Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Il m’a raconté sa naissance…

PHOTO avec sa mère en 1905.Il a donc huit ans et il écrit depuis deux ans déjà si l’on encroit le cahier d’écolier dans lequel on a trouvé le premier texte du libertinage rédigé d’une écriture enfantine . Le Libertinage réunit les contes et les (deux) pièces de théâtre composés par Aragon entre 1918 et 1923. Le premier conte (“Quelle âme divine”) date – d’après les indications de l’auteur – de 1903-1904 quand Aragon avait six ans.

Le libertinage est la transgression des codes en particulier ceux de l’écriture….

L’âme divine débute avec tambour et clairon pétaradant, comme il sied à un bambin fut-il génial; le récit au même rythme témoigne du peu de crédit apporté à la psychologie, peut-être l’influence de michel Strogoff ou de la famille Fenouillard :

“Venez-vite! Victor! Marie! Alfred! René! criait Robert de Noissent. Qu’est-ce qu’ilya ? Dit Victor – Il y a que nous partons de la rue de Montorgueil dit Robert – Pour où? dit Marie – Pour où? Oui, pour où? dit René – Pour le 3 de la rue Pierre-le Grand à Saint Petesbourg, dit Robert”

Dans cet incipit, celui qui n’a jamais appris à écrire confond, (machination volontaire d’amateur de guignol) un déménagement familial avec l’intinéraire de l’aventurier, de Paris à Saint Petesbourg. Partis à sept, ils se retrouvent 12, comme les apôtres et après avoir vaguement pris possession du domicile de saint Petesbourg ,visité une cathédrale, rencontré un pope, ils partent tous en Sibérie sur les traces du prince Yorpanoff, auteur de la lettre qui les a attirés, la servante traîtresse est punie. le prince malgré sa libération, la restitution de sa fortune, ne rejoindra pas les Noissent à Paris, il est et doit demeurer ce manque qui engendre l’écriture. On en verra l’épilogue pour une fin heureuse du capitaine qui comme Ulysse a reconquis l’usage et la raison et murmure ébloui “quelle âme divine! Quelle âme mon dieu!”

Tout serait-il écrit dans le génie enfantin y compris “hourrah l’Oural !

Il résidait à la fin de sa vie au dernier étage de l’hôtel Matignon dans un immense appartement,un dédale, aux murs couverts de tableaux de prix,quand je suis arrivée beaucoup avaient déjà disparus, il prétendait que c’était à cause de la prodigalité d’elsa, je n’en suis pas convaincue. Demeuraient partout depuis les longs couloirs jusqu’aux grandes pièces aux destinations incertaines des milliers de photographies, cartes postale épinglées par des punaises rouge sang. Au dessus de son lit, il y avait un télégramme adressé à “bébé louis Aragon”. Deux clientes de la pension de sa grand mère, deux voyageuses – qu’il créa pour moi des aristocrates venues de Roumanie- l’ avaient expédié à cet enfant si beau et si doué .

IL avait atteint quatre vingt ans et en me narrant la fable, il avait murmuré moqueur: j’aimais déjà les étrangères quand j’étais un petit enfant. Quelques minutes après, revenus dans la salle à manger, les coudes vissés sur la grande table et les poings fermés sur nos joues, je l’avais interrogé: “comment pouvait-il avoir tout conservé? Moi je perdais tout, dans mes voyages et surtout dans les déménagement.”

Ce n’est rien!tout est dans mes livres” inutile de raconter ma vie, il suffit de lire. Et aussitôt, pour se contredire et pour m’empêcher de croire l’avoir jaugé à si bon compte, il avait entamé un de ces récits autobiographique aux allures étranges dont je conserve aujourd’hui le précieux malaise… Précieux puisque c’était une confidence, mais comment dire? Il y avait dans la parole la souffrance de ne plus écrire. Il laissait parfois filer le décadant, le symbolique, la vie faite de lassitude désabusée, un univers artificiel … Peut-être alors me sentait-il rétive, il secouait aussitôt cette impuissance qui le faisait souffrir et par le soin d’un détail trivial, placé comme une ponctuation qui changeait le sens du propos, il retrouvait l’insolence et la dignité. Que l’on me comprenne, quand je dis “trivial”,il n’était jamais vulgaire mais parfois il était faible, facile, alors même qu’il me recommandait en effleurant les feuilles d’un troène “il suffit de les toucher, elles tombent, tout ce qui est facile doit tomber”. il luttait contre le mal qui rongeait sa cervelle d’or et parfois il en regardait avec étonnement les rognures sur ses doigts tavelés.

Dieu qu’il m’arrive souvent d’avoir honte de voir ce qu’on fait de lui,la manière dont on l’enferme dans ce temps de l’impuissance au lieu de lui restituer ce qui dès l’âge de six ans le poussait vers l’aventure, fuyant le roman familial et les voyageurs de l’impériale jusque dans la lointaine Sibérie … Pas cette facile faiblesse qu’il détestait… non ce que je partageais de lui cette connaissance des vastes espaces avec leurs poètes dans une quelconque toundra ou derrière les mosquées bleues de l’Asie centrale…

Ce jour là, il me raconta que sa mère l’avait enfanté à quelques pas de là sur l’esplanade des invalides et il décrivit la honte de cette femme qui dans ce grand espace découvert aux yeux de tous ne pouvait masquer sa maternité. Il avait secoué les épaules et il avait ajouté: j’ai vécu plus de quatre vingt ans pour ne faire que quelques mètres, des invalides à la rue de varenne.

Maintenant que j’ai atteint l’âge qu’il avait alors comme lui je m’interroge sur l’utilité du chemin accompli et le pourquoi de cet entêtement mis à le parcourir… Je sais qu’il faut en préserver le prix comme il me l’a écrit sur la dédicace du mentir vrai :”à cet été là où tout était sans mensonge…” Il y eut des temps sans mensonge…nous avons vécu lui plus encore que moi une époque bien passionnante et il fut grandiose lui qui d’un mot jamais prononcé sut faire une oeuvre d’une telle puissance…

LOUIS ARAGON est semble-t-il né 3 OCTOBRE 1897

LE MOT

Paru d’abord en Poésie 43 et repris en 1946 “Le domaine privé”
(En étrange pays dans mon pays lui-même) représente
le “tombeau poétique” de sa mère qu’enfant il n’appela jamais maman;

le poème est construit autour de ce mot jamais dit et pour lequel il ne cessa jamais de chercher comment révéler et comment taire ce qui fait de lui l’écrivain et l’homme le plus mystérieux qui soit…

Le mot n’a pas franchi mes lèvres
Le mot n’a pas touché mon cœur
Est-ce un lait dont la mort nous sèvre
Est-ce une drogue une liqueur

Jamais je ne l’ai dit qu’en songe
Ce lourd secret pèse entre nous
Et tu me vouais au mensonge
A tes genoux

Nous le portions comme une honte
Quand mes yeux n’étaient pas ouverts
Et les tiens à la fin du compte
Demandaient pardon d’être verts

Te nommer ma sœur me désarme
J’ai trop respecté ton chagrin
Le silence a le poids des larmes
Et leur refrain

Puisque tu dors et que leurs rires
Ne peuvent blesser ton sommeil
Permets-moi devant tous de dire
Que le soleil est le soleil

Que si j’ai feint c’est pour toi seule
Jusqu’à la fin fait l’innocent
Pour toi seule jusqu’au linceul
Caché mon sang

J’avais naissant le tort de vivre
J’irai jusqu’au bout de mes torts
La vie est une histoire à suivre
Et la mort en est le remords

Ceux peut-être qui me comprennent
Ne feront pas les triomphants
Car une morte est une reine
A son enfant

ARAGON

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