Un livre qui dit ce que le monde soupçonne : le génocide est au coeur de la pensée occidentale. Nous sommes plus proches de Max Weber que de Marx dans la mesure où c’est une civilisation plus encore qu’un mode de production qui est mise en cause. Mais l’auteur de l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme connaissait fort bien Marx en particulier la section 1 du capital sur le fétichisme de la marchandise dans lequel Marx parle de l’homme abstrait du protestantisme qui correspond à ce fétichisme. L’impérialisme US n’est pas n’importe quel impérialisme c’est celui qui va dans la guerre des Boers inventer les camps d’extermination, celui qui après la deuxième guerre mondiale assure à ses rejetons colonialistes une permanence dans leur pillage, mais aussi celui dont les contradictions internes sont en train de miner la capacité à se diriger autant qu’à diriger le monde et c’est ce constat qui désormais fait craindre le réflexe de la bête blessée qui est confrontée à un monde multipolaire avec à sa tête un pays communiste à la fois la plus vieille civilisation planétaire et qui a subi l’humiliation du colonialisme. (note de Danielle Bleitrach)
Par Denis Lambert –
Attention ! Sous des dehors humbles et discrets, ce livre est exceptionnel. Cent soixante-neuf chapitres brefs, aussi durs et compacts que des noyaux de charbon, qui n’attendent plus qu’une mise à feu pour rougeoyer longtemps, et faire des trous dans les consciences morales. Une insolation brutale et irréversible de la mémoire. Un flashage qui laisse pantelant et foudroyé, sur place. L’auteur est suédois. Il a du talent. Une écriture sèche, dépouillée et splendide, qui se confond avec le désert traversé au moyen des lignes de bus transsahariens autochtones, un dernier voyage géographique et cérébral plein Sud, une croisée de lignes de fuite géométriques qui convergent vers une certitude, un mot d’ordre, enfoui sous les sables de la mémoire mais qui les fait fondre en silice brûlant : Exterminez toutes ces brutes !
« Le cœur de la pensée européenne ? Oui, il existe une phrase, une phrase simple et courte, qui résume l’histoire de notre continent, de notre humanité, de notre biosphère, de l’holocène à l’Holocauste. Elle ne dit rien sur l’Europe en tant que foyer originel de l’humanisme, de la démocratie et du bien être sur terre. Elle ne dit rien sur ce dont nous sommes fiers, à juste titre. Elle exprime seulement la vérité que nous préférons surtout oublier. » Lors des nuits d’étapes, dans de petits hôtels simples et misérables, où l’existence confine à l’essentiel : de l’eau et du repos, après des journées harassantes et muettes, l’auteur consigne fiévreusement sur de petits carnets de voyage les fruits d’une méditation extrême et sidérante. Lorsque le désert donne la beauté brûlante à des pages aréiques, brunies et nerveuses, lorsque la soif de la vérité adosse le « je » universel à la folie, que les immenses cieux étoilés de l’Afrique déchirent la pensée et l’engouffrent droit sur le vertige de l’évidence -et sur laquelle il sera impossible à jamais de revenir-, alors il faut écrire et publier cette phrase, cause cachée et fin ultime du voyage, que l’on tournera et retournera sans cesse comme une lame de rasoir entre les doigts jusqu’à la fin des temps : « Le génocide est au cœur même de la pensée occidentale. »
A l’aube de ce voyage, et le conduisant pas à pas, il y a le récit de l’origine de cette civilisation Blanche, supérieure à toutes les autres, qui a réellement exterminé tous les peuples auxquels elle est venue se présenter, dans le seul but de voler les terres, les biens, les hommes, violer les femmes, massacrer, détruire et encore détruire, avec une joie féroce et dans l’ivresse des tourbillons festifs des grandes capitales d’Europe. Civiliser, mot d’ordre grandiloquent, c’est-à-dire : Exterminez toutes ces brutes !
L’Occident a voulu se focaliser sur l’Holocauste pour en faire une exception, et s’en acquitter. Non. Le seul tort remarquable de Hitler est d’avoir commis en Europe ce que tous les Européens sans exception commettaient légitimement hors des frontières depuis le XIXe siècle. Ni plus, ni moins. « Personne n’a mentionné l’extermination par les Allemands des Herero, en Afrique du Sud-Ouest, durant l’enfance de Hitler. Personne ne parle des massacres équivalents perpétrés par les Français, les Anglais ou les Américains. Personne n’a fait remarquer que, durant l’enfance de Hitler, un élément majeur de la conception européenne de l’humanité était la conviction que les « races inférieures » étaient condamnées, de nature, à l’extinction, et que la véritable compassion des races supérieures consistait à les y aider. » Le génocide hitlérien n’est pas exceptionnel. Il est banal. C’est la règle, la coutume et la loi. En 1871, Darwin écrivait dans La Descendance de l’homme : « Dans une période future, guère éloignée si on la mesure en siècles, les races d’hommes civilisées auront certainement exterminé et remplacé les races sauvages dans le monde entier. »
Un livre immense. A ne pas rater.
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