Ce texte présente un portrait fidèle de Risquet mais il réveille aussi des souvenirs communs. Risquet ne parlait pas l’anglais et il avait reçu un manuscrit de Piero Gleijeses en anglais, mais il était extraordinairement doué, c’était un prolétaire et un intellectuel de haut niveau. Il avait fait beaucoup d’effort pour comprendre ce texte si je me souviens bien il s’agissait du Guatemala, il me l’a donné en me demandant mon avis. Je l’ai lu, mon anglais étant à peine meilleur que le sien, mais mon avis et le sien ont coïncidé : “Cet homme n’est pas communiste, il a beaucoup de difficultés à comprendre comment nous agissons, mais il est honnête”. A peu près à la même époque, Pierre Péan était venu à la Havane pour l’interviewer sur l’Afrique, je lui ai dit ce que je pensais de ce dernier à savoir qu’il était un “honorable correspondant” des renseignements français. Risquet ne l’a pas reçu et a entamé une collaboration avec Piero Gleijeses qui est devenue une amitié. Il m’a donné alors un article en espagnol de ce dernier sur Tshombé, le Katanga et Carter, que j’ai traduit en Français et qui a été publié dans deux numéros de la revue la Pensée à laquelle je collaborais encore. Risquet m’a aussi confié un livre de lui que j’ai toujours et dont j’avais commencé la traduction: “El segunde frente del Che en el Congo” qui décrit les débuts de la mission cubaine, celle en 1965 au Congo Brazzaville dont parle Piero. Un morceau de bravoure sur la manière dont on empêche un coup d’Etat auquel je n’ai cessé de penser à propos de l’incompétence de ceux qui en 1991 avaient cherché à s’opposer à la destruction de l’URSS. Risquet sentait les rapports de force, sa finesse lui faisait percevoir l’attitude ferme ou souple à adopter, je crois qu’il appréciait mon avis et notre entente fut immédiate sur bien des points, le rire fréquent. Nous avons beaucoup discuté sur ces questions “militaires” autant que sur sa négociation avec Kissinger, l’Afrique, mais aussi la Chine puisqu’il y allait fréquemment, étant d’origine chinoise autant qu’espagnole et africaine. C’était un guerrier mais surtout un diplomate soucieux de donner vie au génie stratégique de Fidel. Ce n’était pas la première fois que cet amoureux de toujours de l’URSS devait porter la souveraineté cubaine dans l’alliance, il avait été envoyé déjà en URSS au moment des fusées de Cuba. Son amour de l’URSS n’était jamais allégeance et pourtant appartenant à l’ancien parti communiste de Cuba, il était indéfectiblement attaché à la Révolution d’octobre et il m ‘avait raconté comment il était tombé en pleurs dans les bras d’un soldat soviétique dans un train qui le menait à Vienne. C’était un homme qui ne craignait pas de montrer ses sentiments, ses émotions alors qu’il était ferme comme un roc, en particulier pour tout ce qui touchait à sa patrie, au communisme, à l’exploitation mais aussi au Tiers-monde, à l’Afrique. Il n’y avait pas sans doute de meilleur guide pour comprendre Cuba que Risquet et je partage l’émotion et le sentiment de Piero sur la richesse du travail avec lui, car c’était un bourreau de travail, avec une obsession défendre Cuba et s’effaçant toujours derrière Fidel et Raoul, son ami depuis la jeunesse et “son ministre”.. dont il partageait l’humour, la passion pour la théorie marxiste et la vénération pour Fidel et José Marti. Tous ces gens savaient être pleinement eux-mêmes, connaitre leurs atouts et leurs limites, en se complétant les autres pour agir ensemble, modestes et chevaleresques (Note et traduction de Danielle Bleitrach).
Par Hedelberto López Blanch.
Il y a cinq ans, l’un des hommes les plus compétents dans le domaine des luttes cubaines en aide aux pays du continent africain est mort. A l’occasion de l’anniversaire de ce 28 septembre, jour de sa disparition physique, j’ai demandé au professeur et chercheur italo-américain Piero Gleijeses de me parler de ses souvenirs et ses notes biographiques sur ce grand révolutionnaire qui, pendant de nombreuses années, a magistralement exécuté les lignes du gouvernement cubain à ces nations sœurs.
Piero, professeur à l’Université Johns Hopkins et auteur de deux livres magistraux sur la conduite de Cuba en Afrique : Les missions conflictuelles, La Havane, Washington et l’Afrique 1959-1976, et Visions of Freedom, constituent des œuvres exceptionnelles, combinant à travers des documents officiels, la rigueur d’un traité historique avec la passion d’une narration élégante et sachant mettre en vedette des centaines de milliers de Cubains.
Le professeur Gleijeses a remporté en 2003 avec Missions in Conflict, le prix du meilleur livre de l’année de l’Association of Foreign Policy Historians of The United States, ce qui a représenté un réel succès parce que cette institution n’est pas caractérisée par son caractère progressiste.
Mais nous voulions que Piero parle de l’une des personnes qu’il admire le plus et qui l’a aidé continuellement à accomplir son oeuvre..
Risquet était un frère pour moi. Nous avons travaillé ensemble depuis 1994. Il était la personne chargée par Fidel et Raul de superviser mon accès aux archives cubaines pour mes recherches sur Cuba et l’Afrique.
Tout a commencé comme une bonne relation professionnelle – j’ai apprécié son intelligence, ses connaissances profondes, son sens de l’humour. Travailler avec lui était agréable et aussi efficace parce qu’il était un critique aigu et de nombreuses fois il m’a souvent démontré mes erreurs dans mon analyse de la politique de Cuba en Afrique.
En plus de plus de deux décennies, le respect et l’admiration sont progressivement devenus une amitié de plus en plus profonde. Il est devenu pour moi le seul frère que j’ai jamais eu. Le vide que sa mort a laissé dans ma vie est immense.
Je veux partager avec ceux qui entendent ces paroles la part de la vie de Risquet que je connais le mieux : le rôle qu’il a joué en Afrique en tant que représentant de Fidel et de la Révolution cubaine.
Le chemin africain de Risquet a débuté en juillet 1965, lorsque Fidel l’a fait appeler pour le mettre à la tête de la colonne cubaine qu’il envoyait au Congo Brazzaville. Risquet et sa colonne ont pleinement rempli les tâches qui leur avaient été confiées par Fidel : ils ont sauvé le gouvernement progressiste de Massamba-Débat d’une tentative de coup d’État militaire – et ont réussi ce sauvetage sans verser une seule goutte de sang. Ils ont également mené la première campagne de vaccination contre la polio dans l’histoire du pays et formé des guérilleros du MPLA. C’est là que le lien entre Cuba et le MPLA a été forgé.
Mais le nom de Risquet sera à jamais associé au rôle glorieux que Cuba a joué en Angola à partir de 1975, lorsque les premiers soldats cubains sont arrivés pour défendre le pays de l’invasion sud-africaine, jusqu’en 1991, lorsque les derniers soldats cubains sont retournés dans leur patrie. Risquet était l’incarnation directe de Fidel en Angola et en tant que tel a dû faire face non seulement aux Gringos, mais aussi aux Soviétiques.
En écrivant cela, deux moments me viennent immédiatement à l’esprit. La manière dont Risquet s’est imposé à Luanda au général soviétique Valentin Variennikov, le troisième officier le plus haut gradé de l’Armée rouge. En décembre 1983, ils se sont rencontrés à la tête de la Mission militaire cubaine. « Après l’échange habituel de courtoisie, nous sommes allés droit au but », écrit Varennikov dans ses mémoires. « Risquet est intervenu le premier, et je ne m’y suis pas opposé, mais cela était ma prérogative, j’en ai fait la remarque sur le mode de la plaisanterie : « je pensais innocemment que je parlerais d’abord parce que je suis l’invité. » Risquet a répondu : « Nous ne considérons pas un général soviétique comme un invité parmi nous. »
La discussion qui a suivi a mis en lumière les relations cubano-soviétiques en Angola et la façon dont les Cubains ont agi avec les Soviétiques.
Risquet a commencé par rappeler qu’en novembre 1982, Andropov avait dit à Fidel « qu’il voulait que nos relations soient toujours franches, honnêtes et loyales. Il a dit une chose qu’en tant que partenaire Fidel a vraiment apprécié: « N’arrêtez pas de dire la vérité, ou n’essayez pas d’omettre une opinion pour éviter un moment désagréable. Et dans cette conversation avec vous, dit-il à Varennikov, « nous allons nous conformer à ce principe. » Et de là – parlant au nom de Raul Castro – il ne lui a rien caché concernant la mauvaise stratégie que la mission militaire soviétique conduisait en Angola. Il l’a fait avec une belle ironie, avec intelligence et fermeté. « Je lui ai parlé de ce qui à ce jour représentait toute l’amitié, toute la fraternité que nous ressentions envers l’Union soviétique », a déclaré M. Risquet. « mais j’ai expliqué que dans ces relations fraternelles, nous avions parfois eu des divergences d’opinion ici. … Nous aimerions être assurés, camarade général de l’armée, que le commandement militaire cubain ne sera pas entraîné dans une aventure … Nous avons la responsabilité envers notre peuple pour des vies qui peuvent être perdues inutilement. Si les camarades soviétiques veulent partir à l’aventure en Angola, nous les laisserons le faire avec les troupes soviétiques, mais sans les Cubains. Risquet a conclu : « Ayez la certitude absolue, cher compagnon général de l’armée, que si les Sud-Africains attaquent les lignes que nous défendons, nous nous battrons farouchement, sans aucune hésitation, mais avec la même fermeté, nous refuserons toujours de mettre en danger une seule vie cubaine dans des opérations que nous considérons comme mal conçues, volontaristes et irréalistes. »
Comme Risquet l’a toujours souligné quand il parlait avec moi, ce qu’il faisait était d’exécuter les instructions de Fidel et Raul, il n’improvisait pas, il exécutait la politique du haut commandement de la Révolution cubaine. Mais ce qu’il évitait de dire, c’est qu’il l’avait fait avec une intelligence, un brio, une éloquence rare.
Et cette éloquence, cette intelligence et ce brio ont caractérisé la conduite de Risquet lorsqu’il était à la tête de la délégation cubaine lors des négociations quadripartites de 1988 entre l’Afrique du Sud, les États-Unis, Cuba et l’Angola pour parvenir à la paix dans le sud-ouest de l’Afrique. La réunion décisive a eu lieu au Caire à la fin de juin 1988. Ce fut la dernière fois que les Sud-Africains arrivèrent avec leurs prétentions absurdes : le retrait simultané des troupes sud-africaines et cubaines d’Angola, un gouvernement d’unité nationale entre le MPLA et Savimbi à Luanda, puis abandonner toute discussion sur l’indépendance de la Namibie. Il s’agissait de prétentions absurdes parce que Cuba, comme Raul l’avait dit quelques jours plus tôt, avait déjà mis une raclée aux Sud-Africains : les troupes cubaines avaient déjà arrêté l’assaut sud-africain contre Cuito Cuanavale dans le sud-est de l’Angola et d’autres troupes cubaines dans le sud-ouest étaient en train d’avancer vers la frontière namibienne. Ils étaient très proches d’elle et les MIG cubains volaient dans le ciel du nord de la Namibie.
Ce fut un Risquet, éloquent, passionné, maître dans l’art du sarcasme, qui a dominé la rencontre du Caire. « Un document dénué de sérieux et de réalisme tel que celui présenté par le gouvernement RSA est une mauvaise blague », a-t-il dit, en faisant référence à la présentation des revendications sud-africaines. « Le temps des aventures militaires, des agressions impunies, des massacres de réfugiés comme Cassinga en 1978, et d’autres événements similaires contre le peuple frère de l’Angola, ce temps-là est terminé… L’Afrique du Sud doit comprendre qu’elle n’obtiendra pas à cette table ce qu’elle n’a pas pu obtenir sur le champ de bataille… Comme s’il s’agissait d’une armée victorieuse et pas ce qu’elle est réellement, une armée d’agresseurs, battue et contrainte à une retraite discrète, les Sud-Africains demandent dans leur document le nombre exact de troupes cubaines stationnées en Angola et les lieux où elles sont cantonnées. Pour des raisons évidentes, il ne s’agit pas d’une donnée qui doit être fournie unilatéralement à l’autre partie dans tout conflit. » À la fin de la réunion, le chef de la délégation américaine, le secrétaire d’État adjoint pour l’Afrique Chester Crocker, a demandé à avoir une rencontre avec M. Risquet. Crocker croyait qu’une vertu nécessaire pour un diplomate américain était l’arrogance. Il traitait les Angolais avec hauteur. Mais là, il faisait face à un Cubain, un représentant de Fidel Castro, dont les soldats avançaient vers la frontière de la Namibie. Pour les Sud-Africains et les Gringos, la grande question était de savoir si les Cubains s’arrêteraient à la frontière. Pour avoir une réponse à cette question, Crocker est allé voir Risquet. « La question qui nous posons est celle-ci », a-t-il dit, « Cuba a-t-elle l’intention d’arrêter son avancée à la frontière entre la Namibie et l’Angola ? » Risquet a répondu: « Je ne peux pas vous donner cette réponse. Je ne peux pas vous donner ou aux Sud-Africains un calmant … Je ne dirai pas qu’ils ne vont pas s’arrêter ou qu’ils vont s’arrêter … Comprenez-moi bien, je ne menace pas. Si je vous disais qu’ils vont s’arrêter, je vous donnerais un calmant, un tylenol, et je ne veux pas menacer ou vouloir vous donner un analgésique … Ce que j’ai dit, c’est que seuls les accords d’indépendance de la Namibie peuvent fournir des garanties.
Certaines personnes à Cuba ont critiqué Risquet parce qu’il avait parlé trop fort au gringo. Soit dit en passant, il y a des moments où vous devez parler doucement – mais il y en a d’autres où il s’avère que le meilleur médicament est de rester ferme. Risquet sentit avec beaucoup de justesse que tel était le moment, parce que seule la crainte de l’avancée victorieuse des troupes cubaines en Namibie forcerait les États-Unis et l’Afrique du Sud à accepter les demandes légitimes de l’Angola et de Cuba. Et c’était le cas. Quelques semaines plus tard, faisant référence à la réunion du Caire et à ses retrouvailles avec Risquet, Crocker a dit au secrétaire d’État de Ronald Reagan, George Shultz : « Découvrir ce que les Cubains pensent être une forme d’art. Ils sont préparés à la fois à la guerre et à la paix. Nous avons été témoins d’amendes tactiques et d’une réelle créativité à la table des négociations. C’est dans le contexte des fulminations de Castro et de la projection sans précédent de force de son armée sur le terrain.
Quand j’ai interviewé Chester Crocker 20 ans plus tard, les paroles de Risquet faisaient toujours mal. Il a dit que Risquet était un homme très dur. Toutefois, il a reconnu qu’il était le meilleur négociateur auquel il a été confronté au cours de ses huit années en tant que secrétaire d’État adjoint pour l’Afrique. Certes, Risquet exécutait les instructions de Fidel et Raul – mais il faut voir la manière…
Cet homme noble et généreux, dévoué à la Révolution et à ses dirigeants, nous a quittés. Pour Cuba, c’est une grande perte. Et j’ai perdu un professeur et un frère.
La photo de couverture illustre Juan Almeida Bosque, Nelson Mandela et Jorge Risquet en Namibie.
Photo de couverture: Arnaldo Santos / Granma
- Nous revoyons ensemble son livre sur la première expédition cubaine et nous discutons de la traduction…
CUBA EN RESUMEN
Risquet est venu à plusieurs reprises en France lors de Congrès du parti communiste, il parlait très bien le français, le voici avec Georges Marchais.
Corresponsalía en Cuba de Resumen Latinoamericano
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