Le malaise du Japon dans la nouvelle guerre froide, par Vijay Prashad

Nous avons désormais l’habitude de publier les textes que nous adresse Vijay Prashad et de son pôle de recherche, un courant marxiste, anti-impérialiste d’intellectuels, écrivains, artistes, qui est très centré sur les contradictions du monde multipolaire en train de naître. La situation du Japon fait ici étrangement songer à celle de l’Allemagne en Europe et dit la tension que génère la stratégie des Etats-Unis invitant ses alliés au surarmement tandis qu’il les prive de ce qui fait leur développement économique avec en fond une population qui refuse la guerre. Jouer sur les conservatismes, voir les aspects fascisants est une issue mais elle met à mal ceux qui l’adoptent. (note et traduction de danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Bio de l’auteur:Cet article a été produit parGlobetrotter. Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est rédacteur et correspondant en chef chez Globetrotter. Il est éditeur deLeftWord Bookset directeur deTricontinental: Institute for Social Research. Il est chercheur principal non résident àl’Institut Chongyang d’études financières de l’Université Renmin de Chine. Il a écrit plus de 20 livres, dont TheDarker Nations et The Poorer Nations. Ses derniers livres sontStruggle Makes Us Human: Learning from Movements for Socialismet (avec Noam Chomsky) The Withdrawal: Iraq, Libya, Afghanistan, and the Fragility of U.S. Power.

Source: Globe-trotter

Début décembre 2022, la Force d’autodéfense japonaise a rejoint les forces armées américaines pour Resolute Dragon 2022, que les Marines américainsappellentle « plus grand exercice d’entraînement bilatéral de l’année ». Le major-général Jay Bargeron de la 3e division de Marines des États-Unisa déclaréau début de l’exercice que les États-Unis étaient « prêts à se battre et à gagner s’ils étaient appelés ». Resolute Dragon 2022 a suivi larepriseen septembre des exercices militaires trilatéraux par le Japon, la Corée du Sud et les États-Unis au large de la péninsule coréenne; ces exercices avaient été suspendus alors que l’ancien gouvernement sud-coréen tentait une politique de rapprochement avec la Corée du Nord.

Ces manœuvres militaires se déroulent dans un contexte de tension accrue entre les États-Unis et la Chine, la plus récente stratégie de sécurité nationale des États-Unisidentifiantla Chine comme le « seul concurrent » des États-Unis dans le monde et devant donc être contrainte par les États-Unis et leurs alliés (qui, dans la région, sont le Japon et la Corée du Sud). Cette position américaine intervient malgré les dénégations répétées de la Chine – y comprisdu porte-parole du ministère des Affaires étrangères Zhao Lijian le 1er novembre 2022 – selon lesquelles elle « ne cherchera jamais l’hégémonie ou ne s’engagera jamais dans l’expansionnisme ». Ces exercices militaires placent donc le Japon au centre de la nouvelle guerre froide poursuivi par les États-Unis contre la Chine.

Article 9[modifier]

La Constitution du Japon (1947) interdit au pays de constituer une force militaire agressive. Deux ans après l’insertion del’article 9dans la Constitution à la demande de l’occupation américaine, la révolution chinoise a triomphé et les États-Unis ont commencé à réévaluer le désarmement du Japon. Les discussions sur la révocation de l’article 9 ont commencé au début de la guerre de Corée en 1950, lorsque le gouvernement américain a fait pression sur le Premier ministre japonais Shigeru Yoshida pour renforcer l’armée et militariser la réserve de la police nationale; en fait, l’amendement Ashida à l’article 9 a affaibli l’engagement du Japon en faveur de la démilitarisation etalaissé la porte ouverte à un réarmement à grande échelle.

L’opinion publique japonaise estopposée àla suppression formelle de l’article 9. Néanmoins, le Japon a continué de renforcer ses capacités militaires. Dans le budget 2021, le Japon a ajouté 7 milliards de dollars (7,3%) pour dépenser 54,1 milliards de dollars pour son armée, « la plus forte augmentation annuelle depuis 1972 », notel’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. En septembre 2022, le ministre japonais de la Défense, Yasukazu Hamada,a déclaréque son pays « renforcerait radicalement les capacités de défense dont nous avons besoin… Pour protéger le Japon, il est important pour nous d’avoir non seulement du matériel tel que des avions et des navires, mais aussi suffisamment de munitions pour eux ». Le Japon a indiqué qu’il augmenterait son budget militaire de 11% par an d’ici 2024.

En décembre, le Japon publiera une nouvelle stratégie de sécurité nationale, la première depuis 2014. Le Premier ministre Fumio Kishidaa déclaréau Financial Times : « Nous serons pleinement prêts à répondre à tout scénario possible en Asie de l’Est pour protéger la vie et les moyens de subsistance de notre peuple. » Il semble que le Japon se précipite dans unconflitavec la Chine, son principal partenaire commercial.