W. Gyude Moore est senior policy fellow au Center for Global Development. Il a précédemment été ministre libérien des Travaux publics pour la supervision de la construction et de l’entretien des infrastructures publiques de décembre 2014 à janvier 2018.
Avant de remplir ce rôle, Moore a été chef de cabinet adjoint de la présidente Ellen Johnson-Sirleaf et chef de l’Unité de livraison du président (UDI). En tant que chef de l’EDR, son équipe a suivi les progrès réalisés et a dirigé la prestation du Programme d’investissement du secteur public du Libéria, un programme de plus d’un milliard de dollars pour des projets routiers, électriques, portuaires et sociaux au Libéria après la guerre civile. En tant qu’un des conseillers de confiance du Président, il a également joué un rôle crucial en soutenant le Président Sirleaf alors que le Libéria répondait à l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest et façonnait ses perspectives post-Ebola.
Chez CGD, Moore se concentre sur le financement des infrastructures en Afrique et l’évolution du paysage du financement du développement sur le continent. Ses recherches portent sur les canaux de financement privés, l’essor de la Chine et son rôle croissant en Afrique, ainsi que la réponse de l’Afrique à ces changements. Il siège actuellement au conseil d’administration du Programme de maîtrise en sciences du service extérieur de l’Université de Georgetown. Il est titulaire d’un BS en sciences politiques du Berea College et d’une MS en service extérieur de l’Université de Georgetown.
Voici une intervention passionnante que nous a traduit Baran pour les non anglophones. Ce que décrit cet acteur privilégié de l’histoire de l’Afrique correspond entièrement à ce que j’ai connu de ce continent et que j’ai essayé de rendre dans mes mémoires à travers le Bénin, à la chute de l’URSS. C’est ce qui m’a permis d’ailleurs de penser différemment dès le début des années quatre-vingt dix le rôle de la Chine, ça et la pensée de Fidel sur les nouveaux rapports sud-sud. Quand on voit aujourd’hui la dernière tenue du G20 on mesure à quel point la Chine continue à penser autrement à l’Afrique, la manière dont elle insiste pour que soit résolue la dette, mais écoutez plutôt et lisez pour ceux qui n’entendent pas l’anglais. Merci Baran pour cet énorme travail de traduction. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société, traduction de Baran )
Gyude Moore: “China in Africa: An African Perspective”
-Damien Ma :
Bonjour, bon après-midi. Bienvenue à une autre série d’interventions de conférenciers contemporains sur la Chine au Paulson Institute & Harris Public Policy. Je suis le directeur du think tank au Paulson Institute, Damien Ma. Comme nous faisons cela depuis plusieurs années, je ne pense pas que nous ayons vraiment besoin d’une introduction. S’il y a de nouvelles personnes ici, vous savez que vous pouvez consulter les cinq dernières années de notre série de conférences. Ces interventions sont toutes hébergées sur notre site Web et sur YouTube. Mais aujourd’hui, je suis particulièrement enthousiasmé, à la fois par le sujet et l’orateur, car au cours des cinq ans passés, nous n’avons pas vraiment abordé ce sujet spécifique, qu’est la Chine et l’Afrique. Et au cours de ces cinq dernières années, nous avons observé davantage de croissance en termes de relations Chine-Afrique. Aussi, nous avons vu une couverture croissante de ce thème dans les médias, les cercles politiques, et ce qu’on y entend beaucoup, ce sont des termes comme “piège de la dette”, “néocolonialisme” ou “mercantilisme”, etc. Vous savez, ces mots que je dirais à connotations péjoratives. C’est je pense, en quelque sorte, l’opinion dominante de Washington. Et cela est toujours encadré par letableau des deux superpuissances américaines et chinoises en compétition au sein des pays du tiers-monde, en Afrique. Aujourd’hui, je ne pouvais imaginer un meilleur orateur pour grosso modo démolir un grand nombre de ces points de vue. Il n’y a personne de mieux armé pour effectuer cette tâche car il a été en première ligne pour observer la présence chinoise en Afrique. Il était autrefois le chef de cabinet de l’ancien président du Libéria. Comme il le dit lui-même, il a été le bras gauche de l’ancien président et non le bras droit ! Il a également occupé la fonction de ministre des travaux publics. Il a donc été littéralement en première ligne pour traiter les accords chinois et le développement des infrastructures au Libéria mais aussi dans d’autres parties du continent. Ses recherches actuelles au Center for Global Development se concentrent vraiment sur cette question. Je ne vous donne ici que quelques aperçus. Je ne voudrais pas déborder sur son temps de parole. Je crois qu’il a des pensées et des points de vue très intéressants à partager avec vous tous. Alors sans plus tarder, veuillez souhaiter la bienvenue à Gyude Moore.
-Gyude Moore :
On est bon ? Génial, ça marche ! Bonjour tout le monde ! (“réponse timide de la salle”). J’étais enthousiaste (“retour plus affirmé de la salle”). Génial. Génial ! Comment allez-vous ? C’est bon d’être de retour. C’est ma troisième fois à Chicago et je disais tout juste à Damien que quand mes attributions au Center for Global Development prendront fins, je chercherais probablement du travail à Chicago. Parce qu’il semble qu’être ici me plaît bien ! J’ai participé à plus d’évènements ici que dans mon Alma Mater et, en effet, à Washington aussi.Alors c’est vraiment bon d’être là.
Je pense qu’à bien des égards, le point de vue et la perception du public américain sont déterminés par deux champs optiques. D’une part, celui des entreprises américaines qui cherchent à accéder aux marchés chinois ou à sous-traiter. Certains fabricants engagés en Chine tracent avec les images qu’ils ont un portait relativement sympathique de la Chine. Et donc si le public américain obtient des échos de la Chine à travers les entreprises américaines ce sera en grande partie assez positif. Mais d’autre part si le public américain entend parler de la Chine à travers le focus du gouvernement Américain, c’est un peu différent. Au mois de janvier 2018, la version déclassifiée de la Stratégie de Défense Nationale US désigne la Chine et la Russie en tant que concurrent stratégique. Par conséquent, en termes de concurrence stratégique on ne peut attendre du gouvernement US qu’il utilise un langage fleuri pour décrire la Chine. Je pense ce cadre du point de vue d’une partie tierce. J’aimerais dire désintéressée mais laissons cela de côté pour l’instant… J’expliquais justement à Damien que j’espéraisquoi qu’il arrive, un bénéfice mutuel entre la Chine et les Etats-Unis mais ce n’est pas mon affaire. Ma préoccupation consiste à m’interroger sur ce qui est le mieux pour l’intérêt de l’Afrique et des Africains. J’ai donc pensé que je devrais fournir un point de vue en partant de la focale des relations entre la Chine et l’Afrique. Ainsi, j’ai structuré mon approche sous trois rubriques. La première d’entre elles, est ce que j’appelle l’insuffisance des relations antérieures de l’Afrique. La seconde rubrique concerne la pertinence de la Chine en tant que partenaire de l’Afrique et la troisième pose l’interrogationprospective : « what’snext » ?
Donc, la Chine ne se manifeste pas juste comme ça en Afrique, pas vrai ? Je veux dire que la Chine n’émerge pas spontanément dans un vide. Il y a ce qui s’est passé au cours des années 90. Si vous questionnez parmi des gens lambdas, des personnes suffisamment âgées pour se rappeler de ce qui s’est passé en Afrique dans les années 90, vous apprendriez que les premières choses qui se sont passées sur le continent dans les années 90, c’étaient des guerres ! Beaucoup de guerres civiles, la chute du faucon noir, le génocide rwandais, la guerre civile libérienne, la guerre civile soudanaise, et ce qu’on a appelé la guerre mondiale africaine, lorsque le Rwanda, le Zimbabwe et l’Ouganda se sont battus en République démocratique du Congo avec différents rebelles là-bas… Et ainsi, avec toutes ces guerres se déroulant à travers le continent, s’est formé un précipité de désastres humanitaires, avec un énorme déplacement interne de population. Et vous avez eu alors des réfugiés. J’étais moi-même un réfugié pendant la guerre, j’ai fini le lycée dans un camp de réfugiés en Côte d’Ivoire. Ainsi voilà une des choses qui se passaient en Afrique dans les années 90, beaucoup de guerres et ces guerres ont eu comme canal conducteur, ce qui s’est passé avec l’effondrement de l’Union soviétique. Avec les armes qui devenaient facilement accessibles, des gens entreprenants, les vendaient aux rebelles à travers le continent.Et donc vous avez des guerres et avec les guerres vous avez des crises humanitaires significatives, mais ce n’étaient pas la seule chose. Il y avait un poids énorme des maladies, HIV, SIDA, etc. Je ne sais pas si vous vous souvenez, l’Afrique centrale et australe étaient une hécatombe. Vous aviez des villages entiers où il manquait une génération. Il ne restait que les grands parents et les enfants, toute la génération des parents ayant été anéantie. Donc vous aviez ça, vous aviez le paludisme, vous aviez toutes les maladies tropicales. Vous pouvez imaginer ce qui se passait… Ce n’étaient pas seulement les guerres qui ravageaient le continent. C’était aussi le fardeau de la maladie. Puis, quelque chose nous est retombée dessus…Beaucoup de pays africains étaient pris dans des dettes significatives au cours des années 70. Et alors cette dette est venue à échéance ! Et c’est ainsi que la plupart des pays africains en sont arrivés à dépenser jusqu’à 60% de leur revenu uniquement au service de la dette. Dans certains cas cette part ne représente même que les intérêts d’une dette qui n’a pu être servie ! Et s’est par conséquence t accumulée en intérêts et charges punitives. Alors récapitulons : nous avons les guerres, les maladies et des dettes. Au sein de ce contexte, vous avez très peu d’entreprises, en tout cas très peu en Occident, qui regardent l’Afrique comme une place pour faire des affaires. La plupart des politiques occidentales en Afrique étaient représentées sous le prisme du développement et de l’aide. Cela c’était l’image de ce qui se passait en Afrique jusque dans les années 2000. Lorsque la Chine accueillit le premier forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC). Le FOCAC s’est tenu à Pékin pour inviter les chefs d’Etat et gouvernements. L’année 2000 s’est révélée une année fortuite car c’est aussi la date à laquelle pour la première fois, la chine appliquait sa stratégie de mondialisation (« going out policy »). C’est le moment où les firmes chinoises ont été encouragées à aller chercher, non seulement l’accès aux ressources mais aussi les marchés extérieurs. Alors quand tout le monde, tous les autres (par tous les autres je veux dire l’Occident), ne voyaient l’Afrique qu’à travers les œillères de l’aide au développement (et je ne dis pas qu’il y a du mal à ça), il n’en reste pas moins qu’il n’y avait que la Chine qui a vu une opportunité pour faire des affaires. Ainsi, les entreprises chinoises sortent de leurs frontières pour se rendre en Afrique.Maintenant, il s’agit de savoir pourquoi ?
A ce moment, quelque chose d’autre était en train de se développer. C’est-à-dire…la mondialisation prenait son envol et nous savons ce qu’il s’est passé. Eh bien j’ai un argument sur ce qui s’est passé. Peut-être que vous ne serez pas d’accord avec moi mais avec la mondialisation, le travail a perdu et le capital a gagné. Et quand le capital a gagné ce qui s’est passé c’est que là où le capital était à meilleur prix, le travail avait un coût élevé (comme ici). Alors le capital a commencé à investir dans des endroits où la main-d’œuvre était bon marché. Initialement, ce n’était pas directement en Chine. Quiconque se souvient de ce qui s’est passé dans les années 90, se rappellera que c’était dans les maquiladoras, le long de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. C’était le moment du mouvement d’immenses usines par là. Mais finalement avec la généralisation des échanges et des voyages plus faciles, les chaînes de valeurs mondiales ont commencé à se développer et la Chine était au milieu de cette chaine de valeur. La Chine est devenue l’usine du monde.Et de quoi a-t-on besoin dans une usine ? On a besoin de ressources pour être en mesure de les transformer en produits finis. Où avait on des ressources ? L’Afrique avait la plus large dotation en ressources naturelles. Il était donc logique que la Chine se rende en Afrique à la recherche de ressources. Ça c’était pour le premier point, dirigé par ce qui se passe en termes d’économie mondiale.
Mais deuxièmement, la Chine a toujours été méfiante vis-à-vis de sa présence et de la manière avec laquelle elle serait acceptée par le reste du monde. Ainsi, la Chine n’avait pas simplement besoin d’accéder aux ressources. La Chine pourrait tout aussi bien obtenir l’accès aux ressources via le marché international. On peut très bien acheter tout ce qu’on souhaite sur le marché international… Ce que la Chine cherchait vraiment c’était l’accès à la source. D’accord ? Et la suspicion chinoise s’est justifiée dès lors qu’il y a eu la guerre commerciale et tout ce qui s’ensuit. Donc la Chine ne voulait pas avoir à dépendre sur d’autres concernant les matières premières, qui sont considérées comme cruciales à son économie. C’est pourquoi elle a voulu son accès à la source. Alors les entreprises chinoises sont venues en Afrique et ont négocié avec les gouvernements africains pour l’accès à l’argent, l’or, les diamants ou le pétrole…. Quoique vous pensiez de ça, c’est ce qu’ils développent… Et pour la première fois quelque chose a changé. La Chine a proposé un modèle complètement différent de celui que l’on a vu précédemment.
Donc… Vous pouvez vous asseoir et écouter tout ce que je dis ici aujourd’hui. De toute évidence, vous êtes libres de le vérifier plus tard. Mais récemment, il y a eu un rapport selon lequel 101 sociétés côtées à la bourse de Londres ou domiciliées au Royaume-Uni détiennent les droits sur 1 billion de dollars de ressources en Afrique. Alors : les ressources sont sur le sol africain mais la propriété et l’accès à ces ressources sont du domaine des entreprises listées au London Stock Exchange ! Et c’est comme ça que ça s’est fait : des firmes occidentales comme Chevron arrivent dans un pays africain, signent un accord avec un gouvernement sur la base suivante : on vous paye en termes de redevances et d’impôts et le gouvernement est responsable de prendre les ressources et de développer son pays, de payer pour les services, de payer pour les infrastructures… La Chine propose un autre modèle de transaction : un échange d’infrastructures contre ressources.
En principe, l’offre chinoise consistait en échange du paiement contre les ressources qu’on est censé avoir, la possibilité de contracter un prêt pour construire l’infrastructure correspondant à notre besoin. Jusqu’à aujourd’hui, l’Afrique est toujours à la traine vis-à-vis du reste du monde sur tous les indicateurs de couvertures en infrastructures, en particulier concernant les routes pavées et l’électricité.
Je vais vous donner un exemple que j’utilise toujours car il donne une image efficace de l’état des stocks. Il n’y a que 43% des routes qui sont pavées en Afrique et 30% de ces routes pavées sont dans un seul pays : l’Afrique du sud ! C’est là l’ampleur du déficit d’infrastructuressur le continent. Et en l’espèce, parce que dans l’Afrique subsaharienne on n’a pas de ressources, il n’y a pas non plus l’infrastructure pour y fonder une économie moderne. L’année dernière, en 2017, la part totale de l’Afrique dans le commerce mondial était égale à celle de la Corée du Sud, qui tourne autour de 2,93%.C’est un continent d’environ un milliard d’habitants !
Et donc les chinois sont arrivés et ont commencé pour la première fois à construire des infrastructures, qui n’étaient pas axées sur l’infrastructure coloniale dont ont hérité la plupart des pays africains. L’infrastructure coloniale était fondée sur le principe centre/périphérie, qui prévoyait le prélèvement des ressources à la périphérie pour les amener au centre. De nos jours, dans un monde au sein duquel chaine de valeur régionale et chaine de valeur globale deviennent prédominantes, ceci n’est pas possible en Afrique. Car l’infrastructure n’avait pas pour but de connecter les pays africainsentre eux. Elle était destinée à connecter le pays africain vers les “hôtes” ou la colonie, qu’importe la dénomination.
Ce que la Chine fait maintenant, en termes d’infrastructures qu’elle construit, c’est de connecter les villes africaines, les capitales africaines, permettant ainsi aux chaînes de valeur mondiales et régionales de se développer. Ce n’était donc pas comme si la Chine se présentait en Afrique dans un grand vide. Dans la relation qu’avait la plupart des pays africains, il manquait des choses. C’était un peu inadapté. Après l’expérience coloniale, bien sûr, nous avions des entreprises occidentales qui sont entrées en Afrique et qui négociaient. Ce n’étaient plus des États mais des entreprises occidentales. Et, vous savez, je ne sais pas comment dire cela, mais les accords n’étaient pas toujours équitables.
Je vais clarifier avec un exemple que j’ai imprimé. Euh, vous connaissez, le gars en Tanzanie…même si je ne suis pas un grand fan, il tient quelque chose avec son affaire ! Magufuli a dénoncé et accusé Acacia Mining, une filiale de Barrick Gold, de ne pas payer d’impôts. Puis il a finalement décidé d’annuler leur contrat de concession, en déclarant la firme redevable de plusieurs milliards de dollars à la Tanzanie. La raison qu’il a invoquée est qu’entre 2010 et 2015, ils n’ont payé que 8% d’impôts et de redevances au gouvernement mais en rétribuant 444 millions de dollars de dividendesleurs actionnaires, qui ne versaient pas un centime d’impôt sur le revenu des sociétés en Tanzanie durant cette période. Et alors le PDG de Cassia Mining a dû admettre que l’accord minier originel n’était pas équitable. Ce sont là les types d’accords que beaucoup de pays africains ont conclus avec les entreprises occidentales. Et donc, même si les ressources étaient effectivement exploitées sur le territoire, très peu ont été finalement transforméesen impôts pour financerle pays.Et c’est donc l’insuffisance de ces relations qui a facilité l’apparition d’un partenaire comme la Chine et le simple bon accueil correspondant de la plupart des pays africains. Ça c’était pour le premier point !
La deuxième chose était simplement la pertinence de la Chine en tant que partenaire. Un des points dont on ne parle pas souvent concernant la Chine en Afrique est comment depuis son arrivée, même les contrats (de génie civil, de construction de routes, de centrales électriques) en appel d’offres ouverts, sont de plus en plus gagnés par les Chinois. Et ce n’est pas parce qu’ils fournissent des œuvres de mauvaise qualité. C’est simplement parce que le coût d’une entreprise chinoise réalisant le projet est nettement inférieur aux coûts d’une entreprise européenne. C’est ce que je lui disais (désignant Damien Ma) … Lorsque j’étais ministre des travaux publics, un de nos projets était financé par la Banque Africaine de Développement. Son coût total était d’environ 70 millions de dollars. C’était nos estimations pour ce projet routier… Et nous avions comme soumissionnaires, une entreprise européenne (française) pour dix-sept entreprises chinoises ! Evidemment, rien qu’avec une loi de probabilité on peut savoir que le gagnant va être chinois… En outre, pour un contrat de 70 millions de dollars, l’offre qu’avait soumise l’entreprise européenne était de 86 millions ! Soit ! Le premier jour de l’ouverture de l’offre, nous savions déjà que la société européenne était hors course. D’autant qu’une entreprise chinoise est venue et a été en mesure de proposer 68,7 millions de dollars. Et pourquoi c’est possible ? Il y a des accusations selon lesquelles c’est parce que parfois les entreprises chinoises soudoient les décideurs africains. Et c’est vrai ! Il se présente des configurations où beaucoup d’entreprises chinoises peuvent gagner de gros projets avec des bakchiches mais parfois c’est un juste un projet basic.
L’entreprise européenne va mettre en œuvre des camions Mercedes, Scania, Volvo. Ces camions coûtent vraiment très chers pour faire le travail. Alors que l’entreprise chinoise va mobiliser les camions chinois Howo. Comprenez bien que parfois un camion Mercedes vaut aussi cher que deux camions et demi Howo! Ça c’est un premier point ! D’accord ? La plupart du temps, lorsqu’une entreprise européenne mobilise ses ressources il y a aussi la question des assurances, notamment celles des européens qui y travaillent. Ils ont besoin de « R & R » (Repos& Récupération)[1]. Pour les entreprises chinoises, je ne sais pas bien à quoi ressemble les contraintes d’assurance qui s’appliquent. On est bon ? Et donc une fois de plus, ce que nous constatons dans le secteur du génie civil, c’est que les investissements des entreprises chinoises sont tendanciellement plus compétitifsen termes de prix, sans réduction de qualité du rendu.
Et j’aime également raconter une anecdote qui illustre les rapports relationnels entre gouvernement chinois et africains. En 2008, j’avais un ami qui faisait partie d’un groupe préparant la visite d’une délégation kényane aux Etats-Unis. Le président du parlement kenyan a demandé une rencontre avec Nancy Pelosi qui était à l’époque présidente de la chambre des représentants. La réponse qui a été faite à cette sollicitation -je ne sais pas si c’est Pelosi en personne ou son staff qui a répondu- c’est qu’elle ne rencontrait que les chefs d’Etat. Et vous savez, pas un président de parlement du Kenya… Soit ! Posons ça là ! J’étais de retour au Libéria en 2010. J’étais un assistant du cabinet du président. Vous savez l’assistant ordinaire qui prends des notes. Et j’ai accompagné le ministre des Affaires étrangères du Libéria en Chine. Lors d’une visite.Ce n’était pas à proprement parler une visite d’Etat. Ni une visite officielle.
Ainsi, nous sommes allés en Chine et encore aujourd’hui, je ne peux pas vous dire à quoi ressemble l’aéroport de Pékin. Nous n’avons pas utilisé de vol régulier. Nous n’avons pas été reçu comme des gens ordinaires. Aussitôt après l’atterrissage, nous avons quitté l’avion sans rien voir, jusqu’à notre arrivée dans la chambre d’hôtel. Parce que vous comprenez, nous sommes une délégation officielle ! Il y a quelque chose dans la façon dont les Chinois traitent les délégations africaines, qui n’a de rapport ni avec la taille du pays, ni avec la faiblesse du pays, ni avec le pouvoir du pays, que la plupart des pays africains ne retrouveront dans aucune capitale européenne. Mais plus important : moi et le ministre des affaires étrangères du Libéria, un pays d’environ 3,8/3,9 millions d’habitants avons été reçus. Notre ministre des affaires étrangères a rencontré Xi Jinping. Bon il n’était alors que vice-président de la Chine mais la seule raison pour laquelle nous n’avons pas rencontré Hu Jintao, c’était qu’il rencontrait John Kerry en visite en Chine au même moment.Ceci représente la qualité avec laquelle les chinois traitaient un petit gouvernement africain. Si vous êtes un décideur politique africain et que vous prenez du recul et que vous y réfléchissez. Qu’est ce qui dans cette relation vous empêche d’embrasser ce que les chinois ont à offrir ? Mais au-delà de ça, il y avait la pertinence de la Chine en tant que partenaire car quand l’Afrique avait un besoin énorme d’infrastructure, la Chine concentrait une grande capacité de réponse à ce besoin. Quand la majorité des pays africains étaient coupés des marchés financiers internationaux, la Chine avait la capacité de fournir le financement nécessaire.
En outre, pour le citoyen africain moyen, pour la première fois, depuis longtemps, il pouvait voir le lien direct entre les ressources quittant son pays et une sorte d’avantage, que ce soit de l’électricité, un aéroport ou une route à sa disposition. Alors, après avoir dit tout ça, on pourrait conclure que la relation sino-africaine semble parfaite. Hein ?
Je pense que ce serait faire erreur de ne pas signaler des problèmes importants dans cette relation. L’un d’entre eux est la dette. Ainsi, vers 2000, les puissances occidentales, la plupart des pays industrialisés d’Occident se sont rencontrés et ont créés à travers la Banque Mondiale, un programme appelé PPTE (l’initiative pour les Pays Pauvres Très Endettés). Trente-trois de ces pays étaient en Afrique et ils doivent passer par une phase de cure pour annuler les dettes. Le Libéria a bénéficié de ça : 5 milliards de dollars de dettes ont été effacées. Parce qu’un nombre important de pays africains dépensaient énormément d’argent au service de la dette, il ne leur restait pas d’argent pour investir dans les écoles, les hôpitaux et le continent continue à s’appauvrir.
Ainsi, beaucoup de pays africains se lancent désormais eux-mêmes sur les marchés financiers et émettent des obligations, des eurobonds. Et c’est donc le principal moteur de la dette en Afrique. Je dois également dire que nous avons 54 pays sur le continent, dont seulement sept ou huit pays représentent près de 90% de la dette continentale à la Chine : le Kenya, l’Éthiopie, Djibouti, l’Angola, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo. J’en ai cité six là je crois, non ? Peut-être qu’il m’en manque un… Ces pays comptabilisent à eux seuls plus de 80% de la dette chinoise sur le continent. Il est donc important de pouvoir garder cela en perspective. La première chose est donc le rôle de la Chine dans une crise de la dette croissante en Afrique.
La deuxième chose est le rôle de la Chine dans l’extinction des grands mammifères sur le continent en raison du commerce de l’ivoire et des cornes de rhinocéros en Chine. Si en 2015 la Chine n’avait pas introduit l’interdiction de ce commerce, la plupart de ces animaux auraient disparu. Mais il n’y pas seulement ceux-là. Il y a aussi le pangolin à cause de ses écailles et les mythes de pouvoirs surnaturels qui l’entoure, ou l’ivoire encore, avec le prestige de sa possession. Donc, à partir de 2015, le gouvernement chinois a banni ces usages. Cette interdiction a fait baisser leur prix de 75% en moyenne. Il y a donc ça ! Il y a aussi la vente d’armes chinoises en Afrique. Prenons par exemple le Zimbabwe.
Je veux dire, tout ce que vous entendez sur le Zimbabwe, ou presque tout, est mauvais,non ? Le Zimbabwe utilise au moins 5% de son PIB dans le militaire. La plupart des achats militaires du Zimbabwe proviennent de Chine. La variante chinoise de l’AK-47 a été liée à la plupart des petites crises qui se sont produites sur le continent. Car encore une fois, la Chine n’interfère pas. Le bilan d’un pays en matière de droits de l’homme n’est pas pris en compte lorsque la Chine vend des armes à ce pays.
Sinon, il y a aussi le véritable argument selon lequel la disponibilité de produits chinois bon marché rend difficile le décollage d’une industrie domestique nationale car elle doit faire face à cette concurrence. Et c’est donc l’un des problèmes que nous devons attaquer dans nos relations avec la Chine.
Mais laissez-moi vous dire : en l’an 2000, il y avait moins de 1000 Africains qui étudiaient en Chine. Aujourd’hui, seule la France ne dépasse la Chine, en tant que destination des Africains étudiant en dehors du continent. Et la seule raison pour laquelle la France est devant la Chine est la longue histoire coloniale. Dans les dix prochaines années, la Chine dépassera la France. Mon ministre adjoint à l’administration a étudié en Chine. Huit de mes employés du ministère des Travaux publics ont été envoyés en Chine pour obtenir des diplômes d’études supérieures. Par ailleurs, l’année dernière il y avait une conférence à l’USC (Université de Californie du Sud). Une conférence sur l’Afrique qui a dû être annulée parce que chaque invité africain s’est vu refuser le visa.Donc, si vous êtes un décideur politique africain… Là ce sont des faits ! Ce n’est pas sentimental. Ce n’est lié à aucun…Humm. Vous vous demandez ce qui est le mieux pour les gens. Vous vous demandez ce qui est le mieux pour les gens. Qu’est-ce qui est le mieux pour mon pays ? Avec lequel de ces partenaires sommes-nous censés travailler ? La politique générale et étrangère de l’UE envers notre continent est maintenant façonnée par l’immigration. Comment pouvons-nous empêcher plus d’Africains d’immigrer dans l’UE ? Voilà pourquoi telle est la forme de la politique étrangère de l’UE. Lorsque l’ambassadeur John Bolton nous a annoncé une nouvelle politique pour l’Afrique, il a passé davantage de temps à parler de la Chine. Au point que son discours paraissait finalement traiter de politique sino-américaine. Il semblait alors que la réponse américaine en Afrique ne soit pas motivée par les besoins des Africains mais par le besoin de répondre à ce que la Chine faisait en Afrique. Et voilà maintenant ce que je pense personnellement, en tant que Gyude Moore, en tant qu’ancien ministre, en tant que chercheur sur l’espace Chine-Afrique et homme tentant d’influencer les décideurs politiques africains actuels, je pense que la présence de la Chine en Afrique a été et continue d’être un net positif ! Maintenant, pourrais-je dire la même chose dans 10 ans ? Je ne sais pas, mais pour l’instant c’est mon évaluation. Merci.
[1]A cet endroit, je ne suis pas certain de la traduction de « R&R ». Cela pourrait être aussi « Repaire and Replace » (au sens d’assurance matérielle) car il parle aussi de camions. J’ai privilégié le rapport aux différences de coûts d’assurance encadrant le droit du travail du personnel européen.
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