Dmitry Suslov Directeur adjoint du Centre d’études européennes et internationales complexes, HSE | 25 juillet 2020 |
https://vz.ru/opinions/2020/7/25/1051623.html
Ce texte n’est pas écrit sans incidence avec les accusations dont la Chine est l’objet de la part des Etats-Unis et de leurs alliés. La Russie se souvient de la manière dont tout a été fait pour la déstabiliser , comment quand elle a voulu enrayer le terrorisme à l’oeuvre dans ses républiques, elle a été accusée de violer les droits de l’homme. Ce n’est pas fini et selon l’auteur de l’article cela risque de s’aggraver avec l’élection de Biden (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)
L’un des sujets les plus discutés de la semaine dernière a été la discussion, provoquée par la phrase imprudente d’ un des professeurs de notre université (1), sur la question de savoir si la prise d’otages au théâtre de Doubrovka à Moscou (2) faisait partie du «mouvement de libération» du peuple tchétchène. Voyons ce qu’il en est.
L’acte terroriste au théâtre de la Doubrovka, commis par un groupe de terroristes tchétchènes en octobre 2002, est l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire de la Russie et du monde au début de ce siècle, au même titre que les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis et la tragédie de Beslan le 1er septembre 2004. Le phénomène du terrorisme, tant national qu’international, se distingue en effet par des objectifs politiques. C’est la politique qui sépare le terrorisme du banditisme. Cependant, considérer l’attaque terroriste de Doubrovka comme un épisode du mouvement de libération nationale est non seulement illicite, mais également inacceptable, à la fois d’un point de vue moral, éthique et historique. Sans parler du côté politique.
Premièrement, une telle explication est une volonté délibérée, sinon de justifier, du moins d’atténuer la culpabilité des terroristes. Il renverse l’aspect moral de la question et dépeint les terroristes comme des espèces de “robins des bois” guidés par des objectifs et des idéaux nobles, tout en recourant à des méthodes inacceptables. En conséquence, la victime d’attaques terroristes apparaît dans le rôle du bourreau, et le bourreau devient la victime.
C’est totalement inacceptable. Le terrorisme moderne, associé à la saisie ou au meurtre d’un grand nombre d’innocents, comme le génocide, est considéré comme un mal absolu dans le monde, qui ne peut être justifié ni atténué. Cette perception se reflète dans des dizaines de documents internationaux, y compris les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies et les conventions internationales, sans parler des centaines de documents nationaux du monde entier.
En ce qui concerne les crimes tels que le terrorisme, le génocide, le nettoyage ethnique, l’esclavage et autres crimes contre l’humanité, le principe «la fin justifie les moyens» ne s’applique pas et l’évaluation morale de leurs actes ne tient pas et ne doit pas prendre en compte leurs motivations politiques – quelles qu’elles soient … Sinon, il sera possible de justifier et de blanchir les organisateurs des attentats du 11 septembre, les atrocités de l ‘«État islamique *» interdit en Russie, et les actes de génocide, à commencer par l’Holocauste, et le nettoyage ethnique pendant les guerres civiles et interétatiques, et ainsi de suite.
Deuxièmement, représenter l’attaque terroriste de Doubrovka dans le cadre de la lutte pour l’indépendance de la Tchétchénie est profondément erroné d’un point de vue historique. À cette époque, seule une petite partie du peuple et des élites tchétchènes était en faveur de l’indépendance. L’essentiel est qu’entre 1996 (les accords de Khasavyurt et le retrait des troupes fédérales russes de Tchétchénie) et 1999 (l’attaque des groupes terroristes de Bassaïev et Khattab sur le Daghestan), les séparatistes tchétchènes ont fusionné et se sont mêlés au terrorisme islamiste international. Les premiersont reçu le financement, le soutien, la littérature, les combattants et même les dirigeants (le Khattab sus-mentionné) du second.
Il est bien connu que de nombreux membres des gangs tchétchènes ont été formés dans les camps d’entraînement d’Al-Qaïda et des Taliban en Afghanistan et dans d’autres endroits contrôlés par des islamistes radicaux et des terroristes.
En conséquence, au moins depuis 1999, la Russie est confrontée en Tchétchénie et dans le Caucase du Nord dans son ensemble non pas tant au séparatisme qu’au terrorisme islamiste international. Avant l’invasion américaine de l’Afghanistan (2001) et de l’Irak (2003), c’était la Russie qui était la cible principale de cette internationale, et sur son territoire était le principal front de la lutte contre le terrorisme international. Et c’est précisément le terrorisme international représenté par des islamistes radicaux, qui s’efforçaient de transformer au moins tout le Caucase du Nord, et idéalement le monde entier, en un califat que la Russie a affronté le soir du 23 octobre à Doubrovka.
Troisièmement, caractériser cet acte terroriste comme une manifestation de la lutte du peuple tchétchène pour l’indépendance (et représenter automatiquement la Russie comme un oppresseur et une “prison des nations”) signifie se ranger complètement du côté de ces détracteurs de notre pays qui l’ont justement accusé du fait que sa politique au Caucase Nord de la fin des années 1990 au début des années 2000 n’était rien de moins que la répression du désir d’indépendance de la Tchétchénie.
Rappelons la privation de la délégation russe à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) du droit de vote en 2000 en raison de “violations des droits de l’homme” lors de l’opération antiterroriste en Tchétchénie, les rapports de Lord Frank Judd, qui était rapporteur de l’APCE sur la Tchétchénie au début des années 2000, la fourniture par la Grande-Bretagne de l’asile politique à des terroristes comme l’ancien «ministre des affaires étrangères» de la soi-disant République tchétchène d’Itchkérie Akhmed Zakayev, la réticence à long terme des États-Unis à inclure les dirigeants des terroristes clandestins du Caucase du Nord dans leurs propres listes de terroristes internationaux, etc.
Tout cela n’était rien d’autre qu’une lutte contre la restauration de la Russie après la chute et le chaos des années 90, contre le renforcement de l’Etat et de la souveraineté étatique, contre le retour de la Russie dans les rangs des grandes puissances. Ensuite, il y avait ceux qui sympathisaient ouvertement avec les terroristes – non pas parce qu’ils étaient conquis par l’idéologie ou les méthodes radicales des islamistes, mais parce qu’ils ne voulaient pas la renaissance d’une Russie forte.
Au fil des ans, le thème de la Tchétchénie est passé à l’arrière-plan de l’agenda des batailles politiques russo-occidentales. Tout d’abord, parce que dans la région elle-même, la stabilité s’est établie, et qu’il n’y a pas l’ombre d’un «mouvement de libération populaire» de masse.
Cependant, la confrontation et la rivalité entre les grandes puissances, la volonté d’affaiblir la Russie et de la ramener dans les années 1990 sont toujours là. Au contraire, elles se sont fortement intensifiées et, aujourd’hui, on ne perçoit pas les prémicesd’une amélioration des relations entre la Russie et les États-Unis et un certain nombre de pays européens.
En cas de victoire de J. Biden aux États-Unis en novembre de cette année, les critiques de la Russie sur les violations des droits de l’homme – sous tous les angles – s’intensifieront fortement. La question de la Tchétchénie se posera probablement également. Alors pourquoi fournir à nos adversaires des raisons et des arguments supplémentaires?
* Une organisation à l’égard de laquelle le tribunal a adopté une décision définitive de liquidation ou d’interdiction d’activités pour les motifs prévus par la loi fédérale sur la lutte contre les activités extrémistes
(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Gassan_Gousse%C3%AFnov
(2) voir la page (très orientée naturellement) de Wikipédia à ce sujet : https://fr.wikipedia.org/wiki/Prise_d%27otages_du_th%C3%A9%C3%A2tre_de_Moscou
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