Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Il ne suffit pas d’être gay pour avoir du génie…ni d’ailleurs d’être quoi que ce soit de conformiste..

Ce n’était pas la peine de transgresser pour terminer dans l’académisme et le boulevard de la décadence et surtout pas pitié n’essayez pas de nous faire avaler la pilule en trafiquant les oeuvres pour les rapprocher de ce que vous croyez savoir de l’auteur et que vous tirez vers le conformisme.

Ils nous avaient déjà fait le coup avec Eisenstein et Tonnerre sur le Mexique réduit à un coming out gay avec prétention de résumer l’immense et révolutionnaire cinéaste à cette dimension-là à laquelle se résumerait la véritable révolution celle dont serait éliminée toute revendication sociale, le triomphe bobo, le tout desservi par un réalisateur médiocre osant décrire Einsenstein à travers un cinéma de boulevard. Vivre dans une societe qui ne tolère pas l’homosexualité nous est apparu insupportable et continue à l’être, mais était-ce une raison pour nous embourgeoiser en effaçant la véritable radicalité révolutionnaire. La manière de traiter Aragon en icône gay qui ne cesserait de se repentir de son stalinisme est une trahison et celle-ci est conduite au nom de la transgression.

Ozon remet ça avec Fassbinder et dans les mêmes termes. On ne fait pas du cinéma avec de bonnes idées et pour effacer les révolutions rien de tel que des les embourgeoiser dans un essai biographique où l’on fait dire ce que l’on veut à celui qui ne peut plus se défendre.

La fausse bonne idée qui gouverne le film, est celle dans laquelle Ozon – qui prétend vouer un culte à Fassbinder – s’approprie la pièce du dit Fassbinder Peter von Kant et tente une adaptation libre : Ozon adapte la pièce, la revoit de fond en comble pour la faire fusionner avec un portrait en miroir du réalisateur. Et c’est cette bonne idée qui nous entraîne vers la catastrophe, l’aspect irrémédiable stupide et boulevardier de l’affaire. Ozon s’engouffre dans l’aspect autobiographique de la pièce d’origine, mais s’éloigne en même temps de la puissance et de la radicalité qu’elle contenait et qui aboutissait à la “distanciation” à la Brecht ou à la Straub… Et Fassbinder en devient totalement perdu dans ses amours hystériques et il largue dans l’opération tout ce qui en lui pouvait inquiéter l’Allemagne qui avait refusé de dénazifier.


Ce sont les personnages secondaires ou plutôt ceux sur lesquels est sensé se déchirer Fassbinder qui par moment reprennent le flambeau de la contestation sociale. Au centre de l’oeuvre perdue, il y a Karl le personnage du serviteur esclave complètement masochiste. Il pourrait être la camera, un fond d’image, qui donne sans un mot le sens réel, social, inquiétant des historiettes qu’Ozon nous narre, pour rien. Hanna Scygulla est une autre bonne idée parce qu’elle reste l’immense artiste qui se montra à la hauteur des exigences de Fassbinder. Dans la pièce originale, elle était « la petite pute », c’est-à-dire le rôle du servant muet dans le film d’Ozon. Cinquante ans après, elle la « Mutti » de Peter, qui donne le maximum mais épuise là encore l’aspect révolutionnaire de Rainer Werner Fassbinder dans une berceuse infantile et qui continue à gouverner l’enfant que serait le créateur.

Ce sont donc à travers ces deux “percées” que paradoxalement j’ai ressenti tout ce qui distingue la médiocrité d’Ozon de Fassbinder…

Comment gommer une époque, son antinazisme, ses tentatives à la Brecht, Godard, Straub pour ne parler que des plus connus à une histoire d’amour pathétique et hystérique d’un vieux pédéraste épris de beauté académique, saint sulpicienne, digne des photos que les milieux les plus conservateurs gays se passaient sous le manteau et où la pédérastie se voulait sublimée?

N”allez surtout pas voir le navet le moins estimable qui soit, le film que le médiocre cinéaste qu’est OZON consacre à la mise à caniveau de Fassbinder… C’est plus qu’un mauvais tour c’est ce qu’une époque, celle-ci de la tentative post-nazi de libérer les forces de la création et de la révolution… J’ai repensé à certains des derniers films de Visconti, le jeu entre la vieillesse, la mort et la tentation de la beauté absolue, pétrifiée, ce que cela a à voir avec le fascisme. On peut préférer Senso, mais même si Les Damnés de Visconti ne fut pas le meilleur film de ce dernier et témoignait déjà de la chute, il demeure comme le témoignage avec Fassbinder dont c’était le film favori d’une tentative de ne pas céder à la contrerévolution qui s’annonçait et dans laquelle nous sommes vautrés, la transgression n’est plus que bavardage maniériste.

Danielle Bleitrach

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