Voici un des rares reportages français qui a pris la peine d’aller voir ce qui se passait du côté russe du front et qui a une description factuelle. Cette description correspond à ce que Marianne tous les jours vous traduit. Dire que “la Russie est un “état social” est sans doute excessif si l’on en croit les protestations de nos camarades du KPRF sur le sujet (toujours les traductions de Marianne) mais il y a en Russie des droits qui subsistent de l’URSS et les violer (comme dans le cas récent de l’augmentation de l’âge des retraites) est une rupture du “pacte social” très grave. Un des effets de la guerre a été un renforcement du rôle de l’Etat non seulement sur le plan de la production d’armes mais d’intégration des nouvelles populations du Donbass. On ressort les acquis soviétiques comme le drapeau rouge redouble celui tricolore. Enfin ce reportage nous présente une armée russe sans défaitisme et désespoir tel que l’on a coutume de devoir la peindre sur nos plateaux de télévision et dans notre presse. Anissa El Jabri l’auteur de l’article, correspondant du Point à Moscou a souvent sorti des articles plus dignes d’une journaliste que la plupart des correspondants français et surtout des pseudos spécialistes et éditorialistes qui vont à la soupe sur les plateaux de télévision. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Article de Anissa El Jabri •1hUn soldat tenant le drone Kube.© Anissa El Jabri/RFI
Après plus de deux mois de contre-offensive ukrainienne et à l’heure où des Occidentaux sous couvert d’anonymat commencent à faire part de leurs doutes, pour la Russie, le verdict est déjà tombé : il n’est plus possible pour Kiev de renverser le cours des événements. Aujourd’hui, l’armée russe s’enorgueillit de ses atouts qui lui ont permis de tenir le choc, en particulier les drones.
De notre envoyée spéciale à Donetsk et Mélitopol,
« Celui-là est simplement contrôlé par un joystick et la vidéo est diffusée dans ce masque que met le soldat. Il peut aussi regarder la photo ici, c’est contrôlé directement par la caméra ». Quelque part dans la banlieue de Donetsk, dans un endroit à l’abri des regards et présenté comme « sûr », le chef adjoint de l’unité drone et support technique du bataillon « cascade » de l’armée russe commente la manœuvre de son opérateur, concentré. En quelques secondes à peine, le si caractéristique léger ronronnement strident d’un drone retentit. Ce modèle est un banal FPV, qu’on peut trouver partout en grande distribution.
Mais juste à côté, ce responsable en cagoule kaki a disposé six autres appareils. De quelques dizaines de centimètres à peine d’envergure à quelques mètres, ce sont les drones à l’efficacité meurtrière, abondamment utilisés par l’armée russe. Leur éventail destructeur est large : des cibles humaines mouvantes ou statiques au matériel lourd.
Il y a d’abord le Kube, mais surtout un atout maître : le Lancet. Fuselage gris clair d’environ 1,60 mètre, quatre ailes et une hélice à l’arrière, ce drone explosif est une arme de choix. « Les cibles du Lancet, c’est simple : c’est tout ce qui se trouve à sa portée. Des chars qui passent à l’offensive, des véhicules blindés et même des voitures. Egalement aussi, les canons, l’artillerie automotrice, les stations radars et les radars, les systèmes de défense aérienne… La contre-batterie, c’est en fait devenu sa carte de visite. C’est là-dessus qu’il s’est montré le plus efficace », détaille le soldat.
Des drones ? « Plus vous en avez, mieux c’est »
Les canons de 155 millimètres fournis par les occidentaux semblent en particulier avoir beaucoup souffert de cette munition rôdeuse. Sa première version a été utilisée en Syrie en 2019, mais sa version aboutie, le Lancet 3, est massivement utilisée par la Russie depuis l’automne dernier. D’un coût modeste estimé entre 20 et 40 000 dollars, ce drone de 12 kilos semble imperméable aux régimes de sanctions mis en place contre Moscou.
Signe de l’importance de ces armes, le Kremlin rendait publique mardi cette rencontre entre le président russe et le dirigeant du consortium Rostec, Sergueï Chemezov. Vladimir Poutine y déclarait notamment : « le Kube et le Lancet se sont révélés très efficaces et très puissants. Ce n’est pas seulement qu’ils brûlent n’importe quel équipement, y compris de fabrication étrangère, mais aussi qu’ils détruisent les munitions. Les producteurs m’ont promis qu’ils augmenteraient la quantité de production. Ils tiennent cette promesse, mais il faut l’augmenter encore ». « Il n’y a pas de besoin urgent », précise toutefois le chef adjoint de l’unité drone et support technique du bataillon cascade. « Bien sûr, la production doit être augmentée car les drones sont des armes qui se consomment très vite. Il y a des pertes, il y a des tirs, il y a parfois des atterrissages brutaux, etc. C’est juste comme les munitions pour une mitrailleuse. Plus vous en avez, mieux c’est », estime-t-il.
Ces drones, RFI n’a pas été autorisé à les voir opérer dans la région de Lyman et Kreminna, là où Serguei Shoigu, selon le ministère de la Défense, s’est déplacé la semaine dernière et où l’armée russe clame désormais quasi quotidiennement faire des gains territoriaux. Impossible aussi dans la partie de la région de Zaporijjia, dirigée par une administration installée par la Russie où RFI s’est rendu. Quant aux lignes de fortification, elles ont beau être photographiées et cartographiées précisément depuis de long mois via satellite et être un élément majeur de la résistance russe à la contre-offensive ukrainienne, là aussi, il est interdit de s’en approcher.
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Du bruit et de la fureur des combats, du déroulé crucial de cette phase du conflit côté russe, on ne saura rien. Tout est verrouillé. L’accès accordé – très rare – à la région a d’ailleurs été limité à Mélitopol et à la route en venant de Donetsk.
L’emprise russe
Dans cette région en partie en proie aux combats et sous loi martiale depuis l’automne dernier, la Russie va organiser dans cette partie de la région de Zaporijjia un scrutin régional début septembre. L’annonce officielle a été faite dès le 15 juin dernier et les candidatures sont « en cours d’examen », dit Galina Anatolyevna Katouchenko, la présidente de la commission électorale régionale. Quels profils seront présentés à la population ? Des locaux ou bien des représentants venus de Russie ? Le mystère est entretenu jusqu’au 17 août, date de la clôture des candidatures. « Le vote physique aura lieu le 10 septembre, explique Galina Anatolyevna Katouchenko, sauf pour les zones en proie aux combats ». « Dans celles-là, nous enverrons des équipes mobiles à partir du 31 août. Nous organisons en ce moment même la formation du personnel qui va y être envoyé », ajoute-t-elle.
Les autorités locales annoncent près de 500 000 personnes sur les listes électorales. « Pour l’instant, nous allons avoir une procédure de vote simplifiée, les gens pourront voter avec de vieux passeports ukrainiens et ou tout autre document d’identité », explique Sergey Alexandrovich Tolmachev , adjoint du gouverneur installé par la Russie. « À ce jour, environ 350 000 passeports russes ont déjà été délivrés. Le processus est toujours en cours et je pense que d’ici l’élection présidentielle d’avril, tout le monde pourra obtenir un passeport russe d’une manière ou d’une autre pour voter ».
Pour accélérer encore sa politique de « passeportisation », Moscou joue à la fois de la carotte et du bâton. Sans passeport russe, la retraite minimale est de 10 000 roubles. Mais avec, elle peut doubler. Les autorités locales soulignent aussi que la Russie verse à ses citoyens une allocation maternelle, une somme de « 500 000 roubles » à la naissance d’un enfant. Sans compter ce que peuvent encore ajouter certaines régions, insiste Sergey Alexandrovich Tolmachev pour qui « la Russie est un état social ».
« Touristes, n’annulez pas vos vacances en Crimée ! »
Le pays dirigé par Vladimir Poutine investit aussi énormément dans les infrastructures routières locales. Circuler sur la route qui longe par l’intérieur des terres la mer d’Azov, de Donetsk à Mélitopol, c’est avoir les narines et la gorge piqués par le goudron en cours d’application. Entre les champs de tournesol, le ruban d’asphalte bleu foncé brille de frais dans le soleil plombant du mois d’août. Sur la route s’activent des ouvriers en veste orange et les véhicules de chantier, grues et camion, sont légion. Élargissement de la route, des ponts.. la Russie marque son emprise absolument partout. Il faut dire que les axes routiers sont pour Moscou prioritaires.
Comme un écho de ce qu’on pouvait lire dans la presse légitimiste au lendemain de l’attaque sur le pont de Kertch du 17 juillet dernier : « Touristes, n’annulez pas vos vacances en Crimée ! Allez-y et passez par “les nouvelles régions” (la formule en Russie pour les territoires annexés, ndlr) ». Carte de la zone et listes de conseils à l’appui en forme de drôle de prélude pour les vacances, comme : « ne comptez pas sur une pause pipi dans la nature : tous les bas-côtés et les champs peuvent être minés ». Il est également recommandé dans la presse et sur certaines chaînes Telegram de faire le plein avant de partir et d’acheter de l’eau potable en quantité. Et surtout, de ne pas s’attarder et faire « tout ce que les militaires demandent ».
Aux nombreux barrages routiers, ils peuvent en effet vite se montrer tendus. La présence de vitres teintées à l’arrière d’une voiture, pourtant plutôt banale dans la région, peut déclencher un contrôle appuyé. Barbelés sur certains parapets de la route, ballet d’hélicoptères au-dessus des voitures, et même quelques débris de missiles très soigneusement rangés sur le bas-côté… Nombreux sont les rappels qu’on se bat à quelques 150 kilomètres plus loin.
Ici, personne n’a envie de bavarder. Dans les stations-services, on fait son plein rapidement et on ne s’attarde pas. Refusant de s’exprimer au micro, un couple de russes installés en Crimée et revenant d’un rendez-vous professionnel à Moscou confiait quand même lundi trouver le trajet « pesant ». Apprenant la veille que deux des trois points de passage vers la Crimée avaient été bombardés, ces deux quarantenaires ont même hésité à faire demi-tour, avant de se décider à finir le reste du chemin vers la Crimée, un œil sur la route, un autre sur les informations distribuées par les chaînes Telegram.
Dans un des rares cafés d’étape ouvert sur la route, on confirme avoir vu la clientèle doubler et, malgré tout, voir passer des familles. Dans ce havre de fraîcheur climatisé, on y rencontre d’ailleurs grand-mère, mère et enfant de 10 ans, en route tout sourire pour les plages du sud de la Crimée : « Si un obus ne nous est pas envoyé, alors pour moi tout va bien », assène la grand-mère, menu à la main. Ce trio venait de Donetsk, territoire en conflit depuis 10 ans et particulièrement à nouveau sous le feu ukrainien depuis un an.
« Aller jusqu’au bout et tout détruire »
Péripéties que ces bombardements ukrainiens sur leurs axes stratégiques ? Pour les soldats russes rencontrés à Donetsk en tout cas, peu importe, les jeux sont faits. « Mon opinion, c’est que leur contre-offensive a été très médiatisée et que ça s’est avéré pire pour eux », avance le soldat « Siga » à Donetsk devant ses drones. « Deux ou trois semaines, voire même un mois de plus ne changeront rien, (les Ukrainiens) échoueront. Il y a eu une sorte de hype avec tous leurs trucs de l’Otan. On est en train de tout brûler. Ils ont présenté leurs véhicules et leurs armes comme invincibles. Mais c’est l’attitude des gens qui compte et l’attitude de notre peuple est d’aller jusqu’au bout et de tout détruire », assène-t-il, un léger sourire sous sa cagoule vert kaki.
Son responsable, lui, a des mots tout aussi tranchants. Fier de ces fameuses lignes de fortifications édifiées pendant l’hiver dernier : « Ils ont voulu mordre et ils se sont cassés les dents. Et ça y est, ils se sont rendus compte que non, ça n’allait pas se passer comme ça et c’est sans équivoque. De grands succès comme ils les avaient planifiés, comme couper le corridor terrestre vers la Crimée, tout ça, rien n’a marché. Vous allez voir, cet automne, ils vont venir s’excuser et dire “allez, c’est fini les gars, négocions” ». Augmentation des effectifs de l’armée, pays passé depuis presque un an en économie de guerre, le pouvoir politique russe, lui, ne cache rien de son intention : tenir et mener un conflit aussi long qu’il le faudra pour atteindre ses objectifs. Convaincu que le temps est son allié.
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