Ne pas oublier que De Gaulle fit ses premières armes de stratège dans le sillage de Pétain et qu’à l’issue de la première guerre mondiale, il dirigea pour la France depuis la POLOGNE, l’assaut des troupes blanches et des envahisseurs européens contre la jeune URSS. Si la France n’a pas tout à fait comme la Pologne le surnom donné par Churchill à cette dernière (la Hyène de l’Europe), elle est également souvent présente dans le dépeçage des nations au profit de l’impérialisme, et récemment son rôle en Libye et dans d’autres pays disent ce à quoi ceux qui la gouvernent aujourd’hui, leur consensus belliciste au profit des USA, peut nous conduire (1). (Note de Danielle BLEITRACH pour histoireetsociete)
La référence par de Gaulle aux « limites de l’Europe » est bien connue. Il n’était probablement pas l’auteur de la formule mais il est assez courant pour les militaires des différentes écoles de guerre de délimiter les zones dans lesquelles ils sont ou seront appelés à exercer leurs talents.
Voici ce qu’écrit la Fondation de Gaulle à ce sujet
La formule est tirée du discours prononcé à Strasbourg en novembre 1959 : « Oui, c’est l’Europe, depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural, c’est l’Europe, c’est toute l’Europe, qui décidera du destin du monde ! » L’expression cheminait depuis longtemps dans ses interventions – ainsi le 16 mars 1950 : « L’atmosphère européenne serait changée de l’Atlantique jusqu’à l’Oural », ou, le 12 novembre 1953: « [en 1945], je n’oubliais pas que l’Europe va de Gibraltar à l’Oural. ».
La date et le lieu de ce discours ont un sens particulier. De Gaulle exerce les pleins pouvoirs en France depuis un peu plus d’un an et la France est confrontée depuis le Premier Janvier de cette année là aux défis économique et sociaux que représente l’ouverture des frontières de l’Europe des 6. Il élabore donc avec la droite et la classe bourgeoise dirigeante la stratégie de ce nouvel ensemble géopolitique. Mais fidèle à lui-même il outrepasse les limites anglo-saxonnes et Otanesques du rideau de fer et de la guerre froide ce qui rend possible au moins dans sa parole l’intégration de la fameuse Russie d’Europe à cet ensemble.
C’est là qu’intervient fort opportunément l’Oural. Sur la carte de l’immense URSS comme sur les cartes de Russie cette chaine trace un trait vertical Nord Sud qui semble un découpage naturel.
La chaine de l’Oural qui s’étend sur environ 2500 km ne culmine qu’à 1800 m, n’est pas large et offre plusieurs points de passage faciles. De surcroit elle ne s’étend pas jusqu’aux rives Nord de la mer Caspienne et donc l’empire des steppes commencé en Mongolie peut s’étendre vers l’ouest sans rencontrer d’obstacle géographique. La réalité de l’unité géographiques des steppes est attestée depuis l’antiquité par l’Empire des Scythes puis par celui des Huns dans les années 400 jusqu’aux empires des temps médiévaux de Gengis Khan et de Tamerlan ainsi que par les grands mouvements migratoires d’Est en Ouest des divers peuples turco-mongols.
L’Oural n’a pas non plus empêché l’empire tsariste de coloniser toute la Sibérie.
La paternité de l’expression est attribuée à Vassily Tatischev (1686-1750) éminent historien et géographe russe qui à la demande du gouvernement tsariste confirme l’insertion de la Russie impériale dans l’espace et donc dans l’histoire de l’Europe. La décision de Pierre le grand de faire de St Petersbourg la grande ville la plus occidentale, la capitale de la Russie confirme cette orientation. Celle-ci trouvera sa plus récente expression dans l’élimination du Reich nazi par l’armée soviétique
L’expression sera utilisée sans discontinuer jusqu’à nos jours alors que le tsarisme n’a pas renoncé pas à une grande politique asiatique mais il faudra attendre le milieu du XIX° siècle et enfin la construction du transsibérien pour que le pouvoir russe maitrise totalement son territoire jusqu’au détroit de Béring. Pour Pierre le grand et ses successeurs il s’agit de s’affirmer comme un empire en Europe et de participer au jeu des puissances dans l’ouest du continent. Tatischev va donc dessiner sur une carte la frontière entre l’Europe et l’Asie et son tracé est encore de nos jours accepté comme une convention de langage.
Au Sud le tracé obéit autant à la géographie qu’à l’histoire. Il sépare nettement la rive nord et la rive sud de la Méditerranée en rattachant à l’Europe toutes les iles du bassin : Baléares, Corse, Sardaigne, Sicile, Crète et Chypre. Il sépare les deux rives de la mer Egée, la Grèce est en Europe et l’empire ottoman en Asie. Ce découpage se poursuit dans les détroits : Dardanelles et Bosphore. Mais comme Constantinople la capitale des ottomans est bâtie principalement côté européen et que le territoire de la Turquie s’étend un peu vers l’ouest on va fabriquer une nouvelle typologie distinguant Turquie d’Europe et Turquie d’Asie qui a toujours cours. Ensuite la frontière traverse la mer noire en direction du Nord Est pour aboutir au pied du Caucase. L’histoire très compliquée de cette région de piémont conduit à ranger les pays chrétiens : Géorgie et Arménie en Europe (encore que cette position de l’Arménie ne soit pas toujours établie nettement) et l’Azerbaïdjan province ottomane en Asie. La Caspienne est coupée en deux : rive ouest en Europe, rive Est en Asie et au Nord la ligne de séparation terrestre est fixée sur le fleuve Oural descendu tout droit des monts du même nom. Il suffit ensuite de suivre l’Oural jusqu’à l’océan arctique.
Autant dire que cette séparation de l‘Europe et de l’Asie n’a pas été dictée par la seule géographie physique et qu’en particulier la présence de l’empire ottoman a pesé d’un grand poids dans ce découpage. Quant aux institutions contemporaines qui se réclament de l’Europe elles doivent se livrer à des contorsions qui démontrent la vanité géographique de la notion. L’union européenne regroupe 27 pays mais la Suisse la Norvège et plusieurs pays des Balkans : Bosnie, Serbie Monténégro, Albanie et Macédoine du nord dont n’en font pas partie. Le dossier de l’adhésion de la Turquie à l’UE est ouvert sans résultat et le Conseil de l’Europe qui compte 47 états membres s’étend jusqu’au Tadjikistan c’est à dire à la frontière nord de l’Afghanistan mais refuse l’adhésion du Bélarus alors que tous les États qui l’entourent en sont membres.
Cet imbroglio justifie pleinement le jugement du grand médiéviste français Joseph Morsel qui a écrit en 2007 dans un texte très riche intitulé « L’histoire du Moyen Age est un sport de combat » *
« Que l’Europe soit devenue depuis le milieu du XX° siècle une entité institutionnelle au nom de laquelle on agit et qu’on substitue dans les discours collectifs à « la nation » comme acteur, ne devrait pas faire oublier qu’il ne s’agit que d’un effet de rhétorique. »
- Antoine Destemberg, « Joseph Morsel (avec la collaboration de Christine Ducourtieux), L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat… Réflexions sur les finalités de l’Histoire du Moyen Âge destinées à une société dans laquelle même les étudiants d’histoire s’interrogent », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 104 | 2008, mis en ligne le 22 juin 2009, consulté le 21 janvier 2022.
- URL : http://journals.openedition.org/chrhc/327 ; DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.327
Le président de la République, européologue acharné, ne pouvait que tomber dans cette ornière langagière et lorsqu’en août 2019 il a reçu le président russe à Brégançon, il s’est laissé aller par recherche d’un bel effet de rhétorique et pour dépasser De Gaulle – au moins par la parole – à une boursouflure de langage proclamant « l’Europe de Brest à Vladivostok » c’est-à-dire l’agrandissant de plus de 7000 km à l’Est de l’Oural.
(1) Il s’agit certes d’un simple fait divers, mais hier tandis que l’Assemblée Nationale française en pleine forfaiture votait un rapport indigne, une infamie, présentée par le médiocre OLIVIER FAURE, dont la seule vocation était de justifier les guerres par des mensonges dignes de GOEBBELS, il y a eu ce pauvre malade échappé de l’hôpital psychiatrique “le cannibale des Pyrénées”… Ce malade n’a été considéré comme tel qu’après avoir servi en Afghanistan et ailleurs, dieu sait ce qu’il a pu y accomplir comme tant d’autres dont les exploits ont été étouffés. Quand on jette des armées de métier dans l’horreur sous des prétextes idéologiques ce qu’on récolte n’a rien à voir avec les bons sentiments et la mission civilisatrices des fake news qu’osent revendiquer des députés habitués à couvrir les crimes du drapeau de la démocratie.
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