Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Barry lindon, ni bon , ni méchant! un regard désabusé sur tant de splendeurs

Bon! je viens de voir Barry Lyndon, c’est la troisième fois depuis  sa sortie en 1975.  Je suis toujours dubitative. C’est peut-être le film de Stanley Kubrick qui me convainct le moins. Parce ce qui est évident, ce qui s’impose à nous est  sa splendeur, les tableaux dans lesquels se meuvent les protagonistes: Gainsborough, Hogarth, Chardin, Watteau, La Tour, Le Caravage pour ceux que l’on reconnait au passage parce que familiers. Mais justement… Kubrick a expliqué que pour ce film il avait consulté tous les livres d’art disponibles pour en classer les reproductions et ça se sent. Un peu comme dans Melencholia de Lars von Trier. On aime ce dernier film malgré sa somptuosité et son côté livre d’art. On a la sensation par moment d’une surenchère qui fige le film et il faut dépasser cet habillage d’exigence formelle et de cadrages parfaits pour sentir le traumatisme, les décalages cruels. Et puis surtout l’essentiel, faire question de tout, pas réponse question.

Ce qui me touche dans Barry Lyndon comme dans Melancholia c’est le pessimisme du regard sur tant de splendeur et la manière dont est sauvée la dignité des escrocs, des voyous et dans Melancholia de la malade mentale devenue créativité. J’aime dans Barry Lyndon,  la vitalité de ce diable d’irlandais, la sympathie et le mépris comme ça sans transition parce que l’ascension se heurte aux déterminismes sociaux et que nous savons que l’aristocratie immonde va gagner sur le voyou…  Un arriviste qui accumule une fortune, acquiert une position et qui perd tout parce que les qualités de la conquête sont aussi celles qui entraînent sa perte. Comme l’ascension et la chute de Napoléon qui fascinait tant Kubrick, une histoire romanesque à l’échelle d’un continent avec la mise en scène inimaginable de la Grande armée.  Il aurait voulu tourner sa vie comme une feuilleton de vingt heures pour la télé. Napoléon jeune ce serait Al Pacino, et comme il ne connaissait personne qui ressemblait à Napoléon vieux, il fallait tourner les vingt épisodes assez lentement pour qu’Al Pacino atteignent cinquante ans. Par contre il abandonne Barry Lyndon dans une cour crasseuse d’auberge, amputé d’une jambe, misérable et renonce à suivre sa déchéance se contentant d’affirmer que tout ça s’est passé sous Georges III et que les personnages qu’ils soient puissants ou misérables en sont tous désormais au même niveau. Barry Lyndon n’est ni un héros, ni un méchant et ainsi en est-il de la plupart des gens…

 Kubrick est à la fois sensible, par moment comme dans Shining presque hystérique, en même temps il pense beaucoup… sans jamais faire un cinéma d’intellectuel, il aime le spectaculaire au service de ce qu’il a réellement à dire. Deleuze parlait d’un cinéma cerveau.

“C’est incompréhensible, mais certains ont une bombe à retardement dans leur cerveau. Le sexe, la religion, la politique ou un robinet qui coule peuvent les rendre fous. Personne ne sait quand ils exploseront. Une bonne histoire montre pourquoi et comment ils ont eu recours à la violence et les suit jusqu’à une forme de résolution” (p.348)

Tout à coup s’impose cette référence à un autre cinéaste juif, qui peint la violence mais san l’aimer plus, Samuel Fuller…. Simplement les hommes sont comme ça et la bible elle-même n’est qu’un livre de corruption et de vengeance, une liste incessante de guerre jusqu’au moment où les juifs sont devenus gibier universel et 2000 ans après, Shakespeare ou le bain de sang à l’état pur.  Mais ça donne de belles histoires qu’on a envie de filmer pour voir jusqu’où ils sont capables d’aller. Je continue à lire son autobiographie dont je vous avais déjà parlé.  Mais la citation de Fuller s’est imposée parce que la violence que décrit Kubrick  est dans le cerveau de l’être humain, le film lui-même en devient une bombe à retardement.

Pour le plaisir j’ai encore envie de vous citer Fuller et sa recherche de “vérité” pour vous dire le spectaculaire de la violence au service d’autre chose que l’habituelle duperie, aller au cinéma, écouter la télé pour y entendre ce qu’on attend.

“Si l’on veut être honnête, comment faire un film de gangsters ou un western sans montrer les outils de travail  des protagonistes? Comment faire un film de guerre sans montrer l’absurdité sanglante de la guerre? Comment décrire des gangsters, des cow-boys ou des soldats motivés par nulle autre chose que leur volonté de survivre ? On ne peut pas, à moins d’être John Wayne.

Comprenez-moi bien: personnellement j’adorais Wayne. Mais il est devenu une star parce qu’on a vendu des fables au public qui, malheureusment, rapportent plus que la vérité. Même s’ils étaient très divertissants, ces héros incarnés par Wayne n’existaient tout simplement pas. par exemple, il y a une chose que je déteste dans les films de guerre de Wayne, c’est quand l’officier dit invariablement :”Ces hommes ont donné leur vie pour leur pays”.

Quelle connerie! Ils n’ont pas donné leur vie. On la leur a prise. On la leur a volée.”(p.349)

Pourtant même si l’être humain est pris dans la machine, il a le choix, le chaos dans lequel il se débat n’est pas simplement le fruit du hasard ou de la fatalité, il est un choix humain. Il y a la peur mais on peut toujours l’affronter et même quand il parle d’un Irlandais dans un continent en guerre Kubrick ressent on le sait, il ne s’en est jamais caché, cette peur  qui caractérise peut-être l’appartenance à une minorité traquée comme des insectes nuisibles… Le scénariste Michel Herr a décrit le pessimisme de Kubrick sur l’antisémitisme et le racisme en général et comment la peur était constituitive pour lui de cette appartenance juive. Peut-être que je suis sensible à cela parce que ces derniers temps on m’a poussé à bout, jusque dans mes retranchements et si le cinéma de Lang est celui du moment de la révélation, celui de Kubrick est celui de l’attente de ce moment où tout bascule… Moi je n’ai pas arrêté de faire le même rêve: on vient me chercher pour me conduire au camp de concentration et je n’arrive même pas à m’enfuir d’où sans doute ma fascination pour ce cinéma où tout à coup on prend un plan en pleine gueule, ça y est c’est arrivé…

Peut-être, c’est même certain, que ce qui me révulse dans le sionisme et qui fait que je considère Israël comme une erreur est non seulement l’injustice faite au peuple palestinien mais surtout le fait que cela fait des juifs des gens aussi étriqués, aussi stupides et chauvins que ces fous furieux qui n’ont cessé de s’étriper depuis des siècles et qui ont cru trouver leur salut dans la haine des boucs émissaires. Dans le fond, les juifs avaient toujours été comme ça parce qu’ils sont des humains comme les autres, tout aussi cons que les autres, il suffit de lire la bible, mais pendant 2000 ans on avait fini par croire qu’ils étaient différents. Un peuple sans Etat, sans frontière, sans armée et avec un livre, des dialogues sans fin, la contradiction pour méthode… Le pil poul, l’humour, la contradition, la question qui compte plus que la réponse…

 Barry Lyndon dans sa première partie raconte comment une tendre jeune homme, grugé, dépouillé de son cheval et de son pécule doit s’engager dans une de ces armées qui s’étripe dans tout le continent européen et il déserte pour tenter de vivre autrement que dans les fossés, au milieu des cadavres. Peut-être est-ce à cela qu’il faudrait résumer l’histoire des juifs mais aussi des tziganes en Europe, avoir tenté de déserter cette histoire de fous des nations en guerre les unes contre les autres, essayer d’être différents  au milieu des massacres et des hiérarchies oppressantes jusqu’à devenir pour certains des révolutionnaires apatrides. Les gohims ont passé tant de temps à se haïr les uns et les autres, avec des pointes quand ils tombaient sur les juifs qu’ils ont oublié tout le reste, l’amour de l’art, la sensation mais aussi la compréhension de ce qui se passe autour d’eux. Parfois l’un d’entre eux échappe à cet abrutissement et cela donne un Diderot, un être rare d’équilibre et de bonté. Quelqu’un auprès de qui on peut se reposer, se détendre et relâcher son attention. C’est étrange parce qu’être confrontée à cette terrible résurgence de l’antisémitisme qui prend pretexte des Palestiniens ne me rapproche pas au contraire de ceux qui prétendent se rassembler comme les autres sous un drapeau israélien, c’est même le contraire : ils se ressemblent et ils me donnent tous envie de vomir. Ils ont eux aussi un drapeau, une armée, des fascistes, ils avancent baïonnettes au poing, à cheval sur la bombe qui détruira la planète.  Il y a des moments où j’ai envie de hurler et là tout à coup un plan comme un coup de poing me rassure, l’explosion, les cerveaux comme des bombes de haine et de stupidité ce n’est que du cinéma.

J’ai cru jadis que je pouvais me reposer auprès des communistes, leur faire confiance et fermer les yeux, comme s’ils avaient été Diderot, mais quand les murs sont tombés et que leur univers s’est désagrégé, ils ont ressemblé à tous les misérables d’une  débâcle, peut-être avaient-ils trop de réponses et pas assez de questions. Comme les juifs en Israël aujourd’hui et ce après 2000 ans où ils avaient joué à être autrement… J’ai envie de les fuir parce que ces éclopés continuent à vouloir m’étrangler de leurs certitudes, ils me font la leçon, leur leçon,  chacun d’eux prétend m’enseigner sa vérité, me happe au passage et rapidement vomit sa rancune et sa déception pour tout programme ou vante ses abandons…  Moi au point où j’en suis je n’ai plus envie qu’on me vole ce que je pense, que l’on me classe, j’en suis juste au point d’équilibre entre appartenance et refus de toute position d’autorité… En attendant la rupture et ce qu’il adviendra.

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