Un texte excellent et éclairant, qui donne une leçon à tout ce qu’on a entendu non seulement des experts des plateaux de télévision mais de tout le petit monde politicien, inculte, petit bourgeois, opportuniste. Décidemment histoireetsociete, ses articles, et ses commentateurs est devenu un club de réflexion qui préfigure ce que pourrait être la reconstruction d’un PCF que décrit Xuan, si les liquidateurs et leur censure ne l’empêchaient pas, à la veille de cette élection complètement hors sol. D’autres sites vont dans le même sens, mais histoire et societe a choisi depuis longtemps de s’intéresser au “basculement” du monde dans lequel nous sommes aujourd’hui. Il nous faut réfléchir à partir de cet apport possible, qui autre atout, correspond de plus en plus à l’évolution de la base du parti. Roussel a eu au moins ce mérite, même si pour le moment il n’arrive pas à se dégager d’un compromis ancien qui ne mène nulle part, il y a eu au 38e congrès et avec une candidature communiste, un début de prise de conscience, une volonté de comprendre pour agir qui continuera à produire ses fruits en dénonçant le compromis social démocrate pro-OTAN et seulement électoraliste sur lequel le PCF a vivoté jusqu’à sa propre fin et qui n’a plus aucun sens quand les USA et l’OTAN courent à la destruction de leur propre ordre hégémonique vers un monde multipolaire. Ce qui exige un changement de société, le socialisme, donc un parti, un syndicat, des organisations de masse tendus vers ce but, des facteurs de paix et de minimisation des souffrances populaires et qui ne tombe pas dans le piège fasciste, rouge brun qui tente de s’approprier sécurité et collectif. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Il me semble que ce que le marxisme nous enseigne, c’est que lorsqu’un pouvoir étatique est fort, exercé par un homme fort, c’est souvent pour masquer des contradictions de classes qui ne parviennent pas à se résoudre. C’est le “bonapartisme”.
Bien sûr, une telle configuration politique peut recouvrir des situations extrêmement diverses. Un tel pouvoir, c’est le choix d’un équilibre instable, que l’on gèle, plus ou moins dans un sens ou dans un autre.
Et il me semble que cela décrit bien la situation de la Russie et la place prise par Vladimir Poutine depuis maintenant plus de deux décennies.
La phase que l’on considère comme “rétablissement du capitalisme” en Russie, avec la folie de la privatisation massive et de l’ouverture impréparée aux marchés mondiaux ayant atteint rapidement des résultats catastrophiques, il a fallu tout aussi rapidement stabiliser la situation. La guérilla islamiste en Tchétchénie menaçait l’intégrité du pays et on se rendit compte également rapidement que les “conseillers” américains n’étaient pas des amis bienveillants.
Au contraire, les USA ont très vite profité de la garde baissée à Moscou pour avancer rapidement sur tous les fronts : on parle beaucoup de l’extension de l’OTAN vers l’Est (et c’est le cas, jusqu’aux portes de Leningrad), il faut se rappeler aussi l’implantation massive dans les années 90 des USA au moyen orient et en Asie centrale, avec les guerres dès 1991 en Irak qui implique dès cette époque l’implantation de bases américaines nouvelles dans la péninsule arabique ainsi que les guerres contre la Yougoslavie qui entraîneront la disparition complète de cet état.
La situation interne était difficile en Russie. La reconstruction du parti communiste comme force de masse (aujourd’hui, c’est – me semble-t-il le seul parti capable de disputer le pouvoir au parti dominant “Russie Unie”), l’instabilité du pouvoir d’Eltsine, son impopularité, la prise d’assaut du parlement … tous ces événements politiques montraient que la poursuite du programme libéral pro-américain en Russie était intenable. Économiquement, la crise financière de 1998 et l’effondrement du rouble avaient montré qu’il en était de même. La “restauration du capitalisme” n’a en réalité pas créé une économie capitaliste stable, ni une société capitaliste stable en Russie.
Il y eu une première tentative de redressement avec le gouvernement d’Evgueni Primakov. L’ironie de l’histoire soviétique veut que Primakov soit né à Kiev et ait grandi à Tbilissi, en Géorgie, les deux points chauds de la frontière russe actuelle. Primakov fait rentrer des ministres communistes au gouvernement et entreprend le redressement du pays en rupture avec la politique libérale et favorable au capital étranger menée jusqu’ici par le président Eltsine. La crise couve cependant encore. Les communistes tentent d’obtenir la destitution d’Eltsine (dont chacun s’accorde à dire aujourd’hui que l’élection a été truquée), échouent ; Primakov refuse de les limoger et est renvoyé. C’est dans ce contexte-là que Poutine parvient au pouvoir, comme successeur désigné, puis élu d’Eltsine.
Le compromis qui se réalise est me semble-t-il le suivant : une politique prudente de redressement national, qui va progressivement donner plus de place à l’état dans l’économie, et imposer (cela ne se fera réellement qu’à partir de 2006,) que les recettes du gaz et du pétrole soient affectées au développement du pays tout en maintenant une structure générale capitaliste. L’autre volet du compromis, c’est de laisser le parti communiste dans l’opposition. Les oligarques sont globalement maintenus en place mais doivent “obéir” à l’état et au président en particulier. Ceux qui tentent de s’opposer au pouvoir finiront en prison ou en exil. Sur le plan international, la Russie reprend son indépendance et va reconstruire son armée et sa diplomatie avec un certain nombre de succès. En même temps, elle maintient son adhésion aux principes de l’économie de marché, adhère à l’OMC et noue des partenariats économiques très importants permettant, notamment, aux multinationales européennes et américaines d’accéder aux immenses ressources énergétiques et minières de la Russie à bon prix.
Poutine n’est donc pas juste Poutine. Il est l’incarnation de ce grand compromis (tacite), économique, social, politique, compromis qui n’est pas seulement russe mais également international. C’est pourquoi chercher à expliquer la situation actuelle par la psychologie de Poutine est vain et absurde. En réalité, c’est l’évolution des contradictions et des termes de ce grand équilibre qui dicte même l’évolution psychologique de Poutine et de toute la structure de pouvoir russe. Pour n’en donner qu’un exemple, Poutine a cherché longtemps un rapprochement avec l’OTAN. Il y eut des coopérations et même des exercices militaires conjoints. C’est l’évolution des contradictions et notamment la politique américaine qui a conduit à la situation actuelle.
J’en viens au départ de Tchoubaïs. Que nous dit-il ? A mon avis, plusieurs choses :
1° Tchoubaïs, le père détesté de toutes les privatisations, faisait donc encore partie, jusqu’à cette dernière semaine de l’équipe de Poutine. Il était probablement un marqueur et un agent important du compromis politique entre le grand capital international, les oligarques, l’état russe et les populations du pays. Et manifestement, il incarnait au sein de l’équipe Poutine (probablement pas seul, on voit également le rôle de “négociateur” d’Abramovitch) la défense de puissants intérêts financiers nationaux ET internationaux. Le Kremlin a confirmé le rôle de négociateur d’Abramovitch. Celui-ci est donc encore dans la course.
2° Au delà du départ de Tchoubaïs, ce qui est frappant, c’est que ce sont finalement les USA et l’Europe qui ont, par leurs mesures inouïes de rétorsion économiques, privé de base et pour ainsi dire sacrifié au moins une partie des oligarques. Un des éléments clés de l’évolution politique de la Russie depuis vingt ans, c’est la marginalisation progressive de l’opposition libérale. Les partis libéraux, ceux qui défendaient en quelque sorte la politique de privatisations et d’ouverture illimitée des marchés, l’intégration de la Russie n’ont cessé de perdre du terrain. La stratégie de la “révolution de couleur”, de manifestations massives qui entraîneraient un effondrement du pouvoir semblent l’avoir encore plus discréditée. Mais le courant libéral demeurait au sein même de Russie Unie et du pouvoir russe en s’appuyant sur la part internationale du compromis. Aujourd’hui, avec l’interdiction affichée du commerce et des liens avec la Russie, c’est la base économique même des oligarques qui est enlevée sous leurs pieds, non par Poutine, mais par l’Occident lui-même.
3° Les dernières fonctions officielles de Tchoubaïs étaient consacrées au développement des nouvelles technologies. Il présidait la société Rosnano, et avait pour mission de développer des centres de recherche développement et production de produits technologiques avec en particulier la nécessité d’attirer des fonds de capitaux américains pour financer ce développement. Je ne sais pas si cela marchait très bien (il avait cessé cette activité en 2000, pour se voir confier le strapontin – à mon sens “honorifique” de conseiller pour le développement durable) mais son départ signe néanmoins la fin d’une époque. Ce qui est confirmé par les conditions de son départ : très discret, quasiment aucune déclaration. Il aurait été aperçu en train de retirer de l’argent à Istanbul. Une fuite.
La conclusion que j’en tire est que le compromis politique sur lequel s’est construit le pouvoir de Poutine ne peut plus exister durablement. Bien sûr, personne ne parle de reconstruire une économie socialiste. Pourtant, ce qui est frappant, c’est de constater à quel point cela pourrait être mené désormais rapidement. Ce ne serait pas du tout la même économie que l’économie soviétique précédente. On pourrait se rapprocher en revanche très facilement d’une économie socialiste de marché à la chinoise, dont il existe déjà quelques bases : un secteur économique et financier d’état important, des grandes sociétés nationales impliquées dans le développement du pays, Ce qui manque principalement, c’est en réalité deux choses : 1. la direction politique et en particulier le retour du parti communiste au pouvoir ; 2. un contexte international dans lequel une économie de type socialiste de marché, moins forte que ne l’est l’économie chinoise puisse raisonnablement s’intégrer.
Sur le premier point : Près de 30 ans après la “restauration du capitalisme”, après les privatisations massives de Tchoubaïs, le caractère artificiel de cette organisation sociale apparaît de manière manifeste. Au fond, les “oligarques” sont-ils réellement une classe sociale implantée et ancrée dans leur pays ou une construction sociale artificielle et précaire ? Une classe bourgeoise inachevée, ce qui explique qu’on continuent à les désigner comme une oligarchie.
Tchoubaïs a privatisé rapidement. Sa technique principale fut de distribuer des actions gratuitement à l’ensemble de la population. Ceux qui n’avait rien et avaient faim les ont vendues pour une bouchée de pain. Ceux qui avait un peu d’argent et d’entregent les ont rachetées et sont devenus les oligarques. Une sorte de super classe compradore, ultra-riche, très étroite et un peu suspendue en l’air, entre les grands centres occidentaux et la Russie. A partir du moment où la Russie et l’Occident s’écartent, ces gens là font le grand écart, au dessus du vide.
Sur le second point : Le compromis social et politique sur lequel s’est établi le pouvoir de Poutine n’est (n’était ?) pas seulement un compromis interne à la Russie. Au contraire, c’était un compromis à la fois interne et international, entre les classes sociales russes d’une part, entre la Russie et l’occident d’autre part. En choisissant de sacrifier le commerce avec la Russie, ce sont les occidentaux qui ont dénoncé le compromis. L’oligarchie russe, crée par Tchoubaïs est (était ?) le médiateur entre les grandes firmes occidentales, le négoce des matières premières, les banques, les institutions financières et le pouvoir russe (cf. Abramovitch).
La première réaction russe fut très classique. On demanda aux compagnies réalisant du commerce international de déposer une partie de leurs recettes en devises auprès du gouvernement, afin que celui-ci puisse centraliser et orienter cette ressource stratégique. Puis, Poutine a annoncé que le commerce du pétrole et du gaz se ferait désormais obligatoirement en roubles. Cette deuxième étape a littéralement effaré les responsables politiques occidentaux et provoquée une remontée rapide du rouble face au dollar et à l’euro. Ce n’est plus à l’état russe d’aller récupérer des devises étrangères, c’est désormais aux compagnies étrangères de se procurer des roubles pour acheter du gaz. Et le Kremlin vient d’indiquer que l’on pourrait se procurer des roubles … sur le marché financier de Moscou.
Je ne sais pas si la manœuvre réussira et qui sortira vainqueur de la confrontation. Néanmoins, si la Russie parvient à tenir cette orientation, il est clair que ce ne sera plus aux compagnies russes d’ouvrir des guichets à Londres, pour réaliser leur commerce, mais aux compagnies acheteuses d’ouvrir des guichets et des comptes auprès des banques et opérateurs moscovites.
Si la part internationale du compromis social et politique s’effondre, qui plus est, par la faute de l’occident, que reste-t-il de légitimité de la part proprement russe de celui-ci ? Quelle légitimité à maintenir le Parti Communiste Russe hors du pouvoir ? La Russie ne pourrait-elle pas alors, en partenariat avec la Chine, les BRICS, l’Iran et d’autres pays mettre sur pied un système de commerce et de finance international ouvert, dégagé de pressions politique et de l’interventionnisme américain ?
Il me semble qu’en partant, Tchoubaïs donne en fait son avis sur ses questions…
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