Analyse de deux grands intellectuels du “tiers monde”, un indien et un africain. Il faut bien voir ce qui se joue, et comment les anciennes institutions sur lesquelles les occidentaux ont encore quelque pouvoir (comme l’OEA en Amérique latine) sont bloquées par l’apparition d’une nouvelle orientation continentale. Dimanche, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), dirigée par le président nigérian Bola Tinubu, sous la pression des USA, de la France et de la Grande-Bretagne a décidé de sanctions contre les putschistes qui ont renversé le président élu Mohamed Bazoum il y a une semaine. En plus d’un ultimatum d’une semaine pour rétablir l’ordre constitutionnel et la suspension des transactions financières avec le Niger, le blocage des ports (Bénin) la Cédéao a décrété le gel de “toutes les transactions de service, incluant les transactions énergétiques”. A cette situation de blocus précédant une intervention française et américaine qui ont des milliers de soldats au Niger, le Mali et le Burkina Faso, dignes de Sankara et qui ont déclaré “la patrie ou la mort” ont dit que si on touchait au Niger, ils rentreraient en guerre alors qu’ils appartiennent au Cédéao). C’est-à-dire que l’idée d’une vraie guerre mondiale commence à surgir non au niveau des chefs d’Etat mais bien dans la jeunesse africaine. Suivis par la Guinée Bissao et surtout l’Algérie. Le poids de cette dernière est particulièrement déterminant parce qu’ayant une vraie alliance avec la Russie elle peut solliciter son intervention (1). Le Nigeria qui est le pays le plus peuple d’Afrique (215 millions d’habitants) a joué un rôle central dans l’ultimatum envoyé au Niger relayant en coulisse les desiderata occidentaux, ceux de la France mais aussi de la Grande-Bretagne et des USA. Mais ce géant est un colosse au pied d’argile qui court non seulement derrière sa réputation passée de poids lourd influent dans la région, il est la proie de problèmes internes et totalement absent des débats régionaux ces dernières années, il souhaite aussi éviter davantage de problèmes sur son territoire. “Le Nigeria aurait le plus à craindre d’une déstabilisation du Niger, car il partage une frontière de plus de 1.600 kilomètres que les forces de sécurité trop sollicitées ne pourraient pas protéger correctement”, explique James Barnett, chercheur au Hudson Institute, à Washington. Bref, la pseudo communauté africaine éprise de “démocratie” est un mythe auquel malheureusement une certaine gauche française voulait croire… pour poursuivre sa ligne pro-otan et son néo colonialisme. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
PAR VIJAY PRASHAD: KAMBALE MUSAVULIFacebook (en anglais)GazouillerRedditMessagerie électronique
Le Niger est le quatrième pays du Sahel à connaître un coup d’État anti-occidental
Le 26 juillet 2023, à 3 heures du matin, la garde présidentielle a arrêté le président Mohamed Bazoum à Niamey, la capitale du Niger. Les troupes, dirigées par le général de brigade Abdourahmane Tchiani, ont fermé les frontières du pays et déclaré un couvre-feu. Le coup d’État a été immédiatement condamné par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, par l’Union africaine et par l’Union européenne. La France et les États-Unis – qui ont des bases militaires au Niger – ont déclaré qu’ils surveillaient la situation de près. Un bras de fer entre l’armée – qui prétendait être pro-Bazoum – et la garde présidentielle menaçait la capitale, mais il s’est rapidement interrompu. Le 27 juillet, le général Abdou Sidikou Issa de l’armée a publié une déclaration disant qu’il accepterait la situation pour « éviter une confrontation meurtrière entre les différentes forces qui… pourrait provoquer un bain de sang. Le général de brigade Tchiani s’est rendu à la télévision le 28 juillet pour annoncer qu’il était le nouveau président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).
Le coup d’État au Niger fait suite à des coups d’État similaires au Mali (août 2020 et mai 2021) et au Burkina Faso (janvier 2022 et septembre 2022) et en Guinée (septembre 2021). Chacun de ces coups d’État a été mené par des officiers militaires irrités par la présence des troupes françaises et américaines et par les crises économiques permanentes infligées à leurs pays. Cette région d’Afrique – le Sahel – a fait face à une cascade de crises : l’assèchement des terres en raison de la catastrophe climatique, la montée du militantisme islamique en raison de la guerre de l’OTAN en Libye en 2011, l’augmentation des réseaux de contrebande pour le trafic d’armes, d’êtres humains et de drogues à travers le désert, l’appropriation des ressources naturelles – y compris l’uranium et l’or – par des entreprises occidentales qui n’ont tout simplement pas payé adéquatement pour ces richesses. et l’enracinement des forces militaires occidentales par la construction de bases et le fonctionnement de ces armées en toute impunité.
Deux jours après le coup d’État, le CNSP a annoncé les noms des 10 officiers qui dirigent le CNSP. Ils viennent de toute la gamme des forces armées, de l’armée de terre (général Mohamed Toumba) à l’armée de l’air (colonel major Amadou Abouramane) à la police nationale (directeur général adjoint Assahaba Ebankawel). Il est désormais clair que l’un des membres les plus influents du CNSP est le général Salifou Mody, ancien chef d’état-major de l’armée et chef du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie, qui a dirigé le coup d’État de février 2010 contre le président Mamadou Tandja et qui a gouverné le Niger jusqu’à ce que le prédécesseur de Bazoum, Mahamadou Issoufou, remporte l’élection présidentielle de 2011. C’est pendant le mandat d’Issoufou que le gouvernement des États-Unis a construit la plus grande base de drones au monde à Agadez et que les forces spéciales françaises ont tenu garnison dans la ville d’Irlit pour le compte de la société minière d’uranium Orano (anciennement une partie d’Areva).
Il est important de noter que le général Salifou Mody est perçu comme un membre influent du CNSP compte tenu de son influence dans l’armée et de ses contacts internationaux. Le 28 février 2023, Mody a rencontré le chef d’état-major interarmées des États-Unis, le général Mark Milley, lors de la Conférence des chefs d’état-major africains de la défense à Rome pour discuter de « la stabilité régionale, y compris la coopération antiterroriste et la poursuite de la lutte contre l’extrémisme violent dans la région ». Le 9 mars, Mody s’est rendu au Mali pour rencontrer le colonel Assimi Goïta et le chef d’état-major de l’armée malienne, le général Oumar Diarra, afin de renforcer la coopération militaire entre le Niger et le Mali. Quelques jours plus tard, le 16 mars, le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’est rendu au Niger pour rencontrer Bazoum. Dans ce que beaucoup au Niger ont perçu comme une mise à l’écart de Mody, il a été nommé le 1er juin ambassadeur du Niger aux Émirats arabes unis. Mody, dit-on à Niamey, est la voix à l’oreille du général de brigade Tchiani, chef d’État titulaire.
La corruption et l’Occident
Une source très informée au Niger nous dit que la raison pour laquelle l’armée a agi contre Bazoum est qu’« il est corrompu, un pion de la France. Les Nigériens en avaient marre de lui et de sa bande. Ils sont en train d’arrêter les membres du système déchu, qui ont détourné des fonds publics, dont beaucoup se sont réfugiés dans des ambassades étrangères. La question de la corruption plane sur le Niger, un pays qui possède l’un des gisements d’uranium les plus lucratifs au monde. La « corruption » dont on parle au Niger ne concerne pas les pots-de-vin mesquins des fonctionnaires du gouvernement, mais toute une structure – développée pendant la domination coloniale française – qui empêche le Niger d’établir sa souveraineté sur ses matières premières et sur son développement.
Au cœur de la « corruption » se trouve la soi-disant « joint-venture » entre le Niger et la France appelée Société des mines de l’Aïr (Somaïr), qui possède et exploite l’industrie de l’uranium dans le pays. Il est frappant de constater que 85% de Somaïr appartient au Commissariat français à l’énergie atomique et à deux sociétés françaises, tandis que seulement 15% appartient au gouvernement nigérien. Le Niger produit plus de 5 % de l’uranium mondial, mais son uranium est de très haute qualité. La moitié des recettes d’exportation du Niger provient de la vente d’uranium, de pétrole et d’or. Une ampoule sur trois en France est alimentée à l’uranium du Niger, alors que 42% de la population du pays africain vit en dessous du seuil de pauvreté. Le peuple nigérien a vu sa richesse lui glisser entre les doigts pendant des décennies. Signe de la faiblesse du gouvernement, au cours de la dernière décennie, le Niger a perdu plus de 906 millions de dollars dans seulement 10 cas d’arbitrage intentés par des sociétés multinationales devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements et la Chambre de commerce internationale.
La France a cessé d’utiliser le franc en 2002 lorsqu’elle est passée au système de l’euro. Mais, quatorze anciennes colonies françaises ont continué à utiliser la Communauté financière africaine (CFA), qui donne d’immenses avantages à la France (50% des réserves de ces pays doivent être détenues dans le Trésor français et les dévaluations de la CFA par la France – comme en 1994 – ont des effets catastrophiques sur les pays qui l’utilisent). En 2015, le président tchadien Idriss Déby Itno a déclaré que le CFA « tire les économies africaines vers le bas » et que le « temps était venu de couper le cordon qui empêche l’Afrique de se développer ». On parle maintenant à travers le Sahel non seulement du retrait des troupes françaises – comme cela a eu lieu au Burkina Faso et au Mali – mais aussi d’une rupture avec l’emprise économique française sur la région.
Le nouveau non-alignement
Lors du sommet Russie-Afrique de 2023 en juillet, le dirigeant du Burkina Faso, le président Ibrahim Traoré, portait un béret rouge qui faisait écho à l’uniforme du dirigeant socialiste assassiné de son pays, Thomas Sankara. Traoré a vivement réagi à la condamnation des coups d’État militaires au Sahel, y compris à une récente visite dans son pays d’une délégation de l’Union africaine. « Un esclave qui ne se rebelle pas ne mérite pas la pitié », a-t-il dit. « L’Union africaine doit cesser de condamner les Africains qui décident de lutter contre leurs propres régimes fantoches de l’Occident. »
En février, le Burkina Faso a accueilli une réunion à laquelle ont participé les gouvernements du Mali et de la Guinée. À l’ordre du jour figure la création d’une nouvelle fédération de ces États. Il est probable que le Niger sera invité à participer à ces conversations.
Cet article a été produit par Globetrotter.
Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est rédacteur et correspondant en chef chez Globetrotter. Kambale Musavuli, originaire de la République démocratique du Congo (RDC), est une voix politique et culturelle congolaise de premier plan. Basé à Accra, au Ghana, il est analyste politique au Centre de recherche sur le Congo-Kinshasa.
(1) je dois dire mon émotion et j’imagine celle des Cubains, eux un des rares peuples venus aider les africains et qui est reparti du continent seulement avec les os de ses soldats… j’imagine l’émotion de Risquet en entendant ces jeunes hommes revendiquer une attitude anti-impérialiste en reprenant le slogan “la patrie ou la mort”.
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