Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

“Être communiste, c’est donner du sens à la vie”

Le hasard a voulu que le même jour où la Pravda publiait mon interview, un camarade m’a demandé de remplir ma biographie pour le Maitron (ensemble de dictionnaires biographiques du mouvement ouvrier). Mon compagnon Pascal Fieschi a eu récemment sa biographie publiée dans le même dictionnaire, c’était mon tour et nous demeurions unis par la lutte et l’idéal (1). J’ai été très honorée d’être sollicitée pour ces deux bilans d’une vie en ce mois de septembre 2021 où j’ai 83 ans. Cela m’a obligée à penser à la “cohérence” d’une vie que je voudrais avoir restituée dans cet article de la Pravda et j’espère surtout que beaucoup se reconnaitront dans ma définition de l’engagement autant que dans cette réflexion sur les leçons du passé nécessaires pour affronter la nouvelle période historique dont il est abondamment question aujourd’hui. Le temps d’un impérialisme acculé et qui retrouve les voies du bellicisme et du fascisme avec la montée des xénophobies et de l’anticommunisme. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

N° 96 (31156) 3-6 septembre 2021

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Auteur : Danielle Bleitrach.

L’envoyé spécial de la Pravda, Andrei Doultsev, s’entretient avec Danielle Bleitrach, professeur, sociologue, écrivain et membre du Comité central du Parti communiste de 1981 à 1996.

– Danielle, qu’est-ce qui vous a poussée à écrire vos mémoires ?

– Le centenaire du Parti communiste français et ce qu’il me semblait important de dire à cette occasion.

Je suis née en 1938 dans une famille juive. Enfant, j’ai été obligée de m’enfuir et j’ai été témoin du fait que de nombreux membres de ma famille ont fini dans un camp de concentration.

Pour moi, les communistes étaient de vaillants chevaliers qui m’ont sauvé la vie. Et l’élément principal de l’image collective de ce preux chevalier était pour moi, dès l’enfance, l’Armée rouge.

J’ai vécu une très belle vie, et je le dois à l’Armée rouge – je ne l’oublierai jamais. Je voulais en témoigner dans mes mémoires.

J’ai rejoint le Parti communiste français en 1956, au moment des événements hongrois, alors que d’autres quittaient le Parti. J’avais vu une photo de communistes pendus à des crochets de boucher par des contre-révolutionnaires. Le vrai communiste n’est pas celui qui choisit le chemin de la victoire, mais celui qui reste fidèle à son serment au milieu de la nuit et face à la défaite. Un communiste ne tolère pas l’injustice, et est donc plus fort qu’elle.

Enfin, je suis une intellectuelle, une universitaire, et l’histoire est importante pour moi, c’est ma passion. Rien ne m’impressionne autant que les empreintes de paumes sur les murs des grottes préhistoriques, je veux y poser la mienne. Tout ce qui est important pour moi n’a de sens que dans la communication avec d’autres personnes. Avec ma collègue Marianne Dunlop, nous avons créé le site web Histoire et société, qui a conquis un large public. Nous défendons la vérité face au mercantilisme moderne, nous luttons contre la réhabilitation du nazisme et contre les tentatives de faire taire le rôle des communistes. Mes mémoires sont une réponse à ces défis de l’époque, c’est une ode aux communistes, parfois non sans humour. Nous vivons au milieu d’une lutte.

– Votre activité politique vous a conduite au Comité central du Parti communiste français. Quelle est votre analyse du rôle historique de ce parti et de sa situation actuelle ?

– Le Parti communiste français est un acteur clé de l’histoire récente de son pays. Il est né dans un contexte de colère face à l’horreur de la Première Guerre mondiale et à la trahison de l’Internationale sociale-démocrate, qui a voté pour la guerre. Il  a été depuis ce temps là un facteur de la politique de paix dont les peuples ont besoin.

Le Parti communiste français savait se battre quand les temps l’exigeaient. Dirigé par son grand leader Maurice Thorez, ce parti était l’avant-garde de la classe ouvrière et luttait contre l’exploitation.

Dans le même temps, face à la trahison des capitalistes et à leur volonté de diviser la société, le PCF a défendu l’unité de ce magnifique pays, la France, il a défendu la souveraineté du peuple français, tout en ouvrant la France au monde sans chauvinisme, sans xénophobie. Le parti pratiquait cette ouverture dans sa solidarité avec l’URSS, avec le mouvement communiste, et surtout dans sa lutte anticolonialiste… Mon activité politique a commencé pendant la guerre d’Algérie : j’ai découvert à quel point avoir une position politique ferme pouvait être dangereux pour les communistes, tant en France que dans l’Espagne franquiste.

Malheureusement, ce grand parti, respecté de tous, a subi le même sort que d’autres partis qui ont flirté avec l’eurocommunisme. Il s’est coupé de la classe ouvrière. Aujourd’hui, pas plus de 2% des travailleurs français votent pour le PCF. Son organisation a été détruite par l’ancien secrétaire national Robert Hue et les deux dirigeants qui l’ont suivi, avec pour résultat que le parti est tombé dans la voie de la social-démocratie. Dans mes mémoires, je décris comment, dans les années 80, j’ai assisté à des processus comparables d’autodestruction des partis communistes en Hongrie et en Italie, dans le cadre d’un scénario planifié qui se répétait. Mais à l’époque, je ne comprenais guère la profondeur de la relation de cause à effet de ce phénomène. Je me souviens de cette impression de tempête quand on ne peut pas voir même un mètre, lorsque j’étais à Malte pour le sommet Bush-Gorbatchev.

J’analyse tout cela, et en particulier le rôle de François Mitterrand, qui était un homme politique de droite, un adepte de l’atlantisme et du néolibéralisme, un individu profondément corrompu et corrupteur qui avait ses mains souillé du sang des communistes pendant la guerre d’Algérie. Comment un tel homme pouvait-il parler de “virage à gauche” ? Il nous a détruits, mais surtout il a discrédité le parti socialiste et laissé monter l’extrême droite.

J’ai essayé de comprendre les raisons qui ont poussé les communistes à s’allier avec cet homme,pourtant ils ne faisaient aucune illusion sur son caractère. Et je vais vous expliquer pourquoi. Je ne veux pas régler des comptes : partout il y a des gens qui vendent la patrie, des traîtres qui œuvrent à la liquidation des partis communistes européens, donc il y a aussi des contre-révolutions, qui, à partir du coup d’État militaire au Chili en 1973, font basculer la planète. Le doute et l’incertitude sont semés partout.

Le paradoxe est que les persécuteurs du mouvement ouvrier et des peuples se présentent comme des défenseurs de la démocratie et des droits de l’homme. L’eurocommunisme a contribué à favoriser cette évolution, en lui apportant le soutien de la gauche. L’Europe en est le centre, mais d’autres parties du monde ont suivi le même chemin. Tout cela s’est présenté comme la poursuite de la politique de “déstalinisation” entamée par Khrouchtchev.

Mais revenons au PCF : je suis contre l’identification de Georges Marchais avec les deux autres leaders de l’eurocommunisme, Enrico Berlinguer et Santiago Carrillo, car même Thorez était différent de Togliatti. Marchais a refusé de dériver vers la droite depuis le milieu des années 1980 et a organisé la résistance du parti contre le réformisme. Tout a été fait alors  pour déstabiliser le PCF, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Ceux qui ont fait tanguer le bateau n’étaient pas tous dans le Politburo de Marchais, mais ils étaient dans le parti et en tous les cas à gauche.

Je me pose la première question face au fait que partout j’ai été témoin de cette contre-offensive. Je suis convaincue que sans un parti de type léniniste, il n’y a jamais eu de révolution réussie. Sans un tel parti, il est impossible de gagner et de conserver le pouvoir. Mais comment se fait-il que des personnes qui ne sont pas communistes se retrouvent soudainement à la tête de partis communistes, et pourquoi est-il si difficile de s’en débarrasser ? Faut-il attribuer cette dérive à la structure des partis de type léniniste, à la discipline excessive de leurs membres, oui ou non ?

Non, car ce que j’ai observé a été planifié de l’extérieur pour détruire ces partis, pour chasser leurs dirigeants honnêtes et leurs révolutionnaires, pour les remplacer par des collaborateurs et des bureaucrates sans principes. Ces partis ont été coupés de leur base de classe afin de les désorganiser complètement. Nos ennemis ont entrepris de mettre fin à l’internationalisme, de le remplacer par l'”humanisme” et les “valeurs universelles”. C’était également le cas en URSS, où le noyau de l’État soviétique a été détruit. Tout cela s’est fait sous couvert de démocratisation, ce qui a en fait privé les gens de véritables leviers d’intervention, instaurant une démocratie bourgeoise.

En observant la position du PCF aujourd’hui, nous devons réaliser que ce qui s’est passé lors du 38e Congrès en 2018 prouve la force de l’engagement des membres du PCF envers les idéaux communistes. Depuis l’époque de Maurice Thorez et de son renforcement de l’unité du parti contre les opportunistes et les gauchistes, nous n’avons jamais vu une seule fois un secrétaire de parti et son équipe être renvoyés lors d’un congrès du parti. Pourtant, en 2018, c’est exactement ce qui s’est passé : des communistes qui ne voulaient pas voir leur parti détruit ont écrit un manifeste, à la rédaction duquel j’ai participé avec ceux qui menaient la lutte. Une nouvelle direction fut élue par les membres du parti qui souhaitaient que le PCF continue d’exister.

La société française est en révolte, elle est engagée dans une lutte sociale contre les politiques des gouvernements de droite et de gauche, mais cette lutte manque de perspective politique. Le pourcentage d’électeurs abstentionnistes augmente et les électeurs désabusés votent parfois pour l’extrême-droite. Face à cela, il y a eu une prise de conscience accrue de la nécessité de renforcer le parti communiste. Nous en sommes arrivés là, la porte s’est entrouverte : il y a un nouveau secrétaire et une nouvelle équipe.

Cependant, 30 ans de politique de liquidation ont laissé leur marque, et tout n’est pas encore gagné. Non seulement les anciens dirigeants n’ont pas désarmé. Beaucoup d’entre eux occupent encore des postes clés : le journal l’Humanité, le département international et la formation du parti sont entre leurs mains. Notre combat est de restaurer l’unité du parti, de retrouver son autonomie politique dans cet état d’affaiblissement. Mais nous savons que là où il y  a une volonté et qu’il y a un chemin ; nous devons aider ce renouveau, et je soutiens les efforts de Fabien Roussel et de son équipe, sachant qu’il y a encore beaucoup d’obstacles à surmonter. Il n’y a pas d’autre voie, et le retour du PCF sur la scène internationale fait partie de notre renaissance.

– Votre expérience internationale vous a mis en contact avec Cuba, la Chine et l’Union soviétique. Dans quelle société pensez-vous que le socialisme a été construit avec le plus de succès ? Quels sont les avantages de chacun de ces modèles ?

– Je poserais cette question sur la base des défis auxquels les communistes sont confrontés partout. Nous devons faire le point sur ce qui affaiblit ou renforce nos politiques communistes. Il n’existe pas de modèle tout fait en tant que tel, mais il y a des exemples et des expériences.

Je pense que pour mieux comprendre, il est utile d’examiner l’histoire du mouvement communiste sur une période plus longue. Lorsque je parle d’une période plus longue, j’entends le passage d’un mode de production à un autre, d’une formation à une autre. Sans trop entrer dans l’histoire, n’oublions pas que la chute de l’Empire romain a duré mille ans et a culminé avec la découverte de l’Amérique ; la lutte de la bourgeoisie contre le féodalisme a duré 600 ans et a culminé avec la victoire de la révolution française.

La voie vers le communisme et l’affirmation du pouvoir de la classe ouvrière a sans aucun doute été délibérément accélérée à de nombreuses reprises par le marxisme-léninisme et l’incroyable expérience de modernisation de l’URSS. La propriété privée, qui avait perduré pendant des milliers d’années, avait été protégée et était passée d’une classe dirigeante à l’autre au gré des bouleversements, a été abolie. La révolution bolchevique a transformé une société arriérée en une société moderne en 70 ans.

Mais cette transformation n’était pas seulement interne – elle a bouleversé le monde. Les relations internationales ont été transformées, l’idéal kantien d’un monde fondé sur le respect de la souveraineté a été établi, le contrat social s’est formé avec l’apparition des nations et des constitutions. L’effet de cette onde de choc se poursuit.

En tant que membre du Comité central du Parti communiste français, je me suis souvent rendue en URSS, j’ai traversé l’Asie centrale, le Belarus… Il y a quelques années, ma collègue Marianne Dunlop et moi-même avons parcouru les routes de l’ex-URSS, visitant la Crimée, Odessa, la Moldavie, Moscou, Saint-Pétersbourg et Kazan. En tant que sociologue, toutes les personnes que j’ai rencontrées sur mon chemin avaient un sentiment d’appartenance à l’Union soviétique. On parle de nostalgie, mais cela va au-delà, c’est plutôt une prise de conscience d’appartenance à  la civilisation soviétique.

Face à l’agression impérialiste qui se poursuit, il y a ce qui subsiste de soviétique et il y a autre chose. Mais ce qui est patriotique est soviétique, même si ceux qui prétendent ne pas être communistes le nient.

Parfois, les camarades du KPRF se posent la question : qu’est-ce que c’est que d’être Russe ? Le peuple russe a été forgé par la révolution et est soviétique par nature : être un patriote russe signifie être soviétique. Mais être entièrement soviétique, c’est être socialiste, c’est souhaiter que soit mis fin à une oligarchie prête à brader le pays et à sacrifier le peuple. La première personne à avoir avancé l’idée de cette communauté en tant que civilisation a été Staline, en parlant du théâtre et du cinéma, qu’il aimait beaucoup, il distinguait le politique et la civilisation soviétique, les œuvres.

Qu’est-ce que cela a à voir avec le parti communiste ? Tous les citoyens ne peuvent pas être des révolutionnaires, tous ne sont pas prêts à consacrer leur vie à cette mission. Le rôle du parti communiste est de trouver des révolutionnaires et de les former de manière à ce qu’ils puissent convaincre ceux qui ne sont pas prêts à devenir des révolutionnaires. C’est dans ce sens que les communistes créent une autre démocratie, ils doivent, avec d’autres organisations, révéler l’intérêt commun de la nation et de la classe. Selon les tâches à accomplir, le choix des priorités peut être différent, mais il doit toujours y avoir une combinaison d’intérêt matériel et de respect de la dignité humaine.

Il y a des moments de bouleversement révolutionnaire, mais il y a aussi des périodes temporaires de stabilisation des acquis, de développement civilisationnel. Tous les partis communistes qui ont réussi leur révolution étaient léninistes, et la révolution soviétique dans son ensemble les a aidés. Pour ce faire, ils doivent tenir compte de leurs caractéristiques nationales. Si Cuba oublie un seul instant qu’elle a son pire ennemi à la frontière, l’île de la Liberté sera finie. Si la Chine oublie qu’elle a 1,4 milliard de Chinois à nourrir, le régime communiste ne durera pas longtemps. Mais chacun de ces partis doit donner à sa lutte une dimension internationale, en lui insufflant humanisme et espoir. C’est un projet de société similaire à ce qu’était l’URSS.

Cuba cherche à préserver sa souveraineté au nom de l’humanité ; son parti communiste est le garant de ce projet. Cuba est fascinant car chaque défi lancé à l’impérialisme, qui tente de forcer l’île à abandonner le socialisme, pousse les Cubains à plus d’ingéniosité révolutionnaire. Cuba est une célébration des valeurs morales et de l’improvisation créative.

La Chine, c’est la recherche d’une issue à des siècles d’humiliation pour la plus ancienne civilisation du monde, un empire démembré qui a été contraint de consommer de l’opium… Le parti qui a sorti la Chine de cette pauvreté et de ce retard passe aujourd’hui d’un élan révolutionnaire à un élan civilisationnel, d’une guerre offensive à une guerre de manœuvre. En Chine, il s’agit de mettre le capitalisme en cage, de priver les capitalistes du pouvoir politique, de la même manière que le capital n’a jamais donné le moindre pouvoir politique à la classe ouvrière allemande, qui devait faire la révolution, ou à la classe ouvrière des États-Unis. Face à la menace impérialiste, la Chine se prépare à une longue marche et crée une nouvelle route de la soie.

Cuba et la Chine n’existent que parce que la révolution bolchevique a accompli l’impossible.

J’admire les expériences révolutionnaires de ces pays, et au lieu de donner des leçons, ce par quoi nous péchons parfois, nous, Français, devons apprendre beaucoup et être solidaires avec eux dans leur combat. Pas seulement là où les partis sont au pouvoir, mais partout. J’ai beaucoup voyagé dans ma vie, à la fois en tant que sociologue et à travers le travail du PCF, rencontrant des représentants de partis dans différents pays… J’ai rencontré des communistes au Bénin, en Algérie, au Mexique, en Amérique latine, aux Caraïbes, au Soudan, mes camarades du parti Toudeh en Iran, les Irakiens. À travers l’exemple du mouvement paysan en Inde, nous pouvons voir que les communistes renaissent de leurs cendres, comme l’oiseau Phénix, en s’élevant contre l’injustice. Le communisme est vivant : la taupe de l’histoire sort de son royaume souterrain.

– Le PCF est connu comme un parti d’intellectuels. Quel est le rôle des personnalités culturelles dans l’histoire du parti ?

– Le rôle des personnalités culturelles est avant tout de créer une nouvelle civilisation… J’ai été proche d’Aragon dans les dernières années de sa vie. Il a beaucoup travaillé pour unir les personnalités culturelles et les intellectuels autour du parti. L’avant-garde intellectuelle est venue en aide au politique afin de construire ensemble une nouvelle civilisation, où les intellectuels et les artistes cesseraient d’être les serviteurs des puissants et seraient les architectes à part entière d’un monde nouveau.

En France, c’est l’héritage de l’absolutisme éclairé et des Encyclopédistes, de Saint-Simon, du socialisme utopique et de la science révolutionnaire, ainsi que les leçons de l’affaire Dreyfus. Les communistes du parti de Maurice Thorez ont réussi à convaincre les scientifiques et les personnalités du monde de la culture que l’engagement partisan était un prolongement du développement de leurs travaux. La corrélation entre les forces productives et l’éthique est au cœur du progrès ; nous le savons très bien grâce à l’expérience soviétique…

Personnellement, je reste également attachée au communisme, l’idée de construire une société qui mettrait à bas le capital. Il est nécessaire d’adhérer à l’idée communiste pour relever ce défi de l’époque, être à l’avant-garde, donner le meilleur pour notre objectif commun. Ce n’est pas facile car le capital favorise la compétition systématique entre les intellectuels, les artistes, il les individualise.

– Quelle est la perspective du communisme en France et en Europe ? Les communistes de ces pays sont-ils en voie d’unification ?

– Malheureusement, l’Europe est sous la dictature de l’UE. Cette organisation n’est pas une Europe libre mais un vassal des États-Unis, une caricature bureaucratique. Il suffit de regarder les politiques de Macron, son asservissement au capital et la façon dont il offre ses services à l’équipe de Biden pour fomenter une nouvelle guerre au Moyen-Orient. C’est du bellicisme sous couvert de la feuille de vigne des droits de l’homme. Il s’agit de piller des pays comme moyen de résoudre la crise de la société américaine par des campagnes militaires pour faire oublier la crise qui a suivi la pandémie, alors que ses racines sont bien plus profondes.

Nous assistons à l’effondrement de la social-démocratie qui, dans ce contexte européen, a fusionné avec la politique de droite, et les forces d’extrême-droite se développent à pas de géant. Les mieux placés sont donc les partis qui, comme les partis communistes de Grèce et du Portugal, ont pris leurs distances par rapport au projet européen et aux euro-communistes qui l’ont rejoint.

Depuis que Fabien Roussel est à la tête du PCF, il y a eu des inflexions, les contacts avec nos camarades portugais ont été renoués, mais il faut aller plus loin. Personnellement, je pense que nous devons être courageux et parler du continent eurasien si nous voulons mener une lutte anti-impérialiste. Mais aujourd’hui il est temps de se poser des questions. Et la formulation des questions et des tâches est aussi importante que l’apport de réponses concrètes.

– Avec quel parti communiste européen sympathisez-vous le plus aujourd’hui ?

– Je souhaiterais que le PCF ait des contacts plus étroits avec le Parti communiste grec et le Parti communiste portugais, en fixant des objectifs concrets de coopération. Vous ne pouvez pas avoir des réunions qui ne mènent nulle part. Il est nécessaire de coopérer avec les partis sans se limiter à l’Europe, comme l’a fait l’équipe de Pierre Laurent (ancien secrétaire national du parti, qui a été démis par le 38e congrès du parti).

– Où les partis communistes peuvent-ils puiser leur force aujourd’hui ?

– Compte tenu de l’expérience du 38e Congrès du Parti, j’insiste sur le contexte de la lutte tant en Europe que dans le monde. La pression du capital est énorme, une génération entière vit moins bien que ses parents, la mortalité infantile augmente, l’espérance de vie diminue.

La question même de la survie de la race humaine devient un problème et il n’y a pas d’autre force capable d’apporter une réponse politique progressiste que les communistes. Il n’y a pas d’autre mouvement capable de remplacer ce parti… La “République en marche !” de Macron ou la “France insoumise” de Mélenchon sont de fausses démocraties où un petit groupe de personnes se substitue à la démocratie du peuple dont ils appellent au renouveau.

Mais les partis communistes en tant que tels doivent être transformés dans le travail pratique et théorique. Notre force doit être renforcée par la conviction, la connaissance, l’organisation et la cohésion, une démocratie d’action pour se réinstaller dans les masses et offrir des solutions concrètes. L’internationalisme nous aide à voir la dimension mondiale des problèmes et à partager les expériences. Nous devons rompre avec les villages Potemkine influencés par le capitalisme, dans lesquels les puissances occidentales capitalistes utilisent leurs médias pour dominer l’opinion de la communauté internationale.

– Comment, à votre avis, les communistes français doivent-ils se comporter avec la Russie et la Chine ? L’incompréhension des processus dans ces pays peut-elle s’expliquer par un manque de connaissances et la propagande occidentale ?

– Nous sommes soumis à un endoctrinement idéologique. Les capitalistes occidentaux ont peur de dire un mot sur l’état de leurs propres pays, alors ils parlent sans relâche de la situation dans les autres pays, ils font croire aux gens que toute révolution mène à la dictature. Ils essaient d’identifier officiellement,au niveau de l’UE, le communisme soviétique au nazisme, Staline à Hitler. Tout cela est fait pour blanchir les fascistes dont le capital a besoin pour contrôler les masses ouvrières.

Mais les capitalistes n’oublient pas leurs agents à gauche, des trotskystes aux sociaux-démocrates. En France, après que Georges Marchais a conclu un accord avec les sociaux-démocrates, la direction du parti communiste a permis à cette propagande anticommuniste de s’infiltrer dans les rangs du parti. Le résultat est l’implantation d’idées fausses sur le développement des pays socialistes et autres pays progressistes : elles ont supplanté l’éducation du parti.

De ce point de vue, la propagande occidentale atteint le niveau de la propagande de Goebbels, ce ne sont que des mensonges sans fondement. C’est pourquoi les déclarations de Fabien Roussel sur la Russie et la Chine dans la Pravda et dans une interview à TASS ont surpris et l’ont rendu populaire. Dans notre parti, nous luttons contre la désinformation. Le site web que j’ai créé avec Marianne Dunlop permet à nos camarades de parti de se tenir au courant des nouvelles de la Russie, de la Chine et de Cuba. Il y a des éditeurs proches de nous : Delga a publié mes mémoires, ils publient des ouvrages intéressants dans la bonne direction. Mais nous devons aller plus loin ensemble, définir les objectifs de la contre-offensive, renforcer la formation et les échanges de jeunes.

– Cette année, nous avons célébré le 150e anniversaire de la Commune de Paris. Quel rôle cet événement a-t-il joué dans la vie du mouvement ouvrier international ?

– La Commune de Paris marque le début de l’affirmation du pouvoir prolétarien. Marx, analysant la lutte des classes en France, montre comment en France Kant devient Robespierre, bien que le passage à l’acte soit parfois théoriquement confus et compliqué. Dans le même temps, les Allemands désespèrent dans la pratique, et Marx lui-même hésite dans son attitude à l’égard de la France entre l’admiration pour le révolutionnarisme français et l’irritation devant notre myopie théorique, notre incapacité à penser de façon dialectique…

La Commune de Paris nous a libérés de l’illusion que la révolution bourgeoise française devait être reproduite, un nouveau héros – le prolétariat – est apparu sur la scène de l’histoire. La Commune a protégé notre pays de la trahison de la bourgeoisie, a ouvert de nouvelles voies dans l’éducation, dans la jurisprudence, que la révolution bolchevique a concrétisées par la suite… Vu la courte histoire de la Commune de Paris, son expérience nous enseigne que nous avons besoin non seulement de l’autonomie de la classe ouvrière, mais de la dictature du prolétariat face à la dictature de la bourgeoisie.

Il existe une tendance dans la France contemporaine à considérer toute révolution comme un exercice futile conduisant à “des massacres, une dictature jacobine, la guillotine et le goulag”. Cette interprétation de l’histoire a commencé sous l’ère Mitterrand, lorsqu’il est devenu nécessaire de fomenter un contre-feu pour bloquer l’accès des communistes aux structures du pouvoir, pour leur refuser la possibilité d’agir.

Ainsi, le capital et ses idéologues imposent la social-démocratie, comme nous le constatons actuellement au Portugal… Ils ignorent le passé controversé des partis socialistes, de Mitterrand lui-même, ses liens avec le régime de Vichy, son anticommunisme, son rôle dans les guerres coloniales et la répression, son engagement dans l’atlantisme, etc…, prétendant que la social-démocratie a toujours défendu la liberté face à une éventuelle dictature communiste.

L’eurocommunisme a suivi cette interprétation, attribuant à l’URSS un caractère totalitaire étranger aux aspirations européennes. Cela continue aujourd’hui avec le détournement idéologique du passé révolutionnaire français et la réécriture de l’histoire.

– Comment la Commune de Paris a-t-elle changé la France ?

– La Commune est renversée et le mouvement révolutionnaire dispersé, malgré l’émergence consécutive du guédisme, le premier courant marxiste. Mais il y a une continuité des révolutions, et si les années qui ont suivi la défaite de la Commune n’ont pas changé la conscience de classe du peuple français (qui s’est développée, malgré la répression, en raison de la méfiance du prolétariat français envers la politique dans la tradition de l’anarcho-syndicalisme), la Commune a eu le plus large écho au niveau international, en grande partie grâce à l’analyse des œuvres de Marx et de Lénine.

– L’un des piliers du mouvement ouvrier et socialiste en France est historiquement l’anarcho-syndicalisme. Quelles sont les forces et les faiblesses de cette tradition ?

– Sa force c’est le militantisme, la méfiance à l’égard des patrons et des organisations bourgeoises, tandis que sa faiblesse réside dans le rejet de la politique, de la lutte pour le pouvoir. L’anarcho-syndicalisme se limite à la grève générale, tandis que les marxistes se préoccupent de renforcer un parti capable de prendre le pouvoir d’État. La force de Thorez est d’avoir construit un parti qui unissait ces courants, mais après son départ, la rupture est réapparue.

Aujourd’hui encore, l’établissement de cellules de parti dans les entreprises est une question controversée. Tant qu’il n’y aura pas de clarté politique dans le parti, on ne comprendra pas pourquoi la classe ouvrière a besoin du parti. Tant que le PCF ne révisera pas sa stratégie, n’évoluera pas vers une clarté d’action, de nombreux travailleurs penseront qu’il suffit d’avoir un syndicat et que le parti ne peut être soutenu que pendant une campagne électorale.

– Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’être une communiste française ?

– Être communiste, c’est donner du sens à la vie. Je suis plus que jamais convaincue qu’il est nécessaire d’être communiste, non seulement à cause des urgences du monde, des dangers de l’impérialisme et de la crise, mais aussi pour les peuples eux-mêmes, pour les aider à sortir du vide social dans lequel ils se détruisent eux-mêmes.

Les partis communistes doivent encore rétablir la solidarité internationale, l’échange, la coordination d’actions concrètes. Ils ont subi des dommages – tant pour les partis que pour la société dans son ensemble. Quand je parle de l’état déplorable du parti, je sais que la société française dans son ensemble est dans un état encore pire…

Le PCF sera transformé. Être communiste français, indépendamment du fait que je sois membre du PCF ou non, c’est une raison de se rappeler ce qui a poussé cette jeune femme à choisir cette voie particulière et pourquoi cette vieille dame qui vous parle ne regrette rien de sa vie : elle a eu la chance de participer au meilleur de l’humanité.

Comme notre grand Diderot, qui était athée,le disait : « quand tu auras fini ta vie, tu t’endormiras fatigué comme après un travail honnêtement accompli… » Mais il n’est pas encore temps de fermer les yeux. Nous devons apporter ce que nous savons, passer le flambeau, dire ce que nous pensons devoir être dit. Nous devons œuvrer pour que les prolétaires de tous les pays s’unissent enfin. Nous devons faire cela partout et à chaque heure – notre interview est une miette dans ce travail, mais j’espère qu’elle sera utile aussi.

Être française ? Robespierre a dit de nous à juste titre : “nos raisons d’exister sont plus importantes que notre existence”. Alors que nous saluons nos camarades russes et les remercions pour ce qu’ils ont donné au monde, nous apprécions la grande patience russe. Notre confiance en vous est fondée non seulement sur ce que vous avez apporté à l’humanité au cours des 70 années d’existence de l’URSS, mais aussi sur votre refus de vous soumettre à la contre-révolution. Je me souviens avoir rencontré le camarade Ziouganov en Inde, lors du congrès du parti communiste en 1994, alors que je représentais le PCF et que j’étais là avec J. Risquet, qui représentait le parti communiste de Cuba. Risquet, comme moi, avait une profonde sympathie pour l’Union soviétique et nous avons été très impressionnés par la force de conviction de G.A. Ziouganov. Cela nous a aussi encouragé .

(1) on m’a transmis ce même jour cette photo de la Marseillaise dans laquelle était célébré l’homme dont j’ai partagé la vie, ce qui me remplit de joie et d’émotion tant je le revois dans son incroyable élégance et son charisme mais aussi son acharnement à nous mettre en garde contre le possible retour de la bête immonde qui l’avait torturé et déporté. La photo que je place pour illustrer cet article est celle du 23e Congrès où j’ai été élue membre du comité central, elle a été prise au même moment que celle de mon compagnon dans la Marseillaise du 4 septembre 2021.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est LM4septembre21Centenaire-1024x487.png.

(2) la photo qui illustre l’article de la Pravda est nettement plus actuelle, elle nous montre Marianne et moi. J’aurais voulu illustrer cette traduction avec l’original qui correspond à ce lien mais wordpress n’accepte pas de reproduire un article de la Pravda…

Peut être une image de 2 personnes, y compris Danielle Bleitrach, personnes assises et texte qui dit ’" Orange 13:34 https://gazeta-... gazeta-pravda.ru нить жизнь CN дент "<правды>> андрей дульцев культу прак профессором, социологом, цк ΦΚΠ 1981-1996 годах люзий смысле коммунисты опыт. что S лопедистов, -симона,у ΦΚΙ что данизль блейтрак (слева) коллегой марнанной данлоп. социализма револ изаде’

marianne et moi à kazan (Russie) A choisir d’actualiser, je préfèrepour nous deux celle-là,elle nous rend plusjustice …

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1 Commentaire

  • etoilerouge
    etoilerouge

    un article superbe et très clair. La photo m’a amusé je n’en dis pas plus.

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