Je conclus cette série sur le courage face à la montée des affrontements de classe et de la guerre par le Parti Communiste Français, et ma « note d’ambiance » de retour de l’Université d’été. Pour garder courage, il faut des points d’appui, des choses dont on ne doute pas quoiqu’il advienne. Pour moi, il y en a trois majeurs : le premier est la confiance dans la justesse de la théorie communiste, du matérialisme dialectique historique, formulé par Marx, Engels, Lénine et tant d’autres et surtout confirmées par l’histoire dans un nombre désormais très conséquents de situations et de pays. Il faut lire, se former et apprendre cette théorie pour comprendre à quel point chaque jour l’actualité politique nationale et internationale la confirme. Le second point d’appui, c’est la confiance dans le peuple, dans sa créativité pour surmonter les obstacles et dans sa capacité à triompher. Dans le mouvement du peuple qui accomplit l’histoire dans toutes ses contradictions, il n’y a ni véritable échec, ni pure répétition. Il n’y a que recherche de la solution, et comme le fleuve trouve toujours la mer, le peuple, même s’il doit passer par de longs détours, trouve toujours la solution des problèmes historiques. Pas par magie, mais parce qu’il contient l’intelligence sociale et qu’il est dans la confrontation permanente de cette intelligence et de cette créativité avec la réalité. Le troisième point d’appui dans les circonstances du capitalisme finissant, ce sont les partis communistes, et en particulier, pour la France, le PCF. L’apprentissage théorique et pratique du marxisme ; il n’y a pas de meilleur lieu pour le faire que dans l’action et dans la discussion avec les communistes eux-mêmes, c’est à dire au sein du parti. Là non plus, ce n’est pas de la magie, c’est que les communistes rassemblent le lien avec le peuple (même s’il peut sembler aujourd’hui distendu par rapport à ce qu’il a pu être) et la réflexion théorique (même remarque, quelles que soient les limites dans la situation actuelle). Et la confiance n’exclue pas la critique, au contraire, elle s’y développe. Quelle confiance accorder à quelqu’un qui ne vous dit jamais rien, vous laisse avancer sans rien questionner et finalement, cache son opinion derrière des convenances ? C’est l’esprit qu’a établi Maurice Thorez au sein du PCF, lorsqu’il a lancé sa campagne « Que les bouches s’ouvrent » et qu’il relayait vertement par une rubrique spéciale dans l’Humanité les lettres des communistes dénonçant les insuffisances de cadres du parti qui étaient cités nommément. « Il faut critiquer les directions et ne pas craindre, ainsi que l’a indiqué le comité de la région parisienne, de changer les directions qui n’acceptent pas la critique ou qui ne changent pas leur pratique » (l’Humanité, 23 septembre 1931) (Note de Franck Marsal pour Histoire&Société)
Je suis sur le retour après 3 jours de débats à Montpellier, marqués pour moi par la préparation et l’animation du débat autour de notre livre collectif « Quand la France s’éveillera à la Chine ». Ce débat a eu lieu ce dimanche matin, dans une salle archicomble et une qualité d’écoute et d’échanges remarquable. De nombreux camarades n’ont pu entrer dans la salle et se sont reportés sur d’autres sujets proposés en même temps. Ce débat et les réflexions que notre travail apporte étaient donc attendus. La vente de livres qui s’en est suivie a épuisé le stock disponible (et se poursuivra en ligne par une nouvelle série de commande auprès de l’éditeur), tant ceux qui avait été transmis à la librairie par la fédération de l’Hérault que les exemplaires que j’avais avec moi. On me pardonnera j’espère cette coquetterie, c’était un vrai plaisir de voir tout ces camarades finissant l’Université d’été avec notre ouvrage sous le bras.
L’énergie, tout en simplicité et bonne camaraderie, de la fédération de l’Hérault a créé, comme l’an passé, un formidable moment collectif pour le parti. Bravo et merci aux camarades ainsi qu’à tous ceux qui ont oeuvré pour l’organisation de cet événement. Merci également à ceux qui ont argumenté et oeuvré pour l’acceptation et le bon déroulement de l’atelier que nous avions proposé. Tout indique que cela n’a pas été facile.
L’Université d’été n’est pas représentative du parti, de nombreux camarades ne peuvent pas venir, la capacité d’accueil est limitée et les frais financiers sont un obstacle pour certains camarades lorsqu’il n’existe pas de prise en charge collective. Cependant, on en retire des perceptions, et c’est ce que je peux partager avec vous.
Ma première perception, c’est la richesse, l’engagement, le professionnalisme et la conscience de la jeunesse qui monte dans ce parti et apporte sa pierre, avec un regard nouveau et une profonde exigence de qualité, de cohérence et d’une évolution d’un certain nombre de manières de faire. Les lecteurs attentifs se souviennent peut-être qu’il y a deux ans, lors de la préparation du 39ème congrès, 168 jeunes militantes et militants communistes avaient soumis une contribution très importante, soulevant « six chantiers pour l’orientation révolutionnaire du PCF ». Cette jeunesse fait son chemin, elle n’a rien perdu de son énergie ni de la pertinence de son questionnement. Elle apporte dans les échanges mais aussi dans les quelques débats qui lui ont été confiés un indéniable renouvellement et une conscience de la réalité sociale et sociologique de notre pays dont le parti aurait tort de sous-estimer l’importance. Il faut penser avec probablement davantage de clarté les conditions dans lesquelles nous pouvons accompagner cette génération vers la prise progressive des responsabilités et comment le parti peut se saisir au mieux de ce que cette génération apporte déjà, entre autres dans les méthodes de travail et d’action.
J’ai assisté personnellement à deux débats animés par de jeunes camarades, celui de Maëva Durand, sociologue, militante et élue communiste à Vitry-sur-Seine sur l’analyse de l’évolution du vote féminin pour l’extrême droite et celui animé par Estéban Evrard sur la transformation de l’industrie automobile.
L’intervention de Maëva Durand nous invite à une réflexion profonde sur la sociologie des comportements politiques et sur l’importance que peut acquérir l’action des partis lorsqu’elle touche les noeuds, les points sensibles autour desquels ces comportements peuvent évoluer. A mon sens, cela rejoint en partie ce que Marx a posé d’une manière générale en expliquant que « La théorie se change en force matérielle dès qu’elle saisit les masses. La théorie est capable de saisir les masses, dès qu’elle argumente ad hominem, et elle argumente ad hominem dès qu’elle devient radicale. Être radical, c’est saisir les choses à la racine, mais la racine, pour l’homme, c’est l’homme lui-même. »
Cette phrase est souvent citée, mais le nœud du raisonnement, l’argumentation « ad hominem » est souvent occulté. Argumenter « ad hominem », c’est exploiter l’incohérence du raisonnement adverse, c’est retourner contre l’adversaire son propre raisonnement. C’est donc retourner contre la classe dominante son propre raisonnement, exploiter les incohérences de l’idéologie dominante pour la retourner. Il ne suffit donc pas de dénoncer, il faut saisir le nœud et renverser dialectiquement l’argumentation. La situation est rendue complexe par la diversité des discours parallèles, adressés par la classe dominante à chaque couche de la population, pour maintenir sa domination dans un contexte où elle est très minoritaire. Pour faire face à la division qui en résulte, connaître en profondeur les stratégies, les distinctions sociologiques selon lesquelles elles opèrent et les articulations spécifiques de chaque discours. Appliquée à la question des comportements politiques des femmes dans le contexte actuel et à la question des succès obtenus par l’extrême droite particulièrement en France, cette réflexion débouche sur une large série de questions et de perspectives pour l’action (le riche débat avec la salle l’a confirmé s’il était besoin). Maëva Durand a montré en particulier comment le travail idéologique de l’appareil politique d’extrême droite a lui même exploité les incohérences du discours dominant, tel qu’il fut notamment porté par la « gauche ». C’est un aspect crucial de la question du positionnement politique du PCF qui fut alors soulevé : l’unité d’action est à rechercher, mais l’unité d’action ne saurait être blanc seing à un discours petit bourgeois, dont l’argumentation fragile et pleine de contradiction constitue une cible facile pour l’extrême droite. Comme nous l’avons mentionné, la critique est nécessaire, non pas pour aboutir à diviser, mais pour parvenir à une unité plus solide et plus large. En redonnant toute sa place à la sociologie, dans notre travail et la préparation de nos campagnes militantes, ce débat nous porte plus largement à travailler dans la perspective d’une amélioration significative dans l’efficacité de notre action.
L’intervention d’Estéban Evrard a abordé, à travers l’exemple de l’industrie automobile, les questions à la fois cruciales et concrètes de l’indispensable réindustrialisation de notre pays. Là encore, la démarche scientifique, cette fois dans le champ de l’économie industrielle, est la clé d’une compréhension améliorée des enjeux et des tâches. Estéban a analysé en profondeur les évolutions des techniques de production dans l’industrie automobile et déployé avec une grande pédagogie des concepts importants d’économie industrielle. J’ai abondamment cité, dans mon propre atelier, les travaux d’Estéban Evrard car les liens sont nombreux avec l’analyse générale que nous portons dans notre livre sur l’émergence de la Chine en tant que centre industriel mondial de nouvelle génération, capable de produire selon des techniques avancées des marchandises sur une échelle qualitativement supérieure (et capable d’alimenter le développement au niveau mondial, ce qui est proprement historique). Le système de production de nouvelle génération créé par la Chine dans la production automobile a été planifié pas plus tard qu’au début des années 1990. Il donne à la Chine aujourd’hui une avance considérable. Ce système rend obsolètes les organisations préexistantes et la France doit donc envisager d’apprendre de la Chine, deux choses : d’abord, un certain nombre de savoir-faire critiques, dans le cadre de partenariats gagnant-gagnant, ensuite, la manière de réorganiser les rapports sociaux pour se donner les moyens réels de la réindustrialisation. Cet atelier confirme de manière éclatante la thèse que nous portons, à savoir que l’avenir et la modernisation de la France passe par le développement du partenariat avec la Chine et les BRICS, par ailleurs la seule alternative au pillage consentant de l’UE, organisé par Trump pour sauver l’impérialisme des USA. Par des exemples particulièrement précis et frappants, Estéban Evrard a montré l’urgence de cette voie pour sauver l’industrie française (compte tenu du poids systémique de l’automobile) et l’ampleur de la crise historique qui menace aujourd’hui à court terme notre pays.
Les interventions sur l’organisation du travail dans le parti, menées par Benoît Roger suscite toujours un vif enthousiasme. Dans l’atelier auquel j’ai assisté, il était question des campagnes et de la pratique militante qui permet elle aussi de construire le collectif comme outil de transformation. Encore une fois, la rigueur dans la démarche militante était au cœur du propos. Je me permets d’ajouter la remarque que j’ai formulée dans le débat, à savoir que dans la préparation notamment des élections municipales, puisqu’il était beaucoup question de cela, le parti doit garder en tête que ce qui détermine le vote peut être très différent de la question précise qui est posée, à savoir le programme électoral et la compétence de l’instance élue. L’idéal est même d’arriver à l’élection avec la conscience claire, de la part d’une partie la plus importante possible de l’électorat, que le parti communiste est celui qui organise le mieux la défense collective de l’intérêt de classe, et que donc, quelles que soient les circonstances, on votera pour lui. L’actualité politique du jour, avec la censure probable du gouvernement Bayrou dès le début septembre confirme ce point de vue : il va se passer beaucoup de choses d’ici septembre, dans une séquence largement imprévisible. Si les élections municipales ont effectivement lieu en mars, il faut s’attendre à ce que les électeurs aient en tête la situation politique nationale dans ces développements imprévus et leur recherche d’une issue à la crise au moment de mettre le bulletin dans l’urne. La capacité du parti à se saisir dans des campagnes militantes dûment organisées, nationalement centralisées, et correctement argumentées de la situation politique et de la perception dynamique de la classe ouvrière de cette situation sera cruciale.
L’atelier animé par le secrétaire national Fabien Roussel était à ce titre tout à fait éclairant. Autour de son livre « le parti-pris du travail », il s’est déroulé dans le grand amphithéâtre et il a suscité non seulement une large participation mais surtout une foule de questions et un débat très intéressant. Dans la diversité sociologique du public de l’Université d’été, s’est présentée ici une sélection particulière. En tous cas, c’est ce qui ressortait des questions, beaucoup tournant autour du comment, comment intervenir en tant que communiste dans la situation concrète locale, aller au contact des travailleurs pour recréer le lien entre le parti et la classe ouvrière. La quasi-totalité des interventions étaient basées sur des expériences concrètes. Les militants les plus avancés dans ce travail de reconstruction du lien entre la classe ouvrière et le PCF ont bien compris l’enjeu du livre de Fabien Roussel et ils se sont saisis de l’opportunité pour approfondir la questions, faire part des tentatives, des résultats et des questions que cela soulève. Le secrétaire national a livré une série de remarques en réponse à ces questions qui me semble du plus grand intérêt, appelant notamment les communistes à travailler leur posture pour répondre aux attentes des travailleurs, à commencer par écouter, à laisser de côté les généralités, et y compris, les tracts nationaux, pour entendre les spécificités et produire un matériel adapté aux questions que soulèvent chaque collectif de travailleurs en fonction de la réalité à laquelle il se confronte. Dans l’effervescence politique actuelle de la France et dans la crise que le monde ouvrier va devoir traverser du fait de la lâcheté des dirigeants bourgeois de la France face à l’UE et aux USA, le développement de ce travail au sein du parti me semble le plus important et la véritable clé de toutes les questions. Personne ne sait s’il va réellement se passer quelque chose le 10 septembre ou si cela fera pschitt. Le fait que Bayrou ait la trouille n’est pas un indicateur pertinent. Ce que l’on sait et que l’on observe, c’est la mise en marche du mouvement syndical dans un nouveau cycle d’action pour faire face à la crise et aux mesures destructives que la bourgeoisie française entend prendre. Ce que l’on observe aussi, c’est la montée des préparatifs d’une offensive répressive dans laquelle le recours à l’extrême droite est sérieusement envisagé. Marine Le Pen l’a très bien compris et fait monter les enchères en demandant une dissolution anticipée de l’assemblée nationale.
Pour conclure et sans faire un compte rendu exhaustif des différents moments (il ne le serait pas, puisque les ateliers sont organisés par blocs de 6 sujets simultanés, on en rate 5 chaque fois qu’on choisit d’assister à un), la base du parti est au travail, la jeunesse du parti apporte une contribution d’une grande pertinence. Notre parti se frotte tous les jours à la réalité sociale et à son évolution et il est en intense réflexion quant aux réponses qu’il apporte et à l’organisation dont il se dote pour que ces réponses prennent racines et agissent sur la société.
Dans ce processus, nous sommes nous-mêmes travaillés par les contradictions sociales dans lesquelles nous sommes plongés et c’est pourquoi l’intensité des débats, l’implication des camarades dans le travail réflexif et auto-critique est intense. Déjà, ce processus bouscule un certain nombre de cadres habituels de notre fonctionnement. L’issue d’un tel processus doit se traduire dans l’évolution collective de nos pratiques, sur la base de l’expérience partagée et de la réalité, avant de pouvoir s’analyser et se conclure dans un congrès qui est lointain, à l’égard du rythme rapide d’évolution de la situation.
Le fonctionnement actuel du parti s’appuie beaucoup sur des « commissions » thématiques. Celles ci sont composées et agissent en toute « liberté » ce qui tend à les éloigner de l’application des décisions collectives pour devenir des outils dans lesquels ceux qui les dirigent peuvent parfois prioriser leurs idées personnelles et même de temps à autre, leurs réseaux d’amis. Cela peut créer des divisions artificielles dans le parti et détourner une partie de l’énergie de l’action militante de terrain. Et une « synthèse » de papier, lorsque chacun à « son » paragraphe ou « ses » formules dans telle ou telle résolution, ne forme pas l’unité d’action pratique actuellement indispensable. On en revient notamment à la nécessité d’unifier le travail pratique du parti, autour de campagnes centrales menées et impulsées dans la durée, déclinées sur le terrain par les sections avec l’intelligence de la situation locale et actualisées sur un rythme rapide pour suivre l’actualité. Si les cellules sont primordiales, l’unité de l’organisme et l’alimentation centralisée de ces cellules par une analyse d’ensemble et un rythme d’action commun l’est tout autant, pour qu’elles soient non pas des corps séparés, mais la base d’un collectif.
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