Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Entre un passé à jamais détruit, les clartés de l’avenir et entre les deux le marais…

Je me demande combien nous sommes à éprouver cela ? Lisez cet extrait de La confession d’un enfant du siècle de Musset. Il y a là une ressemblance. Ce qui agitait l’âme de cet enfant n’est-il comparable qu’à mes souvenirs de vieille femme qui n’a jamais pu oublier l’épopée de notre siècle, le vingtième? La jeunesse a-t-elle comme Musset le souvenir d’une Révolution? Pour des vieillards comme moi, cette chute de notre “soleil” que certains déclarèrent “trompeur” n’a jamais empêché que nous sentions encore et toujours sa chaleur, et ce que cette Histoire exigeait de nous: le meilleur. Il y a même ce rivage, qui apparaît au loin et que nous n’aborderons pas puisque le temps nous est compté. Parce qu’il est pour nous inatteignable, il se confond plus étroitement avec le passé, le seul qui vaille, l’Union soviétique et au cœur de celle-ci la Russie. Mais pas seulement, il est né avec nous, avec le sang versé.

Il y a l’âme russe, le chamanisme de cette immense nature toujours mystérieuse, sauvage, dans des temps où nos bouches sont asphyxiées. Il y a le cœur rouge en forme d’étoile de sa Révolution. Il n’y a rien eu d’autre dans ma vie d’important que ce qui sous une forme ou une autre, même Cuba, ne se soit trouvé mêlé avec “l’âme” soviétique. La mienne est celle d’une mécréante l’espèce étant mon éternité. Encore aujourd’hui tout m’ennuie, me parait médiocre si je ressens la moindre trahison, l’apostasie de ce moment qui me résume. Je ne veux pas plus que les jeunes gens qui guettaient la Commune de Paris retourner au passé, mais quand je vois les Russes avancer à leur manière, comme s’ils ignoraient la mort, parce qu’ils ont trop subi, parce que l’on a osé nier ce qu’ils ont donné à l’humanité, j’ai toujours envie de me ranger à leurs côtés. L’injustice est telle qu’ils me font paraître la France, enfin celle des politiciens, vieille, mesquine et étonnement stupide. Le fossé se creuse, devient un gouffre, j’admets le nouveau de l’aspiration de la jeunesse. Pourtant, il y a entre ce pourquoi j’ai vécu et la réalité de ceux que je me résigne à appuyer le fait que jamais ils ne soient capables de me soulever l’âme. C’est une adhésion de raison, alors il faut qu’ils s’écartent un peu pour me laisser entrevoir l’avenir. Dites-vous bien que ce qui me fait tenir c’est ce que j’ai appris de toutes les révolutions. Il ne faut jamais faire ce que veut l’adversaire et ce que veut l’adversaire c’est que nous cédions à ceux qui nous usent l’âme… (note de Danielle Bleitrach, histoire et société)

Voici ce que dit Alfred de Musset de l’état d’esprit des jeunes gens qui attendent ce temps disparu de l’épopée :

Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris.

    Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire et petits-fils de la Révolution.

    Or, du passé, ils n’en voulaient plus, car la foi en rien ne se donne ; l’avenir, ils l’aimaient, mais quoi ? comme Pygmalion Galathée ; c’était pour eux comme une amante de marbre, et ils attendaient qu’elle s’animât, que le sang colorât ses veines.

    Il leur restait donc le présent, l’esprit du siècle, ange du crépuscule, qui n’est ni la nuit ni le jour ; ils le trouvèrent assis sur un sac de chaux plein d’ossements, serré dans le manteau des égoïstes, et grelottant d’un froid terrible. L’angoisse de la mort leur entra dans l’âme à la vue de ce spectre moitié momie et moitié fœtus ; ils s’en approchèrent comme le voyageur à qui l’on montre à Strasbourg la fille d’un vieux comte de Sarverden, embaumée dans sa parure de fiancée. Ce squelette enfantin fait frémir, car ses mains fluettes et livides portent l’anneau des épousées, et sa tête tombe en poussière au milieu des fleurs d’oranger.

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1 Commentaire

  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    Ce sentiment d’une époque passée, celle des luttes aux idées claires, en tout cas plus claires que celles d’aujourd’hui je les partage.

    De Musset décrit une transformation en cours parfaitement dialectique le changement se produisant la fin de l’ancien indésirable et le nouveau incertain souhaité mais se réalisant là et maintenant.

    En France ceux qui sont confiants en l’avenir sont dans les classes supérieure aisées et stupides.

    Les couches moyennes semblent elles nostalgiques de l’ancien: les services publics, un revenu moyen mais suffisant accordant un peu de luxe, l’avenir est effrayant pour eux pour leurs enfants: comment vieillir ? que vont devenir nos enfants, emplois, famille ? les menaces climatiques et voilà le fléau de la maladie, les maltraitances, la vie chère, la guerre, toutes les plaies semblent s’abattre sur notre pays. “C’était mieux avant”, refuge dans la tradition et la France d’antan, comme ces russes si proches dans leur Russie millénaire, dans une pureté idéalisée et fausse.

    Les plus défavorisés, les plus nombreux se sont déjà en partie adaptés à la misère, ils ont de longues années d’entraînement ; leur avenir: demain sera peut être pas pire, pas mieux, abstention, démobilisation, survie.

    J’ai le sentiment d’être avec tous au milieu du marais, entouré de personnes dans le brouillard, en attente, ne décidant pas d’une direction à prendre.

    Là où le soleil se lève pourtant l’espoir et la confiance sont encouragé dans les faits et par les responsables politique, ils sont encore dans la longue marche mais plein d’optimisme.

    Chez nous il semble que les travailleurs se sont assis après 1968 et pour certains même fait demi tour.

    Les jours heureux se construisent en Chine et par la Chine dans les pays en développement, en action, très bientôt ce sera l’Afrique.

    Chez nous le brouillard est savamment entretenu par tous ceux dont la voix porte:empêcher de remettre en route le progrès, le progrès social et démocratique, la marche vers le socialisme seule voie vers la liberté de tous et chacun.

    Dans ce marais nous sommes encore quelques-uns épars sur des îlots a refuser que la mémoire s’éteigne, celle des luttes, des sacrifices mais aussi des belles victoires, a refuser encore de rompre cette transmission, a tenter de transmettre avec plus ou moins de succès la flamme.

    C’est souvent décourageant mais il n’y a pas d’autre choix que de transmettre cette mémoire et allumer le feu chez ceux qui vont animer la statue de marbre. Par ci , par là des jeunes reprennent le flambeau, interrogent l’histoire, refusent le mensonge, le voile sur le passé ; ce n’est pas encore la mise en marche mais elle se prépare, pour l’instant dans le silence.

    Il serait dommage qu’au pays des Lumières notre peuple reste spectateur.

    Si les contemporains de De Musset au milieu du marais avaient foi en ce jour qui se lève il était nourrit des Lumières, du progrès scientifique et économique, une France en expansion, rayonnante et centre du monde, victorieuse d’une Révolution exportant son idéal qui donnait dans bien des domaine la mesure.

    Nous revenons toujours à la production des idées et des objets: l’université et l’usine, la tête et la main inséparables.

    La France doit se remettre au boulot et vite.

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