L’ex-chef de l’OIAC Jose Bustani lit en Syrie un témoignage selon lequel les États-Unis, le Royaume-Uni et la France l’ont bloqué à l’ONU. Nous vous avons déjà parlé de ce scandale des preuves truquées d’une attaque chimique qui n’a jamais eu lieu. Les complices de ce mensonge d’État, dont la France, tentent d’empêcher le témoignage qui dénonce ce scandale dont les conséquences pèsent encore aujourd’hui sur le peuple syrien puisque c’est au nom de ce rapport truqué que les USA continuent à lui appliquer un régime de sanctions (note et traduction de Danielle Bleitrach).
AARON MATÉ·LE 5 OCTOBRE 2020SYRIE
Au Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et leurs alliés ont bloqué le témoignage de Jose Bustani, premier directeur général de l’OIAC, sur le scandale de dissimulation de la Syrie. The grayzone a obtenu la déclaration préparée de Bustani et la publie dans son intégralité.
Jose Bustani a été invité à informer le Conseil de sécurité de la dissimulation par l’OIAC d’une enquête sur une attaque chimique présumée à Douma, en Syrie, en avril 2018. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont bombardé la Syrie après avoir accusé le gouvernement syrien d’avoir largué du gaz toxique à Douma. Les inspecteurs de l’OIAC ont par la suite trouvé des preuves qui ont sapé le récit officiel, mais celles-ci ont été censurés par leurs supérieurs sous la pression des États-Unis.
En tant que premier directeur général de l’OIAC, Bustani a fait l’expérience de première main des coûts de la remise en question des récits pro-guerre. En 2002, il a été personnellement menacé par John Bolton et évincé de son poste de chef de l’OIAC après avoir facilité les inspections qui avaient fait obstacle à la volonté de l’administration Bush d’envahir l’Irak sous couvert d’armes de destruction massive.
Dans ses commentaires, Bustani exprime son soutien aux inspecteurs de l’OIAC et exhorte l’actuel directeur général, Fernando Arias, à les laisser diffuser leurs preuves supprimées de manière transparente.
« Au grand risque pour eux-mêmes, [les inspecteurs] ont osé dénoncer d’éventuels comportements irréguliers au sein de votre Organisation, et c’est sans aucun doute dans l’intérêt de votre Organisation et dans l’intérêt du monde que vous les entendez », dit Bustani. « Peu importe le fait qu’il y ait ou non des préoccupations soulevées au sujet du comportement de l’OIAC dans l’enquête de Douma, entendre ce que vos propres inspecteurs ont à dire serait une première étape importante dans la recherche de la réputation endommagée de l’Organisation. Les inspecteurs dissidents ne prétendent pas avoir raison, mais ils veulent qu’on leur donne une audience équitable
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Transcription
Monsieur le Président, Monsieur le Président, l’Ambassadeur Vassily Nebenzia, vos excellences, distingués délégués, Mesdames et Messieurs,
Je m’appelle José Bustani. Je suis honoré d’avoir été invité à présenter une déclaration pour cette réunion du Conseil de sécurité de l’ONU pour discuter du dossier chimique syrien et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. En tant que premier directeur général de l’OIAC, poste que j’ai occupé de 1997 à 2002, je garde naturellement un vif intérêt pour l’évolution et la fortune de l’Organisation. J’ai été particulièrement intéressé par les développements récents concernant le travail de l’Organisation en Syrie.
Pour ceux d’entre vous qui ne le savent pas, j’ai été démis de mes fonctions à la suite d’une campagne orchestrée par les États-Unis en 2002 pour, ironiquement, avoir essayé de faire respecter la Convention sur les armes chimiques. Mon renvoi a par la suite été jugé illégal par le Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail, mais malgré cette expérience désagréable, l’OIAC me tient à cœur. Il s’agit d’une organisation spéciale dont le mandat est important. J’ai accepté le poste de directeur général précisément parce que la Convention sur les armes chimiques n’était pas discriminatoire. J’ai été extrêmement fier de l’indépendance, de l’impartialité et du professionnalisme de ses inspecteurs et de son personnel dans la mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques. Aucun État ne devait être considéré au-dessus des autres et la marque du travail de l’Organisation était l’impartialité avec laquelle tous les États membres étaient traités indépendamment de leur taille, de leur puissance politique ou de leur poids économique.
Bien que n’étant plus à la barre à ce moment-là, j’ai ressenti une grande joie lorsque l’OIAC a reçu le prix Nobel de la paix en 2013 « pour ses efforts considérables en faveur de l’élimination des armes chimiques ». C’était un mandat auquel j’avais travaillé sans relâche avec d’innombrables autres anciens membres du personnel. Au cours des années naissantes de l’OIAC, nous avons dû faire face à un certain nombre de défis, mais nous les avons surmontés pour conférer à l’Organisation une réputation bien méritée d’efficacité, sans parler de l’autonomie, de l’impartialité et du refus d’être politisé. La décision de l’OIT concernant ma destitution a été une réaffirmation officielle et publique de l’importance de ces principes.
Plus récemment, les enquêtes menées par l’OIAC sur les utilisations présumées d’armes chimiques ont sans aucun doute créé des défis encore plus grands pour l’Organisation. C’est précisément pour ce genre d’éventualité que nous avons développé des procédures opérationnelles, des méthodes d’analyse, ainsi que des programmes de formation approfondis, dans le strict respect des dispositions de la Convention sur les armes chimiques. Les allégations d’utilisation réelle d’armes chimiques étaient une perspective pour laquelle nous espérions que nos préparatifs ne seraient jamais nécessaires. Malheureusement, ils l’étaient, et aujourd’hui les allégations d’utilisation d’armes chimiques sont une triste réalité.
C’est dans ce contexte que de sérieuses questions sont aujourd’hui soulevées quant à savoir si l’indépendance, l’impartialité et le professionnalisme d’une partie du travail de l’Organisation sont gravement compromis, peut-être sous la pression de certains États membres. Les circonstances entourant l’enquête de l’OIAC sur l’attaque chimique présumée à Douma, en Syrie, le 7 avril 2018, sont particulièrement préoccupantes. Ces préoccupations émanent du cœur même de l’Organisation, des scientifiques et des ingénieurs impliqués dans l’enquête de Douma.
En octobre 2019, j’ai été invité par la Fondation Courage, une organisation internationale qui « soutient ceux qui risquent la vie ou la liberté à apporter une contribution significative au dossier historique », à participer à un panel avec un certain nombre de personnalités internationales éminentes des domaines du droit international, du désarmement, des opérations militaires, de la médecine et du renseignement. Le comité a été convoqué pour entendre les préoccupations d’un fonctionnaire de l’OIAC concernant la conduite de l’enquête de l’Organisation sur l’incident de Douma.
L’expert a fourni des preuves convaincantes et documentées d’une conduite hautement douteuse et potentiellement frauduleuse dans le processus d’enquête. Dans une déclaration publique commune, le Groupe spécial a été, et je cite, « unanime à exprimer [son] inquiétude sur les pratiques inacceptables dans l’enquête sur l’attaque chimique présumée à Douma ». Le Groupe spécial a en outre demandé à l’OIAC de « permettre à tous les inspecteurs qui ont participé à l’enquête de Douma de se présenter et de faire part de leurs observations divergentes dans un forum approprié des États parties à la Convention sur les armes chimiques, conformément à l’esprit de la Convention ».
Personnellement, j’ai été tellement troublé par les témoignages et les éléments de preuve présentés au Groupe spécial que je me suis senti obligé de faire une déclaration publique. Je cite : « Je me suis toujours attendu à ce que l’OIAC soit un véritable paradigme du multilatéralisme. J’espère que les préoccupations exprimées publiquement par le Groupe spécial, dans sa déclaration de consensus commun, catalyseront un processus par lequel l’Organisation pourra être ressuscitée pour devenir l’organe indépendant et non discriminatoire qu’elle était autrefois. »
L’appel à une plus grande transparence de la part de l’OIAC s’est encore intensifié en novembre 2019 lorsqu’une lettre ouverte de soutien à la déclaration de la Fondation Courage a été envoyée aux représentants permanents de l’OIAC pour « demander [leur] soutien à la prochaine Conférence des États parties visant à rétablir l’intégrité de l’OIAC et à regagner la confiance du public ».
Les signataires de cette pétition comprenaient des personnalités éminentes comme Noam Chomsky, professeur émérite au MIT; Marcello Ferrada de Noli, président des Médecins suédois pour les droits de l’homme; Coleen Rowley, dénonciateur et personnalité de l’année 2002 au Time Magazine; Hans von Sponeck, ancien Sous-Secrétaire général des Nations Unies; et le réalisateur Oliver Stone, pour n’en citer que quelques-uns.
Près d’un an plus tard, l’OIAC n’a toujours pas répondu à ces demandes, ni à la controverse sans cesse croissante entourant l’enquête de Douma. Au contraire, elle s’est caché derrière un mur impénétrable de silence et d’opacité, rendant tout dialogue significatif impossible. À la seule occasion où elle a répondu aux préoccupations des inspecteurs en public, ce n’était que pour les accuser d’avoir violé la confidentialité. Bien sûr, les inspecteurs – et même tous les membres du personnel de l’OIAC – ont la responsabilité de respecter les règles de confidentialité. Mais l’OIAC a la responsabilité première – d’assurer fidèlement l’application des dispositions de la Convention sur les armes chimiques (article VIII, par. 1).
Le travail de l’Organisation doit être transparent, car sans transparence il n’y a pas de confiance. Et la confiance est ce qui lie l’OIAC ensemble. Si les États membres n’ont pas confiance dans l’équité et l’objectivité des travaux de l’OIAC, son efficacité en tant que chien de garde mondial des armes chimiques est gravement compromise.
Et la transparence et la confidentialité ne s’excluent pas mutuellement. Mais la confidentialité ne peut pas être invoquée comme un écran de fumée pour les comportements irréguliers. L’Organisation doit restaurer la confiance du public qu’elle avait autrefois et qui, ce que personne ne nie, est en train de décliner. C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui.
Il serait inapproprié pour moi de donner des conseils, ou même de suggérer comment l’OIAC devrait s’y prendre pour regagner la confiance du public. Néanmoins, en tant que personne qui a vécu des moments à la fois gratifiants et tumultueux avec l’OIAC, je voudrais vous faire un plaidoyer personnel, Monsieur Fernando Arias, en tant que directeur général de l’OIAC. Les inspecteurs comptent parmi les atouts les plus précieux de l’Organisation. En tant que scientifiques et ingénieurs, leurs connaissances et leurs contributions spécialisées sont essentielles à une bonne prise de décision. Plus important encore, leurs opinions ne sont pas entachées par la politique ou les intérêts nationaux. Ils ne s’appuient que sur la science. Les inspecteurs de l’enquête de Douma ont une simple demande : qu’on leur donne l’occasion de vous rencontrer pour vous exprimer leurs préoccupations en personne, d’une manière à la fois transparente et responsable.
C’est sûrement le minimum auquel ils peuvent s’attendre. Au péril de leur situation, ils ont osé dénoncer d’éventuels comportements irréguliers au sein de votre Organisation, et c’est sans aucun doute dans l’intérêt de votre Organisation et dans l’intérêt du monde que vous les entendez. La Convention elle-même a fait preuve d’une grande clairvoyance en permettant aux inspecteurs d’offrir des observations différentes, même dans le cadre d’enquêtes sur les utilisations présumées d’armes chimiques (par. 62 et 66 de la partie II, annexe ver). Ce droit est, et je cite, « un élément constitutif soutenant l’indépendance et l’objectivité des inspections ». Ce langage vient de Ralf Trapp et Walter Krutzsch « Un commentaire sur la pratique de vérification sous la CWC », publié par l’OIAC elle-même pendant mon temps en tant que DG.
Peu importe qu’il y ait ou non matière aux préoccupations soulevées au sujet du comportement de l’OIAC dans l’enquête Douma, entendre ce que vos propres inspecteurs ont à dire serait une première étape importante dans la recherche de la réparation de la réputation endommagée de l’Organisation. Les inspecteurs dissidents ne prétendent pas avoir raison, mais ils veulent qu’on leur donne une audience équitable. En tant que directeur général antérieur, je vous demande respectueusement de leur accorder cette possibilité. Si l’OIAC est confiante dans la robustesse de ses travaux scientifiques sur Douma et dans l’intégrité de l’enquête, alors elle n’a pas grand-chose à craindre d’entendre ses inspecteurs. Toutefois, si les allégations de suppression des preuves, d’utilisation sélective des données et d’exclusion des enquêteurs clés, entre autres allégations, ne sont pas non fondées, il est encore plus impératif que la question soit traitée ouvertement et de toute urgence.
Cette Organisation a déjà atteint la grandeur. Si elle a failli, elle a néanmoins encore la possibilité de se réparer, et de se grandir pour devenir encore plus grande. Le monde a besoin d’un chien de garde crédible des armes chimiques. Nous en avions un, et je suis convaincu, Monsieur Arias, que vous vous en occuperez à nouveau.
Merci.
Aaron Maté est journaliste et producteur. Il accueille Pushback avec Aaron Maté dans The Grayzone. Il est également collaborateur du magazine The Nation et ancien animateur/producteur pour The Real News et Democracy Now!. Aaron a également présenté et produit pour Vice, AJ ET Al Jazeera.
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Laurent Pringard
On peut trouver la vidéo sur le site grayzone (YT) :
https://www.youtube.com/watch?v=ZgIDlgD_txM