Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Macron, la Bombe et l’Ukraine

Ce texte a l’incontestable mérite de nous confronter à l’impossibilité dans laquelle se trouve la France dans la définition de sa doctrine de dissuasion nucléaire de suivre l’OTAN, ce que De Gaulle avait tranché en quittant le commandement de l’OTAN, la doctrine française très contraignante se rapproche de celle de la Russie et pas de l’aventurisme de l’OTAN et des USA, amateurs de sanctions, voire de “guerre préventive”. Macron ne peut que le constater comme il ne peut que constater la catastrophe économique, politique vers laquelle il est tiré. Mais il est concrètement incapable de faire autre chose que de suivre. D’une manière imagée, on dirait que ses pieds raclent tandis qu’on le traîne… Le vieux fond historique français, la clarté gauloise, l’exigence de souveraineté sont là constamment violés et c’est ce qui fait de Macron un chef d’Etat qui n’arrête pas de macronner, un parlement français qui n’arrête pas de parler d’autre chose et une presse aux ordres qui invite la France à jeter par dessus bord toute indépendance nationale. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

par Jean-Philippe IMMARIGEON, le 19 octobre 2022

Par Jean-Philippe Immarigeon, avocat, historien

« La France a une doc­trine nucléaire, elle repose sur les inté­rêts fon­da­men­taux de la Nation, et ils sont défi­nis de manière très claire », a dit Emmanuel Macron le 12 octo­bre sur France 2 : « Ce n’est pas du tout cela qui serait en cause s’il y avait par exem­ple une atta­que balis­ti­que nucléaire en Ukraine ou dans la région. » Que n’avait-il pas dit là ? Dès le len­de­main, tous les experts de bac à sable qui peu­plent nos pla­teaux TV lui ont repro­ché de fra­gi­li­ser cette dis­sua­sion fran­çaise qui doit rester dans l’ambi­guïté, celle dont on ne sort, disait le car­di­nal de Retz, qu’à son détri­ment. Sauf que le Président de la République n’a rien fra­gi­lisé du tout.

Président de guerre : une erreur répa­ra­ble

A titre limi­naire, il faut encore une fois repla­cer les pou­voirs de guerre du Président dans leur contexte cons­ti­tu­tion­nel [1]. Nous sommes en régime par­le­men­taire, c’est donc la Première minis­tre et le gou­ver­ne­ment qui dis­po­sent des forces armées et sont res­pon­sa­bles de leur enga­ge­ment aux termes des arti­cles 20 et 21 de la Constitution et de l’arti­cle L.1131-1 du Code de la défense. Si le Président de la République est chef des armées, c’est comme l’était Albert Lebrun, comme l’est Charles III d’Angleterre ; car depuis 1870 le chef de l’Etat n’est plus com­man­dant en chef – alors que son homo­lo­gue amé­ri­cain reste com­man­der in chief depuis 1775.

Quant aux pou­voirs du Parlement, l’arti­cle 35 de la Constitution confirme ses pré­ro­ga­ti­ves en matière de guerre et y ajoute sa sai­sine au qua­trième mois d’une inter­ven­tion. Mais cet arti­cle n’a que très rare­ment été mis en œuvre, sans que cela ne sou­lève de pro­tes­ta­tion [2]. On s’aper­çoit que depuis l’inter­ven­tion en Espagne de 1823, nos repré­sen­tants ne mon­trent guère d’empres­se­ment à s’inté­res­ser à nos guer­res [3]. Il en a été ainsi le 3 octo­bre der­nier lors d’un débat d’une abys­sale vacuité au titre de l’arti­cle 50-1 de la Constitution durant lequel les dépu­tés se sont une nou­velle fois défilé, et on a même vu le PS, digne héri­tier de la SFIO atlan­tiste des années 50, pro­po­ser le vote d’une réso­lu­tion de sou­tien incondi­tion­nel à l’Ukraine.

« Le Parlement est le plus grand orga­nisme qu’on ait inventé pour com­met­tre des erreurs poli­ti­ques », disait Clemenceau, « mais elles ont l’avan­tage supé­rieur d’être répa­ra­bles, et ce, dès que le pays en a la volonté ». Encore faut-il que ses élus l’écoutent. Plus de deux siè­cles après la prise des Tuileries, la guerre reste le fait du prince même s’il peine sou­vent à se jus­ti­fier, comme le mon­trent les expli­ca­tions confu­ses de François Hollande concer­nant la Syrie lors de sa dépo­si­tion au procès du Bataclan, en réponse aux pré­ten­tions de ven­geance des ter­ro­ris­tes. Mais ce sont sur ces OPEX qu’il faut deman­der des comp­tes, pas sur l’hypo­thèse d’emploi d’armes nucléai­res, parce que s’il est un domaine où le Président de la République a des pré­ro­ga­ti­ves auto­no­mes, c’est bien celui-là.

Arbitraire réga­lien et guerre impos­si­ble

L’ordre de tir nucléaire est même le seul cas où le CEMA prend ses ordres direc­te­ment du Président et de lui seul (arti­cle R.1411-5 du Code de la défense). Domaine réga­lien, comme le droit de grâce ou celui d’entrer à cheval dans Saint-Jean-de-Latran, qui relève de l’arbi­traire. C’est la condi­tion indis­pen­sa­ble pour que la menace soit cré­di­ble : elle repose sur la cons­cience d’un seul et ne peut être par avance modé­li­sée. La doc­trine dite de dis­sua­sion n’est là que pour fixer un cadre non per­for­ma­tif. Pour la France on la connait, et la Russie l’a peu ou prou adop­tée : c’est la pre­mière frappe sur une puis­sance qui menace les inté­rêts fon­da­men­taux de la Nation. Comme la Russie, trau­ma­ti­sée par les inva­sions de 1812 et plus encore de 1941, la France entend se garan­tir d’une répé­ti­tion de 1870 et bien entendu de 1940. Seulement voilà : cette garan­tie ne joue pas de la même manière si le danger vient d’une puis­sance nucléaire, autre­ment dit si on risque l’anéan­tis­se­ment en répli­que à un ultime aver­tis­se­ment.

La France et la Russie ayant des doc­tri­nes d’emploi symé­tri­ques, cha­cune ne peut mener à l’autre de guerre de haute inten­sité sans que le conflit ne monte aux extrê­mes de la des­truc­tion mutuelle. Dit autre­ment, une guerre entre nos deux nations est impos­si­ble, c’est comme ça [4], et les géos­tra­tè­ges de la ter­rasse du Flore peu­vent se palu­cher sur cette hypo­thèse, elle n’en reste pas moins un nicht­ti­ges nichts, aurait dit Kant. Et c’est un mau­vais procès que l’on fait au Président Macron, puisqu’il n’a pas abordé cette ques­tion de doc­trine, toute empreinte d’ambi­va­lence et irré­so­lue jusqu’au jour où les sirè­nes reten­ti­ront une nuit sur Paris. Il a sim­ple­ment énoncé cette évidence : l’Ukraine n’est pas un inté­rêt fon­da­men­tal pour la France.

Oublier l’Ukraine ?

C’est ce qui a heurté nos bel­li­cis­tes qui annon­cent depuis six mois l’arri­vée des chars russes au Pont de Kehl, pho­to­co­pient les éditoriaux hys­té­ri­ques de The Economist – qui sug­gère qu’on expurge les biblio­thè­ques de tous les auteurs russes depuis Pouchkine –, ou applau­dis­sent au Parlement euro­péen le dis­cours de von der Leyen, dont on ne com­prend pas si la revan­che dont elle rêve concerne Stalingrad ou le lac Peïpous. Mais Macron n’a pas levé l’ambi­guïté concer­nant l’uti­li­sa­tion de nos armes nucléai­res, puisqu’il n’a pas dit dans quel­les cir­cons­tan­ces il les uti­li­se­rait : il a dit qu’il ne le ferait « d’évidence » pas pour l’Ukraine. Il a même ajouté le mot « région », ce qui n’est pas tombé sur l’orteil de sourds à Tallin ou Helsinki.

Dit plus cru­ment, que l’Ukraine repasse ou non sous orbite russe nous est stra­té­gi­que­ment indif­fé­rent. On pour­rait même avan­cer que la France, quelle que soit l’issue de la bataille en cours, n’a aucun inté­rêt à être partie pre­nante d’une guerre de Trente Ans contre la Russie, pour autant que celle-ci n’accep­tera jamais, avec ou sans Poutine, que le fanion de l’Otan et la ban­nière étoilée flot­tent sur ses mar­ches du Donbass, aux portes de Leningrad et à deux étapes du Tour de France de Moscou.

On ne com­prend alors pas pour­quoi la France four­nit l’Ukraine en maté­riel dont elle désha­bille nos Armées ; pour­quoi il faut cesser d’ache­ter du gaz à un peuple fran­co­phile jusqu’au tro­gnon, pour se mettre sous la coupe de l’Algérie dont la préoc­cu­pa­tion majeure est de régler son vieux mécompte colo­nial, ou du Qatar qui incite nos gami­nes à violer les lois répu­bli­cai­nes et la laï­cité ; pour­quoi il faut payer à l’Amérique son gaz de schiste quatre fois le prix, comme au temps du Cash & Carry où elle nous fac­tu­rait ses avions et ses moteurs ; ni sur­tout pour­quoi nous entrons dans un hiver de pri­va­tions que font sem­blant de gérer des tech­no­cra­tes incultes, avec une séré­nité dans l’incom­pé­tence qui force le res­pect, disait Pierre Desproges.

Le ravis­se­ment d’Emmanuel M*

Où est donc passée la France ? Dès lors que Poutine a tendu la perche à Macron le 7 février 2022 lors de la visite de ce der­nier au Kremlin, quinze jours avant l’inva­sion, mais sans ren­contrer d’écho [5] puis­que Washington avait déjà inter­dit qu’on réponde en décem­bre pré­cé­dent à la pro­po­si­tion de confé­rence euro­péenne sur la sécu­rité et de défi­ni­tion d’une zone tampon entre les armées russe et de l’Otan, elle renonce à tout dia­lo­gue autre que des coups de télé­phone mis en scène pour satis­faire les pho­to­gra­phes de Paris Match ; elle renonce à user de son statut de puis­sance nucléaire conti­nen­tale au nom d’une soli­da­rité à sens unique au sein d’une orga­ni­sa­tion de plus en plus en « mort céré­brale », comme le Président fran­çais le disait il n’y a guère ; elle renonce à cette excep­tion fran­çaise au sein de l’Otan qui pour­tant fut l’argu­ment maître de notre réin­té­gra­tion.

On ne redis­cu­tera pas ici l’inep­tie que cons­ti­tue notre appar­te­nance à l’Organisation, et pas seu­le­ment au com­man­de­ment inté­gré, si ce n’est pour signa­ler que sur son site, à la page consa­crée à la Résolution 239 dite Vandenberg votée en 1948 par le Sénat amé­ri­cain aux fins d’auto­ri­ser – notam­ment – les Etats-Unis à signer le Traité, il est indi­qué dans la ver­sion fran­çaise (mise à jour d’octo­bre 2009) qu’un des objec­tifs est « la signa­ture d’accords met­tant des forces armées à la dis­po­si­tion des Etats-Unis » (pour United Nations dans le texte voté). Malencontreuse erreur de tra­duc­tion, ou lapsus scrip­tae qui anti­cipe les capri­ces du suze­rain ?

Tantôt cani­che aima­ble de la Commission Européenne, tantôt sta­giaire ser­vant le café au State Department, la posi­tion de la France est pour­tant logi­que dès lors qu’elle renonce d’emblée à être l’inter­lo­cu­teur pri­vi­lé­gié de Poutine, et sort du jeu une Force de Frappe dont on ne parle plus puisqu’on n’en a pas immé­dia­te­ment parlé. Pour s’extraire de cette nasse et se remet­tre en selle, il n’y aurait que le voyage de Moscou. Le Charles de Gaulle des dis­cours de Phnom Penh et Montréal l’aurait fait. Mais qu’atten­dre d’un ancien Young Leader de la French American Foundation dans le monde mer­veilleux de McKinsey ?


[1] Pour une étude détaillée, voir de l’auteur : « Je veux savoir pourquoi je me fâche ! » in Revue Défense Nationale, Tribune n° 919, 25 juillet 2017 ; « La guerre, le Président et la Constitution » in Revue Défense Nationale, Tribune n° 995, 24 avril 2018 ; « Chef des armées ou chef de guerre ? », in site La Vigie, 24 mars 2020 ; « Forces armées », Macron. Droit d’inventaire, Front Populaire, Hors-Série n° 2, octobre 2021.

[2] Même de la part de La France Insoumise, pourfendeuse de la monarchie présidentielle, qui avait pourtant interpelé le gouvernement dès 2017, voir Assemblée Nationale, 15ème législature, 25 juillet et 10 octobre 2017, QST-AN-163QE, JORF p. 4829.

[3] Voir Romain Leblond-Masson, « Le Parlement et la décision de guerre : retour sur l’article 35 de la Constitution », in Revue française de droit constitutionnel, 2015/4 n° 104, Presses Universitaires de France.

[4] Voir la nouvelle préface à l’édition en poche de Jean-Pierre Dupuy, La guerre qui ne peut pas avoir lieu. Essai de métaphysique nucléairePoints Essais, 2019. Egalement, Claude le Borgne in Les Cahiers de la Revue Défense Nationale, 3ème édition, 2009.

[5] Voir Dupuy, opcit. Et Le Cadet n° 88, « Le retour de Folamour », in La Vigie, 12 février 2022.

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