Cet article décrit des tendances mais n’en dit pas les causes. La première réside dans le fait que les Etats-Unis n’ont plus les moyens ni financiers, ni politiques de leur hégémonie mais la conscience que celle-ci se joue en Asie face à la Chine dont ils tentent de bloquer le développement des forces productives. Comme le disait Marx, un jour l’Atlantique sera l’équivalent de la Méditerranée, un lieu secondaire par rapport à l’affrontement du côté Pacifique. Deuxièmement, cette perte d’hégémonie est celle du pouvoir politique du capital. Donc le pouvoir US, en tant que force politique, appareil d’Etat du capital, ne tient plus les concurrences intercapitalistes. Et sur le modèle des USA, aucun État ne tient ses capitalistes qui jouent leurs propres intérêts, toutes les institutions collectives du capital se désagrègent, c’est le second aspect. Dans un tel contexte, nous assistons également à des luttes entre puissances secondaires, voire minuscules qui multiplient les conflits territoriaux faute de tenir les révoltes des populations face à la pression continuelle et insupportable sur leur vie. C’est le troisième aspect. Macron, dans ce contexte, se conduit avec autant d’arrogance et d’incompétence qu’au plan intérieur, multipliant les interventions contradictoires, vendeur d’armes et faux arbitre (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoire et société).
15/09/2020
Il est facile de traiter Trump comme la cause de la fragmentation occidentale. Mais il est beaucoup plus juste de le considérer comme un simple symptôme.
Par Jeremy Cliffe
8 Septembre 2020
La semaine dernière a été celle d’un rappel d’un sujet qui semblait prêt à éclore en 2020 avant la pandémie : Westlessness. Le terme a été inventé dans le rapport annuel de la Conférence de Munich sur la sécurité. Il faisait référence à la manière dont l’ancienne alliance occidentale, et en particulier l’OTAN, semblait se fragmenter de telle sorte que l’on ne pouvait plus parler de l’« Occident » en tant qu’entité unique. Ce terme fait écho à la description accrocheuse faite par Emmanuel Macron en novembre dernier, avec sa déclaration de « mort cérébrale » de l’OTAN.
Plusieurs événements récents nous rappellent à quel point c’était vrai.
L’une des confrontations géopolitiques les plus significative au monde n’a pas lieu entre l’OTAN et un rival, mais au sein de l’alliance. La Grèce et la Turquie, toutes deux en sont membres, ils sont dans une impasse sur les droits pétroliers et gaziers en Méditerranée orientale; en particulier autour des îles grecques et de la côte de Chypre. Le désaccord s’intensifie depuis des mois, le journal allemand Die Welt affirmant même le 2 septembre que le président turc Recep Tayyip Erdoğan avait ordonné à ses généraux de couler un navire grec (ils auraient refusé).
Ce qui est frappant, ce n’est pas seulement que deux membres de l’OTAN devraient être en si mauvais termes, mais la dureté avec laquelle cela illustre les fissures plus larges de l’alliance. Le 3 septembre, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a annoncé que des pourparlers avaient commencé entre les deux parties, Athènes a aussitôt répondu qu’elle n’avait accepté rien de tel et qu’elle ne négocierait qu’une fois que la Turquie aurait retiré ses navires des eaux contestées. La France se range avec enthousiasme du côté de la Grèce. Les Etats-Unis sont largement absents.
La rivalité Turquie-France se joue également en Libye; après le cessez-le-feu du 21 août, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, a accusé le 4 septembre M. Macron d’être devenu « fou » en réaction aux soutiens apportés par le Français au chef de guerre Khalifa Haftar repoussés par le gouvernement d’accord national soutenu par la Turquie au printemps.
En Méditerranée orientale et en Libye, l’Allemagne a été le « bon » membre de l’OTAN, en organisant le processus de paix dit de Berlin entre les deux parties en Libye et appelant au dialogue entre la Grèce et la Turquie. Mais l’Allemagne est aussi coupable de transgressions contre l’esprit et les objectifs de l’OTAN.
Le 2 septembre, des responsables allemands ont annoncé qu’Alexeï Navalny, le leader de l’opposition russe actuellement dans un hôpital de Berlin, avait été empoisonné par l’agent neurotoxique novichok. S’il y avait un moment pour l’Allemagne d’abandonner son soutien à Nord Stream 2, un gazoduc actuellement en construction entre l’Allemagne et la Russie qui sert les intérêts financiers et géopolitiques du Kremlin et sape les membres de l’OTAN à l’est, ce serait maintenant. Mais le gouvernement allemand continue de soutenir le projet ; affirmant publiquement qu’il n’a rien à voir avec la géopolitique et affirmant en privé que le mix énergétique actuel de l’Allemagne ne laisse pas d’alternative. Ni l’une ni l’autre explication n’est convaincante. Cela va plus loin que le budget (croissant) de la défense allemande qui provoque la colère du président américain qui pense à l’OTAN en termes purement monétaires, c’est une véritable offense de Berlin contre l’alliance.
Et qu’en est-il des États-Unis? Le 1er septembre, l’écrivain Michael Schmidt du New York Times a publié son livre Donald Trump v. Les États-Unis, qui rapporte que l’ancien chef d’état-major de la Maison Blanche John Kelly a dit que l’une des tâches les plus difficiles qu’il a dû faire face à Trump a été d’essayer de l’empêcher de se retirer de l’OTAN. Le 16 août, John Bolton, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de M. Trump, avait laissé entendre au journal espagnol La Razón que M. Trump pourrait annoncer le retrait américain de l’alliance comme une “surprise d’octobre” pour secouer la campagne électorale. Cela semble discutable. Mais il reste tout à fait possible qu’après l’élection, un Trump enhardi et dans second mandat choisisse de retirer son pays de l’OTAN.
Ceux qui pensent qu’une administration Biden, en revanche, convoquerait un nouvel âge d’or de l’OTAN interprètent mal la politique américaine, la politique étrangère et le candidat démocrate. Biden en tant que président serait certainement plus diplomate que son prédécesseur. Il rejoindrait des accords multilatéralistes comme l’accord sur le nucléaire iranien et l’accord de Paris sur le changement climatique. Mais il saurait aussi qu’il doit gouverner une Amérique qui montre moins de tolérance pour les enchevêtrements étrangers, veut qu’elle se préoccupe plus de malheurs intérieurs et qui a un destin qui sera décidé dans le Pacifique plutôt que dans l’Atlantique.
Ceux qui sont prêts à examiner le tableau à long terme pourraient noter que le 31 août a vu le secrétaire d’État adjoint américain Stephen Biegun compare l’émergence du « Quad » de plus en plus important (États-Unis, Japon, Inde, Australie) à la montée de l’OTAN. Il est peu probable que l’OTAN indo-pacifique se développe dans l’Inde d’aujourd’hui. Mais le fait même que de hauts responsables américains établis comme Biegun réfléchissent à des parallèles entre les alliances asiatiques et l’OTAN est une illustration de nouvelles réalités.
La vocation future de l’OTAN, si tant est qu’elle en a une, sera probablement d’adopter des priorités en Europe de l’Est et dans l’espace post-soviétique pour lequel il existe un consensus résiduel entre les États-Unis et les Européens. L’UE, à son tour, devra probablement assumer plus de responsabilités dans son voisinage, en particulier dans la région méditerranéenne. Et l’objectif écrasant des futurs gouvernements américains sera l’équilibre des pouvoirs entre elle et la Chine dans l’Indo-Pacifique.
Il est facile de traiter Trump comme la cause de l’impuissance. Mais il est beaucoup plus vrai de le considérer simplement comme un symptôme de celui-ci.
* Jeremy Cliffe est rédacteur international du New Statesman
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