Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Sacha Bergheim : Ukraine, état des lieux en tentant de partir des faits et non d’un principe de consolation…

Petit tour d’horizon depuis le dernier post. Sacha Bergheim, le franco-israélien russophone et passionné par les questions militaires nous apporte son éclairage sur l’état du front et sur sa différence avec la manière dont nos médias relaient les enthousiasmes et délires d’un Zelensky dopé à bloc par le fait de se retrouver à la tête de l’OTAN et de l’armée US… Outre les informations il y a dans la logique de Sacha Bergheim quelque chose que je ressens profondément (peut-être par atavisme commun) à savoir la distance ironique y compris par rapport à ses propres sympathies ou antipathies, c’est utile dans ces temps de “mobilisation” et de bons sentiments déversés pour faire accepter la guerre à des gens qui n’ont de toute façon pas droit à la parole. “On savait déjà que nous étions dirigés par des gens cyniques, menteurs et sans courage. Mais pourquoi leur décrépitude intellectuelle, géostratégique devrait-elle entrainer des nations entières? Nous n’étions pas condamnés à la guerre, puisqu’il suffisait de penser à la prospérité de l’Ukraine en contrepartie de sa neutralité, nous aurons la misère, ici et en Ukraine, mais aussi la neutralité de l’Ukraine. Il y a des ennemis qu’on n’aimerait pas avoir, et des amis qu’on n’aimerait pas avoir non plus, surtout s’ils agissent comme des ennemis. Aux triomphalistes, petit rappel cruel: l’OPEP réduit sa production.. C’est bien le signe que la victoire est au tournant n’est-ce pas?” (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Illustration: La France a déjà livré 18 canons Caesar à l’Ukraine, soit le quart de ce dont l’armée dispose. Le général Olivier Kempf pointe la durée de fabrication très longue de ce type d’arme. Tout ce qui était disponible a déjà été livré.

1 Zelenski pense que c’est la reconquista qui se réalise sous nos yeux, mais sa langue a fourché lors d’une visio conférence avec l’Institut Lowy australien, pourtant largement acquis à sa cause, le matamore, juif à ses heures, appelle à des frappes préventives contre la Russie. Si vous êtes méthodiquement vainqueur sur le terrain et que vous n’avez aucune raison de douter de votre victoire, il est curieux de chercher malgré tout à pousser vos alliés (car il n’a pas les moyens militaires de le faire) à entrer en guerre totale avec l’ennemi commun.

2 Cela permet de faire la transition sur le second point. Du point de vue opérationnel, les USA se sont beaucoup plus impliqués dans la préparation des batailles tactiques depuis l’échec patent de la fameuse offensive d’un million d’hommes pour reprendre Kherson, qui n’était qu’une série de coups de bélier désastreux tout au plus d’environ 30 000 hommes sur une zone de steppe, manquant d’artillerie et de couverture aérienne. Cette implication s’est concrétisée lorsque les Américains ont pudiquement déclaré dans leurs médias que les Ukrainiens commençaient à partager les informations avec Washington. Quelles informations? Celles fournies par satellite? C’était un aveu clair que la seule façon de pouvoir affronter les forces russes au schéma tactique obsolète était de réduire le délai opérationnel. Même un atlantiste comme Goya a dans un de ses postes mentionné la présence de “soldats fantômes”, expression pudique pour dire simplement que l’otan dirige les opérations, des renseignements jusqu’à l’ordre de bataille, et bien sûr avec le mêmes régiments néonazis que depuis le début, qu’ils s’appellent Azov ou Dnipro 1 (comme à Lyman). Sur un mois d’observation, les services de renseignement ont pu mettre au jour les capacités réelles russes (artillerie / hommes / rotations) et ainsi déterminer les points faibles du front (par exemple au sud de Krivoï Rog, moins d’un peloton pour vingt kilomètres de front). Et non, chers pro-Russes, ce n’était pas un piège orchestré par les généraux de carnaval. Ce changement de tactique permet de pallier aux défauts offensifs, combinant unités étrangères et brigades d’infanterie ukrainienne.

3 Le résultat est-il à la hauteur des attentes? La réponse est double: du côté de Kherson, le retrait russe a permis à Zelenski de faire sa conférence de presse gonflé à bloc, passant de crapaud à taureau ailé: ils ont repris dix villages et hameaux. Mais au risque de déplaire aux pro-ukrainiens, 600km² quand plus de 100.000 sont “annexés”, on est loin d’une grande offensive. Qui plus est, le retrait russe se fait sur une nouvelle ligne de défense sur laquelle les Ukrainiens sont bloqués puisqu’ils perdent l’avantage initial du surnombre (obtenu par renseignement occidental). Le seul point intéressant est la possibilité d’organiser des opérations d’infiltration sur une zone plus étendue du Dniepr, mais à part un intérêt pour les groupes de reconnaissance et diversion, nihil nove sub sole. Du côté de Kupyansk, le tableau plait encore moins aux pro-russes qui se crispent. De toute évidence, nous avons un échec politique où la grande mère Russie oublie ses enfants, du moins, n’oublie pas ceux qui ont pu partir se réfugier, mais les autres.. Ils étaient censés ne jamais être abandonnés. Militairement, la question est uniquement de savoir si Svatove va être prise par les forces ukraino-occidentales. C’est là où vraiment cette offensive aura pris une dimension stratégique avec un coût très dur pour la profondeur opérationnelle russe. Si jusqu’à présent, les Russes ont réussi à effectuer un retrait sans unité encerclée ou détruite, il n’en demeure pas moins que les lacunes du commandement et les limites du format “opération spéciale” sont apparues. Notamment parce qu’en ayant mentionné que les pertes des forces russes régulières, Shoïgu avait soigneusement omis de mentionner les pertes beaucoup plus nombreuses des unités de la DNR / LNR, et les unités déplétées, le manque de coordination entre groupes relevant de commandements censés coopérer mais ne communiquant pas, tout cela a pu être soigneusement exploité temporairement par les Ukrainiens qui ont renoué avec les fondamentaux soviétiques: maintenir la pression sur le front avec de multiples petites offensives nécessitant que l’ennemi mobilise ses réserves, puis avec une offensive principale sur un point donné qui enfonce la ligne de front et organise une percée. Il n’est pas anodin que dans une interview récente, le général Zalujny ait vanté… son homologue russe, Gerasimov, dont il possède l’ensemble des ouvrages. Gerasimov est connu pour avoir écrit que l’histoire militaire ne sert qu’à reproduire les victoires de manière créative. C’est un point que Goya, ne lisant pas le russe, a omis, croyant que les Russes se contentent d’appliquer bêtement des recettes vieilles de 70 ans…

4 C’est bien là un défaut des gens compétents en Occident: ils ajustent leur analyse à la conclusion au lieu de partir des faits. Nous avons même le général (promotion canapé) Petraeus qui parle aujourd’hui de défaite irréversible d’un Poutine désespéré. Commentaire pathétique d’un général dont la seule victoire en Iraq a été d’acheter littéralement le soutien des tribus sunnites et des groupes chiites pour faire croire à une pacification réussie du pays ayant subi, comme le dit la formule consacrée, une invasion illégale, injustifiée et non-provoquée. Nous en revenons à la petite phrase de Zelenski: si l’OTAN veut faire du boulot sérieux, il faut aller chercher les Russes chez eux. Sauf que la Russie, n’en déplaise à Titermann et consorts, n’est pas l’Iraq affaiblie par dix ans de sanctions. Il ne reste plus alors que la grossière manipulation médiatique en lançant, cette fois-ci par l’intermédiaire d’un vieillard sénile à la tête de la Maison Blanche (pauvre homme qui ne peut plus préparer lui-même ses discours), le thème de la menace de frappes tactiques nucléaires que le président russe aurait déjà annoncé… En fait, non.

5 Sur le sujet du nucléaire militaire, le livre de John Hamilton intitulé False Flags, State Secrets, Government Deceptions: a Short History of the Modern Era, rappelle que les USA ont une propension à mentir et manipuler l’opinion publique sur la question. Les plus hautes autorités américaines ont prévenu déjà dix fois d’attaques chimiques russes… dont le stock est officiellement détruit en collaboration avec l’OIAC, une démarche qui n’est toujours pas entreprise par… les USA… Quant à l’article de Daryl Kimball de 2020 (https://www.justsecurity.org/…/pentagon-deployment-of…/) au sujet des armes tactiques, il rappelle que sous l’administration Trump, les USA se sont engagés dans un programme massif d’acquisition d’armes nucléaires tactiques, afin, dit le Pentagone, de rendre crédible la dissuasion par le recours possible et immédiat à ce type d’armes. Pour autant, le discours de Poutine est explicite, et la doctrine militaire russe n’autorise le nucléaire 1 qu’en cas de réponse à une attaque nucléaire, chimique ou bactériologique massive, OU 2 qu’en cas de menace existentielle de l’Etat russe… Et que je rassure tout le monde, le régiment Azov n’est pas aux portes de Moscou, donc ce scénario est juste délirant. Qui plus est, le dernier discours de Poutine dit clairement les choses: 1 les occidentaux nous menacent avec l’arme nucléaire 2 nous avons des armes non nucléaires plus modernes que l’otan 3 ils feraient mieux de réfléchir à deux fois. Qu’on n’aime pas le nouveau septuagénaire que les 5 ou 6 cancers qu’on lui a attribués n’ont toujours pas terrassé, il faut simplement en rester aux faits, non aux émotions (j’aime pas poutine il a une gueule de con) ou aux conclusions (vive la démocratie ukrainienne qui tue des journalistes et met aux pas les opposants).

6 Cela montre que le réel champ de bataille est cognitif. Si l’opinion publique ne réagit plus (enfin si, mais ils n’ont pas voix au chapitre) et surtout si les intellectuels se contentent de suivre les bots qui dictent l’opinion publique, c’est que l’heure est grave. Remarquez comme celui qui a livré des Starlinks à l’armée ukrainienne pour éviter les mesures de guerre électronique qui ont mis au pas l’armée ukrainienne au Donbass en 2014, s’est retrouvé lynché pour avoir fait une proposition de paix en plusieurs points qui relèvent du bon sens (on peut les contester, mais le lynchage est à l’image de la couverture médiatique: déplorable). On dit qu’il faut écouter les dictateurs car ils révèlent toujours leurs plans mais au final, les médias / politiciens ne le font pas, et privilégient leur propension flagrante à la manipulation. C’est bien là le problème, on est en décalage avec la réalité.

7. Quelles perspectives? Écoutons Medvedev, ancien président dans le jeu de chaise musicale avec Poutine: il est conseiller à la sécurité nationale donc il pose les termes du débat du point de vue russe: la capitulation de Kiev aux conditions de la Russie. Certaines se gaussent des couacs de la mobilisation russe, en oubliant que l’Ukraine avait dû faire passer plusieurs lois interdisant aux hommes de quitter le pays et de fuir la mobilisation. Pour autant, après une série de mobilisation, et avec un soutien massif équivalant au budget annuel de l’armée russe, les Ukrainiens ne parviennent jusqu’à présent qu’à des gains tactiques et locaux (attendons Svatove pour sortir le champagne!) et quoique des idiots de plateaux télé disent, non la Russie ne manque ni d’armes, n’est pas désespérée et ne va pas utiliser du nucléaire tactique. Hélas pour nous, son potentiel militaro-industriel est intact. Donc ne nous berçons pas d’illusion, ou plutôt je devrais dire, ne soyons pas les idiots utiles d’une politique désastreuse qui permet à un président de justifier de mesures d’exception depuis sa guerre contre un virus, et de mettre au pas l’opinion publique et les acquis sociaux qui font la particularité de notre pays. Il n’y a aucune raison d’espérer. Réfléchissez un instant; pourquoi en ce moment les USA annoncent rechercher des canaux de communication avec la Russie? Pourquoi ont-ils annoncé avoir ré-engagé avec la Russie les pourparlers sur les inspections mutuelles dans le cadre de la réduction des armes nucléaires? Si la Russie était un fruit mûr prêt à tomber dans l’escarcelle, je ne crois pas une seconde que les USA iraient tenter une main tendue sur cette question sensible. Certes, il y a un clivage notoire entre la maison blanche, le département d’Etat (en gros, les néo-cons) et le pentagone bien plus réaliste, mais pour en revenir au nucléaire, c’est le patron de la Navy qui avait dit que face aux armes hypersoniques contre sa flotte, la seule dissuasion américaine était de menacer de recourir aux armes nucléaires.. Nous rejoignons la boucle initiale et… la bourde de Zelenski.

Le camp qui en réalité est désespéré n’est pas celui qu’on croit. Et si Elon Musk lance son pavé dans la marre, comprenez bien que ce n’est pas un caprice de milliardaire mais précisément pour user son influence afin de poser les termes d’un plan de paix possible, là où nos zélotes élites nous parlent de défaite russe au tournant et ont bercé l’opinion publique d’illusions. Au passage, si la situation est si bien sur le terrain, pourquoi Macron annonce-t-il envoyer d’autres canons Cesar que la France ne peut produire qu’à raison de dix par ans? On savait déjà que nous étions dirigés par des gens cyniques, menteurs et sans courage. Mais pourquoi leur décrépitude intellectuelle, géostratégique devrait-elle entrainer des nations entières? Nous n’étions pas condamnés à la guerre, puisqu’il suffisait de penser à la prospérité de l’Ukraine en contrepartie de sa neutralité, nous aurons la misère, ici et en Ukraine, mais aussi la neutralité de l’Ukraine. Il y a des ennemis qu’on n’aimerait pas avoir, et des amis qu’on n’aimerait pas avoir non plus, surtout s’ils agissent comme des ennemis. Aux triomphalistes, petit rappel cruel: l’OPEP réduit sa production(1). C’est bien le signe que la victoire est au tournant n’est-ce pas?

(1) A ce propos après avoir été s’incliner devant les Saoudiens, Biden et les Etats-Unis brandissent leurs armes :

Peut être une image de 3 personnes et texte qui dit ’08:46 Tweet 44% Les États-Unis examinent les "options de réponse" sur les relations saoudiennes après les coupes de |'OPEP+: le secrétaire Blinken. Les options doivent inclure des sanctions, la publication du rapport du 11 septembre, l'arrestation de MBS pour le meurtre de Khashoggi et le fait de laisser les groupes terroristes yéménites s'occuper d'Aramco. 23:56 07 oct. 22 Twitter Web App Retweets Tweet cité 18 J'aime Tweeter votre réponse’

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