Nos amis hongrois s’étonnent du fait que les propos de Macron donnent lieu y compris en France à des transcriptions aussi fantaisistes. L’auteur de l’article rétablit le propos et montre au contraire la manière dont le conflit ukrainien renforce la position de la Russie. Il table sur la manière dont les guerres accouchent de nouveaux rapports de force. Sur le besoin qu’ont et qu’auront plus encore la Chine et le noyau dur (la France et l’Allemagne) de l’Europe de faire une paix favorable à la Russie, conforme à leurs intérêts. La Russie y gagnera un rôle nouveau et plus central dans la “modernité” telle qu’elle se prépare. Ce serait de cela dont Macron aurait parlé à juste raison et non de la “vassalité” de la Russie à la Chine, mais bien de la vassalité de l’Europe qui est l’obstacle aux liens avec la Chine et que la Russie est en train de lever. (note et traduction avec deepl de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
L’évolution vers la paix en fait est dans l’intérêt des pays du noyau dur de l’Union européenne comme de la Chine.
Macron s’inquiète-t-il aussi pour Moscou ?
La Russie a commencé/évité/est entrée dans une sorte de relation vassale/subordonnée avec la Chine, c’est ce qui a été rapporté de la déclaration d’Emmanuel Macron le 14 mai. La raison de mes doutes, indiquée ici en partie par des synonymes, est que
Autant de sources consultées, autant j’ai pu constater qu’elles ont toutes reproduit ce qui a été dit différemment, certaines d’une manière très différente de la déclaration originale.
L’Opinion, journal basé à Paris, qui a d’abord publié une interview exclusive menée par trois journalistes, titrait « L’Europe doit éviter une augmentation de la confrontation qui accélérerait sa transformation en vassale». L’introduction, dans une traduction non stylisée suivant le texte original, se lit comme suit : « L’architecture de sécurité européenne devra pleinement sécuriser l’Ukraine de demain. Mais elle devra concevoir une non-confrontation avec la Russie et rebâtir des équilibres soutenables » Ce n’est pas la même chose que le résumé en anglais du Monde, rubrique Internationale, également basé en France qui dit lui : « Le président français Emmanuel Macron a déclaré dans une interview dimanche que la Russie est entrée dans une sorte de relation de subordination avec la Chine. »
Je ne citerai même pas les médias hongrois, car je ne veux pas commenter la façon dont les textes originaux sont déformés ou même transformés en leurs contraires, devenant des textes sur lesquels des analyses de haut vol sont ensuite construites dans le monde entier – surtout quand elles sont du fait des gens plus ou moins indépendants à travers de prestigieux journaux et chaînes de télévision occidentaux. Dans ce cas, peut-être que le soi-disant malentendu a été causée par une interprétation de Macron de la guerre sur le territoire ukrainien qui divergeait de l’approche de Washington visant à dominer notre monde. Entre autres choses, le récit selon lequel Moscou se serait tiré une balle dans le pied en faveur de Pékin lorsqu’elle a envahi l’Ukraine. Jusqu’à présent, même dans les ateliers conformistes d’analystes occidentaux, l’opinion avait été que l’alliance dominée par les États-Unis avait forcé la Russie et la Chine à unir leurs forces.
La réinterprétation du texte de Macron semble intervenir alors même que le visage du pouvoir néo-fasciste en Ukraine – et selon plusieurs analystes en Russie – le pouvoir nazi, Volodymyr Zelensky quémande l’obtention de nouvelles armes « pacificatrices » avec plusieurs dirigeants d’Europe occidentale.
le message du président français, lui reflétait un certain niveau d’inquiétude prenant en compte les préoccupations de Moscou en fonction de ses propres intérêts, il devait donc être atténué aux yeux du public.
Dans ce document, bien qu’indirectement, la responsabilité de l’Occident et le caractère incontournable de la Russie avaient été soulevées. En ce cas, la suggestion que l’Europe était en train de devenir un vassal, et en fait elle l’est devenue, ne concernait pas la Russie. C’est l’Europe que les États-Unis d’Amérique ont privée de matières premières et de marchés en Russie. Et ce en plusieurs étapes.
Tout d’abord, en écartant du jour au lendemain l’accord commun de l’Allemagne et la France avec les parties en Ukraine, en imposant un coup d’État à Kiev orchestré par Washington en février 2014. Puis avec l’effondrement des plans de paix adoptés par les mêmes puissances européennes et la direction de Kiev, ainsi que par Moscou, visant à accorder l’autonomie à la population russe ethnique du Donbass au sein de l’Ukraine, c’est-à-dire les accords de Minsk. Il convient de mentionner que des cadres polonais avaient été impliqués dans chaque transaction…
On ne le répétera jamais assez, car des forces puissantes s’efforcent de transférer la responsabilité sur Moscou seul. Le dirigeant russe, Vladimir Poutine, qui, selon ses propres dires, avait même suggéré à Bill Clinton que son pays devrait être admis dans l’OTAN, mais le président américain a secoué la tête, souriant mystérieusement. Comment aurait-il pu ne pas être dubitatif quand il savait que le rêve de 130 ans des groupes capitalistes américains était de prendre le contrôle des ressources russes ?
Cela était établi dans plusieurs doctrines du gouvernement américain et a été reflété dans la pratique constante au fil des décennies. C’est également dans cet esprit que l’OTAN a commencé à repousser les frontières de la Russie après les changements de régime de 1990. Face à cette avidité d’acquisition, Henry Kissinger a mis en garde en vain les intérêts de Washington sur CNN en février 2014 :
« Il n’est pas dans l’intérêt de l’Amérique de réduire les Russes dans la position d’une ‘forteresse assiégée’ afin qu’ils soient forcés de montrer de quoi ils sont capables. »
Une nouvelle génération de politiciens américains, canadiens et d’Europe de l’Ouest qui sont incapables de voir plus loin que le bout de leur nez ont balayé l’avertissement du diplomate vétéran. En plus des intérêts capitalistes, d’une part, ils étaient influencés par les descendants des banders qui ont émigré outre-mer aux États-Unis et au Canada après la Seconde Guerre mondiale, qui ont acquis une influence gouvernementale considérable. D’autre part, en Allemagne, leurs descendants actuels, restent la proie d’un désir de vengeance face à l’armée soviétique qui a vaincu les nazis, ils alimentent la russophobie.
Dans le même temps, ils notent triomphalement que le cours de la guerre jusqu’à présent a « jeté le doute sur les alliés historiques de la Russie » et qu’elle a « perdu l’accès à la mer Baltique en accélérant la décision suédoise et finlandaise d’adhérer à l’OTAN ». Mais le revers de la médaille n’est pas pris en compte. Les accords de coopération en matière de contrôle des armements n’ayant plus de raison d’être, les dirigeants de Moscou n’ont plus d’obstacle pour produire et à acquérir autant d’armes qu’ils en ont besoin, et à établir des bases militaires là où ils le jugent important. Selon toutes les indications :
des sanctions par-ci, des sanctions par-là, nous avons le contexte financier russe, la base scientifique et économique ; les développements se déroulent avec une grande force, et les anciennes et nouvelles usines de l’industrie militaire déversent des armes et des munitions en fonctionnant en continu avec trois équipes.
Il y a beaucoup de critiques à l’égard de Poutine et de son entourage en Russie mais n’est ce pas pour avoir hésité sur la soi-disant opération militaire spéciale ? Puisque celle-ci avait déjà commencé, pourquoi les dirigeants russes n’ont pas affirmé leur volonté en déployant efficacement la puissance militaire d’une manière plus offensive au cours des premiers mois? Ces questions sont posées non seulement dans les médias d’opposition-ou de semi-opposition, mais aussi dans les programmes de radio et de télévision d’État. Et même les analystes les plus expérimentés et les mieux préparés s’interrogent.
Ils se réfèrent à un contexte international, à des aspects de l’essai de nouvelles armes dans des conditions de champ de bataille. Et le fait que les dirigeants russes aient été pris au dépourvu sur le lavage de cerveau par lequel une partie importante de la population ukrainienne a été montée contre Moscou par les médias occidentaux et par les gens des fondations Soros. En outre, ils affirment que la jeunesse métropolitaine de Russie, en particulier ceux issus de familles riches, sont également des « victimes » des efforts de pénétration occidentaux, principalement via Internet.
Récemment, cependant, j’ai également entendu une explication qui est une mise en perspective historique et dans un contexte ethnopsychologique sur la raison pour laquelle une guerre de statu quo s’est développée dans l’est de l’Ukraine – du point de vue de Moscou : dans les territoires restitués. Pourquoi la direction du Kremlin permet-elle à l’Occident de fournir à l’Ukraine des armes de plus en plus efficaces, avec lesquelles l’armée ukrainienne, essentiellement sous contrôle américain et britannique, détruit les colonies dans le Donbass et leur population majoritairement russe avec une intensité encore plus grande qu’en 2014-2022 ?
Dans l’émission de débat du 15 mai Soirée avec Vladimir Solovyov, dont le modérateur éponyme figure sur une liste noire de l’UE, le politologue Dmitry Drobnitsky a établi des parallèles – et offert des explications – entre la guerre d’aujourd’hui et la campagne de Pierre le Grand menée dans le nord contre les Suédois. Comme il l’a expliqué, pendant la guerre, Saint-Pétersbourg, incarnant toutes les réalisations architecturales de l’époque, a été construite dans la région marécageuse à l’embouchure de la Neva. En outre, une masse de réformes a transformé la structure et les coutumes du monde russe, jeté les bases de la science, de l’éducation, de la réorganisation de l’industrie et du commerce et d’une armée moderne. Je veux dire que :
la guerre et la modernisation du pays dans l’histoire russe ne s’excluent nullement mutuellement.
Ajoutons : pas même en Occident. Ce qui rend les processus en Russie presque uniques à cet égard, c’est leur attitude d’attente. C’est celle qui a prévalu dans le cas des attaques des Mongols-Tatars et des Polonais. Catherine la Grande a également pris les premières mesures pour réprimer le soulèvement de Pougatchev lorsque la foule rebelle s’est dirigée vers Moscou, et alors il y avait un danger qu’ils ne s’arrêtent même pas aussi loin que Saint-Pétersbourg, la ville impériale. Les mêmes atermoiements caractérisaient les guerres contre les Tatars de Crimée qui combattaient aux côtés de l’Empire ottoman, puis contre les armées de Napoléon ou d’Hitler. C’est à propos de cette mentalité que Bismarck aurait dit : « Les Russes sellent lentement, mais galopent vite. »
Quoi qu’il en soit, il est tout à fait évident que la Russie impériale est sortie de l’épreuve globalement renforcée. Sous leur influence, en quelques années, à force d’efforts extraordinaires et même de souffrances, il a été accompli un saut dans la civilisation. Bien sûr, cette guerre est celle d’aujourd’hui, et par conséquent, tout et son contraire peut arriver. De plus, tout comme les arbres de glace ne poussent pas vers le ciel, les empires ne durent pas éternellement. Même l’empire chinois a connu des périodes de déclin. Cependant, dans la Russie d’aujourd’hui, il y a de nombreux signes que des processus similaires ont lieu.
Le public hongrois n’en est pas conscient, mais la guerre ne domine pas le contenu médiatique en Russie ; celui-ci traite d’autres actions des dirigeants de Moscou. Sans parler de la publicité…
Le sondeur Levada, considéré comme indépendant et même hostile, montre constamment que si les masses russes soutiennent Poutine et l’armée – cette dernière avec une écrasante majorité, même si le service militaire interfère avec leurs propres intérêts – la vie quotidienne de la guerre en Ukraine elle-même ne suscite qu’un intérêt modéré.
Cela ne signifie pas que, surtout ces derniers mois, l’héroïsme de leurs soldats n’a pas eu assez de place dans les médias. Cependant, l’attention publique est centrée sur ce que devrait faire le chef de l’État et le gouvernement pour promouvoir la science, vulgariser la science auprès des jeunes, rendre l’éducation plus efficace, prolonger la durée des programmes d’enseignement supérieur, fournir un soutien financier et des bourses à cet effet, améliorer la situation sociale des masses et des familles nombreuses, développer les infrastructures à grande échelle, moderniser l’industrie, y compris l’industrie militaire et l’économie alimentaire, et développer le tourisme, en orientant les activités vers la conservation de la nature et autres.
Jusqu’à présent, rien n’indique que ces cibles prioritaires seront oubliées par rapport aux sanctions occidentales brutales, bien que l’on ne sache pas quelles seront leurs conséquences à long terme, combinées au fardeau de la guerre. Il est clair, cependant, que pour les Russes tôt ou tard, le mouvement vers la paix qui correspond selon le texte original de l’interview de Macron sera dans l’intérêt à la fois des pays centraux de l’Union européenne et de celui de la Chine. Pour les uns se sera plus tôt, pour d’autres plus tard.
Les premiers pourraient être conduits à alléger l’emprise de plus en plus étouffante des intérêts capitalistes américains en resserrant leurs relations économiques et commerciales avec Pékin, dans le même temps, avec la fin de la guerre, les routes terrestres relativement bon marché à travers la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine se rouvriront aux produits chinois.
La guerre n’est guère une condition favorable pour le développement de l’économie chinoise et pour la poursuite de l’élévation sociale de ses masses. Mais la direction de Pékin ne doit pas perdre de vue un autre aspect essentiel et qui concerne le fait que la guerre sur le territoire ukrainien présente des avantages d’une épreuve de force avec les groupes capitalistes transnationaux représentés par Washington, qui pourrait même se transformer en un affrontement militaire. En plus de ce que les analystes occidentaux soulignent principalement, c’est aussi la raison pour laquelle leur dépendance vis-à-vis de la Chine et celle-ci vis-à-vis de la Russie augmente, puisque les pays occidentaux épuisent leur force en fournissant de grandes quantités d’armes à Kiev, ce qui est bénéfique pour la Chine.
En outre, la détérioration des conditions sociales rend leurs propres populations de plus en plus insatisfaites, comme en témoigne une série de manifestations, notamment en France. Mais les inégalités sociales croissantes aux États-Unis, la crise du coût de la vie prévue pour les générations futures, peuvent facilement être liées au « coût énorme de l’expédition d’armes versées d’innombrables fois dans un pays lointain », comme le souligne Donald Trump, même si la prochaine campagne présidentielle n’a pas encore officiellement commencé.
Puisqu’il y a beaucoup d’intérêts en jeu au cœur de la situation, loin de moi l’idée de faire des prédictions sur l’issue et les conséquences d’une guerre qui affecte réellement le monde dans son ensemble. De ce point de vue, l’issue de l’affrontement sur le territoire ukrainien entre l’Occident dirigé par les États-Unis sur un front et la Russie, qui est un partenaire fort de la Chine, aura évidemment un impact sur l’autre front, qui se déploie lentement. Si Moscou est capable de faire valoir ses intérêts sur le premier front, non seulement elle stabilisera son propre statut, mais elle aura accru une influence bénéfique sur la rivalité entre l’Amérique et la Chine, qui affecte de plus en plus la région du Pacifique, en jouant en faveur de Pékin.
En outre, les prophètes de l’émergence d’un monde multipolaire et de la montée des puissances régionales affirment que c’est le système mondial motivé par des intérêts et non des idéologies qui peut jeter les bases des alliances actuelles. Le réarrangement peut apporter encore plus de destruction qu’auparavant, bien qu’en fin de compte, comme toujours promis, il offrira des opportunités pour la prospérité générale et une plus grande justice. Le processus peut prendre une demi-génération ou toute une vie. Du point de vue de Pékin, cependant, avec le titre du roman de Lin Yutang, cette période ne sera qu’un « moment fugace » qui se terminera probablement par un alignement sur la Chine. Jusque-là, cependant, nous pouvons espérer moins de brutalité par rapport à ce qui s’est passé au cours des dernières décennies de colonisation occidentale et d’un monde gouverné seul par les États-Unis.#
PHOTO COUVERTURE: Emmanuel Macron à l’annonce d’une publication de L’Opinion – Dans ce cas, le soi-disant malentendu peut avoir été causé par le fait que l’interprétation du président français de la guerre sur le territoire de l’Ukraine différait de l’approche de Washington qui domine notre monde (Source de l’image: quotidien français L’Opinion)
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etoilerouge
Très intéressant.