Réédition de “Mein Kampf” : “Ce discours historien manquait cruellement en France”, estime le spécialiste Christian Ingrao… Je dois dire que l’idée même de réédition me révulsait mais j’attends de voir le résultat, la traduction, l’appareil critique. Ce qui est sûr c’est que l’argumentaire tel qu’il est développé ici ne manque pas de pertinence même si l’idée d’un livre qui aurait besoin d’un corps de spécialistes face au lecteur peut paraître étrange, mais n’est-ce pas toujours le cas et n’est-ce pas ce qui manque le plus pour aider à cet acte indispensable à la pensée : lire des livres. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
“Il y a un effet de fétichisation autour de cet écrit, qui fait qu’il faut le démystifier et le désacraliser”, justifie le directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l’histoire du nazisme et membre de l’équipe scientifique qui a travaillé sur cette nouvelle traduction intitulée “Historiciser le mal”. Article rédigé par franceinfoRadio FrancePublié le 02/06/2021 08:46Mis à jour le 02/06/2021 09:06 Temps de lecture : 2 min.
“‘Mein Kampf’ est un texte, rien qu’un texte, qu’il faut accompagner d’un discours historien”, martèle sur france info Christian Ingrao, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l’histoire du nazisme et membre de l’équipe scientifique qui a travaillé sur Historiciser le mal, la nouvelle traduction commentée de Mein Kampf publiée mercredi 2 juin chez Fayard. Ce livre exposant l’idéologie antisémite d’Adolf Hitler est paru en deux tomes, en 1925 et 1926, avant d’être largement diffusé en Allemagne après l’accession au pouvoir du dictateur en 1933. La dernière traduction intégrale du texte en français remonte à 1934, soit 87 ans.
franceinfo : Pourquoi cette réédition est-elle nécessaire, selon vous ?
Christian Ingrao : Elle est nécessaire parce qu’il y a un effet de fétichisation autour de cet écrit, qui fait qu’il faut le démystifier et le désacraliser. C’est un texte, rien qu’un texte, qu’il faut accompagner d’un discours historien. Ce discours historien manquait cruellement en France jusqu’à cette réédition.
“Le nom d’Adolf Hitler n’apparaît pas sur la couverture de Historiciser le mal, parce qu’on voulait éviter les effets d’aubaine, les effets de sidération et les effets de fétichisme.” Christian Ingrao, spécialiste de l’histoire du nazisme à franceinfo
Le but de l’opération, c’est de faire de l’Histoire et pour cela, il valait mieux mentionner le nom des historiens en fronton de couverture.
Historiciser le mal est à la fois une nouvelle traduction et une version critique. La dernière traduction intégrale parue en France de Mein Kampf remontait à 1934. Pourquoi ce choix de revenir au texte originel d’Hitler ?
D’abord parce que la traduction telle qu’elle avait été mise en place en 1934 était problématique et fautive. Ce n’est faire insulte à personne que de dire que les choix de traduction qui avaient été faits étaient discutables. De plus, nous avons opéré le choix non pas de traduire le texte du futur dictateur, mais de le transcrire. Vous avez affaire à un texte qui est redondant, labyrinthique et émaillé de répétitions et de fautes. Nous avons essayé de trouver un français de “cochon” pour rendre compte de tout cela.
Ce texte est encadré par quasiment 3 000 annotations sur le contexte de l’époque et les mots employés. Il fallait, en quelque sorte, “noyer” les idées d’Adolf Hitler, les mettre à bonne distance ?
Pour pouvoir avoir une approche analytique et être critique, il faut mettre en place de la distance. Il faut en même temps pouvoir entrer dans le labyrinthe et le contempler d’en haut. C’est ce que nous avons essayé de faire avec cette disposition qui enserre le texte, des notes de bas de page et des références bibliographiques.
Ce livre sera uniquement vendu sur commande, on ne pourra pas le feuilleter en librairie. À quel public est-il destiné ?
À mes yeux, il est destiné d’abord à un public institutionnel. Fayard destine 10 % du tirage à des bibliothèques qui pourront l’obtenir gratuitement sur demande. Il est ensuite destiné à des chercheurs non-germanophones qui travaillent sur des sujets adjacents. Il est aussi destiné à un certain public cultivé. Quelqu’un comme Jean-Luc Mélenchon, qui disait il y a cinq ans être contre la réédition, nous a plutôt donné envie de rééditer pour montrer quel est le texte. On peut s’adresser à des gens cultivés et intelligents. Ce texte leur est destiné.
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Jeanne Labaigt
Moi aussi j’attends de voir l’appareil critique.
Ceci dit dans mon adolescence le livre était vendu ostensiblement dans les boîtes de bouquinistes des quais de la Seine et sous les arcades du théâtre de l’Odéon, où il y avait un des bouquinistes aussi.
Pas du tout caché, dans l’édition d’avant guerre en occasion …
Pour ce qui est de ce petit texte de présentation , je me pose des questions il parle d’une approche “historique” du texte pour les commentaires les notes et les références.
Je pense qu’un appareil critique d’un tel texte, nécessite une approche plus qu’historique, il faut aussi une approche théorique, politique, philologique et linguistique.
Ce qu’il dit de la traduction-transcription a l’air très intéressant, traduire en français-cochon peut être une option.
Mais n’oublions pas l’histoire des traductions d’Heidegger, d’après les germanistes ce que je ne suis pas, la langue d’Heidegger est aussi un allemand populaire, peu châtié, mais rempli de glissements, jeux de mots et importation d’un sabir philosophique “à la grecque”. Moyennant quoi de très nombreuses traductions en Français ont été des “traductions-transcriptions” un français cochon super alambiqué, incompréhensible malgré l’appareil savant des traducteurs qui se sont écharpés. Et à laissé échapper la force nazie des textes.
Mais pour Hitler la langue c’est autre chose : Klemperrer d’une part,sur le vif de sa maison de mort a montré ce qu’elle charriait, comment elle travestissait le sens obvie des mots pour lui faire porter (au sens propre de la charge) le transport de la pensée nazie, il l’a même montré dans la langue minimale dans les petites annonces qui passaient dans les journaux que sa femme arienne arrivait à lui apporter.
Mais je pense aussi au travail fondamental d’Emmanuel Faye sur le vocabulaire ET la pensée d’Heidegger à la fois dans les textes (qu’il confronte à des textes d’Hitler lui- même ) et dans la philosophie qui est comme immergée par la même dans le nazisme.
Le travail de Faye N’est PAS QU’ “historique”, n’est même pas qu’une approche “d’historien-de-le-philosophie”, c’est un travail théorique et politique, du passé et du présent. Et ce qu’il a fait sur Arendt (en particulier sur le totalitarisme) est du même ordre.
Le petit argumentaire est certes intéressant, mais comme toi j’attends de voir si cela va être un commentaire à “la science-po” ou un commentaire total, à la Faye (qui n’est en rien marxiste et encore moins communiste), un commentaire critique qui passe au crible ce texte-torchon.
etoilerouge commune
Le contexte de la reparution de MEIN KAMPF c’est une europe fasciste et une interdiction depuis le 19/09/2019 du communisme au même titre que le nazisme alors que en réalité le nazisme est arboré partout le communisme interdit ou combattu partout. autrement dit , mein kampf ayant fait l’objet d’une critique et d’un combat des communistes des années 1930 st face à l’interdiction de leur pensée et de leurs actes. Comment ds ces conditions jésuitiques avoir une édition critique de mein KAMPF? Un sommet de l’hypocrisie!
Xuan
Je crains le pire moi aussi.
Il est quasiment certain que ces commentaires n’évoquerons jamais la nature du fascisme, dictature terroriste ouverte de la faction la plus réactionnaire du grand capital.
Destiné “à des gens cultivés et intelligents”, en français à des bourgeois instruits et démocrates, tétanisés par le spectre de Le Pen. C’est semble-t-il un petit vademecum pour aider l’Etat fascisant à faire face à la menace populiste dirigée par un parti néo fasciste…
Peut-être aurons-nous droit en prime à un l’indispensable couplet sur le totalitarisme.