Une contribution pleine de bon sens, sinon que nous Français sommes arrivés à un tel niveau de pénétration de l’idéologie dominante confondue presque avec “l’identité” française que la quasi totalité de nos élites médiatiques – et osons le dire, parmi eux non seulement la totalité de la gauche mais parmi eux quelques dirigeants du PCF – en sommes arrivés à ne pas voir d’issue hors du capitalisme et de l’impérialisme au point de ne pas oser parler du socialisme et affirmer que tout ce qui s’est fait et continue de se faire sous ce vocable est mauvais? Peut-être le positionnement coupé de la production tel que le décrit l’article explique-t-il cette dérive bien de chez nous. Alors que la catastrophe paraît imminente et sans moyens pour la conjurer, le capitalisme est si parfait qu’il ne reste plus qu’à lui substituer l’immigration pour en décrire les tares réelles; mais voyons comment peut-on en arriver là ? (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)
24.09.2021
https://kpu.ua/uk/99994/pochemu_obychnyj_chelovek_zaschyschaet_kapytalyzm_vzgljad_s_rossyy
Je constate régulièrement que des gens ordinaires, pas des milliardaires, souvent même pas des hommes d’affaires, s’époumonent à démontrer que le capitalisme est un ordre social formidable. Leur argumentation repose sur l’abondance des produits de base, la liberté de choix, la possibilité de gagner sa vie et de choisir son métier, et la démocratie. Le socialisme, quant à lui, est perçu comme une société de pénurie, de contrôle total de l’État sur l’individu, de non-liberté, etc. En résumé, le capitalisme est perçu par le commun des mortels comme une société de justice, contrairement au socialisme.
Est-ce bien vrai ? Examinons la question.
Évidemment, les conclusions d’une personne proviennent de la compréhension de la réalité objective de sa vie, de son expérience de vie. Les contradictions restent inaperçues, hors de la vue et de l’évaluation. Par exemple, l’analyse des niveaux de consommation d’une personne moyenne en termes de denrées alimentaires ne milite pas en faveur de la société russe contemporaine par rapport à l’URSS. Le taux de construction de logements en URSS était plus élevé que maintenant, tout comme la disponibilité des médicaments. La capacité de gagner de l’argent aujourd’hui ne se traduit pas automatiquement par un niveau de revenu élevé pour la majorité, la liberté de choisir son occupation est également relative – chacun d’entre nous peut faire n’importe quoi, si ce n’est de l’argent. Aujourd’hui également, tout le monde peut constater la répression de la dissidence politique.
Au final, il en ressort une image contradictoire,avec un décalage entre la réalité objective et ses représentations dans la tête des gens ordinaires. Pourquoi ces personnes défendent-elles ainsi le capitalisme?
Ce qui précède confirme la domination de la pensée capitaliste dans l’esprit des gens, comme conséquence du reflet de l’image objective de la société actuelle. Mais… pas tout à fait : les arguments de base justifiant les avantages du capitalisme ont été formalisés dans l’idéologie du libéralisme, au 19ème siècle. Ils sont devenus la base de l’idéologie de la bourgeoisie, en tant que classe qui révolutionnait à l’époque le monde entier. Progressivement, cette idéologie est devenue prédominante, en raison de la domination de la classe bourgeoise. Mais oui, mes amis, défenseurs du capitalisme, vous ne faites que défendre l’idéologie de la classe dominante, au détriment de votre propre idéologie !
Comprenons maintenant pourquoi. Déjà Adam Smith soulignait la nécessité de la spécialisation et de la division du travail. Personne ne conteste cette nécessité, mais où cela mène-t-il pour chaque travailleur individuel ?
Chacun d’entre nous, spécialisé dans une activité ou une autre, perçoit le monde entier en grande partie à travers le prisme de cette activité. Si j’entre sur le marché, en tant que programmeur par exemple, en ayant écrit un programme, j’ai fait quelque chose de concret et de cohérent. Et j’attends de quelqu’un d’autre qu’il fasse son travail en entrant sur le marché aussi bien et aussi qualitativement que je l’ai fait. Et si nous sommes tous ensemble dans le monde, que chacun fait un travail de qualité, tout ira bien. Et celui qui ne l’a pas fait n’a qu’à s’en prendre à lui-même.
Malheureusement, ce n’est pas ainsi que fonctionne le monde réel. Ou pas tout à fait comme ça. Le capitalisme s’est réellement développé à partir de la production de marchandises à petite échelle, divisée en un ensemble de travaux privés liés par le marché. Elle a tout simplement dépassé cette situation il y a environ 120 ans. Et aujourd’hui, chaque pièce de travail “capitaliste” est une pièce incorporée dans le processus social, c’est-à-dire créée par la participation simultanée d’un très grand nombre de personnes, le travail social. Sans travail social, votre travail est inutile. Votre travail n’est pas une partie de ce travail, mais plutôt votre contribution au résultat global.
Et le problème n’est même pas que le fait de considérer le monde à travers le travail privé favorise l’égoïsme, l’indifférence et, en fait, tous les principaux défauts de la société moderne dont vous vous plaignez vous-même. Une telle vision est inadaptée à la réalité sociale d’aujourd’hui. Il existe de nombreuses différences entre l’homme moderne défendant le capitalisme et le militant taliban entrant dans Kaboul aujourd’hui, mais il existe une similitude importante qui permet aux deux d’être manipulés – l’absence d’une image scientifique de la structure de la société.
Le développement du progrès, surtout au cours des derniers siècles, a conduit à une grandiose mise en commun du travail, les sociétés transnationales et le secteur public n’en étant que la partie visible. Au cours des 100 dernières années, la planification, tant au niveau des États que des entreprises, s’est développée à une échelle gigantesque. Et ce n’est pas la “nuisance des communistes” qui est à l’œuvre ici, mais un modèle objectif de développement des forces productives, qui conduit à un changement dans les relations sociales.
À propos, je voudrais noter que les petites et moyennes entreprises se développent jusqu’à la grande entreprise et sont engagées dans la planification, ou sont principalement intégrées dans la structure de l’économie planifiée des grandes entreprises, agissant comme un élément subordonné inclus dans les chaînes de division du travail et de gestion. En d’autres termes, malgré son statut formel, elles ne sont pas un sujet indépendant et autonome du marché. Bien que, à ce jour, les petites entreprises soient la partie de l’économie qui a préservé le marché, la marchandise, pour le dire en termes d’économie politique. Par souci d’objectivité, je dois ajouter que les meilleures conditions pour les petites entreprises légales dans notre pays se trouvaient dans l’URSS stalinienne (par exemple, en termes de fiscalité et de prêts). Je recommande ici le livre de V. Rogovine “La nouvelle NEP de Staline”. D’autant plus que Rogovine n’est en aucun cas un stalinien.
En principe, l’incapacité à voir la planification incomplète de l’activité économique n’est pas seulement le résultat d’une attitude non critique vis-à-vis du monde environnant, mais aussi le résultat d’une campagne idéologique. Et je ne parle pas ici de la propagande officielle russe, qui est une piètre parodie de l’URSS de Brejnev. Je parle de la propagande de l’idée même de l’individu privé, de la pensée privée absorbée sans critique par l’homme commun.
De plus, l’image inadéquate du monde ne permet pas de voir les nombreux schémas d’appropriation par la classe dominante des résultats du travail du commun des mortels. Elle empêche également de comprendre l’insuffisance de la classe dominante, qui dirige la société de manière inefficace pour ce qui est de l’intérêt de la société et de manière inadéquate concernant le développement des forces productives.
Que faire de tout cela ?
Aujourd’hui, la tâche essentielle des forces de gauche est de développer une vision scientifique du soi, du monde. Un reflet adéquat de la réalité dans la tête des gens. Une action adaptée à la réalité. Nous, la gauche, appelons cela la pensée communiste.
Alexei Antonov est né en Lettonie. Expert en numérisation des entreprises. Son idéologie a changé dans le processus de l’histoire moderne de la Russie et il a prouvé par sa propre vie la validité du matérialisme historique.
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