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Des millions de personnes auront besoin d’aide alimentaire dans les jours à venir, alors que le virus expose les failles de l’approvisionnement au Royaume-Uni

Les associations du secteur alimentaires sonnent l’alerte : une spirale de la faim va se former si le gouvernement n’intervient pas.

https://www.theguardian.com/world/2020/mar/27/millions-to-need-food-aid-in-days-as-virus-exposes-uk-supply

Des millions de personnes au Royaume-Uni auront besoin d’une aide alimentaire dans les jours à venir. Les organisations caritatives alimentaires lancent un avertissement, car l’épidémie de coronavirus menace de se transformer rapidement en une crise de la faim si le gouvernement n’agit pas immédiatement pour réinventer la façon dont nous nous procurons de quoi manger.

En quelques semaines seulement, selon les experts, la pandémie a mis en évidence l’extraordinaire fragilité du système alimentaire. Et ils s’inquiètent de savoir s’il résistera aux pressions croissantes attendues dans les semaines et les mois à venir.

Les systèmes de distribution des supermarchés, basés sur des chaînes d’approvisionnement à flux tendu ont du mal à faire face à une hausse soudaine de la demande depuis l’arrivée de Covid-19. La préoccupation la plus urgente est de trouver un moyen de nourrir les personnes les plus vulnérables et les plus isolées du pays.

Les chiffres produits par la Food Foundation à partir des statistiques gouvernementales suggèrent qu’environ 17 millions de personnes entrent dans la catégorie à plus haut risque du coronavirus, soit parce qu’elles sont âgées, ont des problèmes de santé sous-jacents ou sont enceintes. Au moins 860 000 personnes de cette catégorie avaient déjà du mal à se procurer suffisamment à manger avant la crise. Et au moins un million d’entre elles déclarent se sentir toujours ou souvent seules, et peuvent donc avoir du mal à trouver des personnes pour leur apporter à manger.

Anna Taylor, directrice de la Fondation pour l’alimentation, a déclaré qu’entre 4 et 7 millions de personnes appartenant à des catégories à faible risque sont également touchées par une grave insécurité alimentaire ou par la solitude, et que le fait de devoir s’isoler pourrait donc les faire basculer dans la crise.

“Ces chiffres montrent l’ampleur du défi que représente Covid-19”, a-t-elle déclaré. “Le leadership du gouvernement pour apporter une réponse coordonnée avec les autorités locales, les organisations caritatives et les entreprises est désespérément nécessaire”.

Tim Lang, professeur de politique alimentaire à la City University de Londres et ancien conseiller du gouvernement, a déclaré que les ministres ont travaillé sur l’hypothèse que l’alimentation en Grande-Bretagne peut être laissée au marché et aux grands distributeurs. Les ministres  discutent avec les directeurs  des supermarchés pendant la pandémie, Tim Lang affirme qu’ils ne comprennent pas les faiblesses structurelles du système alimentaire et l’ampleur de la pauvreté alimentaire.

“La ligne officielle est que tout est parfait et que tout irait bien si seulement ces idiots de consommateurs arrêtaient de paniquer. Ce n’est pas le cas”, a-t-il déclaré. “Le système  en flux tendu est en train de s’effondrer. Le gouvernement ne s’est adressé qu’à un nombre restreint de personnes dans l’industrie plutôt qu’aux autorités locales et aux associations, qui savent où se trouvent les personnes vulnérables”.

M. Lang a ajouté : “Les frontières se ferment, le trafic de camions est ralenti et contrôlé. Nous ne produisons que 53 % de notre propre nourriture au Royaume-Uni. C’est un échec de la planification du gouvernement”.

En temps normal, environ 30 % des calories sont consommées chaque jour en dehors de la maison, dans les restaurants, les cafés et les cantines. Le confinement a considérablement augmenté la quantité de nourriture que les gens consomment à la maison, dont la plupart provient des supermarchés.

Les pénuries se sont atténuées ces derniers jours, mais de nombreux produits sont toujours en rupture de stock et les rayons des supermarchés ne vont pas retrouver leur aspect normal avant longtemps.

“Les ménages ont acheté pour environ 1 milliard de livres sterling de nourriture et de produits d’épicerie supplémentaires au cours des deux ou trois dernières semaines. C’est comme Noël, mais en pire, car cela a duré trois fois plus longtemps”, a déclaré Andrew Opie, directeur de l’alimentation au British Retail Consortium, l’association professionnelle des supermarchés.

Le problème, selon M. Opie, est “purement logistique”. Il y a de la nourriture, mais pas la capacité en termes de camions, de chauffeurs, d’emballeurs et d’employés dans les entrepôts pour la livrer plus rapidement. Les supermarchés sont en train de recruter des milliers de travailleurs supplémentaires, font rouler les camions pendant ce qui était autrefois des heures de couvre-feu, et réduisent leurs gammes pour qu’il y ait moins de choix. “Nous sommes loin d’une économie de guerre, mais les supermarchés ne ressembleront pas à ce qu’ils étaient en 2019 [dans un avenir prévisible]”, a ajouté M. Opie.

Les supermarchés ont mis en place des chaînes d’approvisionnement d’une immense complexité et sophistication au cours des quatre dernières décennies, offrant aux clients un choix de plus de 40 000 denréesvenues du monde entier – des dizaines de sortes de pâtes différentes et un été mondial permanent de fruits et légumes frais.

Pour ce faire, ils ont mis en place de longues chaînes d’approvisionnement internationales et ne gardent que peu de produits en stock. Les rayons sont constamment réapprovisionnés à partir de centres de distribution centralisés où, toutes les 24 heures, des milliers de produits sont acheminés par camion depuis les fournisseurs pour être déchargés, réorganisés, rechargés et envoyés à nouveau dans les magasins.

La logistique est contrôlée par la lecture de codes-barres et des algorithmes complexes, avec peu de marge de manœuvre dans le système, de sorte qu’une augmentation soudaine de la demande peut rapidement devenir ingérable.

Les conséquences d’une chaîne d’approvisionnement perturbée seront particulièrement graves pour les millions de ménages dont les revenus sont si faibles qu’ils dépendent des banques alimentaires ou des repas gratuits à l’école ou dans les garderies, qui ont maintenant fermé.

Les autorités locales et les autres organisations de lutte contre la pauvreté alimentaire qui souhaitent intervenir pour fournir directement à manger aux personnes vulnérables ont exprimé leur frustration face à l’absence de directives claires ou de financement de la part du gouvernement central. Ils demandent aux ministres de maintenir ouverts les réseaux alternatifs aux supermarchés et d’utiliser l’armée si nécessaire pour s’assurer que la nourriture parvient aux gens.

“Les banques alimentaires ne seront pas en mesure de faire face au niveau extrêmement élevé des besoins et ne sont pas une solution lorsqu’on demande aux gens de minimiser leurs contacts avec les autres”, a déclaré KathDalmeny, responsable de Sustain, l’alliance alimentaire et agricole. “Le plus important est que le gouvernement endigue le flux de personnes ayant besoin d’aide alimentaire en donnant aux ménages à faible revenu de l’argent directement pour faire leurs courses eux-mêmes”.

Elle a ajouté : “Nous pourrions avoir besoin de l’armée pour superviser la biosécurité parmi les livreurs et les employés, par exemple dans les cuisines des écoles, les centres d’approvisionnement et pour imposer la distanciation sociale lorsque les gens viennent chercher de l’approvisionnement”.

Le ministre de la santé, Matt Hancock, a annoncé le week-end dernier que le gouvernement avait identifié quelque 1,5 million de personnes en Angleterre qui étaient les plus vulnérables au Covid-19 et leur conseillait de rester chez elles en permanence au cours des 12 prochaines semaines, en promettant que les autorités militaires aideraient à mettre en place un nouveau système pour livrer des courses à ceux qui n’ont pas de soutien familial.

La première vague de colis alimentaires devrait bientôt être distribuée à environ 300 000 personnes identifiées grâce à leurs ordonnances médicales, mais la Food Foundation a déclaré que ces colis ne représentaient que “la partie émergée de l’iceberg” des besoins.

Le gouvernement travaille également sur un programme destiné aux parents des 1,6 million d’enfants qui bénéficiaient de repas scolaires gratuits, avec des bons d’achat pouvant être échangés dans les supermarchés. Les associations, cependant, soutiennent que les bons devraient pouvoir être utilisés pour des repas équilibrés sur le plan nutritionnel dans les cuisines des écoles, qui pourraient rester ouvertes.

Ils soulignent que cela permettrait également d’utiliser les tonnes de nourriture qui sont restées bloquées dans le système de vente en gros lorsque les entreprises qui approvisionnent les pubs, les bars, les cafés et les restaurants ont été obligées de fermer et ont perdu leur activité du jour au lendemain.

Ce stock ne peut pas être détourné vers les détaillants parce qu’il est emballé en vrac et étiqueté de façon inadéquate. “Tout le secteur de la restauration travaille dur pour trouver un moyen de mettre ces aliments sur le marché, mais vous lui demandez de reconcevoir toute une chaîne d’approvisionnement en temps réel. Ce n’est pas aussi simple que d’appuyer sur un bouton”, a déclaré Andrew Kuyk, directeur général de la Provision Trade Federation.

L’industrie voit d’autres menaces se profiler à l’horizon proche. Le système alimentaire britannique repose en grande partie sur une main-d’œuvre bon marché et très flexible, qui peut être embauchée et congédiée comme on ouvre et on ferme un robinet. Maintenant cette source est tarie, quand Brexit, les restrictions de mouvement et la peur de la maladie éloignent les migrants qui font généralement ce travail.

Les Britanniques sans emploi ont répondu aux appels des agriculteurs et des transformateurs de produits alimentaires pour combler les lacunes avec une nouvelle armée de terre, mais avec la saison des récoltes qui n’est que dans quelques semaines, de nombreux prestataires de main-d’œuvre disent qu’ils sont toujours confrontés à d’énormes manques. La British Meat Processors Association a également averti que les usines de viande rouge et de volaille risquent d’être gravement perturbées si, comme prévu, jusqu’à 20 % de leur personnel tombe malade ou est mis en quarantaine.

Le quartier londonien de Newham, une zone de forte insécurité alimentaire, est l’une des nombreuses municipalités qui s’efforcent depuis la semaine dernière de mettre en place un nouveau système de distribution alimentaire.

Il crée environ huit nouveaux centres à partir desquels les enfants de familles à faible revenu et les adultes isolés peuvent se faire livrer de la nourriture à leur domicile. “Nous disposons des données nécessaires pour identifier les personnes susceptibles d’être en difficulté, et nous avons mobilisé du personnel”, a déclaré son directeur de la santé publique, Jason Strelitz, mais le conseil municipal attend toujours que le gouvernement engage des fonds.

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