A la veille de la rencontre entre le président Xi et le président Poutine, il faut éviter d’imaginer comme le font les médias occidentaux que les deux présidents vont se réunir selon le modèle conçu par nos médias. Un modèle de lutte idéologique conçu pour nous interdire de percevoir ce qui est en train de changer sur notre planète et dans quoi pourraient s’inscrire nos luttes pour mieux vivre en paix et dans la sécurité. Certes il y a des relations privilégiées entre la Russie et la Chine, elles concernent d’abord des échanges nécessaires et de confiance entre voisins et à ce titre la Chine considère que personne n’a à intervenir, à exiger des comptes. Surtout pas ceux qui partout divisent et créent la guerre. Mais la Chine tente aussi de définir un nouveau cadre international dans lequel elle s’estime en position de neutralité et en capacité de jouer les médiations sur le modèle de ce qui vient d’être réalisé entre l’Iran et l’Arabie Saoudite.
Si les relations d’État à État, tant sur le plan économique que sur le plan politique s’approfondissent entre la Russie et la Chine, il faut prendre garde à ne pas nous laisser avoir par la propagande qui veut faire de ces relations un bloc qui serait constitué contre le bloc occidental, c’est tout à fait le contraire de ce que veut la Chine, elle veut justement en finir avec la logique des blocs et des alliances militaires. C’est une tradition, en dehors de la Corée du Nord, elle n’a aucun allié envers lequel elle estime avoir des solidarités obligatoires militaires.
Ce qui est fondamental pour la Chine et que l’on présente souvent comme de l’égoïsme est de construire un pays qui répondra aux attentes de sa population. On pourrait caricaturer l’idéal chinois par le ‘vivre vieux et dans le confort’, c’est ce que le parti communiste doit à sa population, le contrat social sur lequel est bâti la légitimité du parti communiste chinois. Il faut entendre le discours du nouveau premier ministre pour mesurer le caractère concret de cette aspiration à la paix et au développement. Il n’y a aucune fermeture, la Chine sait que sa prospérité est liée à cette ouverture aux échanges internationaux donc elle obligée de calmer le jeu et de le stabiliser.
Sa conception des relations internationales est tout entière inspirée par ce désir d’être un pays prospère et stable et elle doit intervenir pour calmer les turbulences.
Le prototype : l’accord Téhéran-Ryad sous médiation chinoise
Ce que vient de réussir la Chine dans la reprise des relations entre Téhéran et Ryad est dans une certaine mesure un prototype de ce qu’elle voudrait mettre en œuvre y compris entre la Russie et l’Ukraine. C’est d’ailleurs ce que le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Wang Wenbin, a déclaré hier 14 mars : le dialogue entre l’Arabie saoudite et l’Iran à Beijing était une pratique réussie de mise en œuvre de l’Initiative de sécurité mondiale proposée par la Chine. Les faits prouvent que « diviser pour régner » et « la confrontation de bloc à bloc » ne sont jamais les bons moyens de gérer les questions de sécurité, a-t-il déclaré. Après l’annonce vendredi de la déclaration trilatérale Chine-Arabie saoudite-Iran, des pays tels que l’Egypte, la Turquie, le Pakistan, l’Irak, l’Algérie, Oman, le Koweït, le Liban, la Jordanie et les Émirats arabes unis ont exprimé leur contentement et ont déclaré qu’il s’agissait d’une grande victoire pour apaiser les tensions dans la région. Les dirigeants de certaines organisations internationales, dont l’ONU, la Ligue arabe et l’Organisation de la coopération islamique, ont exprimé également leur satisfaction et ont salué l’activité diplomatique.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que les Etats-Unis et les plus bellicistes de leurs vassaux européens n’aient pas exprimé le même enthousiasme et encore moins à l’idée qu’un tel modèle puisse être appliqué à l’Ukraine. Cette attitude démontre que la paix n’est vraiment pas leur objectif. Les Etats-Unis ne voient le maintien de leur hégémonie que dans le chaos et les tensions, voire les guerres comme cela a été entretenu au Moyen Orient et en Europe comme dans la région pacifique. Il s’agit pour cela non pas de chercher les négociations en vue de la détente mais bien d’organiser des confrontations bloc à bloc avec l’OTAN ou comme on le voit aujourd’hui avec l’AUKUS. Et cela va jusqu’à nucléariser les zones sous leur direction comme dans ce dernier cas. Ces alliances militaires sont là pour non pas assurer la sécurité mais entretenir les conflits et les surarmements aux dépends des intérêts des populations.
Les processus de paix s’ils existent sont interrompus et le tout au nom de valeurs pseudo-universelles mais qui en fait sont vécues comme du néocolonialisme.
Face à la logique des blocs, la guerre où l’immense majorité perd, la Chine propose de privilégier la diplomatie, le gagnant-gagnant
Ce que la Chine propose c’est une tout autre conception des relations internationales et qui pourrait être appliquée avec ou sans son aide. La Chine présente un exemple réussi et convaincant de médiation internationale au moment où “les turbulences” mondiales deviennent de plus en plus dangereuses et où chacun a conscience d’être dans un moment clé. Le rôle important de la Chine dans le rétablissement des relations entre Téhéran et Riyad fait partie des efforts de Pékin pour aider à assurer la paix, la stabilité et la sécurité au Moyen-Orient, a déclaré lundi le ministère iranien des Affaires étrangères, rapporte l’agence de presse Xinhua. Ce qui lui a donné un nouveau rôle que chacun espère voir s’étendre au conflit russo- ukrainien en particulier. Rien ne paraissait plus difficile que de renouer des liens entre Téhéran et Ryad. La Chine est convaincue qu’il est plus aisé de résoudre le conflit entre la Russie et l’Ukraine. Ce conflit pour la Chine est celui de “l’expansion du bloc occidental dirigé par les Etats-Unis, Kiev n’est que le mandataire soutenu par l’occident pour affronter Moscou sur le champ de bataille”
Pour les Chinois donc il y a deux nécessités à préserver,
1) d’abord aider l’Ukraine à prendre des décisions indépendantes et pragmatiques en fonction de ses propres intérêts,
2) les États-Unis peuvent dialoguer avec la Russie plutôt que d’ajouter de l’huile sur le feu.
La Chine qui veut rester neutre et équitable a de bonnes relations avec la Russie et elle sait que celle-ci est ouverte aux négociations et dans des relations de bon voisinage et d’équilibre planétaire elle espère créer les conditions d’un dialogue non seulement avec l’Ukraine mais avec le continent européen. Une grande partie des Russes qui estiment avoir été roulés dans la farine ne croient pas à cette possibilité et notent les échecs (par exemple en Italie) de cette ligne chinoise, mais quelqu’un comme Lavrov a toujours été plus ou moins partisan d’une telle ligne qui n’exclut pas la lucidité, au contraire et sa récente discussion avec Binken au G20 peut être considérée comme relevant d’une telle vision, ne jamais couper les ponts, créer constamment les conditions du dialogue même quand on sait que l’adversaire fait tout pour l’empêcher.
En ce qui concerne la Chine, le dialogue est maintenu mais il n’est pas à fleuret mouchetté même si les Etats-Unis le prennent de haut, ont-ils réellement les moyens de leur arrogance ?
Selon Reuters, Le président américain Joe Biden a déclaré lundi qu’il prévoyait de s’entretenir bientôt avec son homologue chinois Xi Jinping, sans en dire davantage, alors qu’il a dévoilé quelques instants plus tôt les détails d’un accord de sous-marins avec la Grande-Bretagne et l’Australie destiné à contrer la Chine. A la question de savoir s’il était préoccupé à l’idée que Pékin considère l’accord sécuritaire dit “AUKUS” comme une agression, le chef de la Maison blanche a répondu “non”. S’exprimant devant des journalistes lors d’une rencontre avec le Premier ministre britannique Rishi Sunak, à San Diego en Californie, Joe Biden a répondu par l’affirmative lorsqu’il lui a été demandé s’il comptait s’entretenir bientôt avec Xi Jinping. Il a refusé d’en dire davantage sur une possible date pour un tel échange. Il y a chez Biden dans ce cas là quelque chose de l’arrogance britannique et la Chine comme la Russie tablent sur le réalisme des peuples d’asie aussi bien que ceux des autres continents ayant vécu la colonisation britannique pour dégager leurs intérêts réels de cette offensive de deux empires dans le déclin. Il y a là une caricature qui trouve son pendant dans les affres de la monarchie face au Communwealth et même à la désunion de la Grande bretagne … au sein de l’Europe, un pouvoir qui n’offre pas de perspective et qui n’a plus les moyens de ses menaces.
Il faut donc repartir sur les intérêts réels des peuples et non à partir des divisions impérialistes. A ce titre, ce qui oppose les Russes et les Ukrainiens est très superficiel, et le conflit de civilisation est une création artificielle récente en tous les cas les deux sont nettement moindre que ce qui opposait à ce jour les Iraniens et les Saoudiens. Si on est arrivé dans un cas, il n’y a pas de raison pour ne pas y arriver dans l’autre si on arrive à arrêter le paroxysme belliciste et le déversement des armes… Si vous lisez les textes chinois c’est exactement ce qui est dit… Et comme pour la Chine l’ennemi principal c’est tout ce qui peut peser sur son propre développement et sur l’alimentation et la sécurité des Chinois, il faut calmer le jeu.
Donc il peut y avoir de la part de la Russie mais aussi de l’Ukraine, et des pays européens des dispositions à faire confiance à la Chine et à ses efforts de médiations. Même les Etats-Unis peuvent de temps en temps entendre raison s’ils se rendent compte de leur isolement relatif. C’est une tendance qui ne peut que se développer et connaitre de nouvelles opportunités dans un temps qui joue pour leur vision géopolitique. C’est là dessus que tablent les Chinois, mais sans jamais renvoyer dos à dos les uns et les autres.
Danielle Bleitrach
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