Voici un texte que l’on peut analyser non comme un dogme mais comme une réflexion théorique sur l’expérience historique que doivent faire chaque nation, chaque formation sociale. Qu’y a-t-il de valide dans cette bolchévisation qui demeure le fondement de tous les partis communistes ayant réussi à accéder au pouvoir et à s’y maintenir? En quoi est-elle devenue un modèle contraignant et à partir de quand ? Une hypothèse pourrait être utilement étudiée: ce n’est pas Staline qui à prétendu définir un modèle soviétique pour tous les partis en niant les spécificités nationales de développement autant que de l’histoire de la lutte des classes, mais bien Khrouchtchev qui prétend imposer un modèle tout en retirant la protection de l’URSS avec la coexistence pacifique, ce qui aboutira au terrible divorce sino-soviétique. En quoi cependant les incontestables errances khrouchtcheviennes sont-elles le produit de ce qui n’a pu être transformé à temps ? Toutes ces questions historiques prennent d’autant plus d’acuité que nous sommes confrontés aux difficultés stratégiques face à la crise hégémonique du capital. Nous ne trouverons pas dans le passé les clés de cette stratégie mais des mises en garde de ce texte qui sont toujours valides : ainsi en est-il de la manière de démasquer la social démocratie. Alors que notre blog est centré sur les questions internationales, nous sommes, comme le dit Staline, convaincus que la prise de conscience de la nature de la social démocratie se fait sur le terrain quotidien et concret de ce que vit la classe ouvrière, tous ceux qui souffrent du capital et à qui l’on offre des leurres. C’est ce qui motive notre choix de soutenir la nouvelle direction du PCF et son dirigeant Fabien Roussel. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)
La Pravda n° 27, 3 février 1925
Note du Centre MLM : Ci-dessous présenté, l’entretien de Staline avec Herzog − cadre du Parti Communiste d’Allemagne −, publié par La Pravda le 2 février 1927. Il y est largement question de bolchévisation. Qu’est-ce que la bolchévisation ?
« La bolchévisation des sections de l’Internationale Communiste consiste à étudier et à appliquer dans l’action les expériences acquises par le Parti Communiste russe au cours des trois révolutions et aussi, bien entendu, les expériences de toutes les autres sections ayant à leur actif des luttes sérieuses. A la lumière de cette expérience les sections de l’Internationale Communiste doivent comprendre les tâches qui leur incombent et généraliser leur propre expérience ».
Et :
« La bolchévisation consiste à savoir expliquer les principes généraux du léninisme à chaque situation concrète dans chaque pays. La bolchévisation est en plus l’art de saisir le ‘chaînon’ le plus important qui permet de tirer toute la chaîne. Ce ‘chaînon’ ne peut être identique dans tous les pays à cause de la diversité de leurs conditions sociales et politiques » (Thèses sur la bolchévisation, Exécutif élargi de l’IC, 1925).
J. Staline : Des perspectives du P.C.A. et de la bolchévisation
Première question (Herzog). Estimez-vous que les rapports politiques et économiques dans la république capitaliste démocratique d’Allemagne sont tels, que la classe ouvrière devra, au cours d’une période plus ou moins rapprochée, mener la lutte pour le pouvoir ?
Réponse (Staline). Il serait difficile de répondre à cette question avec une précision rigoureuse, si vous parlez de délais et non d’une tendance. Point n’est besoin de démontrer que la situation actuelle se distingue essentiellement de la situation de 1923, par la conjoncture aussi bien internationale qu’intérieure. Toutefois, compte tenu des sérieux changements possibles dans la situation extérieure, l’éventualité n’est pas exclue d’un brusque changement de la situation, dans un proche avenir, au profit de la révolution. L’instabilité de la situation internationale est le gage que cette supposition peut devenir une probabilité.
Deuxième question. Étant donné la situation économique et les rapports des forces, une période préparatoire plus longue sera-t-elle nécessaire chez nous pour conquérir la majorité du prolétariat (tâche que Lénine avait assignée aux partis communistes de tous les pays et dont il soulignait l’extrême importance avant la conquête du pouvoir politique) ?
Réponse. Pour autant qu’il s’agit de la situation économique, je ne puis apprécier les choses qu’en me basant sur les données générales dont je dispose. Selon moi, le plan Dawes 1 a déjà donné certains résultats, il a abouti à une stabilisation relative de la situation. La pénétration des capitaux américains dans l’industrie allemande, la stabilisation de la monnaie, le redressement de la situation dans plusieurs industries maîtresses d’Allemagne, − ce qui ne signifie pas le moins du monde un assainissement radical de l’économie allemande, − enfin, une certaine amélioration de la situation matérielle de la classe ouvrière, − autant de faits qui ne pouvaient manquer d’aboutir à un certain renforcement des positions de la bourgeoisie en Allemagne. C’est là, pour ainsi dire, le côté « positif » du plan Dawes.
Mais le plan Dawes a, en outre, des côtés « négatifs » qui doivent inévitablement se faire sentir à un moment donné et torpiller les résultats « positifs » de ce plan. Il est évident que le plan Dawes représente pour le prolétariat allemand un double joug, intérieur et extérieur du Capital. Les contradictions entre l’extension de l’industrie allemande et le rétrécissement des marchés extérieurs pour cette industrie, la disproportion entre les exigences hypertrophiées de l’Entente et les possibilités limitées de l’économie nationale allemande pour satisfaire ces exigences, – autant de faits qui, en aggravant inévitablement la situation du prolétariat, des petits paysans, des employés et des intellectuels, ne peuvent manquer d’aboutir à une explosion, à une lutte directe du prolétariat pour la prise du pouvoir.
Mais on ne saurait envisager cette circonstance comme l’unique condition favorable à la révolution allemande. Pour que cette révolution puisse triompher, il est nécessaire, en outre, que le Parti communiste représente la majorité de la classe ouvrière, qu’il devienne la force décisive dans la classe ouvrière. Il est nécessaire que la social-démocratie soit démasquée et battue, qu’elle soit réduite à ne plus être qu’une infime minorité au sein de la classe ouvrière. Ces conditions faisant défaut, il est inutile même de songer à la dictature du prolétariat. Pour que les ouvriers puissent vaincre, ils doivent être inspirés par une seule volonté, guidés par un seul parti jouissant de la confiance incontestable de la majorité de la classe ouvrière. Si deux partis concurrents, de force égale, existent au sein de la classe ouvrière, alors, même au cas où les conditions extérieures sont favorables, une victoire durable est impossible. Lénine, le premier, a particulièrement insisté là-dessus, dans la période qui précéda la révolution d’Octobre, jugeant cette condition indispensable à la victoire du prolétariat.
La situation la plus favorable à la révolution, serait une situation où la crise intérieure en Allemagne et l’accroissement décisif des forces du Parti communiste coïncideraient avec de sérieuses difficultés dans le camp des ennemis extérieurs de l’Allemagne.
Selon moi, l’absence de cette dernière condition, dans la période révolutionnaire de 1923, a joué un rôle négatif non des moindres, tant s’en faut.
Troisième question. Vous avez dit que le, P.C.A. devait avoir derrière lui la majorité des ouvriers. Jusqu’à présent, on a accordé trop peu d’attention à cet objectif. Que faut-il faire, à votre avis, pour que le P.C.A. devienne un parti énergique, doué d’une force de recrutement en progression constante ?
Réponse. Certains camarades pensent que renforcer le parti et le bolchéviser, c’est chasser du parti tous les hétérodoxes. Cela est faux, évidemment. On ne peut démasquer la social-démocratie et la ravaler au rôle d’infime minorité dans la classe ouvrière, qu’au cours d’une lutte quotidienne pour les besoins concrets de la classe ouvrière. Il faut clouer la social-démocratie au pilori non pas dans les problèmes planétaires, mais dans la lutte quotidienne de la classe ouvrière pour améliorer sa situation matérielle et politique ; les salaires, la journée de travail, le logement, les assurances, les impôts, le chômage, la vie chère etc., toutes ces questions doivent jouer un rôle important, sinon décisif. Battre les social-démocrates chaque jour, sur ces questions, en démasquant leur traîtrise, telle est la tâche.
Mais cette tâche serait incomplètement réalisée si les questions pratiques quotidiennes n’étaient pas rattachées aux questions capitales de la situation internationale et intérieure de l’Allemagne, et si, dans le travail du parti, toute cette action quotidienne n’était pas éclairée du point de vue de la révolution et de la conquête du pouvoir par le prolétariat.
Mais seul est capable de faire cette politique un parti qui a à sa tête des cadres de dirigeants suffisamment expérimentés pour renforcer leur propre parti, en mettant à profit toutes les bévues de la social-démocratie, et suffisamment préparés au point de vue théorique pour que les succès partiels ne leur fassent pas oublier les perspectives du développement révolutionnaire.
C’est ce qui explique principalement pourquoi le problème des cadres dirigeants des partis communistes en général, le parti communiste allemand y compris, est l’un des problèmes essentiels de la bolchévisation.
Pour réaliser la bolchévisation, il est nécessaire de réunir au moins plusieurs conditions fondamentales, sans lesquelles la bolchévisation des partis communistes est, d’une façon générale, impossible.
1. Il faut que le parti se considère non pas comme un appendice du mécanisme électoral parlementaire, ce que fait, au fond, la social-démocratie, et non pas comme un supplément gratuit aux syndicats, ce que prétendent parfois certains éléments anarcho-syndicalistes, mais comme la forme supérieure de l’union de classe du prolétariat, appelée à diriger toutes les autres formes d’organisations prolétariennes, depuis les syndicats jusqu’à la fraction parlementaire.
2. Il faut que le parti, et surtout ses éléments dirigeants, s’assimilent pleinement la théorie révolutionnaire marxiste, en la rattachant étroitement à la pratique révolutionnaire.
3. Il faut que le parti élabore des mots d’ordre et des directives non pas en se basant sur des formules apprises par cœur et des parallèles historiques, mais en s’appuyant sur une analyse minutieuse des conditions concrètes, intérieures et internationales, du mouvement révolutionnaire, en tenant rigoureusement compte de l’expérience des révolutions de tous les pays.
4. Il faut que le parti vérifie la justesse de ces mots d’ordre et directives dans le feu de la lutte révolutionnaire des masses.
5. Il faut que tout le travail du parti, surtout si les traditions social-démocrates n’ont pas encore disparu dans son sein, soit réorganisé sur un plan nouveau, sur le plan révolutionnaire, de telle sorte que chaque démarche du parti et chacune de ses actions, conduisent naturellement à la pénétration révolutionnaire des masses, à la préparation et à l’éducation des grandes masses de la classe ouvrière dans l’esprit de la révolution.
6. II faut que, dans son travail, le parti sache unir un rigoureux esprit de principe (ne pas confondre avec le sectarisme !) à un maximum de liaisons et de contacts avec les masses (ne pas confondre avec le suivisme l), sans quoi il est impossible au parti non seulement d’enseigner les masses, mais de s’instruire auprès d’elles, non seulement de guider les masses et de les élever jusqu’au niveau du parti, mais de prêter l’oreille à la voix des masses et de deviner leurs besoins les plus urgents.
7. Il faut que le parti sache unir dans son travail un esprit révolutionnaire intransigeant (ne pas confondre avec l’esprit d’aventure révolutionnaire!) à un maximum de souplesse et de capacité de manœuvre (ne pas confondre avec le conformisme !), sans quoi il est impossible au parti de s’assimiler toutes les formes de lutte et d’organisation, de rattacher les intérêts quotidiens du prolétariat aux intérêts vitaux de la révolution prolétarienne, et de combiner dans son travail la lutte légale avec la lutte illégale.
8. Il faut que le parti ne dissimule pas ses fautes, qu’il ne craigne pas la critique, qu’il sache perfectionner et éduquer ses cadres en tirant profit de ses propres erreurs.
9. Il faut que le parti sache choisir pour son groupe principal de dirigeants les meilleurs éléments parmi les combattants d’avant-garde, suffisamment dévoués pour être les interprètes authentiques des aspirations du prolétariat révolutionnaire, et suffisamment expérimentés pour devenir les chefs véritables de la révolution prolétarienne, capables d’appliquer la tactique et la stratégie léninistes.
10. Il faut que le parti améliore méthodiquement la composition sociale de ses organisations et qu’il épure ses rangs des éléments opportunistes qui le corrompent, pour atteindre au maximum d’homogénéité.
11. Il faut que le parti établisse une discipline prolétarienne inflexible, basée sur la cohésion idéologique, sur une claire vision des objectifs du mouvement, sur l’unité dans l’action pratique et sur une attitude consciente de la grande masse des adhérents envers les tâches du parti.
12. Il faut que le parti vérifie méthodiquement l’exécution de ses propres décisions et directives, sans quoi ces dernières risquent de devenir des promesses creuses, capables simplement de ruiner la confiance des grandes masses prolétariennes à son égard.
A défaut de ces conditions et autres analogues, la bolchévisation est un son creux.
Quatrième question. Vous avez dit qu’en plus des côtés négatifs du plan Dawes, la deuxième condition de la conquête du pouvoir par le P.C.A., serait une situation où le parti social-démocrate apparaîtrait aux yeux des masses entièrement démasqué, et où il ne représenterait plus une force sérieuse au sein de la classe ouvrière. Le chemin est encore long pour arriver à ce résultat, étant donné les faits réels. Ici les défauts et les faiblesses des méthodes actuelles de travail dans le parti se font manifestement sentir. Comment peut-on les éliminer ? Comment appréciez-vous les résultats des élections de décembre 1924 pendant lesquelles la social-démocratie, − parti entièrement corrompu et pourri, − non seulement n’a rien perdu, mais a même gagné près de deux millions de voix?
Réponse. Il ne s’agit pas là de défauts dans le travail du parti communiste allemand. Il s’agit, avant tout, que les emprunts américains et la pénétration du capital américain, plus la monnaie stabilisée, en améliorant quelque peu la situation, ont créé l’illusion qu’il était possible de liquider totalement les contradictions intérieures et extérieures de la situation en Allemagne. C’est à la faveur de cette illusion que la social-démocratie allemande a fait son entrée triomphale, comme montée sur un blanc coursier, au Reichstag actuel. Aujourd’hui Wels fait parade de sa victoire aux élections. Mais, apparemment, il ne comprend pas qu’il s’approprie une victoire qui n’est pas la sienne. Ce n’est pas la social-démocratie allemande mais le groupe Morgan qui a triomphé. Wels n’a été et n’est qu’un des commis de Morgan.
- Plan Dawes. C’est ainsi qu’on appelle le rapport concernant le payement des réparations par l’Allemagne, rapport établi par un comité international d’experts, sous la présidence du général Dawes, financier américain, et ratifié le 16 août 1924 à la Conférence de Londres des Alliés
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KALDOR François
Cet article est très intéressant non pas sur la question du Parti où ces éléments étaient connus par les dirigeants de la fin des années 30, Jacques Duclos en particulier, voir ses interventions à la chambre des députés et après la guerre, mais sur la question des réparations.
Les occidentaux ont stoppé les réparations très peu de temps après la guerre en inventant le plan Marshall mais les soviétiques ont continué trop longtemps leurs exigences légitimes ou non vis à vis des peuples d’Europe Centrale…par des prélèvements directs et non financiers et de l’Allemagne que les soviétiques et Staline en 1945 à Potsdam ne souhaitaient pas morcelée….
Relisez les paroles….. de l’hymne de la RDA….
François KALDOR.
Danielle Bleitrach
françois si de temps en temps tu prenais la peine de lire avant de commenter peut-être tu aurais vu la date du texte et dont son caractère prémonitoire… Il est de 1925 donc avant la crise des années 30 l’arrivée d’Hitler au pouvoir et sa nécessaire ruée vers la Russie à la recherche d’un espace… et pas comme tu le crois en 1945. PItié lisez avant de raconter ce que vous avez en tête et qui n’a pas grand chose à voir avec vos commentaires…
etoilerouge commune
Bien envoyé. Et tu fais bien de rappeler les propos réels et datés, historiques de STALINE. Tout ceci pour moi montre la profondeur de l’incompréhension suivi de l’oubli ou de la confusion historique qu’a développé un soi disant antistalinisme marche pied de la contre révolution néo fasciste dt le premier pas fut soit le massacre du parti communiste d’indonésie ou le chili de 1973. Personnellement je penche pour le massacre en indonésie qui outre l’élimination des communistes a fait du pays créateur des non alignés dont la yougoslavie ( elle aussi comme par hasard atomisée en 1991) a fait de ce pays aux prétentions anticolonialistes anti impérialistes un suppôt du meurtre fasciste et de la mondialisation capitaliste naissante.
Jean François DRON
On peut lire ici un Staline peu connu en france où le martèlement antisoviétique a rendu sourdune majorité de gens. Pourtant toutes les réponses apportées sont dignes d’intérêt et mérite une réfleion sur notre combat actuel. J’ ai toujours dis et répété qu’il fallait laisser à Staline ce qui était à Staline et renvoyer le reste à ceux qui distillent les mensonges. Le tout étant dans les capacités d’analyse des camarades.Oui je crois que sans une bolchévisation du parti nous n’arriverons à rien de valable.