Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le XXVIIe Congrès du PCUS et la liquidation gorbatchévienne vue par Ostrovski, par Danielle Bleitrach

Ostrovski dans son livre nous donne à comprendre ce qu’est un Congrès et comment sa préparation, son déroulement et la mise en oeuvre par une équipe qu’il a promue a joué un rôle dans la fin de l’URSS. La relation entre ce congrès et ceux du PCF, diverses réunions auxquelles j’ai assisté en ce temps-là, et que j’ai rapporté dans mes mémoires m’ont convaincue que les mêmes recettes ont été appliquées au moins dans les partis européens, ceux des pays socialistes, mais aussi ceux de l’eurocommunisme (1). On peut critiquer le 39e Congrès du PCF intervenu récemment, considérer qu’il est certes décevant et montre toute sa faiblesse, confrontés comme nous le sommes à des urgences, – nous en débattrons je l’espère – il n’en demeure pas moins que le gorbatchévisme en tant que panel de liquidation a lieu avec la mutation de Robert Hue. Cette “mutation” est un copié-collé des recettes appliquées pour la fin de l’URSS. Simplement, après trente ans de gorbatchévisme, et sans doute quelques aides extérieures venues de l’UE, ces recettes sont devenues une seconde nature pour le PCF et elles se confondent chez beaucoup de communistes, vieux et mêmes jeunes adhérents avec l’identité communiste. Cette lecture devrait nous aider à mesurer tout cela. Voici quelques notes rapides sur le chapitre qui traite du XXVIIe congrès celui ou se met en place avec le nouveau secrétaire la perestroïka. Elles sont faites pour aider au débat y compris des remarques. Est-ce qu’il y aura dans le blog, un ou plusieurs archivistes pour préparer notre dialogue. Les éditions Delga sont prêtes à nous aider, Edmond Janssen de Delga, qui est un ami lecteur de ce blog, va nous faire un texte de propositions.

LE XXVIIe CONGRÈS : l’interdépendance du monde et la maison commune européenne

Comme le note Ostrovski, la liquidation gorbatchévienne “que cela ait été fait intentionnellement ou par accident, le XXVIIe Congrès du PCUS s’est ouvert le jour du 30e anniversaire du XXe Congrès, lorsque le célèbre rapport de N.S. Khrouchtchev sur le culte de la personnalité d’I.V. Staline avait été lu, à savoir le 25 février 1986, et s’est terminé le 6 mars”. (p;80) Ce congrès et le discours inaugural de Gorbatchev dont Kissinger a écrit plus tard: “Au XXVIIe congrès du Parti en 1986, l’idéologie marxiste-léniniste a été jetée par dessus bord”(2) c’était encore exagéré mais c’était un jalon. Et “Kissinger se référait principalement à la section internationale du rapport”. Qu’est-ce qui a attiré l’attention de Kissinger ? l’idée de l’interdépendance du monde, idée empruntée à Wilson par Kissinger. Elle avait été longuement développée par les idéologues du Club de Rome et de la trilatérale. Ce qui est nouveau c’est qu’en 1985, il a été décidé que cette idée devait être adoptée par le PCUS(3). “En admettant l’interrelation, l’interdépendance, l’intégrité du monde” écrit M.S. Gorbatchev, “il était impossible de ne pas reconnaître l’absurdité de la… division du monde en blocs opposés” (p.81)

Au-delà des phrases creuses vers quoi se dirigeait-on ?

Ostrovski interroge “Comment entendait-il exactement surmonter ce clivage ?” Ostrovski a déjà dit à quel point toute la diplomatie soviétique avant Gorbatchev avait tenté d’obtenir de la coexistence pacifique et donc de fournir moins d’effort pour la guerre, qu’allait-il faire de plus ? (4) c’est à la page 59 qu’il pose les possibles d’une maison “paneuropéenne” que Gorbatchev appelle de ses voeux qui concerne l’existence de deux blocs politico-militaires, l’OTAN et le pacte de Varsovie. L’élimination de la confrontation militaire signifiait non seulement la réduction des armées mais aussi l’une des trois options possibles pour l’élimination de la confrontation militaire: a) l’élimination des blocs mentionnés, b) leur transformation en organisations politiques et c) l’absorption d’un bloc par un autre.

Quand Gorbatchev explique à Mitterrand son projet alors que celui-ci n’est toujours pas discuté dans le PCUS, ni même au Politburo, celui-ci se montre enthousiaste, plus encore que la superconservatrice Thatcher. C’est au retour de cette rencontre exaltante avec François Mitterrand, qu’il décida de porter l’objectif de sa politique étrangère à l’attention de tout le peuple soviétique le 13 octobre dans un article intitulé : l’Europe est notre maison commune” paru dans les pages de la Pravda. Un mois plus tard, du 19 au 21 novembre 1985, M.S. Gorbatchev a eu une réunion encore plus importante à Genève avec le président américain Ronald Reagan (photo). Ce quasi tête-à-tête prolongé a été qualifié d’historique : il s’agissait de réduire les armes nucléaires de 50% et de parvenir à un “accord intérimaire sur les missiles à longue portée”. (P.61)

Déjà sous Andropov l’administration Reagan avait semblé conclure un accord mais avait en fait renforcé sa campagne antisoviétique et surtout avait conclu un accord en coulisse avec l’Arabie Saoudite pour augmenter la production et donc les exportations de pétrole, ce qui entrainait une baisse des prix, (p.63) ce qui a entrainé une catastrophe économique pour la Russie, mais qui n’a eu des effets qu’en 1986, pas avant mais après la rencontre Gorbatchev-Reagan à Genève (64). Certes c’était un problème mais il faut voir que premièrement les exportations de pétrole et de gaz russe ne représentaient que 60% des exportations soviétiques. Deuxièmement, environ deux tiers des exportations étaient réservées aux pays dit socialistes, avec lesquels l’URSS avait convenu de prix. Ostrovski établit donc les dommages à environ 8 milliards de dollars. Mais chaque dollar était précieux pour le règlement des crédits internationaux et l’achat de marchandises. Enfin et ça c’est un autre chapitre en 1985 traité par ailleurs, le gouvernement soviétique avait lui-même asséné un coup à son propre budget avec sa campagne anti-alcool. (p.65)

“sauver le socialisme” de la part de ceux qui n’y songeaient pas le moins du monde…

Et c’est là que le plenum d’avril convoque le Congrès, on commence à populariser le thème sur la nécessité de “sauver le socialisme”, en particulier ceux qui comme E.A Chevardnadze veulent et font exactement le contraire le proclament pour mieux en inventer le caractère dramatique et prendre les mesures contraires. Ostrovoski insiste sur ce point central comme celui de la mise à l’écart de cadres communistes et la préparation d’un congrès qui selon Kissinger est celui de la fin du “marxisme léninisme” et l’apologie de la maison commune européenne.

Et c’est là comment il faut analyser la manière dont le Gorbatchévisme dépossède le parti de son pouvoir pour aggraver ce qui a déjà été une tendance du Khrouchtchévisme la constitution d’un appareil technocratique. Il s’agit de “décharger” l’appareil du parti… Quant aux moyens et aux méthodes de résolution des problèmes économiques et sociaux culturels spécifiques, une grande liberté de choix est accordée à chaque organe de direction, à chaque collectif de travail, à chaque personnel économique” (5)

Tout cela avait été fait comme l’analyse Ostrovski dans un Congrès qui s’était donné comme but officiel de “sauver le socialisme” et qui à partir du constat des problèmes bien réels en matière de développement scientifique et technique avait choisi d’imposer des mesures qui les aggravaient (6).

Il faut suivre ce chef d’oeuvre dans l’art de détruire par la désorganisation et l’inertie ce que l’on prétend sauver et voir la manière dont cela a pesé non seulement sur les relations internationales mais sur la vie quotidienne des Soviétiques:

Afin de mettre en évidence les fruits que pouvaient en attendre les Soviétiques de la Perestroïka, le congrès s’était fixé l’objectif d’étendre l’échelle de la construction de logements et avait promis à chaque famille un appartement séparé pour l’an 2000. Le programme “logement 2000 ” écrit V.S. Pavlov, signifiait : “Retirons l’investissement de la sphère industrielle au profit de la construction de logements.” Cependant trois ans plus tard, les responsables gouvernementaux devaient reconnaitre : “Malheureusement, nous devons constater qu’il n’existe pas de programme “Logement 2000 au niveau de toute l’Union”.

On lit tout en se disant que c’est un panel appliqué partout en URSS et en tous les cas dans tous les partis de l’eurocommunisme. J’avais insisté là-dessus en montrant comment partout où j’allais, de l’Italie à la Hongrie en passant par Malte, je retrouvais les mêmes caractéristiques que celles par lesquelles avait été détruit le rôle dirigeant du parti, et comment cela avait été fait à partir de problèmes réels mais dans lequel un groupe de cadres dirigeants s’étaient employés à créer les conditions de la liquidation.

Danielle Bleitrach

(1) Danielle Bleitrach, Le temps retrouvé d’une communiste, Delga, 2020.

(2) Aujourd’hui en France et dans les partis de l’eurocommunisme, il n’y a plus grand chose à évacuer : on peut leur substituer quelques vagues références au programme de la résistance, à l’entrée de Manouchian au Panthéon, en feignant que d’Ambroise Croizat à Manouchian, le PCF tel qu’il est les censurerait pour “stalinisme”. Et vu le contexte, l’état du parti, la référence au Front populaire paraît pure démagogie pour retrouver les voies de l’Union de la gauche hors Nupes pour des raisons devenues incompréhensibles de rivalité avec Mélenchon. Tout cela mérite au moins débat, mais rien que le fait qu’il y a eu plus d’un mois entre le Congrès et les premières réunions, la nomination d’un exécutif dit à quel point le premier souci aurait dû être la mise en mouvement du parti mais ses conclusions, l’appareil mis en place ne correspondait pas à une telle urgence.

(3) On peut considérer que durant les trente ans de soumission du PCF à la social démocratie dans l’espoir de conserver des élus, il n’y a pas eu de politique internationale autonome du PCF et cela s’est particulièrement senti dans le fait de ne plus oser dénoncer l’UE, ni même l’OTAN. Le 39e Congrès n’a pas voulu aborder cette question de l’autonomie d’une politique internationale, à la fois pour ne pas nuire disait-on à l’union et au mouvement des retraites, mais surtout parce que pesait l’hypothèse d’une dissolution de l’Assemblée nationale. Ce recentrage du parti était-il considéré comme irréaliste mais comme l’est désormais l’idée d’être autre chose qu’une roue de secours d’un rassemblement de gauche, quel que soit la déshérence dans laquelle est cette gauche. Même si a été contradictoirement affirmée la nécessité d’une liste européenne, le programme de celle-ci, ne serait-ce que face à UE de plus en plus identifiée à l’OTAN, demeure flou.

(4) Contribuer au consensus international pour être accepté tel est la ligne suivie par le PCF, même si la référence à la souveraineté nationale comme à une relation avec la classe ouvrière et le monde du travail, un souci d’autonomie du parti avaient été les conquêtes du 38e Congrès. Avec la guerre en Ukraine, le souci de consensus international a pris le pas sur tout. Il faut également noter que le parti communiste chinois face auquel avant la guerre en Ukraine il était manifesté une franche hostilité, a connu un léger regain de popularité quand on a cru pouvoir retrouver la politique Gorbatchévienne “d’interdépendance du monde”. La volonté d’éviter la guerre mais sans le monde multipolaire reste fondamental dans le gorbatchévisme français. Notons également que quand Macron veut être invité dans la réunion des Brics, il joue dans le même registre parce qu’il reste post-colonial comme bien des forces politiques.

(5) Là encore on mesure à quel point a été instituée une autonomie des élus, y compris au parlement qui peuvent voter la résolution 390 qui de fait appuie l’envoi d’arme et l’intervention de l’OTAN sans jamais avoir de compte à rendre aux militants qui ne sont plus qu’une machine électorale. Nous sommes devant un cas semblable devant l’Humanité, voire chaque secteur… Tout cela est le fruit de la mutation.

(6) Ostrovski montre qu’avant que soit envisagée toute politique deux précautions avaient été prises, virer les anciens cadres et les remplacer par un personnel cynique, la seconde était de développer des relations directes avec les dirigeants des Etats-Unis et même des représentants des banques étrangères. Ostrovski cite la rencontre avec le président de la Westminster Bank Wihelm Christians le 18 avril 1985. La westminster bank bien que britannique, est en fait l’une des plus grandes banques du monde, travaillant en étroite collaboration avec les Rothschild (p. 56). L’opacité des financements est une des dérives issues du gorbatchévisme.

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1 Commentaire

  • admin5319
    admin5319

    Je voudrais après une conversation avec Marianne attirer votre attention sur le point central de cette lecture: la manière dont le PCF s’est “gorbatchivé” et aujourd’hui quelle que soit la bonne volonté de sa direction (pas tous il y a des gens qui sont directement des vendus et s’ils ne sont pas rétribués c’est dommage de faire ça gratuitement).
    Que veut dire le terme Gorbachtévisé, il ne s’agit pas seulement d’idéologie telle que la décrit Ostrovski, à savoir “l’interdépendance du monde” que l’on confond avec les coopérations nécessaire, il y a également l’exagération d’une faiblesse bien réelle ce qui pousse à la soumission en matière de pouvoir. Mais il y a aussi de pratiques décrites également en particulier l’isolement des responsabilités, les élus qui n’ont pas de compte rendu à faire de leur mandat, la presse également, les secteurs fonctionnant comme des féodalités ayant des financements occultes, tout cela aboutissant à une totale inertie…
    C’est je crois ce que nous pouvons étudier et cela dépasse les vendus, les incapapbles c’est premièrement un mode de fonctionnement, une idéologie pleurnichade et consensuslle que l’on prend pour de l’humanisme identifié au “communisme”. C’est, comme dirait Althusser à travers ces fonctionnement de “l’appareil” l’art et la manière de se croire un “sujet communiste”. Il y a bien d’autre chose à voir mais je pense qu’il ya là des pistes.

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