“Les intervenants des plateaux de télévision”, ceux de LCI en particulier n’ont cessé de se couvrir de ridicule et pas seulement en ce qui concerne l’économie, ce que dénonce ici Jacques Sapir. Le ridicule de leurs analyses concernant la santé de Poutine, l’état d’esprit de la population russe, les diverses accusations d’autosabotages, et l’état du front, n’a pas de limite. Le consensus sur ces absurdités semble avoir été exigé pour avoir le droit d’intervenir à la télévision et dans les médias, qui ont pratiqué une censure qui n’a guère d’équivalent et nous ont menti d’une manière grotesque pour nous faire oublier que nous avions toutes chances d’être les victimes d’une telle escalade belliciste. Paradoxalement alors que les mensonges s’effondrent comme les victoires supposées, l’inquiétude peut grandir parce que l’idée de ces gens-là, reflétant celle émise par Zelensky et les siens, de simples marionnettes de l’OTAN et des USA, est qu’il faut être en position favorable pour négocier et ils vont déverser des armes jusqu’à ce que ce soit le cas. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Article de Jacques Sapir • Hier à 19:3410150
“‘Les prévisionnistes les plus efficaces semblent avoir été ceux du FMI et de l’Institut des Prévisions Économiques de Moscou qui ont rapidement réajustés leurs prévisions.”© Natalia KOLESNIKOVA / AFP
La publication des dernières estimations réalisées par le Fonds monétaire international (FMI) sur l’économie de la Russie a provoqué une certaine émotion parmi ceux que l’on désignera comme des « économistes de plateau télévisé ». La raison en est simple : loin – très loin – des prévisions apocalyptiques que l’on avait pu entendre ce printemps et cet été qui annonçaient un recul du PIB de -10 %, et un « effondrement » de l’économie russe, comme le prédisait Bruno Le Maire, ces estimations chiffrent le recul à -2,2 %.
Ces mêmes estimations indiquent pour 2023 une hausse, certes modeste, de 0,3 %, et pour 2024 une hausse plus conséquente, dépassant celle prévue pour la zone euro ou pour les États-Unis. D’où une question, qui revient en boucle : les sanctions ont-elles été inefficaces ? À cette interrogation s’ajoute immédiatement une autre : la politique de l’Union européenne, qui a abouti à couper cette dernière de l’approvisionnement en énergie bon marché en provenance de Russie a-t-elle fait plus mal à la Russie ou à l’Europe ?
Chiffres prévisibles
Ces chiffres étaient largement prévisibles. J’ai, pour ma part, dès le mois de septembre 2022, estimé la croissance russe entre -1,7 % et -3 %. La moyenne de l’estimation tombant à -2,35 %, je n’étais pas loin du compte. Ces chiffres n’étaient pas tirés du marc de café. Ils traduisaient l’étude rigoureuse des données disponibles, qu’il s’agisse de celles publiées par Rosstat, l’équivalent russe de l’Insee, ou par des sources occidentales.
On peut rétorquer que les données de Rosstat sont sujettes à caution. C’est ignorer quelques faits. Le premier est que l’agence statistique russe produit tous les mois des centaines des données qui ont des liens entre elles. Changer arbitrairement certaines, comme le PIB, sans changer dans le même temps quasiment toutes les données, induirait des incohérences qui seraient immédiatement détectées par les chercheurs. Le second est que ces données sont utilisées par les administrations russes et par les entreprises privées. On voit mal le gouvernement russe s’auto-intoxiquer. Et la création d’un double système de données (les « bonnes » et les manipulées) serait un travail de très longue haleine qui aurait bien du mal à rester secret. On peut donc considérer que les données de Rosstat reflètent correctement la réalité. Que pouvait-on y voir, et ce dès le mois d’août dernier ? Simplement que l’économie russe, après avoir subi un choc important, était en train de se rétablir relativement rapidement.
L’impact des sanctions
Plusieurs éléments permettaient de le déduire. Tout d’abord, l’impact des sanctions était faible dans l’industrie, à l’exception de la production de voitures particulières. Les autres branches de l’industrie, soit connaissaient des reculs faibles, soit connaissaient des progressions dans l’activité. La production industrielle devait donc connaître en 2022 une production comprise entre 0 % et -0,3 % par rapport à 2021. L’évolution de la consommation d’électricité en témoigne. L’agriculture et la construction, elles, continuaient de progresser. Ce qui était déjà nettement visible en août l’est devenu bien plus en ce début d’année 2023. L’agriculture aurait donc progressé de 4,5 % en 2022 et la construction de 6 %. La baisse de la production a été essentiellement due aux services, et parmi ceux-ci au commerce de détail. Les achats de la population ont diminué à la fois à cause de la réduction des revenus réels du fait de l’inflation entre avril et octobre dernier (les revenus réels se sont stabilisés pour les deux derniers mois de l’année) mais aussi du fait d’un accroissement de l’épargne compréhensible devant les inquiétudes que la nouvelle situation pouvait susciter.
Or, la part des services est plus faible en Russie (63 %) qu’elle ne l’est en France ou aux États-Unis (75-78 %). Cela a modéré automatiquement l’impact des sanctions. Cependant, deux autres faits ont tendu à compenser cet impact. Le premier est une politique gouvernementale de soutien à l’activité, qui a commencé à avoir des effets vers le milieu du troisième trimestre 2022. Le second, qui a été sous-estimé par pratiquement l’ensemble des chercheurs, a été la réaction du tissu économique russe qui s’est spontanément adapté aux contraintes engendrées par les sanctions, et qui a vu les entreprises soit se tourner vers des productions nationales, soit changer l’orientation de leurs chaînes d’approvisionnement. Les mesures de contournement des sanctions qui ont été mises en place ont porté leurs fruits à partir de la fin du troisième trimestre 2022. Cette adaptation, combinée avec l’action du gouvernement, a produit un rebond de l’activité industrielle à partir d’août-septembre 2022.
Inefficacité des sanctions ?
Ceci doit inciter à réfléchir sur l’inefficacité, à moyen et long terme des sanctions. On savait déjà que les sanctions économiques sont, politiquement, peu efficaces et parfois contre-productives, aboutissant à resserrer les liens entre les populations et leurs gouvernants. Économiquement, des sanctions sont inefficaces contre une économie qui s’avère, et cela a été démontré, de la taille de l’Allemagne bien plus que de celle de l’Espagne, et qui est loin d’être isolée. De fait, les différentes vagues de sanctions prises contre la Russie se sont heurtées tout d’abord à une politique intelligente de la Banque centrale, qui a immédiatement rétabli un contrôle des capitaux, isolant le pays contre des attaques spéculatives et protégeant le rouble.
Elles se sont heurtées ensuite à une structure du commerce qui a permis à la Russie de basculer vers l’Asie. Le montant des exportations a atteint de nouveaux sommets au deuxième et au troisième trimestre 2022 tandis que celui des importations, après avoir fortement baissé au deuxième trimestre, s’est progressivement redressé aux troisième et quatrième trimestres 2022. Les effets sur l’Union européenne se sont fait sentir, eux, dès le quatrième trimestre de 2022, et continueront toute l’année 2023.
Débouchés ailleurs qu’en Europe
Plusieurs pays ont permis à la Russie de contourner les sanctions : la Chine et l’Inde, évidemment, mais aussi la Turquie, la Kazakhstan, voire l’Arménie et l’Ouzbékistan. De fait, le commerce russe est revenu progressivement à son niveau d’avant les sanctions. Le rôle de la Chine soit ici être mis en avant. Il a permis à la Russie d’accroître ses importations de biens à haute technologie même au-delà du volume de ces dernières en janvier-février 2022. Il est donc vain de vouloir attendre un quelconque « effet caché » des sanctions sur l’économie russe.
Les prédictions catastrophistes des grandes institutions internationales occidentales ont été battues en brèche. Les rapports de think-tank américains, comme celui de l’université de Yale dont on avait beaucoup parlé en juillet dernier, ont été sèchement démentis. Si l’on oublie, par charité, ces derniers, on doit constater que la Banque mondiale, mais aussi l’agence Bloomberg, ont produit des prévisions très sombres au mois d’avril 2022 avant de progressivement s’ajuster. Mais, les prévisionnistes les plus efficaces semblent avoir été ceux du FMI et de l’Institut des prévisions économiques de Moscou, qui ont rapidement réajusté leurs prévisions. À la décharge des prévisionnistes, il convient de signaler que les modèles qu’ils utilisent étaient peu adaptés pour mesurer l’ampleur du choc potentiel que les sanctions pouvaient avoir sur l’économie russe mais aussi pour mesurer pleinement les phénomènes d’ajustement de l’économie aux effets desdites sanctions.
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