Dans le cadre de ce que nous décrivons dans un autre article à savoir “l’effort de guerre” payé par le contribuable européen et qui rapporte aux marchands d’armes sans que lesdits contribuables ne soient jamais avisés, le cas de la Bulgarie est particulièrement illustratif. Certes le président bulgare vient de déclarer qu’il ne livrera pas de munitions, mais l’affaire mérite d’être examinée pour que l’on mesure la fiction d’un continent en paix alors que partout sont entretenus conflits et trafics, malgré la volonté des peuples. (note de Danielle Bleitrach histoireetsociete)
DISCUSSIONPar euronews avec Agences • Mise à jour: 21/03/2023 – 19:45
Le président bulgare, Roumen Radev. –
La visite du commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton en Bulgarie mercredi (15 mars) a déclenché des spéculations sur les pressions exercées sur Sofia pour qu’elle envoie des munitions à l’Ukraine, un sujet particulièrement sensible à deux semaines des élections anticipées dans le pays. Le commissaire européen a visité la ville de Sopot, où se trouve la plus grande usine bulgare d’armes et de munitions, VMZ, et a tenu des réunions avec des représentants de l’industrie de l’armement du pays.
« L’UE doit augmenter de toute urgence la production de munitions pour assurer sa propre sécurité. Je visite des pays dont les industries de défense sont prêtes à accroître leur capacité. Je commence par la Bulgarie, car votre pays possède une longue histoire dans l’industrie de la défense et est un partenaire très important en Europe », a déclaré M. Breton face aux journalistes.
Selon M. Breton, la guerre en Ukraine épuise les réserves de l’UE et de l’OTAN. Il a également rappelé l’engagement pris par les États membres de l’OTAN d’augmenter le financement de leurs armées à hauteur de 2 % de leur PIB.
Au cours des prochains jours, M. Breton devrait se rendre dans onze autres États membres de l’UE dans le but de les encourager à augmenter leur production nationale d’armement et nous voyons par ailleurs le résultat de ses efforts.
Le commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton a visité la ville de Sopot, où se trouve la plus grande usine bulgare d’armes et de munitions, VMZ, et a tenu des réunions avec des représentants de l’industrie de l’armement du pays. [BGNES]
La « tournée de défense » de M. Breton a lieu alors que les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l’UE devraient donner leur feu vert à un plan de 2 milliards d’euros pour réapprovisionner l’Ukraine et remplir les stocks de munitions de l’Europe, sur la base d’une proposition de l’UE au début de ce mois.
Dans un premier temps, il est proposé d’utiliser un milliard d’euros supplémentaires de fonds européens pour obtenir des munitions pour l’Ukraine à partir de stocks existants — en particulier des obus d’artillerie de 155 mm — et de les envoyer immédiatement.
Dans un deuxième temps, le plan prévoit que les États membres se mettent d’accord sur un achat commun de munitions de 155 mm auprès de l’agence de défense de l’Union et signent les premiers contrats dès le mois prochain « pour une période de sept ans ».
La troisième étape vise à garantir une augmentation à long terme de la production européenne de munitions et à stimuler la production des industries de défense dans l’ensemble du bloc afin de maintenir l’approvisionnement.
La Bulgarie fournit à Kiev une grande quantité de munitions soviétiques depuis le début de la guerre, une réalité dont le gouvernement bulgare est bien loin de se vanter vu l’état d’esprit de sa population. Selon des experts, la Bulgarie a jusqu’à présent fourni à l’Ukraine, par l’intermédiaire de négociants, des munitions et des armes pour un montant d’un milliard d’euros au minimum.
L’industrie bulgare de l’armement a toujours su tirer profit des conflits de la région, dans laquelle l’usage d’armes soviétiques est légion dans le contexte des politiques nationalistes encouragées par l’OTAN et les effets de Balkanisation que cela entretient. En effet, les sociétés d’armement du pays produisent des munitions pour les armes soviétiques, ainsi que d’autres outils spécifiquement développés pour ces armes. L’industrie de l’armement bulgare se révèle aujourd’hui être l’une des plus importantes sources de munitions de type soviétique pour l’armée ukrainienne.
La guerre en Ukraine, « meilleures années de l’industrie militaire »
Cependant, la vente directe d’armes à l’Ukraine pose un problème à la plupart des partis bulgares.
En effet, les sondages montrent que près de 30 % des Bulgares soutiennent directement la Russie dans ce conflit, que la moitié d’entre eux nourrissent de forts sentiments pro-russes, vestiges du régime communiste totalitaire, et que 70 % de la population estiment que l’envoi d’armes implique directement la Bulgarie dans le conflit.
Dans le même temps, les entreprises d’armement du pays, dont les plus importantes appartiennent à l’État, réalisent d’énormes bénéfices et embauchent à tour de bras. Des villes comme Sopot, Karlovo et Kazanlak, où se trouvent les usines, en profitent très largement.
Alexander Mihailov, ancien directeur exécutif de l’entreprise publique Kintex, via laquelle transitent les exportations d’armes de la Bulgarie, confirme les chiffres records des exportations bulgares cette année.
À titre de comparaison, il donne l’exemple des exportations de produits d’armement bulgares en 2016 et 2017 alors que se déroulaient des opérations militaires en Syrie, en Libye et au Yémen. « Lorsqu’il y a un conflit armé international, il y a toujours une augmentation du recours aux produits liés à la défense », a expliqué M. Mihailov à EURACTIV Bulgarie avant d’ajouter que les permis d’exportation d’armes qui ont été délivrés par l’État durant cette période s’élevaient à un total de 1,1 à 1,3 milliard d’euros.
M. Mihailov a précisé que, depuis le début de la guerre en Ukraine, les permis d’exportation d’armes représentaient plus de 2 milliards d’euros. « Donc jusqu’à présent, nous avons eu une augmentation de 100 % par rapport aux années de pointe pour l’entreprise. Cette année pourrait se terminer sur une augmentation des ventes de 150 %, voire 200 %, par rapport aux meilleures années de l’industrie militaire, ce qui génère des revenus importants pour l’économie bulgare et le budget de l’État en temps de crise », a indiqué M. Mihailov.
Les ventes records d’armes bulgares sont un succès économique dont les forces politiques pro-russes du pays préfèrent ne pas se vanter. Le président bulgare Rumen Radev, à la tête d’un gouvernement intérimaire, qualifie de « bellicistes » les responsables politiques qui veulent que la Bulgarie commence à envoyer officiellement des armes à Kiev afin de se rallier aux Occidentaux.
Le Parti socialiste bulgare (Bulgarska sotsialisticheska partiya, BSP) et le parti radical pro-russe Renaissance (Vazrazhdane) sont contre l’envoi officiel d’armes.
En avril, l’ancien Premier ministre bulgare Boyko Borisov, dont le parti Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (Graždani za evropejsko razvitie na Bǎlgarija, GERB) a remporté les dernières élections, a annoncé qu’il était convaincu que Sofia exportait des armes vers l’Ukraine.
« Je suis convaincu que des armes sont exportées vers l’Ukraine. Nous ne sommes pas contre cela, nous sommes contre le double langage du parlement. Après l’attaque de [Vladimir] Poutine en Ukraine, c’est la seule façon d’arrêter cela », avait commenté M. Borisov le 21 avril dernier.
De fait, ce « double langage » conduit à une situation quelque peu cocasse : d’un côté, des volontaires américains du bataillon étranger en Ukraine se félicitent d’avoir neutralisé des véhicules blindés russes à l’aide des exceptionnels lance-grenades antichars bulgares, tandis que, de l’autre côté, la plupart des dirigeants politiques bulgares nient catégoriquement cette réalité.
Au début de l’année, le parlement bulgare a décidé que la seule aide militaire qui serait accordée à l’Ukraine était la réparation des chars ukrainiens en Bulgarie. Une décision dont les autorités de Kiev n’ont en réalité même pas bénéficié.
Le circuit de vente des armes bulgares en Ukraine
Dans les faits, les fabricants et marchands d’armes bulgares vendent leurs produits principalement en Pologne et en Roumanie, où les armes sont ensuite expédiées vers l’Ukraine.
« Ce qui est clair, c’est que les volumes d’exportation vers la Pologne ont considérablement augmenté », a déclaré l’ancien responsable de Kintex, ajoutant que l’aéroport de Rzeszów en Pologne, qui se trouve à environ 70 km de la frontière ukrainienne, constitue la principale plate-forme logistique.
« Ce n’est pas un hasard si les États-Unis ont installé des systèmes de défense aérienne Patriot dans cet aéroport. Durant les 120 premiers jours de la guerre en Ukraine, il y a eu 60 vols cargo avec des armes depuis les aéroports bulgares vers Rzeszow. La capacité moyenne de fret est d’environ 70-80 tonnes par avion », a-t-il ajouté.
Cependant, les médias bulgares ont à plusieurs reprises fait état de vols d’avions-cargos ukrainiens directement depuis les aéroports bulgares.
« Il doit être clair que la Bulgarie en tant que pays ne fournit pas d’armes à l’Ukraine aux frais du budget de l’État ou par l’intermédiaire de l’armée, contrairement aux fabricants et commerçants privés qui exportent de grandes quantités d’armes vers les pays d’Europe centrale. Avant la guerre en Ukraine, ces pays n’étaient pas clients des entreprises bulgares. Il est donc raisonnable de penser que les fabricants et les négociants bulgares exportent des armes vers les pays d’Europe centrale, qui sont revendues à l’Ukraine », déclare M. Mihailov.
Il ajoute également que, d’un point de vue logistique, personne ne peut livrer d’armes directement à Kiev à l’heure actuelle, car aucun avion ne peut circuler dans son espace aérien, et pour ce qui est des ports, ils sont encerclés par la marine russe et minés par les garde-côtes ukrainiens.
« Les livraisons ne peuvent pas se faire par air et par eau, il reste donc le transport terrestre, qui se fait par la Pologne et la Roumanie », dans le plus grand secret pour éviter la détection par satellite, a expliqué M. Mihailov.
Les stocks bulgares
Thierry Breton a précisé que sa visite était destinée à « évaluer [la situation] et à discuter » et que d’éventuelles propositions concrètes ne seraient présentées qu’à un stade ultérieur.
« Je pense que si notre industrie veut saisir cette opportunité parce que la demande est là, nous devons montrer que nous sommes capables de fournir à l’Europe ce dont les États membres ont besoin. En tant que commissaire au Marché intérieur, également chargé de l’industrie de la défense, je préférerais que les bénéfices aillent à nos entreprises européennes », a-t-il souligné.
La Bulgarie est l’un des plus grands producteurs européens de munitions de type soviétique, dont l’armée ukrainienne a particulièrement besoin et que les alliés occidentaux ne peuvent pas lui fournir.
Par ailleurs, le pays exporte d’énormes quantités d’armes légères et de munitions vers l’Ukraine, mais évite les échanges directs .
Mardi, les États membres de l’UE ont augmenté le financement de la Facilité européenne pour la paix à près de 8 milliards d’euros jusqu’en 2027. Dans le cadre de ce mécanisme, Kiev a reçu de l’aide à sept reprises depuis le début de la guerre en février dernier.
Les données publiques montrent que l’industrie bulgare de l’armement est principalement orientée vers l’exportation à destination de pays tels que l’Ukraine, qui utilisent des armes russes. L’année dernière, les exportations ont dépassé le milliard d’euros. À Sopot, les munitions sont produites selon les normes soviétiques.
Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l’Union européenne ont approuvé ce lundi un plan de 2 milliards d’euros pour acheter et livrer des munitions à l’Ukraine, notamment par le biais d’achats communs.
Les ministres de l’UE ont soutenu une proposition en trois phases dévoilée quelques semaines plus tôt par le plus haut diplomate de l’Union, Josep Borrell, qui prévoit que les États membres s’engagent à fournir un milliard d’euros de munitions provenant de leurs stocks restants, mais qui s’épuisent rapidement, dans le cadre du premier volet, puis à passer des commandes conjointes pour un milliard d’euros supplémentaires dans le cadre du deuxième volet.
L’argent sera déboursé par l’intermédiaire de la Facilité européenne pour la paix (EPF), un fonds intergouvernemental hors budget dans lequel les États membres peuvent puiser pour se faire rembourser une partie de ce qu’ils fournissent à l’Ukraine..
Il est toutefois difficile de savoir quelle quantité de munitions les pays de l’UE peuvent fournir à l’Ukraine dans les mois à venir à partir de leurs propres stocks et si l’industrie de l’Union peut produire le reste dans les délais impartis.
Le délai de livraison moyen est actuellement d’un peu plus de 12 mois, mais on espère qu’en passant des commandes importantes, l’industrie pourra s’élever et réduire ce délai de manière significative.
La Commission européenne a précédemment estimé que la capacité de production pourrait augmenter d’au moins 17 % en un an. Les fonctionnaires de l’UE insistent sur le fait que l’Union est bien placée, avec 15 entreprises réparties dans 11 États membres et capables de produire les munitions de type soviétique et occidental dont l’Ukraine a besoin. Interrogé sur la capacité de l’UE à répondre aux demandes de l’Ukraine, M. Borrell s’est également montré optimiste lundi, déclarant aux journalistes : “Je suis confiant, certainement parce que je ne suis pas un optimiste. Je suis un activiste”.
MAIS A QUELQUES JOURS DES ÉLECTIONS BULGARES, LA VISITE DE THIERRY BRETON A DÉCLENCHÉ LA COLÈRE
L’Ukraine a particulièrement besoin de munitions de type soviétique que seule la Bulgarie, l’un des plus grands producteurs européens, peut lui fournir. Sofia l’a déjà fait, mais elle ne réitérera pas. C’est ce qu’à dit Le président bulgare ce mardi et a précisé que son pays n’adhérait pas au plan des deux milliards d’euros débloqués par l’Union européenne pour livrer des munitions à Kiev.
La visite de Thierry Breton a en effet alerté les Bulgares qui dans leur majorité sont très proches des Russes et refusent toute participation à la guerre.
L’armée bulgare n’a livré qu’une seule cargaison d’aide militaire à l’Ukraine depuis que le parlement du pays a approuvé cette aide en décembre dernier. Le gouvernement intérimaire du pays a annoncé qu’il n’y aurait pas de deuxième livraison avant que le prochain parlement ne prenne le pouvoir et prenne une décision. La Bulgarie est sans parlement dans l’attente des élections anticipées, qui auront lieu le 2 avril prochain.
Mme Ninova était vice-première ministre et ministre de l’Économie dans le gouvernement de Kiril Petkov lorsque la guerre a éclaté. Déjà à l’époque, elle avait juré que son ministère n’autoriserait pas l’exportation « d’une seule munition » vers l’Ukraine.
Plus tard, M. Petkov a admis que la Bulgarie avait exporté des quantités record d’armes et de carburant diesel vers l’Ukraine, par le biais d’intermédiaires. Les représentants des autorités officielles de Kiev ont d’ailleurs ouvertement reconnu la contribution exceptionnelle de la Bulgarie à l’effort de guerre ukrainien.
Après la visite de M. Breton, certains médias bulgares ont rapporté que ce dernier faisait pression sur le gouvernement de Sofia pour qu’il augmente la production de munitions et les exportations vers l’Ukraine.
Le centre de presse du Conseil des ministres a présenté une interprétation totalement différente de la visite, indiquant que la Bulgarie souhaitait simplement accroître la capacité de son industrie de défense et qu’elle accueillait favorablement le soutien de l’UE dans ce sens.
Le ministre bulgare de la Défense, Dimitar Stoyanov, a rejeté les affirmations selon lesquelles un nouvel accord était en cours de préparation pour la fourniture d’armements à l’Ukraine, les qualifiant d’« absolument manipulatrices ».
« La société devrait savoir ce que l’armée bulgare fournit à l’Ukraine, si elle le fait à l’avenir. Une telle décision doit être ratifiée par l’Assemblée nationale », a déclaré M. Stoyanov.
À la lumière de la visite de M. Breton, Kornelia Ninova, la dirigeante du Parti socialiste bulgare (Bulgarska sotsialisticheska partiya, BSP), un parti russophile, a attaqué le président Rumen Radev pour avoir vraisemblablement changé sa position sur l’envoi d’armes à l’Ukraine.
Mme Ninova a cité M. Radev, qui avait déclaré au début de l’année que « fournir une aide militaire à l’Ukraine, c’est comme éteindre un feu avec de l’essence ». « Qu’est-ce qui vous a fait changer de position, Monsieur le Président ? » a-t-elle demandé.
Mme Ninova a également mis en garde M. Radev contre toute action qui pourrait impliquer la Bulgarie dans ce conflit, car il se heurterait à « la forte résistance de la majorité de la société bulgare ».
RÉSULTAT LA BULGARIE NE SOUTIENDRA PAS LE PLAN EUROPÉEN D’ENVOI DE MUNITIONS A L’UKRAINE
“La Bulgarie ne soutient pas et ne fait pas partie de ce plan d’achats communs pour la fourniture de munitions à l’Ukraine. La Bulgarie soutiendra les efforts diplomatiques européens pour rétablir la paix. Tant que le gouvernement intérimaire sera en place, la Bulgarie ne fournira à l’Ukraine ni avions de chasse, ni systèmes de missiles antiaériens, ni chars et véhicules blindés de transport de troupes“, a affirmé le président bulgare, Roumen Radev.
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