Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Éduquer à l’échec et la défaite comme le propose Pasolini

Est-ce qu’il s’agit d’échec, de défaite réellement ?

A l’heure des bilans, même s’il n’en a pas le génie, chacun peut ouvrir le dialogue avec Pasolini sur le sens d’une vie. Notre génération et même la suivante celle des babyboomers est en train de disparaitre et je suis préoccupée non par cet inéluctable mais par ce que nous pouvons transmettre d’utile à la jeune génération très menacée. Donc, tout à fait d’accord avec Pasolini sur le refus d’être “un gagnant” tel que me le suggère le capitalisme. Je le dis avec honnêteté et sans emphase, ce choix, je l’ai comme lui mis en œuvre sans jamais déroger rien n’y personne ne m’a offert un prix qui vaille la peine de trahir et de me trahir. Pour l’individu ordinaire que je suis le choix est peut-être plus simple ne s’y mêle pas la tension vers la création, et là pour moi il y a joie de vivre encore et jusqu’au bout, une plénitude, à l’inverse de Pasolini il n’y a pas échec mais victoire, une paix à laquelle on ne s’attendait pas et qui vous comble. C’est là ce que je voudrais dire à la jeunesse, et qui est de la plus grande utilité, je vous assure que ça en vaut la peine. Mais il ne faut pas confondre la victoire de l’individu, qui, face à l’injustice, a refusé d’en adopter les valeurs, avec le fait que notre combat est tendu vers la victoire et met en œuvre tout le nécessaire pour l’emporter. L’idée d’éduquer à l’échec peut être juste mais il faut dénoncer la culture de l’échec. D’ailleurs Pasolini à l’inverse du dérisoire Nanni Moretti n’a jamais chanté la désillusion, au contraire.
Depuis trente ans , nous avons vécu les temps obscurs de la contrerévolution. Ce chemin-là, celui de certaines résistances individuelles, s’est confondu avec l’histoire. Cela a réellement pris forme dans les années soixante puis tout s’est peu à peu obscurci, les nuages étaient simplement en train de s’accumuler du côté du Chili. Nous étions alors dans un sentiment de victoire, celui de la guerre du Vietnam, mais peut-être avions-nous conscience de la fragilité du répit et que loin d’être dans un tournant décisif, le socialisme serait reporté et que nous devrions nous lancer dans un marathon pour humiliés. Je repense à ce film de cette époque, La Solitude du coureur de fond (titre original : The Loneliness of the Long Distance Runner). C’est un film britannique réalisé par Tony Richardson, sorti en 1962. Colin Smith est un jeune prolétaire révolté qui, à la suite d’un vol commis dans une boutique, est placé dans un centre d’éducation surveillée. Pratiquant la course de fond, il s’évade de son morne quotidien en rêveries durant ses courses solitaires. Il gagne sa notoriété dans l’établissement grâce à ses performances de coureur et un moment suit les ambitions qu’a pour lui le directeur du centre Ruxton Towers, à commencer par remporter la victoire contre une école privée de riches et snobs aristocrates, venue disputer une compétition à domicile. Mais la question se pose alors à lui comme elle allait se poser pour nous : courir pour quoi ? Pour qui ?

Est-ce que ta “réussite” va faire le jeu de ceux qui t’ont opprimé?

Tout être humain est ce coureur solitaire, surtout quand il a choisi la révolte et de là l’engagement révolutionnaire disait Jean Louis Bory et il montrait comment « La réussite de ce film tient beaucoup à l’étonnante présence de Tom Courtenay. D’un physique plutôt ingrat – qui évoque l’oiseau tombé du nid, le petit animal frileux – il joue avec une étonnante variété. Une excellente bande sonore où la musique, loin de faire double emploi avec l’image, joue en contraste grinçant ; habilité du montage greffant l’une sur l’autre les deux suites d’images d’une façon dépouillée d’arbitraire. […] la caméra travaille à suggérer par son mouvement les mouvements sur lesquels l’histoire se déroule. […] Elle s’efforce, court, souffle, halète, ou s’immobilise (plan général) pour mieux s’étendre sur les paysages lorsque les quatre jeunes chiens, au bord de la mer, gesticulent à la limite de l’horizon ou que le coureur s’élance dans la vaste fraîcheur de l’aube. » C’est dans le fond ce que fut notre vie, nous intellectuels qui avions cru que l’engagement auprès des “masses” ouvrières, celles du tiers monde serait évidente. Il n’en a été rien, nous avons été défaits, humiliés, censurés et d’abord par ceux qui se prétendaient les nôtres. Certains sont passés avec un profit médiocre à l’ennemi, d’autres y ont perdu l’esprit, mais pour tous ce fut une méditation silencieuse de l’effort dans un paysage qui reflétait les contradictions de l’époque, des victoires supposées. Un certain nombre d’entre nous ont joué volontairement la scène finale : alors que le jeune prolo est largement en tête, il refuse de franchir la ligne d’arrivée et l’offre à son adversaire.

Le terrain de l’affrontement réel sera-t-il ailleurs que là où “ils” prétendent me conduire ? Et la différence entre l’individu ordinaire que je suis et Pasolini, est que je n’ai pas eu à assumer la nécessité de faire percevoir à tous ce que pourrait être ce terrain où j’en finirai avec l’oppression et l’oppresseur qui est en moi comme une souffrance et une jouissance.

Voilà ma réponse à Pasolini et à son texte, il n’y a pas d’échec mais conscience lucide, construite par l’expérience d’une vie pensée, méditée et toujours active, jusqu’au bout de la nécessité de construire son propre terrain d’affrontement face à celui dérisoire que nous propose cette écœurante et médiocre classe dominante. Quand comme jadis il existe un collectif dans lequel vos efforts prennent sens la course parait plus aisée, joyeuse, mais quand la solitude devient votre lot, il reste l’harmonie entre vos pensées, ce qui est comme un décor, et ce que vous êtes, savez être… Et cela est le seul vrai apaisement… (note de Danielle Bleitrach)

Tous ceux qui ont accepté de trahir pour la “notoriété”, l’accès aux médias sont déjà en train de s’effacer… Alors que Pasolini reste là parce que l’échec qu’il prône est un insolent refus d’accepter où conduit le fait d’avoir gagné non pas sur l’oppresseur, ça cela reste une nécessité, non mais de la victoire qu’il exige de nous.

  • 25 janvier 2022
  • Dernière mise à jour: 15 février 2022
  • STIMULANT

https://culturainquieta.com/es/inspiring/item/18938-educar-para-el-fracaso-y-la-derrota-un-bello-texto-de-pier-paolo-pasolini.html

Pier Paolo Pasolini était un artiste prolifique et multidisciplinaire qui a réussi à canaliser les épisodes tragiques qui ont parsemé sa vie dès son plus jeune âge et à les capturer avec génie dans ses œuvres. Sans aucun doute, le cinéaste italien le plus vénéré du XXe siècle avec un héritage qui perdure.

Nous vivons dans un monde compétitif dans lequel perdre ne fait pas partie des paramètres souhaitables dans la société. Vous devez être quelqu’un, vous démarquer, réussir et laisser de côté l’échec, la défaite.

Il y a des esprits brillants qui exaltent l’honnêteté d’être plutôt que la grandeur d’apparaître. Comme c’est le cas avec ce texte attribué au grand Pasolini. Une réflexion nécessaire qui nous vient du passé pour ce présent dans lequel tout semble permis et dans lequel le manque de respect pour les autres et la devise “tu vaux ce que tu as” semblent être celle de la majorité.

« Je pense qu’il est nécessaire d’éduquer les nouvelles générations sur la valeur de la défaite.

En vous y astreignant. Dans l’humanité qui en émerge.

En construisant une identité capable de remarquer une communauté de destin, dans laquelle on peut échouer et recommencer sans affecter la valeur et la dignité.

En n’étant pas un grimpeur social, en n’allant pas sur le corps des autres pour obtenir d’être le premier. Devant ce monde de gagnants vulgaires et malhonnêtes, de faux et opportunistes prévaricateurs, de gens importants, qui occupent le pouvoir, qui cachent le présent, sans parler de l’avenir, de tous les névrosés du succès, de la figure, du devenir.

Face à cette anthropologie du vainqueur de loin, je préfère celui qui perd. C’est un exercice que je trouve bon et qui me réconcilie avec moi-même. Je suis un homme qui préfère perdre que gagner de manière injuste et cruelle. Ma faute, je sais. La meilleure chose est que j’ai l’insolence de défendre cette culpabilité, et de la considérer presque comme une vertu. »


– Pier Paolo Pasolini –

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