Ils participent aux olympiades d’informatique internationales, travaillent dans des entreprises de technologies de l’information (IT) du monde entier, et créent des jeux et applications mondialement connues, de Tetris à Telegram. Dans cet article, nous faisons le point sur la manière dont la Russie est devenue l’une des principales pépinières de développeurs au monde. Alors même que l’on découvre l’espionnage auquel se livrent les USA et la CIA sur les chefs d’État européen, les médias français s’indignent devant les “attaques russes” (une mention spéciale à la chaîne Arte qui le jour même de la découverte de cet espionnage a cru devoir consacrer ses 28 minutes d’actualité aux pseudos cyberattaques russes contre les États-Unis). Mais on ne prête qu’aux riches et il est vrai que, comme l’explique l’article, la Russie a hérité d’une capacité inégalée dans le domaine de la programmation. (note de Danielle Bleitrach)
image : DragonImages; Aleksandre Semionov/Getty Images
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Le jeu Tetris, du programmeur soviétique Alekseï Pajitnov, est connu dans le monde entier. En 2020, le nombre de téléchargements du jeu mobile officiel a dépassé les 500 millions.
De la même manière, l’application de messagerie Telegram, de Pavel Dourov, compte plus de 500 millions d’utilisateurs.
Le langage de programmation Kotlin, créé par les développeurs Sergueï Dmitriev, Evgueni Belaïev et Valentin Kipiatkov, est d’ailleurs considéré par Google comme le langage prioritaire à utiliser pour développer une application Android.
Le jeu Cut the Rope, des jumeaux Semion et Efim Voïnov, a été téléchargé plus d’un milliard de fois.
Enfin, depuis plus de 10 ans, ce sont toujours les programmeurs russes qui arrivent en tête du classement aux olympiades internationales telles que The ICPC International Collegiate Programming Contest et International Olympiad in Informatics.
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Tous ces éléments ne sont que certaines des réalisations les plus brillantes des programmeurs russes, qui sont en réalité logiques quand on regarde un peu en arrière dans l’histoire du pays.
Course au nucléaire et écoles spécialisées de mathématiques
La principale raison d’un tel développement des mathématiques et de la programmation appliquées était la volonté de l’URSS de dépasser les États-Unis et ses alliés dans la course aux armements nucléaires, estime Mikhaïl Goustokachine, directeur du Centre des olympiades étudiantes de l’École des hautes études en sciences économiques. Pour cela, il fallait de bons ingénieurs et l’URSS a donc instauré les olympiades de mathématiques à l’école.
« Un bon niveau de formation dans les écoles et les universités était nécessaire pour arriver au niveau du reste du monde en matière de sciences. Ainsi, l’URSS est devenue l’un des principaux fondateurs des Olympiades internationales d’informatique et en a d’ailleurs accueilli la deuxième édition, en 1990 », relate Goustokachine.
Des écoles spécialisées de physique et de mathématiques ont en outre ouvert dans les grandes villes de l’Union soviétique, ce qui a aussi joué un rôle dans le développement de la programmation dans le pays, considère Igor Sokolov, membre de l’Académie des sciences de Russie et doyen du département de mathématiques computationnelles et de cybernétique de l’Université d’État de Moscou.
« Bien mis sur les rails en URSS, le travail réalisé avec des enfants talentueux dans ces écoles spécialisées et le système des olympiades de mathématiques, de physiques, d’informatique et d’autres matières appliquées continuent de porter leurs fruits aujourd’hui », affirme Sokolov.
Une élève de l’école n°524 de Moscou lors d’un cours de mathématiques Alexandre Tcheprounov/Sputnik
Mikhaïl Mirzaïanov, fondateur de la plateforme pour amateurs d’olympiades de programmation Codeforces, rejoint cet avis :
« Il est important de noter que ces écoles existent toujours aujourd’hui, et qu’y étudier est considéré comme prestigieux. Je viens de Samara, et j’ai étudié dans la meilleure école de mathématiques de la ville. Au milieu de mes professeurs et de mes camarades talentueux, j’avais envie de faire mes preuves, de montrer que je ne suis pas plus mauvais que les autres, que je peux accomplir quelque chose de mieux que tout le monde. C’était ma motivation pour aller de l’avant », raconte-t-il.
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Il pense également que le fait que l’URSS ait tenté d’intéresser les enfants à la programmation dès leur plus jeune âge a eu un impact positif.
« Ce n’était pas que les écoles, il y avait aussi des clubs, des magazines à thème… Enfant, je lisais Iouny tekhnik (« Jeune technicien »), le magazine Kvant, et j’adorais ça ».
La popularité des olympiades
Les enfants russes participent aux olympiades dès leur entrée à l’école, des petites olympiades régionales sur la langue russe aux olympiades panrusses des plus grandes universités du pays sur divers sujets, dont la programmation et l’informatique. Les gagnants peuvent entrer dans des établissements prestigieux, comme l’Université d’État de Moscou, sans passer d’examen d’entrée.
Mikhaïl Mirzaïanov a commencé les olympiades à l’âge de 14 ans. Il désirait gagner par-dessus tout, et c’est ce qui l’a motivé à étudier tout le temps, même la nuit.Vitali Belousov/TASS
« Pour certaines personnes, comme moi, la concurrence est motivante. Si on nous enlève l’esprit de compétition, c’est plus compliqué de trouver la motivation et de dévoiler tout notre potentiel. De plus, certains programmeurs ne font pas que des olympiades russes mais aussi internationales, car ils aiment tout simplement résoudre des problèmes, c’est comme un sport pour eux. Je me suis pris au jeu : c’est plus intéressant que de regarder un film, et on attend la prochaine olympiade de programmation avec plus d’impatience que la suite de notre série préférée. C’est un phénomène social intéressant », explique-t-il.
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Selon lui, grâce aux olympiades, de nombreux élèves et étudiants apprennent les bases de la programmation en résolvant des problèmes, s’entraînent à solutionner différentes tâches non-standards et apprennent à construire des relations avec les autres participants lorsqu’ils doivent travailler en équipe. Les compétences développées lors de ces olympiades permettent ensuite d’obtenir un emploi bien rémunéré, mais c’est en plus un passe-temps appréciable.
Motivation, ennui et universités spécialisées
Efim Voïnov, l’un des fondateurs du studio de jeux Zeptolab qui a créé le jeu Cut the Rope, a commencé à s’intéresser à la programmation à l’âge de huit ans, car il s’ennuyait. Selon lui, plusieurs développeurs le sont devenus pour la même raison.
« Je me souviens que mes parents nous ont offert, à mon frère et à moi, un ordinateur ZX Spectrum 8 bits. Il y avait peu de jeux en vente pour cet ordinateur, alors nous avons commencé à apprendre le langage de programmation Basic par nous-mêmes, puis on a commencé à coder nos propres jeux. Je me souviens que j’étais impressionné par la possibilité de créer un vol réaliste de projectile tiré par un canon en étudiant la trajectoire balistique et, de manière générale, par la programmation qui tient compte des lois de la physique. Peut-être que c’est ça qui a mené, des années plus tard, à la création de notre jeu Cut the Rope », se souvient Voïnov.
L’attrait des écoliers pour la programmation était et continue d’être encouragé par les enseignants.
Université d’État Lomonossov de MoscouGennadi Stcherbakov/Sputnik
« J’ai étudié dans une école ordinaire, et je me souviens encore de l’attitude du professeur d’informatique : en voyant qu’on savait déjà programmer, il nous a dispensés, mon frère et moi, de cours. Pendant que nos camarades apprenaient les bases de l’informatique, Semion et moi codions nos propres jeux sur l’ordinateur du professeur », se souvient Efim.
Une autre étape importante de sa vie a été son passage à l’Institut moscovite d’électronique et de mathématique de l’École des hautes études en sciences économiques. Voïnov estime que la Russie compte de nombreuses universités techniques qui forment d’excellents développeurs.
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« Notre pays est très fort en mathématiques. Le cours d’algèbre linéaire m’a particulièrement marqué : l’enseignante était une femme très stricte et exigeante, mais elle nous expliquait tout très clairement et de manière intéressante. Recevoir la note “excellent” était considéré comme un exploit, et c’était devenu pour moi un objectif à atteindre », raconte Voïnov.
Igor Sokolov déclare qu’une partie importante de la formation d’un bon développeur est la formation mathématique fondamentale que reçoivent les étudiants.
« Au département de mathématiques computationnelles et de cybernétique de l’Université d’État de Moscou, comme dans de nombreuses facultés similaires, la formation est divisée en deux : l’enseignement des bases de l’informatique et des mathématiques, et la formation pratique. C’est précisément grâce à la formation théorique de base que nos étudiants peuvent résoudre des problèmes complexes, qu’ils soient théoriques ou pratiques ».
Piratage, salaires et entreprises d’informatique russes
Le secteur de l’informatique russe a commencé à se développer dans les années 1990, alors que la situation économique était très compliquée et que beaucoup d’entreprises et d’instituts de recherche et de développement fermaient, mais Mikhaïl Goustokachine estime tout de même que cela a permis à la Russie de prendre de l’avance sur les autres pays.
« À ce moment-là, le marché de l’informatique mondial était en pleine expansion, et la Russie se trouvait donc dans une position avantageuse : on n’avait pas à maintenir des systèmes obsolètes, on pouvait utiliser des logiciels piratés gratuitement et on pouvait économiser sur le salaire des employés », dit-il.Evgueni Biïatov
Il pense que c’est dans de telles circonstances que la Russie a pu développer ses propres géants de l’IT, tels que Yandex et Mail.ru. Dans le même temps, les universités russes étaient prêtes à dispenser une éducation de qualité dans le pays, ce qui a également eu une influence considérable sur le phénomène.
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« Une grande partie des diplômés russes restent en Russie après leurs études et travaillent dans des entreprises russes ou bien dans des filiales d’entreprises étrangères implantées en Russie. Ils peuvent transmettre leur expérience à la nouvelle génération de nouveaux programmeurs », assure Goutsokachine.
Efim Voïnov pense de plus que les salaires élevés sont une bonne motivation pour les jeunes d’apprendre à coder.
« Les salaires des développeurs augmentent chaque année et sont de moins en moins liés à l’état local du marché grâce à l’explosion des entreprises d’IT, à la mondialisation et au télétravail. Pour les étudiants et leurs parents, c’est évidemment une bonne raison d’étudier la programmation », conclut Voïnov.
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