Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Courrier de Georges Marchais au recteur de la grande mosquée de Paris datant de 1981

– Monsieur le Recteur,

Vous m’avez envoyé un télégramme me demandant de condamner le maire communiste de Vitry et mettant en cause la politique de mon parti sur l’immigration. Ce message a été rendu public avant même que j’aie pu en prendre connaissance. C’est pourquoi je vous adresse cette lettre ouverte.

Tenant compte de la charge que vous occupez, je tiens d’abord à vous confirmer ma position, celle de mon parti, sur la religion. Je respecte, nous respectons la religion musulmane à l’égal de toutes les autres. Je sais que des centaines de milliers de travailleurs de mon pays professent l’Islam, qui est l’une des branches vivantes sur l’arbre millénaire de la civilisation.

.Je me fais une règle de ne jamais intervenir dans des questions religieuses qui relèvent de la seule conscience des personnes ou des communautés. C’est donc seulement parce que vous avez adopté une position politique sur une question qui nous concerne que je prends la liberté de vous envoyer aujourd’hui, cette mise au point.

L’idéal communiste est effectivement opposé, comme vous voulez bien le reconnaître, à toute discrimination raciale ou religieuse.

Nous pensons que tous les travailleurs sont frères, indépendamment du pays où ils sont nés, de la couleur de leur peau, des croyances, de la culture, des valeurs ou des coutumes auxquelles ils sont attachés. Qu’ils s’appellent Mohamed, Kemal ou Jacques, Moussa, Mody ou Pierre, tous ont un droit égal à la vie, à la dignité, à la liberté. Nous nous appliquons à nous-mêmes cette loi d’égalité. Tous les travailleurs immigrés, musulmans ou non, membres du Parti communiste français, ont dans ce parti les mêmes droits et mêmes devoirs que leurs camarades français.

Nul plus que nous en France n’a combattu le colonialisme. Pour ne parler que du Maghreb, dès la fondation de notre parti, nous luttions contre la guerre du Rif. Et, plus récemment, nous avons milité pour la constitution du Maroc et de la Tunisie en États indépendants ; nous nous sommes opposés à la guerre menée contre le peuple algérien par les capitalistes français et leurs politiciens, avec la férocité de leurs tortures, de leurs camps, de leurs massacres, de leurs dévastations. Aujourd’hui, je m’honore d’entretenir de bonnes relations avec les dirigeants du mouvement de libération nationale. Je me suis rendu plusieurs fois en Algérie. J’ai parcouru l’Afrique. Et j’ai l’intention de développer encore cette action. Je me suis particulièrement réjoui d’avoir contribué, l’été dernier, au nom du Comité de défense des libertés et des droits de l’homme, à la libération d’Abderrazak Ghorbal, le dirigeant syndicaliste tunisien. Avec ce comité, j’espère bien finir par obtenir justice pour Moussa Konaté, travailleur malien persécuté par l’arbitraire policier de M. Giscard d’Estaing.

En France même, c’est la CGT et nous qui combattons énergiquement la politique des patrons et du gouvernement, la surexploitation, les atteintes à la dignité, les brimades et les discriminations odieuses qui frappent les travailleurs immigrés. Nous le ferons toujours. C’est ce que j’ai réaffirmé, en juillet 1980, en m’adressant aux travailleurs immigrés de l’usine Renault à Flins.

Au vu de ces réalités, puis-je vous rappeler cette belle parole : « le feu de l’hospitalité luit pour le voyageur qui distingue la flamme » ?Pour la clarté, sur le sujet dont parle votre télégramme, il me faut en premier lieu rétablir la vérité des événements.

Votre message fait état d’une « décision précipitée et irréfléchie » que le maire communiste de Vitry aurait prise à l’encontre de travailleurs immigrés maliens.

Voilà une condamnation bien hâtive. De fait, l’histoire réelle est inverse. C’est un dimanche, avant-veille de fête, au moment même où les communistes étaient réunis au Bourget pour le soixantième anniversaire de leur parti, qu’un autre maire — non pas communiste, mais giscardien celui-là — a déclenché l’affaire en prenant la révoltante décision de chasser les immigrés maliens de sa ville de Saint-Maur et de les refouler clandestinement sur Vitry.

Pour parvenir à ses fins, cet individu n’a pas hésité à faire forcer — à l’insu du maire de Vitry et sans accord de la commission de sécurité — les issues murées d’un foyer au sujet duquel les négociations étaient officiellement engagées en vue d’y loger de jeunes travailleurs français.

Permettez-moi de vous le dire : comment se fait-il que vous n’ayez pas pris position contre le maire de Saint-Maur ? Je n’ose croire que c’est parce qu’il est un ami intime du président de la République française, qu’il a reçu deux fois en trois ans dans sa mairie. Il me faut bien constater toutefois, avec étonnement, que vous avez été plus prompt à organiser une manifestation contre un maire communiste qu’à prendre à partie les responsables des souffrances des immigrés en France, MM. Giscard d’Estaing, Stoléru ou le président du CNPF.

Aux côtés de la droite et de l’extrême-droite, avec les dirigeants socialistes, la CFDT, la FEN et des groupuscules, vous vous trouvez, je le déplore, au cœur d’une opération politicienne anticommuniste qui prend les immigrés comme prétexte et ne peut en définitive que leur nuire.

Je vous déclare nettement : oui, la vérité des faits me conduit à approuver, sans réserve, la riposte de mon ami Paul Mercieca, maire de Vitry, à l’agression raciste du maire giscardien de Saint-Maur. Plus généralement, j’approuve son refuse de laisser s’accroître dans sa commune le nombre, déjà élevé, de travailleurs immigrés.

Cette approbation ne contredit pas l’idéal communiste. Au contraire. La présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leurs familles, la poursuite de l’immigration posent aujourd’hui de graves problèmes. Il faut les regarder en face et prendre rapidement les mesures indispensables. Ce qui nous guide, c’est la communauté d’intérêts, la solidarité des travailleurs français et des travailleurs immigrés. Tout le contraire de la haine et de la rupture.

Nous disons également : il faut donner aux travailleurs immigrés les mêmes droits sociaux qu’à leurs camarades français. Nos propositions en ce sens sont les plus avancées qui soient. Et nous disons encore : il faut instituer un nouvel ordre économique et politique mondial. Il faut une coopération fondée non sur les exigences de profits des trusts et sur des conceptions colonialistes, mais sur des rapports équitables correspondant en priorité aux besoins d’emploi et de développement de la France et des peuples du tiers monde.

Cette question, vous ne pouvez l’ignorer, me tient particulièrement à cœur.

En même temps et dans le même esprit nous disons : il faut résoudre d’importants problèmes posés dans la vie locale française par l’immigration. En effet, M. Giscard d’Estaing et les patrons refusent les immigrés dans de nombreuses communes ou les en rejettent pour les concentrer dans certaines villes, et surtout dans les villes dirigées par les communistes. Ainsi se trouvent entassés dans ce qu’il faut bien appeler des ghettos, des travailleurs et des familles aux traditions, aux langues, aux façons de vivre différentes. Cela crée des tensions, et parfois des heurts entre immigrés des divers pays. Cela rend difficiles leurs relations avec les Français. Quand la concentration devient très importante — ce qui n’a rien à voir, soit dit au passage, avec la notion non scientifique et raciste d’un prétendu « seuil de tolérance » dont nous ne parlons jamais — la crise du logement s’aggrave ; les HLM font cruellement défaut et de nombreuses familles françaises ne peuvent y accéder. Les charges d’aide sociale nécessaire pour les familles immigrées plongées dans la misère deviennent insupportables pour les budgets des communes peuplées d’ouvriers et d’employés. L’enseignement est incapable de faire face et les retards scolaires augmentent chez les enfants, tant immigrés que français. Les dépenses de santé s’élèvent.

Les élus communistes, dans le cadre de leurs droits et de leurs moyens, multiplient les efforts pour résoudre ces problèmes difficiles au bénéfice de tous. Mais la cote d’alerte est atteinte : il n’est plus possible de trouver des solutions suffisantes si on ne met pas fin à la situation intolérable que la politique raciste du patronat et du gouvernement a créée.

C’est pourquoi nous exigeons une répartition équitable des travailleurs immigrés entre toutes les communes. Parler à ce propos d’électoralisme, c’est nous faire injure. Notre position ne date pas d’aujourd’hui. Dès octobre 1969, quand j’étais chargé de l’immigration à la direction du Parti communiste français, les maires communistes de la région parisienne et les élus communistes de Paris ont adopté, sur ma proposition, une déclaration dénonçant la concentration des travailleurs immigrés dans certaines villes et demandant une répartition équilibrée. Si elles avaient été appliquées par le pouvoir, ces mesures, pour lesquelles nous n’avons cessé de lutter, auraient permis d’éviter les difficultés actuelles.

Encore un mot sur le racisme. Rien ne nous est plus étranger que ce préjugé antiscientifique, inhumain, immoral. Non, il n’existe pas de races d’élite et de races inférieures.

Ne partagez-vous pas l’indignation qui me soulève quand je considère les activités malfaisantes des passeurs, des trafiquants, des marchands de sommeil qui entassent des immigrés dans des conditions violant toutes les règles d’hygiène, de sécurité, de voisinage et que M. Stoléru laisse agir sans entraves comme les négriers d’autrefois ? Ce sont des délinquants qu’il faut réprimer.

Et n’éprouvez-vous pas le même dégoût que moi à la lecture d’une « petite annonce » comme celle que le journal «Libération» publiait récemment sous le titre : « Immigrés sex service », et que la décence m’interdit de reproduire ? Comme j’aimerais que nous soyons, chacun au nom de notre idéal respectif, du même côté contre des gens capables de bassesses aussi abominables, et, j’ose le dire, d’une telle barbarie !Tout ce que la morale humaine réprouve avec force, l’inégalité, l’injustice, le mépris, la cruauté, nous le repoussons, nous le combattons. C’est pourquoi, dans les entreprises et les cités, nous invitons les travailleurs immigrés et français non pas à se combattre entre eux, mais à unir leurs forces contre leurs vrais ennemis communs, les exploiteurs et ceux qui les servent. Nous les appelons à tracer ensemble le sillon, à l’élargir sans cesse, pour libérer tous les hommes et toutes les femmes de la servitude et de la haine. C’est le sens de notre lutte pour la justice. De très nombreux prolétaires musulmans la comprennent et la soutiennent.

Veuillez agréer, Monsieur le Recteur, mes salutations.

Georges Marchais.

PS. pour le plaisir de me souvenir de mon très cher ami Gaston Plissonnier, l’individu le plus attentif aux autres que j’ai jamais rencontré, je l’associe sur la photo à Georges. Je dois dire que j’ai rarement connu des êtres aussi différents de moi que ces deux-là mais ils m’ont inspiré amitié et respect par la pureté de leur engagement aux côtés des petits et des humbles, par leur manière de veiller sur le parti et d’être attentifs à chaque camarade dans le parcours d’une vie. J’imagine parfois Gaston découvrant ce que certains font de son parti… Mais pour revenir à Vitry, Georges a assumé mais l’affaire avait été menée par Fitterman, il est vrai que l’indignation des camarades de Vitry était bien réelle et on sait les réactions d’un communiste vitriote indigné, cela au moins n’a pas changé. Villejuif non plus, mais on ne saurait en dire autant d’un Val de Marne dans la direction duquel Maurice Thorez et les camarades de SKF ne se reconnaitraient plus. Autre souvenir, celui qui avait pris en main le fameux bulldozer était un camarade d’origine algérienne, il nous l’a raconté en riant… nous fêtions les 60 ans du parti, Aragon qui avait plus de 80 ans était épuisé, sollicité de toutes parts dans ce hangar bruyant du Bourget, il m’a dit “pourquoi est-ce que je n’arrive pas à faire partager le sens du beau à ce parti que j’aime passionnément”. Il m’a dicté quelques lignes qui sont parues le lendemain dans l’Humanité : “Être communiste c’est ne pas confondre les petites histoires avec la Grande” Je confirme mais je lui dis quarante après alors que j’ai l’âge qu’il avait que la Grande histoire est tissée de petites histoires, celles d’individus qui ont été prêts à donner leur vie sur toute la planète, il n’y aurait pas de “roman” sans cela, pas de “mentir-vrai”. Danielle Bleitrach

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