Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’austérité et la nouvelle guerre froide contre la Chine, par Vijay Prashad

Vijay Prashad, un intellectuel indien, dont nous avons souvent ici publié les interventions et celle du groupe auquel il appartient et qui travaille en général sur la géopolitique vu des pays du sud, émergents. Il explique pourquoi nous devons nous intéresser à la crise grandissante de la dette gérée par le FMI qui a transformé l’idée d’un ‘financement du développement’ en un ‘financement de la dette’, au moment où la Chine annule la dette de 17 pays africains. Face au désastreux spectacle d’incubateur de tous les dangers d’aujourd’hui que vient de donner le G7 l’ensemble de la planète retient son souffle devant une telle folie et pense qu’il est temps de s’atteler à la recherche de solutions et nous avons ici un aperçu des travaux qui se mènent sur le sujet de la dette. (note et traduction de Jean-Luc Picker pour Histoireetsociete)

Publié le 19 mai 2023 dans Consortium News par Vijay Prashad,

La lettre inaugurale de l’Institut Tricontinental pour la recherche Sociale, en mars 2018, établissait un constat qui reste au cœur de notre travail :

« La Gauche est face à un dilemme essentiel : les gens pensent que nous sommes de bonnes personnes, sensibles à leurs problèmes, mais que nous sommes des utopistes et que nous ne sommes pas capables de produire des solutions raisonnables. Nous devons surmonter cette faiblesse. Nous devons montrer que la pensée radicale ne se résume pas à une utopie, qu’elle est ancrée dans la réalité et cherche à résoudre les défis pratiques qui découlent des contraintes dans les champs de la propriété et du pouvoir.

Il est primordial de montrer comment certains problèmes ne peuvent être résolus sans s’affranchir de ces contraintes et demandent des transformations audacieuses du système politique et économique. C’est ce type de pensée -guidée par les mouvements politiques et sociaux- qui formera l’identité de l’institut ».

Au cours des 62 mois qui se sont écoulé depuis cette lettre, l’institut a fait de son mieux pour s’acquitter de sa mission. Pour y arriver, nous nous sommes fixés une série d’objectifs :

  1. Combler le fossé entre les mouvements sociaux et les institutions intellectuelles
  2. Combler les fossés entre les mouvements sociaux aux quatre coins de la planète
  3. Servir de porte-voix aux nouveaux intellectuels qui conduisent ces mouvements
  4. Élaborer les théories qui restent souvent implicites dans ces mouvements
  5. Réhabiliter l’histoire du socialisme et de la libération nationale.

Nouvelle Guerre Froide avec la Chine

Ces dernières années, notre institut a constaté avec une inquiétude grandissante la montée des tensions dans le monde, principalement du fait du gouvernement des Etats-Unis dans sa poursuite d’une Nouvelle Guerre Froide contre la Chine. Il s’agit d’une guerre hybride, alliant un affrontement commercial, une militarisation de la ceinture du Pacifique et une guerre de l’information visant à démoniser la Chine et imposant par là un blocus virtuel de la production intellectuelle chinoise.

En tant qu’institut de recherche partisan d’une coopération globale, nous avons entamé un dialogue avec des intellectuels chinois et des institutions académiques. De ce dialogue est née l’édition internationale en anglais, portugais et espagnol (et bientôt en allemand) de la revue trimestrielle Wenhua Zongheng, une revue intellectuelle chinoise de premier plan. En mars, notre institut se faisait l’écho de la parution de son premier numéro : « Au seuil d’un nouvel ordre mondial ». Yang Ping, rédacteur en chef de l’édition chinoise du Wenhua Zongheng y écrit :

« Alors que les Etats-Unis cherchent aujourd’hui à rallier le camp occidental sous la bannière de ‘démocratie versus autoritarisme’, la Chine doit lever haut le drapeau de la paix et du développement, unifiant et guidant le vaste monde des pays en développement tout en appelant et en incitant les pays européens à se joindre à la cause ».

La vision que porte Yang Ping sur notre monde actuel offre aux lecteurs un aperçu des discussions qui ont cours dans la sphère intellectuelle chinoise et permet à ceux d’entre nous qui vivent à l’extérieur de la Chine d’y participer.

La lecture des 4 essais qu’on trouve dans cette édition internationale m’a permis, par exemple, de réaliser à quel point nous, qui sommes de l’extérieur, partageons avec les intellectuels chinois les analyses sur les menaces qui pèsent sur notre planète et la nécessité non seulement d’un plan de paix -tel qu’il a été proposé par le gouvernement chinois dans son texte en 12 points au sujet de la guerre en Ukraine- mais aussi d’un programme de développement.

La comparaison entre les orientations générales de ce premier numéro de l’édition internationale de Wenhua Zongheng et du texte que nous avons publié (dans le dossier « Études sur les alternatives contemporaines » du 3 mars) : les 8 contradictions de ‘l’ordre basé sur des règles’ impérialiste est intéressante. Nous y écrivions sur la nécessité de lier la paix au développement, ce qui exige d’étendre une « zone de paix » et de se préoccuper des problèmes quotidiens des populations. L’institut y pose que « le modèle de développement capitaliste est contraire aux intérêts de la majorité ».

L’échec de l’austérité liée à la dette

Dans le récent dossier de notre institut (N°63 d’avril 2023) : « la vie ou la dette : le nœud coulant du néocolonialisme et la recherche d’alternatives par l’Afrique », nous documentons les échecs du modèle d’austérité lié à la dette défendu par le FMI.

C’est un modèle qui nie le pillage historique des ressources des pays en développement et refuse toute analyse qui met en cause l’exploitation effrénée de ces pays dans la reproduction des inégalités. A l’opposé, les conditions que le FMI attache aux prêts qu’il concède à des pays en développement à court de liquidités les enfonce plus avant dans la pauvreté et ils n’ont d’autre choix que d’emprunter plus pour payer les intérêts de la dette et assurer les fonctions les plus essentielles de l’état. Au cours de la seconde année de la pandémie (2021), 13 des 15 programmes de prêt accordés par le FMI exigeaient des pays qui accepteraient les prêts de ces programmes qu’ils imposent des taxes sur l’alimentation et les carburants et qu’ils sabrent des services publics vitaux afin d’en assurer les remboursements.

L’année suivante, la Chine annonçait l’annulation de 23 prêts sans intérêts qu’elle avait consentis à 17 pays africains. Cette décision n’est pas isolée et s’inscrit dans une tendance à long-terme de la gestion par la Chine de ses prêts : on estime qu’elle a ainsi annulé entre 45 et 610 millions de dette sur le continent africain au cours des 20 dernières années.

L’institut prépare pour juillet un dossier sur la nécessité d’un nouveau paradigme pour les théories du développement, et pour août un autre dossier sur la critique de la théorie de la dépendance. Les deux dossiers permettront de faire progresser la réflexion sur l’échec du modèle capitaliste à satisfaire les besoins de la majorité et sur la nécessité d’une nouvelle architecture du développement sous l’impulsion du cadre général de travail de la Nouvelle Banque du Développement des BRICS.

L’institut tricontinental pour la recherche sociale analyse en profondeur l’approfondissement de la crise des dettes gérées par le FMI. L’idée du ‘financement du développement’ s’est muée en un ‘financement de la dette’. Mais la dette financière ne représente qu’un élément parmi au moins trois autres déficits majeurs dont souffrent le ‘Sud Global’. Il faut aussi prendre en compte le déficit dans le domaine des sciences et de la technologie, et dans celui de l’intégrité politique.

Science et Technologie

En termes de sciences et technologies, les plans d’austérité imposés par le FMI ont décapité l’éducation supérieure de la plupart des nations pauvres. Au Népal, par exemple, le FMI, fidèle à ses procédures, a imposé au gouvernement le blocage de la masse salariale dans le secteur public. En conséquence, on a assisté à une diminution catastrophique des enseignants à temps plein remplacés par des enseignants de fortune. Collèges, lycées et université sont aux prises avec des restrictions budgétaires. L’état peine à former les jeunes générations avec comme conséquence une diminution des capacités scientifiques et technologiques du pays.

Ce type de déficit accroit bien sûr la dépendance aux pays et aux sociétés de l’étranger pour l’accès aux technologies nécessaires à l’amélioration de leur productivité. Ainsi, le déficit des nations les plus pauvres dans le développement de leur secteur scientifique et technologique les laisse dans l’incapacité à augmenter leur production domestique, à exporter autre chose que des produits de base à faible valeur sur les marchés internationaux et à s’assurer de revenus conséquents en devises étrangères.

L’UNESCO écrit que « l’Afrique sub-saharienne comprend 14% de la population mondiale. Pourtant, en 2018, on n’y trouve que 0,7% des chercheurs mondiaux », bien en dessous de ce que l’on trouve dans le reste du monde. Pour comparaison, 23,5% des chercheurs mondiaux viennent d’Europe, 21,1% de Chine et 16,2% des Etats-Unis.

Intégrité politique

Le troisième déficit majeur dont souffre les pays en développement est plus dur à définir. Appelons-le pour l’instant ‘déficit d’intégrité politique’. La plupart des pays du Sud Global ne disposent tout simplement pas des capacités politique et administrative pour gérer leurs relations avec des gouvernements et des sociétés de l’étranger. Un des exemples les plus évidents est le manque criant d’experts juridiques pour écrire ou relire les contrats.

De cette catégorie relève aussi le phénomène de la corruption. Une appellation commune qui relève d’une analyse sommaire oubliant les salaires misérables versés aux fonctionnaires publics et l’absence de tout projet politique moral pour cette fonction.

Le dossier N°63 de notre institut relève que « … la crise permanente de la dette qui afflige les nations pauvres… n’est pas entièrement la conséquence d’erreurs de gestion gouvernementale ou de l’enracinement de la corruption ». Cela n’empêche bien sûr pas que le thème de la corruption soit utilisé pour vilipender ces nations qui n’ont pas toujours conscience des coûts de transaction internes dans les pays riches, où les pots-de-vin sont plus facilement remplacés par des donations politiques gigantesques versées par les sociétés et le phénomène de la ‘porte à tambour’ permettant aux fonctionnaires hauts placés de se recaser sans difficultés dans le secteur privé. L’an prochain, notre institut produira une étude du débat autour de la question de l’intégrité politique.

Dans une prochaine lettre, je parlerai du travail de l’institut sur nos études de la classe ouvrière et de la paysannerie, un projet qui s’intéresse aux attaques contre la culture de la classe du travail par les mafias, les organisations religieuses et l’escalade de la militarisation sociale.

Vijay Prashad est un historien indien, rédacteur et journaliste. Il est correspondant principal commentateur attitré de Globetrotter. Il est rédacteur de LeftWord Books et directeur de Tricontinental: Institute for Social Research. Il est professeur non résident de l’Institut Chongyang pour les études financières  de l’Université de Renmin, en Chine. Il a écrit plus de 20 livres, dont Les nations les plus sombres et Les nations les plus pauvres. Ses derniers ouvrages comprennent : Le combat est le propre de l’Homme, Enseignements des mouvements pour le socialisme et, avec Noam Chomsky, Le retirement : Iraq, Libye, Afghanistan, et la fragilité du pouvoir US.

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1 Commentaire

  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    Ce matin sur France TV Washington il était question de la recherche d’une base de production par le géant chinois de l’automobile BYD (Beyond Your Dream), leader mondial de la production de véhicules électriques.

    Le bouffon pense que la France est bien placée en concurrence avec l’Espagne, l’Afrique du Nord, la Hongrie,…

    Si c’est bon pour l’emploi c’est aussi “un cheval de troie ” en Europe et une menace pour la rente financière des producteurs français (qui ont bien dormi).

    Le Bouffon nous rassure en montrant le palmarès des ventes de véhicules électriques en France

    • la 208 (produite en Slovaquie et bientôt en Espagne)
    • la Dacia Spring (fabriquée en Chine)
    • Tesla (Made in chez mes copains yankees)
    • Renault Mégane

    Chacune vendue à environ 20 000 exemplaires en 2022 soit 80 000 pour les quatre premiers quand il se vend en 2022 1,5 millions de voitures en France (2,2 millions en 2019) .

    L’usine de Figueruelas Saragosse en Espagne a produit 15 millions de véhicules battant le record de celle de Vigo en Galice. L’Espagne se verra confiée probablement la plate forme de production des futur véhicules 100% électriques du groupe.

    Pour comparaison le site Renault de Douai a produit depuis sa construction 10 millions de voiture et assemble aujourd’hui la Renault Mégane électrique.

    Si la France produit encore des moteurs des marques françaises certains sont produits en Espagne, Turquie et Corée du Sud.

    Les moteurs électriques sont bien plus simples et donc leur production demande beaucoup moins d’opérations et de main d’œuvre contrairement à l’assemblage.

    Notre bouffon s’inquiète que les “finances publiques” aident les vilains envahisseurs chinois mais qu’elles partent en dehors de la France selon la volonté des groupes industriels français ne le gène en rien.

    Et comme c’est un perroquet et non un journaliste il ne fera pas même les recherches élémentaires que l’on attend d’un journaliste du service public chargé d’informer le citoyen.

    Il ne s’interroge pas plus sur les milliards offerts inutilement à Microsoft par nos dirigeants incompétents des services informatiques de nos administrations et de nos grandes entreprises au mépris de la sécurité de nos données versées stupidement dans le Cloud américain.

    Mais tout va bien au nouveau pays de Mickey tant que l’on dit du mal des méchants Russes et Chinois.

    La corruption de nos journalistes et de la classe politique est aujourd’hui totale et pas seulement avec des règles légalisant la corruptions celle-ci s’accumule avec les traditionnelles valises de billets et autres cadeaux d’entreprises pendant que chez nous aussi comme dans le Tiers-Monde la bourgeoisie réclame la destruction des services publics, de l’enseignement et l’orientation des dépenses publiques vers la mafia organisée du complexe militaro industriel.

    Pourquoi se priver quand on peut en toute impunité mettre la main dans le pot du Trésor Public sans rendre compte devant le peuple ?

    Pour la bourgeoisie pas besoin de dépenser en publicité pour des habitants de plus en plus insolvables il suffit de détourner légalement la moisson des impôts et peut importe si l’on accouche en voiture ou que l’on fini dans un EPHAD véritable pompe à fric criminelle.

    L’absence de socialisme réel n’est pas une question idéologique elle est très concrète dans le quartier où vit mon père avec 9 immeubles de 10 et 15 étages plus une zone pavillonnaire modeste il n’y a plus de médecins depuis 8 ans ceci dans une ville moyenne.

    Quel dommage que le PCF ne soit plus en capacité de faire le lien entre le cirque médiatique et celui de l’Assemblée Nationale et le développement du capitalisme occidental dans sa phase de pourriture avancée avec les conséquences directes sur le quotidien des habitants de ces pays.

    Il faut bien plus de volonté que lutter contre l’évasion fiscale et pour une Sécurité Emplois Formation qui cautionne la flexisécurité malgré les déclarations du Secteur Économique.

    Cette guerre froide anti chinoise que suit y compris le PCF est totalement stupide les investisseurs chinois chercheront certainement les pays les plus sûrs pour investir.

    Développer l’hostilité contre l’économie la plus puissante du monde et la brillante diplomatie chinoise démontre la nullité de nos élites et leur corruption.

    Les communistes devraient plutôt s’attaquer aux 39% que nous payons de trop aux capitalistes ce qui nous permettrait de devenir compétitifs au niveau industriel sur le marché mondial en particulier sur les nouveaux marchés émergents.

    Ces 39% de rente se traduisent par des loyers astronomiques payés sans contrepartie de production dans des loyers que ce soit dans l’immobilier d’entreprise ou particulier ou le loyer de l’argent, dépensent stériles et virtuelles dans du “papier peint”.

    Je crains fort que le somnifère soit si puissant que le peuple français reste désarmé pour un bon moment surtout si personne ne prescrit d’antidote.

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