressions symboliques d’opposition à la bigoterie et des cérémonies à la Maison Blanche. En fait, il s’est adapté aux attaques de la droite, adoptant une “position nuancée” sur les athlètes transgenres qui, au nom de la protection de leurs droits, permet en réalité de les restreindre.

Il a autorisé l’augmentation des forages pétroliers et gaziers, bien qu’en augmentant les redevances, et a approuvé le projet Willow en Alaska, d’une valeur de$8 billion de dollars, en dépit de l’opposition des écologistes et des militants indigènes. En fait, M. Biden a approuvé, en seulement deux ans, plus de projets pétroliers et gaziers que M. Trump ne l’a fait pendant toute la durée de son mandat.

A boat straddles a crack in an iced-over body of water.
On March 13, the Biden administration approved the Willow Project, a controversial decision because of its environmental implications. Photo: Creative Commons (Manuel Ernst)

Enfin, contrairement à ce qu’il prétend être “le président le plus favorable aux syndicats de tous les temps”, Joe Biden n’a pas fait grand-chose pour améliorer les conditions de travail des salariés.

Alors qu’il a nommé des juges libéraux au NLRB, il n’a pas fait pression pour l’adoption du PRO Act, qui aurait facilité la syndicalisation des lieux de travail. Dans ce qui est peut-être sa pire trahison, il a invoqué la loi sur le travail dans les chemins de fer (Railway Labor Act), a convaincu le Congrès d’imposer un règlement aux cheminots et leur a interdit de faire grève pour obtenir de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail et des congés de maladie rémunérés. Le “syndicaliste” autoproclamé a brisé une grève.

L’extrême droite confortée

Ni cette triangulation, ni les autres politiques de Joe Biden n’ont réussi à atteindre l’objectif qu’il s’était fixé, à savoir réduire le soutien au Parti républicain et à l’extrême droite.

L’appel de Biden à la collaboration bipartisane n’a réussi à convaincre qu’une poignée de républicains d’adopter sa loi sur les infrastructures et sa loi sur la réduction de l’inflation, alors que la grande majorité du parti s’opposait à presque tout ce qu’il proposait.

Biden n’a pas eu plus de succès en ouvrant le robinet des dépenses pour l’aide en cas de pandémie, la réparation et l’amélioration des infrastructures et la construction de nouvelles usines. Un pourcentage stupéfiant de 80 % des nouveaux projets industriels sont situés dans des États rouges. Si les républicains ont volontiers accepté l’argent, ils n’ont accordé aucun crédit à Joe Biden, et tous les nouveaux investissements n’ont pas encore amélioré la cote de popularité du president dans les fiefs du parti démocrate.

Si la carotte a échoué, le bâton tout autant. Les poursuites engagées contre Trump et ses sbires d’extrême droite n’ont pas mis un terme à leur croissance et à leur popularité . Si les 650 condamnations pour l’émeute du 6 janvier ont désorganisé certains groupes d’extrême droite, d’autres les ont remplacés, et Trump, malgré toutes les inculpations, y compris pour conspiration visant à renverser l’élection de 2020, reste  le grand favorit pour l’investiture du GOP.

En fait, dans un exemple de ce que le New York Times appelle “l’effet d’inculpation”, Trump a réussi à convaincre sa base MAGA que les accusations portées contre lui sont des attaques contre eux tous.

Trump s’insurge régulièrement contre les “communistes aux cheveux roses qui enseignent à nos enfants” et promet “d’empêcher les communistes, les marxistes et les socialistes étrangers qui haïssent les chrétiens d’entrer en Amérique”.

La principale alternative à Trump, Ron DeSantis, se présente comme un homme de droite compétent et discipliné, menaçant de “commencer à égorger” les employés du gouvernement fédéral pour démanteler “l’État profond”. La raison de la persistance de la droite est évidente. La politique de Bidenomics n’a pas permis de surmonter la crise de la rentabilité ni de déclencher une nouvelle expansion. Et la flambée de l’inflation a mis à mal le niveau de vie des citoyens.

Ces conditions ont alimenté un profond mécontentement au sein de la petite bourgeoisie, de la classe moyenne précaire et d’une partie de la classe ouvrière désorganisée et désespérée. Les républicains et l’extrême droite ont exploité cette situation pour consolider, voire élargir, leur base de soutien.

En conséquence, la politique américaine reste prisonnière de ce que Kim Moody appellela polarisation asymétrique entre le libéralisme d’entreprise des démocrates et le nationalisme d’extrême droite du parti démocrate. Ainsi, même avec l’albatros de l’arrêt très impopulaire de la Cour suprême annulant Roe v. Wade, les républicains ont réussi à reprendre la Chambre des représentants tout en ne laissant au Sénat qu’une courte majorité démocrate.

Le parti et ses fidèles ont plutôt évolué vers la droite à Washington et dans tout le pays. Dans les États qu’ils contrôlent, les républicains ont intensifié les attaques contre le droit à l’avortement en imposant des restrictions et des interdictions draconiennes, ont ouvert une guerre totale contre les personnes transgenres et ont banni les études noires et la reconnaissance des LGBTQ de l’enseignement public. La majorité républicaine de la Chambre des représentants envisage même de destituer Biden et est allée jusqu’à joindre des  amendements à la loi d’autorisation de la défense nationale, habituellement bipartisane, demandant au Pentagone d’interdire l’avortement, de supprimer les soins médicaux pour les transgenres et de mettre fin à son programme de diversité, d’équité et d’inclusion

Le retour de l’austérité néolibérale

La victoire des Républicains aux élections de mi-mandat a mis un terme brutal à la période de réformes keynésiennes impérialistes de Biden. Quatre événements ont mis en mouvement des éléments de l’austérité néolibérale traditionnelle qui sapent encore davantage la popularité de Biden et des Bidenomics.

Tout d’abord, l’inflation a dépassé la croissance des salaires et a englouti les chèques de paie des travailleurs avec des augmentations spectaculaires des prix des produits alimentaires, du gaz, des loyers d’appartements et des maisons. Même si les salaires ont augmenté et que l’inflation est tombée à 3 % cette année, l’inflation de base reste à 5 % et les prix n’ont pas baissé.

Deuxièmement, Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale de Joe Biden, a porté les taux d’intérêt à 5,5 % en juillet 2023 et a promis de continuer à le faire jusqu’à ce que l’inflation redescende à 2 %, même au risque de déclencher une récession. Il s’agit d’une guerre de classe à peine déguisée visant à ralentir l’économie, à faire grimper le chômage et à saper la capacité des travailleurs à exiger des salaires plus élevés.

La Fed punit les travailleurs pour un problème qu’ils n’ont pas causé. Le vrai coupable est la crise de faible rentabilité du capitalisme qui a conduit les entreprises à sous-investir dans les usines et les machines afin d’augmenter l’offre de biens. En conséquence, lorsque l’économie s’est remise de la récession déclenchée par la pandémie, la demande accrue a chassé l’offre limitée, faisant grimper les prix. Les entreprises ont alors profité de cette situation pour se livrer à la bonne vieille pratique de l’arnaque sur les prix.

Le sous-investissement a donc conduit à une inflation de base persistante malgré les hausses de taux d’intérêt. Néanmoins, les banques centrales européennes suivent l’exemple de la Fed et augmentent leurs taux. Ces hausses de taux déclenchent une énorme crise de la dette dans l’ensemble du Sud et, par conséquent, des mesures d’austérité néolibérales dont les principales victimes sont les travailleurs et les paysans.

six women in robes carrying belongings on their heads walk toward the camera on a dirt road.
Des femmes, marchant avec ce qu’elles peuvent transporter, arrivent en un flot continu dans un camp de déplacés érigé à côté d’une base militaire de l’AMISOM près de la ville de Jowhar, en Somalie, le 12 novembre. Crédit photo : Nations Unies/Tobin Jones. Original public domain image from Flickr.

Troisièmement, la plupart des mesures d’aide adoptées dans le cadre du plan de sauvetage américain ont été laissées à l’abandon. L’exemple le plus important est sans doute celui du crédit d’impôt élargi pour les enfants, qui a permis de réduire de moitié la pauvreté infantile, et qui a pris fin avec l’échec de l’adoption de Build Back Better dans son intégralité, replongeant des millions de personnes dans la misère. Autre exemple, 15 millions de personnes seront exclues de Medicaid.

Quatrièmement, Kevin McCarthy, président de la majorité à la Chambre des représentants, a forcé M. Biden à accepter des mesures d’austérité en échange de l’approbation par les républicains d’un accord sur le relèvement du plafond de la dette. M. Biden a accepté de geler les dépenses discrétionnaires, à l’exception de la défense, de la sécurité sociale et de l’assurance-maladie ; de réduire le financement de l’IRS pour poursuivre les riches fraudeurs fiscaux ; d’imposer de nouvelles exigences en matière de travail aux bénéficiaires de SNAP (bons d’alimentation) et de TANF (aide sociale) ; d’ordonner à 43 millions de personnes de recommencer à payer les prêts étudiants suspendus pendant la pandémie ; et, dans une concession à Joe Manchin, le “capital fossile”, d’accélérer l’approbation du pipeline Mountain Valley Pipeline.

Pour couronner le tout, la majorité d’extrême droite de la Cour suprême a multiplié les attaques contre les travailleurs et les opprimés. Elle a annulé le plan de M. Biden visant à annuler 430 milliards de dollars de dettes étudiantes, s’est prononcée en faveur du droit des entreprises à poursuivre les syndicats pour les dommages matériels causés lors de grèves, a interdit la discrimination positive dans l’enseignement supérieur, a confirmé le droit des entreprises à discriminer les personnes LGBTQ, a limité la capacité de l’EPA à utiliser la loi sur l’eau propre pour protéger les zones humides et les affluents, et a jugé constitutionnelle une loi fédérale faisant de l’apologie de l’”immigration illégale” un délit.

Un profond mécontentement à l’égard de la politique de Bidenomic

Ces réalités expliquent pourquoi la cote de popularité de M. Biden reste bloquée à 39 %. Malgré tout le battage publicitaire de ses “Bidenomics”, seuls37 % approuvent sa gestion de l’économie, 58 % la désapprouvent et 20 % à peine estiment que l’économie a été excellente ou bonne.

L’inflation a baissé, le chômage reste faible (3,6 %), les salaires augmentent plus rapidement et 13 millions d’emplois, dont 800 000 dans l’industrie manufacturière, ont été créés depuis l’entrée en fonction de M. Biden

.La raison de la persistance de la droite est évidente. Les Bidenomics n’ont ni surmonté la crise de la rentabilité, ni déclenché une nouvelle expansion.

Néanmoins, les paris de Biden sont risqués. Alors que l’économie mondiale est prise au piège dans un marasme global, que l’Europe est en récession et que la Chine ralentit déjà après sa première poussée de croissance consécutive à la fin des blocages de type “Zero-Covid”, les États-Unis peuvent au mieux espérer une croissance modeste et une récession reste une possibilité distincte. Les doutes sur la capacité de Washington à gérer l’économie ont conduit l’agence de notation Fitch Ratings à abaisser la note de crédit des États-Unis de AAA to AA+ . Elle a invoqué trois raisons pour justifier sa décision : les prévisions d’une contraction économique au cours des trois prochaines années, le niveau élevé de la dette et le conflit politique entre les démocrates et les républicains sur le relèvement de la limite de la dette comprenant une gestion budgétaire compétente.

Quelle que soit la trajectoire de l’économie, les nouveaux investissements et les nouvelles subventions de M. Biden dans le secteur de la fabrication de haute technologie ne créeront qu’un nombre limité de nouveaux emplois, car ce secteur n’est pas à forte intensité de main-d’œuvre et la plupart d’entre eux seront créés dans des usines non syndiquées et dans des États où le droit au travail est en vigueur. Cela a déjà conduit l’UAW à ne pas soutenir M. Biden..

A group of walking people hold signs reading UAW on a city street during a climate protest march.
United Auto Workers march for climate justice in New York. Photo by Thomas Good.

Alors que l’administration est mal perçue, des partisans libéraux comme Paul Krugman ont défendu Joe Biden en dénonçant l’incapacité supposée des travailleurs à comprendre à quel point l’économie se porte bien. Dans le monde réel, les travailleurs, dont le salaire horaire réel a baissé de 3.16% sous Biden, luttent pour payer les coûts élevés des soins de santé, des loyers, des hypothèques, des gardes d’enfants, parmi d’innombrables autres choses. De plus en plus de personnes ne parviennent pas à s’en sortir, tombant dans les mailles de l’État-providence à peine existant et se retrouvant à la rue parmi les 600 000 sans-abri. Ces conditions brutales expliquent pourquoi il y a si peu de “Joementum” derrière les démocrates à l’approche de l’élection présidentielle, mais aussi pourquoi Trump et les républicains, malgré les multiples inculpations de leur chef de file et les positions impopulaires du parti sur de nombreuses questions, en particulier l’avortement, ont la possibilité de défier Biden et les démocrates lors de la prochaine élection. En effet, Trump et Biden sont au coude à coude dans les premiers sondages, et l’élection se jouera une fois de plus sur une dizaine d’Etats clés dans le collège électoral totalement antidémocratique.

Biden et les Démocrates se présenteront inévitablement non pas sur les Bidenomics, qui sont profondément impopulaires, mais comme la seule défense contre le Parti républicain, son programme d’extrême droite, et la perspective de quatre autres années de chaos et de réaction sous Trump. En d’autres termes, la course à la présidence se transformera en un choix classique entre le moindre et le plus grand mal

La gauche dans une impasse électoraliste

Plutôt que de proposer une alternative aux deux maux, la gauche, la DSA et ses élus vont probablement se ranger derrière le parti démocrate et faire campagne pour la réélection de Biden comme priorité absolue au cours de l’année à venir. Ce faisant, la gauche américaine risque de retomber dans la position qu’elle occupe depuis les années 1930 – un groupe de roux à l’intérieur d’un parti capitaliste essayant vainement d’influencer ses politiques.

Ce piège est l’aboutissement logique de la stratégie électoraliste de la DSA qui donne la priorité à la présentation de candidats sur la ligne de vote du Parti démocrate plutôt qu’à la construction de la lutte sociale et de classe. Le Parti démocrate n’est pas “juste une ligne de vote” qui peut être utilisée par la gauche, mais une machine politique soutenue par les entreprises qui a coopté la gauche depuis des générations.

Bien sûr, certaines sections s’engagent dans des projets militants et, au niveau national, la DSA a tenté d’organiser diverses initiatives autour des syndicats, telles que l’aide aux campagnes d’organisation et la construction d’une solidarité de grève. Mais en réalité, ces initiatives viennent après les campagnes pour les candidats au sein du parti démocrate.

Au départ, de nombreux membres de l’ASD préconisaient une stratégie électorale de “rupture brutale” consistant à constituer lentement une phalange d’élus en vue de lancer un nouveau parti indépendant à une date ultérieure. D’autres, y compris les partisans d’une rupture brutale et les agnostiques, ont mis en avant la stratégie consistant à accumuler des élus en tant que “parti de substitution” au sein des Démocrates afin de faire avancer un programme socialiste.

Aujourd’hui, presque personne ne parle de “dirty break”, de “surrogate party”, ou même de la vieille stratégie de Michael Harrington de “realignment” qui consiste à unir les syndicats et les organisations du mouvement social pour transformer le parti démocrate en un parti travailliste. Au lieu de cela, DSA a adopté ce que David Duhalde appelle le “dirty stay” qui aspire au mieux à influencer le parti et sa politique.

En réalité, toutes ces stratégies se sont retournées contre nous. Le parti démocrate n’est pas “une simple ligne de vote” pouvant être utilisée par la gauche, mais une machine politique soutenue par les entreprises qui a coopté la gauche pendant des générations, utilisant la carotte et le bâton pour discipliner les socialistes en son sein.

Cette discipline explique les trahisons cruciales des principes socialistes par le Squad et d’autres politiciens socialistes. Deux exemples ressortent. Tout d’abord, Jamal Bowman a violé la résolution révolutionnaire de la DSA sur la solidarité avec la Palestine, en votant en faveur d’une aide militaire de 4,3 milliards de dollars à Israël, en visitant l’État d’apartheid et en posant pour une séance de photos avec le criminel de guerre Naftali Bennet.

Deuxièmement, tous les membres de la soi-disant escouade, à l’exception de Rashida Tlaib, ont suivi l’exemple de Joe Biden et ont voté pour imposer un contrat aux cheminots, brisant ainsi la grève. Ils ont justifié cette trahison en évoquant un autre projet de loi, qui aurait obligé les patrons à accorder des congés de maladie, mais qui, bien entendu, était voué à l’échec.

Loin d’être exceptionnels, d’autres politiciens de gauche et progressistes au sein du Parti démocrate ont été attirés ou forcés à trahir leurs principes avoués. Prenons l’exemple du nouveau maire de Chicago, Brandon Johnson, ancien membre et organisateur du syndicat des enseignants de Chicago (CTU).

Avec beaucoup de fanfare de la part de la gauche, il a apporté quelques petites réformes, mais sur la grande question de la paix sociale lors de la Convention nationale démocrate à Chicago en 2024, il a rallié les syndicats pour signer un “engagement de non-grève”, ce qui lui a valu les éloges des patrons du Parti démocrate comme le gouverneur de l’Illinois et milliardaire J.B. Pritzker.

Dans un autre exemple tragi-comique, Ro Khanna a parlé au nom de 46 progressistes, dont des membres de l’ASD, qui ont voté contre l’accord sur le plafond de la dette, en déclarant qu’ils le faisaient par principe. Mais il a précisé que si ce vote avait risqué d’empêcher l’adoption de l’accord, ils auraient voté pour.

Ainsi, il a souligné qu’ils s’en tiendraient aux principes lorsque leur opposition n’aurait pas d’importance. Mais lorsque cela importe, ils abandonnent les principes et soutiennent l’austérité pour que l’État capitaliste continue de fonctionner.

C’est la situation difficile de tout politicien de gauche, y compris les membres de la DSA, dans un parti capitaliste. Comme l’a dit Lily Sanchez, “Aussi inspirante que soit l’ascension d’AOC et d’autres membres de la Squad, il est clair qu’ils restent liés à un parti qui refuse de s’attaquer aux problèmes les plus urgents de notre époque”.

Déni, triomphalisme et tir sur le messager

La stratégie électoraliste de l’ASD a précipité une crise au sein de l’organisation. Elle a perdu son élan, a vu nombre de ses sections cesser de fonctionner et a perdu des milliers de membres. En raison de la perte des cotisations et de l’augmentation de ses dépenses, elle risque d’être insolvable au cours des deux prochaines années.

L’ASD n’est pas seule. D’autres formations électoralistes libérales et ONG sont embourbées dans des crises similaires. Par exemple, les Démocrates de la Justice, l’organisation à l’origine de l’AOC, n’a pas été en mesure de mettre en œuvre des réformes, a subi une baisse des contributions et a été contraint de licencier près de la moitié de son personnel.

La plupart des dirigeants formels et informels de l’ASD n’ont pas réussi à faire face à la crise provoquée par leur électoralisme. Pour la plupart, ils n’ont pas réussi à reconnaître la nature totalement impérialiste des Bidenomics. Ceux qui reconnaissent ce problème évitent encore d’affronter la réalité, à savoir que la stratégie consistant à présenter des candidats au sein du Parti démocrate a réduit ses politiciens à devenir les partisans de Biden qui se tordent les mains.

La plupart d’entre eux nient l’existence d’une crise et affirment au contraire que la stratégie fonctionne. Par exemple, Emmett McKenna, dans le Socialist Forum, ne tient pas compte de l’hémorragie de dizaines de milliers de membres de la DSA et de l’incapacité de l’organisation à discipliner ses élus. Au lieu de cela, McKenna affirme que la DSA est plus forte que jamais précisément parce qu’elle travaille à l’intérieur du Parti démocrate. La DSA est maintenant en crise et ses politiciens sont sous l’emprise d’un parti capitaliste et de son projet impérialiste.

Il reste silencieux sur la trahison de la Palestine, puisque la solidarité avec cette nation opprimée garantit la marginalisation au sein du parti. Mais il a l’audace de défendre le vote de la plupart des membres de l’escouade pour briser la grève des chemins de fer parce que, dans les coulisses, les politiciens ont travaillé pour obtenir plus de jours de maladie payés dans le cadre d’un accord avec les patrons des chemins de fer. Les accords en coulisses n’excusent pas le fait de briser une grève.

Branko Marcetic est passé du déni au triomphalisme dans son compte-rendu d’un sommet des élus socialistes parrainé par le DSA Fund, Jacobin et The Nation. Pour lui, le nombre de participants semble avoir plus d’importance que l’absence de victoires dans l’avancement d’un programme de gauche et les multiples trahisons.

D’autres célèbrent des victoires comme le Build Public Renewables Act de New York, qui oblige la New York Power Authority à produire toute son électricité à partir d’énergies renouvelables d’ici 2030. Bien que de telles réformes soient, bien sûr, les bienvenues, elles constituent une exception à la règle du capital fossile qui augmente ses forages et construit plus de pipelines dans un contexte d’urgence climatique de plus en plus grave.

Lorsque les socialistes attirent l’attention sur la crise de DSA et l’échec de sa stratégie, le défaut pour beaucoup est de tirer sur le messager. Par exemple, Neil Meyer s’abaisse à parodier les critiques de la stratégie électoraliste en les qualifiant de « dogmatiques », « portant une casquette de garçon de journaux, secouant un exemplaire d’une publication imprimée et marmonnant à propos de 1917 ».

Il défend Sanders et DSA qui font campagne au sein du Parti démocrate, et il rejette ceux qui étudient l’histoire pour prédire que la stratégie électoraliste de DSA échouera encore une fois. Il prétend que nous réduisons les leçons de cette histoire en « formules intemporelles ». En fait, DSA confirme aujourd’hui tragiquement nos prédictions et nos pires craintes.

Malgré l’explosion de la taille de la campagne Sanders, DSA est maintenant en crise et ses politiciens sont sous l’emprise d’un parti capitaliste et de son projet impérialiste. Ridiculiser les gens qui attirent l’attention sur cette réalité « dogmatiques » n’est que des injures et un moyen d’éviter un débat sérieux.

Repli sur le moindre mal

L’adaptation du DSA à l’establishment du Parti démocrate atteint son paroxysme lors de la prochaine élection présidentielle. Suivant l’exemple de l’escouade et de Sanders, la plupart des dirigeants officiels, des membres éminents et des sites Web indirectement affiliés préconiseront le soutien à Biden comme un moindre mal pour repousser la menace de Trump et des républicains d’extrême droite.

Ceux qui, comme Max Elbaum, ont longtemps défendu une version de l’ancienne stratégie ratée du Front populaire du Parti communiste consistant à soutenir la bourgeoisie libérale (les démocrates) contre la bourgeoisie réactionnaire (le GOP), ont déjà appelé à faire campagne et à voter pour Biden. D’éminents membres de la DSA comme Eric Blanc ont également signalé qu’eux aussi soutiendraient Biden une fois de plus comme le moindre mal.

Blanc soutient sur Twitter qu’il est nécessaire « de combiner une politique de classe indépendante contre tous les politiciens d’entreprise avec une lutte plus large contre la droite ». Mais la stratégie de Blanc et DSA consistant à se présenter à l’intérieur et à soutenir le Parti démocrate contre les républicains mène directement à la collaboration de classe, pas à l’indépendance, et avec cela la subordination de la politique socialiste à la politique capitaliste libérale.

Blanc l’admet quand il admet le fait de « l’accommodement d’AOC au Parti démocrate » et le justifie « parce qu’elle voit à juste titre la nécessité d’une large coalition pour vaincre l’autoritarisme républicain ». En quelques tweets, il résume le recul de DSA dans le soutien à l’establishment du Parti démocrate comme le moindre mal pour arrêter le plus grand.

En réalité, cette stratégie du « moindre mal » a échoué dans le passé et elle échouera encore aujourd’hui. Il compromet fondamentalement la construction d’une gauche indépendante, la lutte pour les réformes et même l’arrêt de la droite.

Tout d’abord, le moindre mal est le mal. C’est certainement vrai des politiques de Biden, de son programme keynésien impérialiste à sa brise de grève, en passant par le bellicisme contre la Chine, le financement de la police, l’application du régime frontalier et la mise en œuvre de nouvelles mesures d’austérité.

Soutenir Biden est une pente glissante vers un accommodement politique avec un tel mal, ce que Blanc admet explicitement que AOC a fait pour des raisons « pragmatiques ». Une fois sur cette pente, la gauche abandonne inévitablement la tentative de proposer une alternative aux deux partis et abandonne la lutte pour son propre programme.

Bien sûr, certains prétendent qu’ils peuvent appeler à voter pour Biden tout en renforçant simultanément l’opposition pour faire avancer le programme de la gauche. Mais cette affirmation est tout simplement en contradiction avec la façon dont la gauche, les ONG et les syndicats travaillent une fois qu’ils décident de soutenir des candidats.

Ces forces sont fondamentalement différentes d’un individu qui passe quelques minutes à voter. Ils consacrent du personnel, du temps et d’énormes sommes d’argent pour convaincre leurs membres et ceux qu’ils influencent de voter pour le candidat qu’ils ont choisi.

Et ils doivent plaider en faveur de ce vote, ce qui nécessite un colportage doux ou la suppression de toute critique. Vous ne pouvez pas dire voter pour le mal pour arrêter le mal ! Vous devez le faire passer pour faire avancer un projet positif ou au moins gagner du temps pour un.

Cela met en branle une logique de démobilisation de la lutte et d’accommodement politique, ce qui est exactement ce qui s’est passé au cours des deux dernières années sous Biden. Sanders a vendu Biden comme la réincarnation de FDR. À l’exception de quelques votes dissidents, Sanders et l’équipe ont soutenu Biden sur presque tous les projets de loi majeurs.

Dépenser du temps, de l’argent et de l’énergie pour élire Biden a détourné des forces de la lutte vers la campagne électorale de Biden. Et une fois que les ONG, les responsables syndicaux et la gauche ont eu un ami supposé à la Maison Blanche, ils ont abandonné la lutte pour faire pression sur Biden à la place.

Ainsi, incorporés et démobilisés, DSA et la gauche n’ont pas réussi à offrir une alternative radicale au Parti démocrate, laissant Trump et le GOP comme sa seule opposition. Et les républicains en ont pleinement profité, présentant leur projet réactionnaire comme la seule solution aux multiples crises dans la vie des gens.En réalité, cette stratégie du « moindre mal » a échoué dans le passé et elle échouera encore aujourd’hui. Il compromet fondamentalement la construction d’une gauche indépendante, la lutte pour les réformes et même l’arrêt de la droite.

Ainsi, soutenir le Parti démocrate n’a pas bloqué la montée continue de la droite républicaine aux États-Unis, mais l’a aidée et encouragée. La seule chose qui les empêche d’exploiter leur ouverture est la combinaison de la criminalité de Trump et du programme nationaliste blanc impopulaire du Parti républicain, qui limite leur attrait dans les urnes.

Cornel West défie la politique du moindre mal

L’annonce de Cornel West qu’il se présentera à la présidence sur le bulletin de vote du Parti vert a porté ce débat sur le moindre mal à son paroxysme. Joan Walsh a écrit une attaque atroce contre West dans le fleuron du libéralisme du Parti démocrate, The Nation, condamnant toutes les campagnes indépendantes de gauche comme des fauteurs de troubles capables uniquement de remporter des victoires à droite.

Ben Burgis en jacobin défend correctement West contre les calomnies de Walsh, mais accepte son argument de spoiler, conseillant à West d’abandonner le Parti vert et d’imiter Jesse Jackson et Bernie Sanders et de lancer une autre campagne socialiste vouée à l’échec pour la nomination présidentielle au sein du Parti démocrate. Dans un article similaire paru dans The Nation, D.D. Guttenplan et Bhaskar Sunkara condamnent les campagnes de tiers comme étant au mieux peu sérieuses et au pire spoilers.

Les quatre auteurs affirment que si West se présentait à la primaire du Parti démocrate, il pourrait pousser Biden, selon la phrase de Guttenplan et Sunkara, « dans la direction de la compassion et de la justice ». Ils fondent cela sur l’hypothèse erronée que Biden a été influencé par Sanders et que les politiques de l’administration – son keynésianisme impérialiste – n’ont pas seulement été un moindre mal, mais aussi à moitié mesurées, un bien positif.

Ainsi, ils soutiennent que West devrait reprendre le rôle de Sanders et tirer le parti vers la gauche. Guttenplan et Sunkara concluent que ce serait « une bonne chose… pour le Parti démocrate ». Ainsi, loin de défier le moindre mal, ils espèrent que la campagne vouée à l’échec de West la rendra plus acceptable pour un électorat mécontent de Biden. Il est difficile de ne pas appeler cela du chien de mouton pour l’establishment du parti.

À son crédit, West est resté intransigeant, rejetant de tels appels à abandonner la politique indépendante. Alors que tout le monde à gauche devrait être sympathique à sa campagne, malgré les désaccords avec telle ou telle position qu’il prend, la réalité est qu’il n’a pas de base dans la lutte sociale et de classe, est entravé par la politique problématique du Parti vert et sera marginalisé non seulement par le Parti démocrate mais aussi par la grande majorité de la gauche. y compris sa propre organisation, DSA.

Et la campagne partage avec une grande partie de la gauche l’hypothèse que les élections sont le véhicule pour remédier aux crises, à l’exploitation et à l’oppression du capitalisme. En réalité, comme l’attestent les victoires des années 1930 et 1960, les principales avancées remportées par les travailleurs et les opprimés ne l’ont pas été par des campagnes électorales, mais par des luttes sociales et de classe – grèves perturbatrices, occupations, sit-in et manifestations.

Crise et réorientation

La stratégie électoraliste de la gauche au sein du Parti démocrate l’a conduit, ainsi que le DSA, dans une impasse. Le moment est venu de procéder à une réorientation radicale vers une politique indépendante et, surtout, vers la reconstruction de la résistance par le bas dans les lieux de travail et les communautés.

Au lieu de présenter des candidats sur la ligne de vote du Parti démocrate, qui au mieux piège les gens derrière les lignes ennemies, la gauche devrait présenter ses propres candidats sur sa propre ligne de vote pour commencer à établir l’indépendance politique de la classe ouvrière. Cela est particulièrement vrai dans les villes et les districts à parti unique où la domination du Parti républicain ou démocrate neutralise l’argument des trouble-fête.

Mais une telle activité électorale doit être secondaire par rapport à l’organisation de luttes sociales et de classe comme celle illustrée par les grèves des acteurs et des écrivains contre les milliardaires hollywoodiens. Un tel militantisme est la force motrice pour gagner des réformes, le moyen pour les gens de se radicaliser et d’en tirer des leçons, et le contexte dans lequel les organisations socialistes peuvent se développer pour devenir une véritable alternative politique.

L’opportunité d’une telle réorientation est énorme. La crise profonde du système continue de générer une radicalisation vers la gauche et des explosions épisodiques de résistance. Notre priorité absolue devrait être de construire des infrastructures de dissidence – de nouvelles organisations pour les mouvements sociaux et les réseaux de base dans les syndicats – pour soutenir les luttes et pousser à un plus grand militantisme, en particulier les manifestations et les grèves perturbatrices de masse.

Grâce à cette stratégie, nous pouvons relancer la bataille pour notre programme de réformes comme le Green New Deal, l’assurance-maladie pour tous, le mouvement pour définancer la police, le mouvement pour l’ouverture des frontières et les appels à l’avortement gratuit sur demande, à l’abolition de la dette et aux réparations. Ces revendications et la mobilisation en leur faveur ont été laissées s’étioler à mesure que la gauche s’est retirée au cours des deux dernières années.

Il y a aussi un besoin désespéré pour la gauche d’organiser une résistance contre la droite et ses attaques incessantes contre les peuples opprimés comme boucs émissaires des crises dans notre société. Il est temps pour nous de construire une opposition dans les rues à leur guerre contre les études noires, les personnes trans, les droits reproductifs et l’accès, et nos droits démocratiques, surtout si Trump tente à nouveau de les subvertir au cas où il perdrait l’élection présidentielle.

L’horloge tourne avec de multiples crises qui détruisent la vie des gens. Les démocrates n’ont pas d’autre solution à ces problèmes que des liftings qui préservent le système qui les provoque. Les républicains n’ont pas non plus d’autre solution que le fanatisme nationaliste qui ne fera qu’empirer les choses. La gauche doit construire une alternative aux deux, en aidant à mener des luttes pour des réformes immédiates tout en forgeant un nouveau parti socialiste indépendant capable de mener une révolution politique et sociale.

Vues : 401

Suite de l'article

5 Commentaires

  • Les Eparges
    Les Eparges

    Oui, bof ,…!!!

    En sus d’un mal de crâne copieux , merci l’acide acétyl salicylique , je ne sais pas trop quoi penser …

    J. Biden serait donc machiavélique et ferait semblant d’être sénile ?

    La politique et les politiciens sont toujours aussi pourris ?
    Donc , faut les fuir ?

    Les populations et les citoyens sont partout confrontés à des faux dilemmes à travers les élections : choisir entre la peste et le choléra et donc aucun espoir ? .

    Ce qui me fait penser à d’autres situations …!

    “Où fuir la révolte inutile et perverse ?”

    Répondre
    • admin5319
      admin5319

      si effectivement vou attendez que ces gens là vous apportent la solution votre naiveté fait plaisir à voir. En revanche en les lisant on s’aperçoit que les petits crépages de chignon politiciens français sont du même style parce qu’ils refusent de considérer la logique de guerre de leur pseudo-démocratie, encore faut-il savoir lire…

      Répondre
    • Franck Marsal
      Franck Marsal

      Cela va bien au delà de Jo Biden. C’est la vie politique états-unienne et son histoire, notamment celle du parti démocrate qui explique Jo Biden, la politique actuelle et la guerre. Cette histoire politique se noue sur une base anthropologique très différente de celle de nos etats-nation de la vieille europe, ceux où la notion de gauche et de droite a été crée (avec toutes ses limites, mais elle existe) puis le mouvement ouvrier a émergé comme une force politique indépendante.

      Notre défaut habituel est de négliger les données anthropologiques et sociologiques et d’idéaliser le politique. Par exemple, nous pensons qu’en appuyant sur l’idéologie et en prenant des lois pour améliorer l’égalité des hommes et des femmes, nous allons parvenir à cette égalité. Cela ne marche pas, la preuve nous vient directement des USA, qui sont le pays qui a initié ce mouvement, qui a des femmes de premier plan, Secrétaire dEtat, juges de la cour suprême, vice-présidente, etc. Comment se fait-il alors que les USA sont en même temps le pays qui est en train de remettre en cause violemment les droits des femmes en particulier du droit à l’avortement. ET que fait Biden concrètement sur ce sujet à part le garder au chaud comme argument électoral ?

      Quelles sont les caractéristiques de la vie politique américaine ?
      1) Le développement capitaliste états-unien est plus tardif qu’en Europe, d’une part, et surtoutt, il ne se fait pas sur une base nationale (au sens où nous l’entendons ici, d’un développement féodal qui fonde une nation unie, mais sur une base coloniale esclavagiste, notamment au sud.
      2) La phase de construction d’une expression polittique de masse du mouvement ouvrier, que l’Europe a connu à la fin du 19ème siècle a avorté aux USA. Démarré tardivement et handicapée par cette structure sociale arriérée, le Parti Socialiste d’Amérique n’est pas devenu un parti de masse et n’a jamais réussi à s’imposer.
      3) La vie politique de la bourgeoisie américaine est structurée par deux grands partis très anciens et très puissants, le Parti Démocrate, et le Parti Républicain. Historiquement, le Parti Démocrate est le parti de la bourgeoisie du sud, esclavagiste puis ségrégationniste. Le Parti Républicain est le parti de Lincoln. Anti-esclavagiste et moderniste, c’est un parti bourgeois. Il représente la bourgeoisie industrielle, qui a cette époque, compte tenu de la structure sociale très arriérée des USA et face aux esclavagistes, est progressiste. Lincoln recevra d’ailleurs le soutien de Marx dans la guerre de sécession. Le Parti Démocrate est le parti des petits propriétaires, des colons, des planteurs. Fondé par Jefferson, sur une base d’autonomie des états (chacun fait ce qu’il veut chez soi, mentalité tterrienne typique), il est d’emblée confédéraliste. La grande figure du Parti Démocrate au 19ème siècle est Jackson. un militaire et un colonisateur. Le Sud des USA se développe rapidement grâce à la colonisation et à l’escalavage. En 1811, 31 306 personnes, dont 14 706 esclaves vivent sur les États actuels du Mississippi, de l’Alabama et de la Louisiane. En 1820, le Mississippi et l’Alabama réunis comptent 74 693 esclaves : ce nombre double ensuite pour atteindre 183 000 dans les deux États en 1830. Elu président en 1829, Jackson signe immédiatement la loi d’expulsion des amérindiens des états de la côte Est, qui était sa promesse de campagne. 100 000 amérindiens sont déportés et perdent leurs terres. La guerre de Sécession survient en 1861 et voit la défaite des états du Sud, qui seront occupés et privés de leurs droits poliique jusqu’en 1877.

      4) C’est alors que survient une situation paradoxale. A la fin du 19ème siècle, le sud est un bastion démocrate imprenable, quasiment un parti unique et le nord est républicain. Mais les états du Sud sont beaucoup moins peuplés que les états du nord. Pour exister dans les états du nord, le Parti Démocrate va fédérer les “minorités” (dans un premier temps, le minorités “blanches”, nouveaux habitants de l’ouest, nouveaux migrants originaires d’Europes, catholiques et juifs en particulier) se considérant lui-même (les fermiers blancs du Sud) comme une minorité face aux républicains. L’extrême-droite raciste et esclavagiste prend un tournant populiste et victimaire, non sans persévérer dans son racisme, jusque dans la bataille sur les droits civiques. Mais le programme du Parti Démocrate, son sens profond, n’est pas de transformer les USA dans un sens progressiste. C’est d’obtenir en quelque sorte sa réintégration dans la classe dominante bourgeoisie. Il se fera le porte parole de tous ceux qui rèvent d’accèder à cette classe, le parti du pire opportunisme. Il sera le parti d’une aristocratie ouvrière dans les années 30. Encore aujourd’hui, il promeut l’intégration de membres des classes et couches dominées à l’élite y compris pour les classes qu’il a précédemment opprimé avec la plus grande violence, les descendants des esclages et même pour une élite féminine, les Hillary Clinton.

      5) A partir de la révolution russe, une nouvelle tentative va naître dans le mouvment ouvrier américain, la création du Parti Communiste Américain (CPUSA : cpusa.org), en 1919, qui attteindra une influence considérable (que l’on perçoit un peu dans le film Oppenheimer) dans le mouvement ouvrier (il fondera les CIO) et dans la société américaine (il aura jusqu’à 70 000 membres). Il sera le premier parti à défendre ouvertement l’égalité des droits pour les noirs et à s’opposer à la ségrégation raciale. Cependant, il ne parviendra pas à former une force politique capable de concurrencer les partis dominants, finira lui-même par se rallier partiellement au Parti Démocrate et sera quasiment détruit par les contradicttions de la guerre froide. Il n’a cependant pas disparu et reste aujourd’hui une voix alternative aux deux partis bourgeois qui dominent la vie politique américaine.

      Répondre
      • admin5319
        admin5319

        tout à fait d’accord avec cet dimension anthropologique trés présente chez Marx qui apporte une critique à l’économie politique qui est justement la réintroduction de cette diension, comme le dit Engels l’économie déterminante en dernière intense à la fois parce qu’il faut réintroduire le développement scientifique et technique dans la relation ds êtres humains à la nature, ces êtres humains n’étant jamais seuls pour ce faire. Ensuite parce qu’il y a le terrain sur lequel les individus prenent conscience de la nécessité de la lutte des classes.
        Mais il ne s’agit pas seulement de la société nord américaine, il s’agit de l’americanisation par le biais des représentations, des insitutitutions politiques, ce qu’Althusser reprenant gramsci appelait les appareils idéologiques. Cet ensemble depuis Mitterrand a été profondément transformé au niveau des “élites” et ce texte ne décrit pas que les apories des “démocrates”, leur incapacité à percevoir la logique de guerre concerne bien la gauche politique française.

        Répondre
        • Franck Marsal
          Franck Marsal

          On est bien d’accord. D’ailleurs, le Parti Démocrate a profondément influencé la gauche française après 1945 et probablement avant. Cette dimension de “défense des minorités”, au nom d’une intégration sociale aux élites qui ne peut concerner par définition qu’une minorité de la minorité est très présente dans la gauche française. Tout comme la victimisation des classes populaires et l’effacement de la question sociale en tant que combat d’émancipation. La dialectique “exclusion / intégration” a été substituée à “exploitation / émancipation”.

          Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.