Je reproduis une fois encore le discours de Georges Friedman et le commentaire qu’en fait Franck Marsal, commentaire avec lequel je suis totalement d’accord. Le discours date de 2015, ce qui prouve à la fois que le plan contre la Russie existait dès cette époque, qu’il a été mené sciemment par les USA contre la Russie mais aussi contre l’Allemagne et contre l’Europe. Mais cela prouve en même temps la capacité de destruction et aussi l’incapacité à l’hégémonie qu’il revendique. Et Biden ne fait que poursuivre, reproduire à l’infini si on ne les arrête pas. (note de Danielle Bleitrach Pour histoireetscociéte)
illustration : la célèbre séquence finale de La Planète des singes (1968) les héros humains découvrent sur une plage les restes à demi enfouis de la statue de la Liberté. Le monde hostile peuplé de singes qu’ils ont “découvert” n’est pas une autre planète mais la Terre bouleversée par un cataclysme passé.
J’ai écouté son discours jusqu’au bout et ce qui me frappe, il est cynique, mais il est surtout révélateur des limites et des faiblesses de l’impérialisme américain, et de sa stratégie actuelle. Le discours date d’il y a 7 ans, mais en fait, il est la base de la politique de Biden qui n’a donc pas évoluée depuis 7 ans et s’appuie sur une analyse stratégique totalement dépassée.
1. Il prend exemple sur la stratégie de Reagan d’opposer l’Iran et l’Irak et de faire qu’ils se battent entre eux. Cette stratégie cynique des USA a fait des millions de morts dans cette partie du monde. L’accord récemment signé de rétablissement des relations diplomatiques entre l’Arabie et l’Iran (Iran qui est par ailleurs lié à la Chine par un partenariat stratégique de longue durée et qui développe avec la Russie un corridor Nord-Sud passant par la Caspienne) montre que cette stratégie de présence des USA en Asie occidentale est parvenue à son point final. L’Irak lui-même, considérablement affaibli, est désormais très lié à l’Iran et il y a quatre grandes puissances de culture musulmane, 4 futurs géants qui approfondissent peu à peu leurs liens dans la région : la Turquie (80 millions d’habitants), l’Egypte (100 millions d’habitants), l’Iran (85 millions d’habitants) et Arabie (35 millions d’habitants). Ces pays sont des pays jeunes (ils ont les ressources humaines, les ressources matérielles et de plus en plus la science et la technologie pour leur développement) et les USA perdent peu à peu pied dans cette partie de l’Asie, ce qui mènera nécessairement à un réalignement de la politique israélienne qui devra faire des concessions très importantes.
2. Il parle ensuite du risque d’une alliance entre l’industrie allemande et les ressources russes. C’est incontestablement la stratégie de Biden aujourd’hui : empêcher cette alliance en détruisant les nord stream et en créant un cordon militarisé entre la Baltique et la Mer Noire pour isoler l’Allemagne de la Russie. Mais, c’est là qu’on voit que Biden est un homme du passé. L’enjeu aujourd’hui n’est plus là. L’industrie allemande est largement dépassée. L’Allemagne en est au gaz là où l’énergie nucléaire va dominer et demande le maintien du moteur thermique pour sauver son industrie automobile face à l’essor de la voiture électrique. Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est l’alliance entre la Russie, ses ressources, son espace, sa science et sa technologie (notamment militaire, préservée de la chute de l’URSS) avec la Chine et sa puissance industrielle et technique, comme point avancé de l’émergence au premier rang des pays anciennement colonisés ou semi-colonisés, des ex pays du tiers monde, ex pays émergents. Il est évident qu’il y a dans l’alliance russo-chinoise, complétée d’autres pays importants, quelque chose qui prend une dimension toute autre, réellement mondiale et réellement capable de surpasser les USA et leurs vassaux, à la fois en qualité scientifique, technologique et industrielle, et à la fois en volume de production, d’affaires et d’investissements. Le monde a changé de taille en fait. Biden, Macron et consorts ne l’ont encore pas compris.
3. Ces deux aspects se rejoignent dans plusieurs dimensions. La Russie n’a plus seulement comme débouchés maritimes et énergétiques l’Europe et les mers Baltique et Noire. La Russie s’est assurée grâce à une flotte de brise-glace nucléaires (et grâce aussi au réchauffement climatique) un débouché sur l’Océan Arctique que personne ne viendra lui contester avant très longtemps. Elle s’est assurée grâce à son partenariat avec l’Iran un débouché sur l’Océan Indien, via la Caspienne qui la connecte beaucoup plus directement aux marchés asiatiques que les vielles routes Baltiques et Méditerranéennes. Enfin, depuis déjà plusieurs années, tout en continuant à faire illusion avec Nord Stream, la Russie construit des gazoducs la reliant directement à la Chine. Le “Power of Siberia”, atteindra cette année sa pleine capacité, de 38 milliards de m3 par an de gaz livré par la Russie à la Chine (plus 23 milliards de m3 livrés au port russe de Vladivostok). Concernant la mer noire, par ailleurs, les jeux ne sont pas faits. La Turquie a fait le choix d’une indépendance claire par rapport aux USA et c’est en effet son intérêt que de s’appuyer elle aussi sur les ressources énergétiques russes pour son développement. Dès lors, il sera beaucoup plus difficile, tant techniquement que surtout diplomatiquement pour les USA de saboter le Turkish Stream, comme ils ont saboté les Nord Stream. Ce serait un casus belli pour la Turquie qui détient le contrôle de l’accès à la mer Noire. De plus, la Russie a joué un rôle considérable dans la stabilisation en Syrie, et dans l’Asie occidentale.
4. La politique américaine mène donc au sacrifice cynique de l’industrie des pays européens, déjà fort mal en point. Or, cette industrie est un des principaux partenaires et client de l’industrie américaine, la seule à pouvoir encore payer les prix exagérément élevés demandés par les USA. Les pays d’Europe occidentale feront donc face à une grave crise. Ils seront non seulement privés des ressources russes, mais devront également faire face à l’épuisement progressif des gisements de la Mer du Nord (il ne reste que les champs norvégiens encore dynamiques) et ne pourront plus non plus compter sur une Afrique facile à exploiter. Le jeu qui consistait à opposer le Maroc et l’Algérie a tourné court. L’Europe a besoin “en même temps” des phosphates marocains ET du gaz algérien et doit faire profil bas, face aux deux pays, qui lui font payer au juste prix son arrogance (on l’a vu sur l’affaire des visas algériens). La destruction de la Libye n’a rien apporté et la France perd totalement pied en Afrique Subsaharienne, comme Macron lui-même est obligé de le constater. D’où viendront alors les ressources énergétiques et matérielles ? Donc, l’affaiblissement des grands pays européens va s’accélérer et leur crise sociale va s’approfondir. Et ceci ne va rien rapporter à l’industrie américaine, elle-même en crise, de loin trop chère et sans perspective. Le boom récent de l’économie américaine est lui-même largement lié au développement des gaz et pétrole de schiste, mais ces gisements sont coûteux à exploiter et à courte durée de vie. D’ici quelques années, ils vont connaître à leur tour une décroissance rapide de la production.
5. Enfin, il y a l’aspect monétaire qui est la clé de voute de toute la puissance étasunienne. Or la politique de “sanctions” financières, c’est à dire l’utilisation immodérée du contrôle des institutions monétaires comme moyen de contrainte géopolitique a elle-même produit son contraire: l’Iran d’abord, puis la Russie et la Chine aujourd’hui bâtissent patiemment les outils pour se passer purement et simplement du système financier contrôlé par les USA. C’est long à mettre en place, mais aujourd’hui, ce système alternatif est pratiquement achevé et est en phase de déploiement accéléré. Là encore, l’accord signé entre l’Arabie et l’Iran à Beijing, le jour où débutait officiellement le 3ème mandat de Xi Jinping est un signal clair : l’Arabie signifie en même temps qu’elle va abandonner le dollar pour ses ventes de pétrole à la Chine. L’Iran et la Russie l’ont déjà fait. Inéluctablement, la montée en puissance de ces nouveaux circuits financiers va atteindre un seuil de changement qualitatif. C’est à dire que la nouvelle monnaie mondiale va évincer brutalement le dollar. Il y aura un signal que le tremblement de terre arrive et chacun n’aura plus qu’une idée en tête : se débarrasser de ses actifs en dollars le plus rapidement possible, avant qu’ils perdent toute valeur (on verra alors que certains s’y sont préparés alors que d’autres n’ont rien vu venir …). En l’affaire de quelques jours au maximum, les trillions de dollars qui s’échangent frénétiquement sur les marchés ne vaudront plus rien. Alors, cela sera la fin de la toute puissance et le dur retour à la réalité pour les “maîtres du monde”.
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Michel BEYER
« De mon point de vue, assis ici en Chine et regardant l’Indo-Pacifique, la position américaine est plus forte qu’il y a cinq ou dix ans« , a déclaré M. Burns, ambassadeur USA en Chine. Cette déclaration a été faite récemment. Est-ce de la méthode Coué, ou de l’arrogance?
Si c’est de l’arrogance, d’abord la Chine fait partie de l”indo-pacifique”….pas les USA. Ensuite, leur arrogance les rend aveugles. Tant pis pour eux!
Je leur conseille de lire l’article de Frank Marsal qui est excellent.