Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Du monologue conservateur de Poutine à la Semaine sainte ou la prescience aragonienne

Mais au-delà du lieu dans lequel est prononcé le discours de Poutine, ce club ultra-conservateur et apparemment au-delà les valeurs du conservatisme auxquelles il se réfère, mais apparemment seulement, peut-être, il énonce quelques faits que nous ne pouvons pas ignorer.

La crise multiforme à laquelle nous sommes confrontés et dont l’épidémie n’est que le révélateur est la crise d’un mode d’hégémonie, ceux qui se sont cru les vainqueurs de la guerre froide n’arrivent plus à maitriser les contradictions et toutes leurs interventions les aggravent, ils se montrent incapables d’imposer leurs lois à des pays infiniment moins forts qu’eux et à résoudre leurs propres problèmes. Le capitalisme n’est plus le cadre dans lequel les problèmes peuvent être résolus et pourtant il ne faut pas de révolution, selon lui simplement respecter le fait d’agir en évitant de nuire, d’où le conservatisme… Mais même cela est momentané, peut-être faudra-t-il agir autrement précise-t-il…

il y a chez ce Poutine-Hamlet du politicien roué mais aussi de la hauteur de vue : crise égale danger et opportunité, donc laissez-moi faire puisque je suis l’incarnation momentanée de l’histoire, de ses permanences comme de sa transformation qui ne peut être arrêtée.

Cette crise,reconnait-il n’est pas née aujourd’hui. Poutine comme Xi, comme les dirigeants cubains sont convaincus qu’elle apparait dès la première guerre mondiale, impérialisme stade suprême du capitalisme et avec la naissance de l’URSS, intervient un tournant irréversible malgré toutes les restaurations. Il y a eu simplement dans les années soixante et dix et celles qui ont mené à la contrerévolution des années quatre-vingt dix tentative d’ériger un barrage et celui-ci craque de toute part… L’erreur de L’URSS aurait été un certain gauchisme à l’œuvre désormais à l’intérieur du capitalisme alors que face aux défis mondiaux chercher la sécurité, la coopération est la seule solution. Personne de sensé ne peut souhaiter l’effondrement du barrage…

Le problème est posé et il a le mérite de l’être clairement, on ne peut pas faire comme si nous le limitions à des antagonismes entre gauche et droite quitte à laisser le terrain au fascisme qui récupère les besoins de sécurité et d’unité multiples alors qu’il est intrinsèquement insécurité maximale et divisions. Parce que le fascisme est l’ultime masque du capitalisme, l’aboutissement de sa démocratie formelle, il contribue plus encore au déchaînement des violences et l’appel au conservatisme de Poutine tente d’endiguer ce fascisme plus encore que le communisme. Poutine laisse même entendre que si aujourd’hui l’essentiel est de limiter les violences, la situation peut évoluer. C’est une navigation dans le brouillard derrière les vagues de la mutation des forces productives mais aussi le tsunami de la destruction de la planète et de l’espèce… Le fragile esquif dans la traversée du fleuve infernal, Poutine Dante et Virgile écartant le corps des damnés, pendant que XI, Mao nage… Excusez-moi je rêve…

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Dante etVirgile aux enfers traversantle styx DELACROIX 1822

Les valeurs conservatrices surtout quand elles sont aussi ostensiblement opposées à la tempête bolchevique ne peuvent qu’irriter a priori un communiste… La révolution d’octobre, considérée comme intolérante et prétendant au nom d’une minorité faire fi de la majorité raisonnable c’est ce à quoi arriverait le capitalisme mode USA, en pire… Il y a du vrai mais cela sent son petit bourgeois à plein nez… Qui peut vivre dans un monde où le racisme, le machisme, l’homophobie seraient identifiées au rationnel ? Mais qui peut voir les formes d’émancipation individuelle humaine devenir le drapeau sous lequel l’oppression, la guerre et la misère sont désormais justifiées ? Cette contradiction-là, le conservatisme, quoiqu’en dise Poutine, ne peut la résoudre parce qu’il n’est que le revers à l’identique des excès du libéralisme libertaire. Ce que le communisme devrait avoir de plus novateur c’est sa capacité à dépasser cette aporie du primat du sociétal et la reconnaissance de droit de tous à une conception élargie de la sécurité et il peut le faire sans sacrifier la créativité. C’est du moins mon propre pari et je n’en verrai pas la pertinence. C’est dire…

Tenez – regardez à quoi parfois le pari se résume : se rendre compte à quel point dans ce qu’elle a de plus novateur la campagne de Fabien Roussel et donc la reconstruction du parti communiste français s’inscrit dans cette prudence pour s’extirper de ce qui est en tenant compte de la survie de tous. Comment à la fois ne pas en rester à ce qui est de plus en plus mortifère dans l’exploitation capitaliste et s’assurer calmement du bien de ceux qui subissent, c’est dans le FAIRE que cela se joue.

La grande différence entre le positionnement conservateur intelligent de Poutine et celui communiste de Xi par rapport aux temps auxquels nous sommes confrontés est leur relation aux couches populaires, la planification et la mobilisation de l’État et de leurs partis… les objectifs d’amélioration du sort des principales victimes et l’exercice de la dictature du prolétariat contre leur propre capitalistes. Il y a là un monde même s’ils cheminent ensemble. Tout se joue dans la manière dont ces deux héritiers qui – à partir de l’expérience socialiste communiste – tentent de tenir en laisse ce que Hegel appelle la bête sauvage, les intérêts particuliers déchainés. Xi et Poutine, héritiers de l’Union soviétiques, confrontés à l’agressivité du capitalisme, défendent l’État celui léniniste, voire stalinien avec le primat de l’expérimentation maoïste(de la pratique comme de la contradition). La différence entre eux tient à la nécessité plus ou moins contraignante de concilier ce qui caractérise tout politicien, en particulier quand son sort dépend d’une ré-élection : représenter les intérêts de son propre peuple, et de ceux dont dépend de fait sa réélection sur l’intérêt général, celui de la planète et de l’humanité. Ce que disent les communistes chinois et les Cubains c’est le rôle d’un parti révolutionnaire exprimant tout ce qu’est le peuple dans sa souveraineté, le rôle du socialisme, absence dece parti qui est aussi l’obstacle pratique auquel se heurte Poutine, c’est la nécessité d’une autre démocratie. Celle qui permettrait de faire coïncider les intérêts nationaux, des citoyens avec ceux du monde. Il s’agit de rendre permanent et continu le pouvoir, en favorisant son renouvellement, de ne pas le soumettre aux puissants, ni à la démagogie…

Chacun de nous peut et doit réfléchir à tout cela à partir de son expérience propre autant et plus qu’à partir d’idéologies souvent ossifiées et dont on est incapable, comme pour le marxisme-léninisme, d’en retirer autre chose que des citations erronées alors qu’un véritable retour à ce courant, beaucoup de travail, témoigne au contraire de l’ampleur et de l’inventivité de la théorie en relation avec les problèmes auxquels ils ont été confrontés. Le rôle de l’enquête, de l’expérience.

L’histoire est plus que jamais la discipline reine.

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Ayant dit cela… je ne sais pourquoi je ne cesse de repenser à Aragon et à la Semaine sainte et à son refus de considérer qu’il s’agisse d’un roman historique alors même qu’il affirme que l’Histoire est la trame de son écriture. Ce qu’il refuse c’est l’histoire costumée comme je tente moi maladroitement de récuser certaines idées toutes faites et le coeur en écharpe autour d’un humanisme de pacotille que l’on prétend être communisme. L’histoire qui, pour Aragon, coïncide avec l’écriture conçue comme une pratique active est là et elle coule dans la vie autant que dans l’imaginaire. La Semaine sainte c’est celle du retour des rois, la fin de l’Empire en ce qu’il prolonge la Révolution française, la Restauration et cette méditation intervient face à 1956, qu’il sait être le retour de la contrerévolution dans le monde. Parce que c’est là ce que les commentateurs ont refusé de considérer chez Aragon, la manière dont il perçoit au-delà de tout positionnement politique officiel, la réalité de la période, celle de la déstalinisation et des luttes de libération, la décolonisation. Il y a dans la Semaine sainte comme dans le fou d’Elsa, la même capacité que chez Balzac a dépasser ses orientations et intentions pour juger des temps de restauration. Et 1956 n’est pas pour lui une libération simplement la nécessité de poursuivre l’Histoire, l’engagement mais d’une manière différente. Il ne peut plus poursuivre “le monde réel”, son roman “les communistes“. Il doit assumer la totalité.

Et il le fait en travaillant l’écriture. C’est la multiplicité des monologues intérieurs qui participent à la confusion de l’époque mais nous en font soupçonner l’avenir.

Non je ne m’éloigne pas tant qu’il y paraît… A ce titre, je dois dire que le discours de Poutine est un chef d’œuvre littéraire qu’aurait apprécié Aragon, tant ce pseudo dialogue laisse surgir des monologues où l’ancien membre du PCUS, officier du KGB, laisse de multiples voix s’exprimer. La Semaine sainte contient cette multiplicité contradictoire, même l’incipit débute par une de ces voix auxquelles le narrateur ne peut totalement s’identifier puisqu’elle prend ses distance avec BUONAPARTE, pour prétendre inaugurer des temps nouveaux mais aussi de contrerévolution. La force de l’histoire c’est comme dans Stendhal de laisser monter ces voix, 1956-1958 le temps présent de la dénonciation du stalinisme et des guerres coloniales qui lui inspireront l’autre grande œuvre le fou d’Elsa. Nous y sommes encore et nous en sortons définitivement … Avec la chute en Afghanistan… et même la faillite d’un certain “progressisme” bourgeois…

C’est aussi sa propre acceptation de sa dualité créatrice, de sa part d’ombre mais le maintien de l’engagement à travers Géricault, le peintre qui en est le jeune héros, simplement l’assumer sans des certitudes d’une autre époque en restant sur le chemin à emprunter, celui du pas des chevaux dans le sable du nord, cette route d’un retour dans lequel la permanence se dit à travers le nom des lieux traversés. Quand je pense que des esprits timorés ont cru y voir la dénonciation de Hourra l’Oural et de l’inféodation communiste. C’est tout autre et ceux qui aujourd’hui prétendent transformer Aragon en icône gay antisoviétique n’ont rien compris à la manière dont il affronte les temps de Restauration, la contrerévolution qu’il sait être là, le fait d’être double et d’assumer l’héritage de Barres et du surréalisme sans renier le réalisme socialiste, plus que le réalisme puisqu’il est socialiste.

Mon expérience à moi, celle qui m’a fait faire le tour de la planète mais aussi me nourrir de cinéma et de littérature c’est d’aujourd’hui dans la vieillesse, dans ces temps inconnus d’écouter ces dialogues qui tentent de se nouer en conservant cette attitude qui était la sienne face à la restauration de 1956 : « regarde en avant, veut savoir davantage, cherche […], à deviner plus avant la route, au-delà du tournant, la suite de l’horizon… l’avenir » (La Semaine sainte, p. 579)

mais il n’est pas si faux de retrouver là Poutine : ne pas nuire…

Danielle BLEITRACH

ILLUSTRATION : Le Radeau de La Méduse est une peinture à l’huile sur toile, réalisée entre 1818 et 1819 par Théodore Géricault (1791-1824). Ce tableau, de très grande dimension (491 cm de hauteur et 716 cm de largeur), représente le naufrage de la frégate Méduse. Au moins 147 personnes se maintiennent à la surface de l’eau sur un radeau de fortune, quand un bateau vient les secourir ils ne sont plus que quinze ayant survécu à la faim, la déshydratation, la folie et même l’anthropophagie. L’événement devient un scandale d’ampleur internationale, en partie parce qu’un capitaine français servant la monarchie restaurée depuis peu et représentant la marine coloniale à Alger est jugé responsable du désastre, en raison de son incompétence. Le tableau romantique est en fait réaliste et Gericault en a étudié les membres sur des cadavres comme il peindra àla fin les fous de l’asile. Gericault est le héros du roman d’Aragon et il y avait au MOULIN où Aragon est enterré avec Elsa un tableau le représentant.

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