Nous sommes loins de la condamnation unanime tant vantée par notre presse
En effet s’il y a seulement 5 pays qui se prononcent en faveur de la décision d’annexer des régions séparatistes d’Ukraine par la Russie (le Belarus, la Corée du nord, le Nicaragua, la Russie et la Syrie), il y en a 9 qui refusent de voter (Azerbaïdjian, Burkina Faso, Djibouti, Salvador, Guinée équatoriale, Iran, Sao Tome, principe, Turkmenistan, Venezuela) et ce n’est certainement pas quand on connait ces pays, pour complaire aux USA.
Il y en 35 et là aussi la liste parle d’elle-même qui s’abstiennent (Algérie, Arménie, Bolivie, Burundi, République centre-africaine, Chine, Congo, Cuba, Érythrée, Eswatini, Éthiopie, Guinée, Honduras, Inde, Kazakhstan, Laos, Lesotho, Mali, Mongolie, Mozambique, Namibie, Pakistan, Afrique du sud, Soudan sud, Sri Lanka, Soudan, Tadjikistan, Thaïlande, Togo, Ouganda, Tanzanie, Ouzbékistan, Vietnam, Zimbabwe).
Bref apparait au moins un phénomène des non alignés dans lequel les pays les plus peuplés, ceux déjà dans les BRICS, ceux qui jouent un rôle moteur dans les continents asiatiques, dans l’Asie centrale, en Afrique, en Amérique latine refusent de soutenir la croisade otanesque.
Une lecture de ceux qui ont voté pour parmi les 143 est tout aussi éclairante puisqu’on trouve des pays comme le Mexique, voire l’Argentine qui a demandé son adhésion au BRICS qui ne veulent pas appliquer de sanctions et considèrent que c’est le régime ukrainien qui refuse de négocier. Il y a également des pays qui prennent des positions de soutien aux USA mais qui se heurtent à une opinion publique hostile à cet alignement, ce qui est le cas de la Serbie. Sans parler de la violence du sentiment anti-français dans certains pays du Sahel dans lequel on voit l’influence russe, mais comme le dit le journaliste Djakaridia Siribié, cité par le Figaro, le sentiment antifrançais est le symptôme d’un rejet plus profond envers un pays « qui décide encore de tout, des commandes d’armement aux matériels médicaux » et qui ne s’est pas encore départi de « ses anciennes méthodes coloniales, surtout sur le plan politique ». Exemples : l’adoubement au Tchad du fils d’Idriss Déby qui a pris le pouvoir à la mort de son père, vieil ami de la France, ou alors le silence de la France quand, en Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara a modifié la constitution pour enchaîner un troisième mandat. « Pendant ce temps, la France condamnait sévèrement le coup d’État au Mali et la violation des principes démocratiques ». Il y a enfin le cas de certains pays africains qui s’étaient abstenus jusqu’ici comme le Sénégal pour marquer son non alignement et qui ont voté pour mais il faut savoir que ce pays assure la présidence tournante de l’Union africaine. À deux reprises, Dakar s’était abstenu, assumant une position de principe de « non-alignement » sur la politique d’un camp ou d’un autre. Mais l’Union africaine défend dans ses textes fondateurs l’intangibilité des frontières et l’inviolabilité de la souveraineté territoriale et la présidence se devait de rappeler ce principe.
Mais surtout il faut noter qu’alors que la Russie par la voix de Lavrov avait demandé un scrutin à bulletin secret, le président de séance un hongrois a par un tour de passe passe ignoré la demande ce qui permettait aux pressions US d’exercer leur maximum d’effets. Il y a chez les fonctionnaires des institutions internationales des habitudes d’intégration aux visées occidentales qui font partie du système.
Bref les votes méritent d’être analysés dans ce contexte de pression US mais aussi en étant analysés les uns après les autres et alors ils éclairent des enjeux déjà multipolaires. Je signale par parenthèse par rapport aux discours invraisemblables de Macron sur le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, que ce dernier pays n’a pas pris part au vote et que l’Arménie s’est abstenue, tout cela n’a de sens que si l’on perçoit mieux le rôle stabilisateur qu’a la diplomatie russe et même les interventions russes, ce qui va totalement a contrario de notre perception spontanée liée à notre vision française du monde, nous sommes là aussi dans un processus où a déjà éclaté le poids des diktats de l’occident, avec des choix à géométrie variable mais avec des tendances économiques fortes comme l’a manifesté le choix de l’OPEP.
En revanche ce qui pour le moment parait très caractéristique c’est le mouvement d’intégration de l’Asie centrale qui n’avait rien d’évident et qui est en train de s’opérer, ce qui est d’autant plus caractéristique que si le rôle économique de la Chine dans cette intégration est clair, la Russie joue un rôle politique non moins évident.
La pression occidentale comme incitation à l’intégration eurasienne
Chronique : PolitiqueRégion : Asie de l’Est
Comme on le sait, la Russie soutient depuis longtemps l’idée de l’intégration eurasienne, et le projet d’intégration le plus activement poursuivi en Eurasie est le projet chinois de transport et d’économie « Belt and Road Initiative » (BRI).
La BRI est conçue pour unir autant d’États que possible dans un seul espace économique. Presque tous les pays africains y sont impliqués, et les sous-projets maritimes de la BRI incluent également l’Australie, l’Océanie et certains États d’Amérique latine. Pour le moment, cependant, le principal domaine d’activité de la BRI reste l’Eurasie, où ses projets de transport terrestre les plus importants, conçus pour relier la Chine à l’Europe et donner aux produits chinois l’accès au marché de l’Union européenne (UE), sont mis en œuvre. La Russie pourrait jouer un rôle important dans la connexion de la RPC avec l’UE. À travers le vaste territoire de la Fédération de Russie, qui s’étend d’ouest en est, une route directe entre les frontières de la RPC et celles de l’UE pourrait être établie. Si l’on contourne la Fédération de Russie, les trains et les voitures en provenance de Chine devraient traverser plusieurs pays pour se rendre à l’UE, ce qui nécessite beaucoup plus de formalités et augmente le temps et les coûts financiers impliqués. Ainsi, le fait que la Fédération de Russie soit désireuse d’une coopération active avec la RPC et soutienne l’intégration eurasienne et la mise en œuvre de la BRI peut être considéré comme un grand coup de chance pour la Chine.
Un projet de route terrestre de la RPC vers l’Europe via le Kazakhstan, la Russie et la Biélorussie est maintenant prêt et est connu depuis plusieurs années sous le nom de route Shanghai-Hambourg. La section russe de l’itinéraire s’appelle « Méridien » et doit traverser les régions d’Orenbourg, Samara, Saratov, Tambov, Lipetsk, Orel, Briansk et Smolensk de la Fédération de Russie. Alors que la longueur totale de la route Shanghai-Hambourg est d’environ 8 500 km, la section russe sera d’environ 2 000 km de long. En 2022, la valeur du projet Meridien était estimée à environ 10 milliards de dollars.
Cependant, en février 2022, l’opération militaire spéciale des troupes russes en Ukraine a commencé et l’avenir de tous les projets conjoints UE-Russie a été remis en question. Néanmoins, les relations russo-chinoises continuent de se développer et si la mise en œuvre de la partie russo-européenne du projet Shanghai-Hambourg est reportée indéfiniment, Moscou et Pékin devraient choisir un autre domaine pour des activités mutuellement bénéfiques. D’autant plus que les relations de la RPC avec l’Occident se détériorent aussi progressivement.
Il a été décidé de changer le tracé de l’autoroute Meridian: elle se tournera désormais vers la mer Caspienne, l’Iran et d’autres pays situés dans cette région. Cette option est maintenant plus souhaitable, car avec l’affaiblissement des relations commerciales avec l’Europe, le commerce avec les pays asiatiques, y compris ceux de la région caspienne, a commencé à croître, et il est devenu plus rentable pour la Russie d’y construire des routes.
Le projet Meridian a été décidé d’être combiné avec le projet South-Eastern Chord, qui devrait mieux relier l’Extrême-Orient russe à ses régions méridionales. Une fois mis en œuvre avec succès, le projet créera un réseau d’autoroutes reliant l’Extrême-Orient russe et la Chine (via le Kazakhstan) aux régions du nord et du sud-ouest de la Russie, et plus loin à la région caspienne. Le résultat serait un système de transport russo-asiatique autonome, libre de toute influence européenne.
Les détails du projet Meridian transformé ont été discutés en marge du Forum économique international de Saint-Pétersbourg en juin 2022.
Comme on le sait, « quand Dieu ferme une porte, Il ouvre une fenêtre ». La rupture des liens avec l’Occident a fortement incité la Russie à développer des liens avec la RPC.
La composante la plus importante du transport terrestre est le chemin de fer, sans lequel il est difficile d’imaginer un transport de marchandises à grande échelle. Et l’été 2022 a apporté des nouvelles positives sur le sujet des liaisons ferroviaires russo-chinoises. Fin juillet 2022, le ministère des Transports de la Fédération de Russie a annoncé son intention de le renforcer dans un avenir proche. D’ici 2030, plus de 30 milliards de dollars seront alloués à cette fin. 369 km de voies ferrées seront posées en Russie, ainsi qu’environ 3 000 km de voies ferrées en Chine, au Kazakhstan et en Mongolie. De nouveaux postes frontaliers seront également construits.
L’épine dorsale de ce groupe de projets sera le corridor de transport international Russie-Mongolie-Chine, qui reliera la RPC au chemin de fer transsibérien russe, le plus long chemin de fer du monde, reliant l’Extrême-Orient russe à sa partie européenne. La nécessité de renforcer la connexion entre le Transsibérien et la Chine est attendue depuis longtemps. Il sera suivi sur le territoire russe par le chemin de fer Elegest-Kyzyl-Kuragino, qui mènera ensuite à la RPC via la Mongolie.
La Fédération de Russie construira également un chemin de fer de 226 km sur le territoire mongol. Il reliera la station mongole de Zuunbayan à la Chine.
En outre, il est prévu de relier en outre le kraï russe du Primorié à la RPC en construisant la route Lesozavodsk-Hulin de 56 kilomètres.
Enfin, la Russie participera à la construction d’un chemin de fer au Kazakhstan, qui reliera la ville kazakhe d’Ayagoz au village de Bakhty près de la frontière entre le Kazakhstan et la Chine. La route sera longue de 270 km.
Les rumeurs disent que la Russie est obligée de faire d’énormes dépenses pour construire des chemins de fer dans des pays étrangers en raison de la détérioration des relations avec l’Occident, et on ne sait pas si ces projets porteront leurs fruits. Cependant, les experts dans le domaine soutiennent que, premièrement, le volume du trafic de marchandises dans la région augmente régulièrement depuis longtemps, et même avant le début de l’opération spéciale ukrainienne, il était nécessaire d’augmenter radicalement la capacité du système ferroviaire reliant la Russie à la Chine. Deuxièmement, les chemins de fer permettraient enfin aux hydrocarbures en provenance de Russie d’accéder pleinement au marché chinois, mettant fin à la situation paradoxale dans laquelle la Russie est l’un des principaux producteurs d’énergie au monde et borde la Chine, principal consommateur de ces carburants, mais n’occupe qu’une petite partie du marché chinois. La situation ne profite ni à la Russie ni à la Chine, qui est obligée de transporter le pétrole du Moyen-Orient par la mer à travers l’étroit détroit de Malacca à des prix exorbitants.
Il convient de rappeler que, outre les coûts de transport, la manière actuelle de livrer les hydrocarbures à la RPC rend la sécurité énergétique chinoise dépendante des relations de Pékin avec les États-Unis. En effet, le détroit de Malacca est contrôlé par l’Indonésie, la Malaisie et Singapour, qui ont des partenariats si forts avec les États-Unis que Singapour possède même une base militaire américaine. La marine américaine est présente en permanence dans la région, tout comme la marine indienne, principal rival de la RPC en Asie. Toutes ces forces sont suffisantes pour bloquer le détroit de Malacca et priver la Chine de ses pétroliers du Moyen-Orient. Toutefois, le lancement d’une véritable liaison ferroviaire avec la Russie rendra cette menace moins sensible pour la RPC.
Rappelons également qu’en septembre 2022, une tentative de destruction de deux branches du gazoduc russe Nord Stream passant sous la mer Baltique a eu lieu. Les détails de l’incident ne sont pas encore connus, mais il y a des raisons de penser qu’il s’agit du résultat d’un sabotage des services de renseignement américains. Les experts pro-occidentaux se sont réjouis : selon eux, sur le plan politique, la Russie a perdu son dernier moyen de pression sur l’UE, et cette dernière peut désormais cesser complètement d’hésiter à prendre de nouvelles sanctions anti-russes et à livrer des armes au régime de Kiev. Les milieux d’affaires américains ont également salué la nouvelle : pour échapper à une crise énergétique imminente, les pays de l’UE, en particulier l’Allemagne, devront désormais acheter du gaz aux États-Unis ou à leurs alliés, au prix qu’ils pourront se permettre.
Avant de se réjouir, cependant, les Américains devraient considérer que couper définitivement l’approvisionnement énergétique de l’Europe signifie une réorientation complète des exportations russes d’hydrocarbures vers l’Asie, principalement la Chine. Après la mise en œuvre des projets ferroviaires russo-chinois décrits ci-dessus, cela pourrait signifier une sécurité énergétique chinoise beaucoup plus grande et moins de dépendance à la situation dans le détroit de Malacca. Cela signifie à son tour beaucoup plus de marge de manœuvre pour Pékin, en particulier sur des questions telles que la position de Taiwan et la propriété de la mer de Chine méridionale et de la mer de Chine orientale. Et tout cela pourrait remettre en question non seulement la domination américaine, mais aussi la présence même des États-Unis dans la région de l’Asie de l’Est.
Que les événements se déroulent ou non dans cette direction est le choix de Pékin. Quoi qu’il en soit, l’amélioration des connexions terrestres entre la Russie et la Chine garantira que les deux pays bénéficient d’un commerce stable et les rapprochera de leur rêve de longue date d’une Eurasie intégrée, une Eurasie qui puisse à la fois coopérer sur un pied d’égalité avec les États-Unis et s’en passer.
Entre autres choses, la construction ferroviaire à grande échelle au Kazakhstan, approuvée par le principal partenaire d’Almaty, Beijing, entraînera une augmentation significative de la présence russe dans le pays. Dans ce contexte, nous pourrions assister à une nouvelle recrudescence des relations entre la Russie et le Kazakhstan, qui, pour certains experts, ne semblent plus très chaleureuses, par exemple en raison du récent refus du Kazakhstan de reconnaître l’indépendance de la RPL et de la RPD. Cependant, il n’est pas exclu qu’Almaty reconsidère sa décision.
On sait depuis longtemps que tout dans le monde est interconnecté. Tout impact inconsidéré que les puissances occidentales ont sur d’autres régions aura tôt ou tard un impact sur elles-mêmes. Et les technologies de transport modernes ne font que rendre le processus plus rapide.
Dmitry Bokarev, observateur politique, en exclusivité pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».
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Xuan
Sauf erreur, il ne s’agissait pas d’un vote à bulletin secret, de sorte que les pressions US ont pu s’exercer sur certains pays.