Marianne plus attentive que je ne le suis à la bande son d’un film a tenté de suivre le cosmopolitisme assumé de Gagarine en particulier celui de la petite gitane Diana, qui parle toutes les langues.Ainsi quand ils se rendent Yuri et elle dans le magasin du stock de rebuts elle parle russe avec le gardien, ils chantent tous les deux une comptine qui dit “tu voles et je vends”. Mais surtout juste avant on entend un couplet de cette chanson de Vissotskti qui parle de la douleur de la destalinisation. Comme pour Konchalovki, l’occident a transformé en dissident antisoviétique ce qui était le déchirement de celui en qui la foi restait gravée dans la chair et dans l’oeuvre, un amour comparable à celui pour la bien aimée. Et toujours à propos du film, les auteurs de la bande son sont russes et, toujours selon Marianne leurs références sont très explicites. Gagarine est donc bien le rêve de l’épopée inscrite dans le bâtiment comme dans la chair du prolétariat trahi. Aujourd’hui j’ai proposé à un ami qui vit dans une ville de grands ensembles, y milite, à la rentrée de présenter le film, tout ce qu’il dit… et je n’avais pas encore cette réflexion sur la bande son. (note de danielle Bleitrach)
Annexe : grâce à unde nos érudits et mélomanes lecteurs (Daniel Arias) on a retrouvé également l’origine de la bande son. C’est la première scène du film Stalingrad de Fedor Bondarchuk, 2013. Ce qui confirme nos hypothèses sur le film lui-même…
Angelo Badalamenti Stalingrad ouverture:
https://youtu.be/ZmGnKr0-4H0
Dans cette chanson Vissotski parle d’un tatouage d’une certaine « Marinka » il fait ici référence à sa dernière épouse ; l’actrice Marina Vlady.
La bania blanche dont il est question ici, est la forme de bania la plus repandue en Russie.La ou le1 bania, ou banya (en russe : баня), désigne les bains publics ainsi que la tradition des bains qui s’y rattache en Russie. Lorsque la salle de bain n’existait pas, les Russes avaient l’habitude de se laver aux bains publics. Cependant, de nos jours, de nombreuses maisons particulières ont leur propre bania. C’est une tradition qui reste très prisée des Russes.
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Банька по-белому / La bania blanche
Patronne ; chauffe-moi une bania blanche,
De la lumière blanche, je me suis déshabitué.
Je m’asphyxierai et, à moi le délirant,
Délira la langue, la vapeur me brûlant.
Patronne ; chauffe-moi une bania,
Je m’enfivrerai, m’enflammerai,
Sur le bord même du banc,
En moi, le doute, j’extirperai.
De chaleur jusqu’à l’inconvenance, je me griserai,
Un seau d’eau froide ; et au loin, tout s’estompera,
Et le tatouage de l’époque du culte de la personnalité,
Sur la poitrine gauche, bleuira.
Chauffe moi une bania blanche,
De la lumière blanche, je me suis déshabitué.
Je m’asphyxierai et, à moi le délirant,
Délira la langue, la vapeur me brûlant.
Combien de fois et de forêts furent abattus,
Combien de malheurs et de chemins furent connus !
Sur la poitrine gauche : Le profil de Staline
Et sur la droite : Le portrait de Marinka
Oh, pour ma foi de charbonnier,
Combien d’années me suis-je reposé au paradis !
Pour une vie sans issue, j’ai échangé
Mon insondable idiotie.
Chauffe moi une bania blanche,
De la lumière blanche, je me suis déshabitué.
Je m’asphyxierai et à moi, le délirant,
Délira la langue, la vapeur me brûlant.
Je me souviens comme tôt, au petit matin,
J’ai eu le temps de crier – aide-moi, frère !
Et deux beaux gardiens,
De Sibérie en Sibérie, m’emmenèrent.
Et après dans les carrières ou les marais,
Ayant avalé des larmes et de l’humidité
Nous tatouions son profil plus près du cœur
Afin qu’il entende comment se déchirent nos cœurs.
Chauffe moi une bania blanche,
De la lumière blanche, je me suis déshabitué.
Je m’asphyxierai et, à moi le délirant,
Délira la langue, la vapeur me brûlant.
Oh, mon corps s’enfièvre de ce récit jusqu’à la nausée,
La vapeur chasse de l’esprit, les pensées,
Du froid brouillard du passé
Je m’engloutis dans un brouillard surchauffé.
Les pensées se mettent à cogner sous mon crane,
Il s’avère, que par elles je fus marqué inutilement,
Et, avec des branches de bouleau, je fouette,
L’héritage des sombres temps.
Chauffe moi une bania blanche
De la lumière blanche, je me suis déshabitué.
Je m’asphyxierai et, à moi le délirant,
Délira la langue, la vapeur me brûlant.
Traduction : Sarah P. Struve
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Daniel Arias
Sur la bande annonce de Gagarine, la musique de la scène en gravitation me rappelle un autre film russe mais je n’arrive pas à retrouver lequel.
Daniel Arias
C’est la première scène du film Stalingrad de Fedor Bondarchuk, 2013.
Angelo Badalamenti Stalingrad ouverture:
https://youtu.be/ZmGnKr0-4H0
Yannick LB
Merci pour cette réflexion qui nous incite fortement à voir le film Gagarine, et qui nous offre ce poème émouvant de Vyssotski. Ce dernier m’inspire un très modeste commentaire. Pour qui ne connait pas l’œuvre de cet artiste, le texte n’est pas si explicite (sinon, ce ne serait peut-être pas de la poésie …). Tel que je le perçois, celui qui parle est « l’homme soviétique », même si le nom de la femme aimée, Marinka, a valeur de signature. Pas n’importe quel soviétique : un homme qui a vécu « dans sa chair » la douleur, certes, de la déstalinisation, mais inséparable à mon avis de la douleur passée de la stalinisation (le « culte de la personnalité »), que seule la « foi du charbonnier » permettait de surmonter héroïquement. Beaucoup de victimes des purges gardait leur foi intacte en Staline, elles lui écrivaient, persuadées que leur arrestation (« tôt, au petit matin ») et leur déportation (« de Sibérie en Sibérie ») n’était due qu’aux erreurs ou au zèle du NKVD, et que Lui n’était pas au courant.
« Nous tatouions son profil plus près du cœur
Afin qu’il entende comment se déchirent nos cœurs. »
Dans la bania évoquée, celui qui nous apparaît comme un ancien Zek veut se laver de cette histoire douloureuse.
« Un seau d’eau froide ; et au loin, tout s’estompera,
Et le tatouage de l’époque du culte de la personnalité,
Sur la poitrine gauche, bleuira. »
Dès le début on est saisi par plusieurs affirmations sur la lumière, la parole et le doute :
« De la lumière blanche, je me suis déshabitué. »
« à moi le délirant,
Délira la langue la vapeur me brûlant. »
et
« En moi, le doute, j’extirperai. »
On sort manifestement d’une obscurité, je vais enfin pouvoir parler, mais pour cela je dois extirper le doute. Quel doute ? Peut-être le doute sur mon innocence, sur mon droit à parler de ce que j’ai vu et vécu ?
Une question enfin, sur la strophe pour moi la moins évidente :
« Pour une vie sans issue, j’ai échangé
Mon insondable idiotie. »
De quelle époque nous parle-t-il ? L’idiotie concerne-t-elle l’adhésion (avec la foi du charbonnier) aux thèses des années 30, la vie sans issue celle qui est proposée après 53, après 64 ? Ou plus sévère : l’idiotie au sens philosophique de Clément Rosset (Traité de l’idiotie), d’un réel in-signifiant ou a-signifiant, troqué pour une vie sans issue régie par des mots d’ordre trompeurs.
Là, je m’égare sans doute du côté de la « dissidence » …
Quoi qu’il en soit, ce poème nous met en présence de la douleur de l’Histoire.
Danielle Bleitrach
tout à fait d’accord avec votre interprétation c’est seulement face à la médiocrité de ceux qui prétendent destaliniser que l’on ressent la double douleur de l’histoire… c’est ce qui m’horripile chez les imbéciles qui prétendent s’approprier Aragon aujourd’hui ils sontincapables de comprendre ce qu’a été cette histoire là… Marianne me disait que Vissotski n’avait jamais voulu prendre la position du “dissident”… c’est pour cela que je plaide pour que les communistes eux-mêmes et pas les pâles crétins qui se croient des “humanistes” revoient leur passé…