Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La Chine, les Brics et la voie alternative pour la France, mon intervention à l’Université d’été du PCF, par Franck Marsal

Texte de la conférence de Franck Marsal à l’université d’été autour de notre livre de plus en plus collectif : quand la France s’éveillera à la Chine… La longue marche vers un monde multipolaire…

Remerciements :

Merci à tous d’abord d’être là pour cet échange. Je voudrais remercier toute l’équipe qui a organisé et préparé cette université et qui est encore à pied d’œuvre pour régler le déroulement quotidien de nos échanges. Je remercie mon parti, le Parti Communiste Français. Les idées n’appartiennent à personne, elles sont toujours le résultat d’une accumulation collective et les idées de transformation sociale et politique ne font sens que lorsque l’on les met à l’épreuve d’une pratique militante. Je remercie Danielle Bleitrach, Jean Jullien et Marianne Dunlop, avec qui nous avons écrit cet ouvrage collectif en nous complétant les uns les autres et je remercie particulièrement Fabien Roussel qui a accepté d’en écrire la préface. Comme le dit Fabien, nous avons voulu « ouvrir un espace de liberté », « en contrepoint à bien des idées et réflexions qui circulent [sur la Chine] et que parfois nous faisons nôtre à force de les entendre sans les interroger réellement » pour plutôt « entendre ce que la Chine a à nous dire et réfléchir ensemble à l’alternative à laquelle elle nous invite ».

Introduction : Les changements dans la structure du monde deviennent visibles, mais ils sont préparés par des changements profonds depuis longtemps. (diapo 3)

La semaine dernière, le président de la fédération de Russie a été reçu avec les plus grands honneurs possibles par le président des USA, sur le sol de ce pays, alors que les dirigeants des alliés historiques (France, GB, Allemagne) sont désormais traités à la Maison Blanche comme des enfants. Il y a seulement quelques mois, cela aurait été impensable. On pourrait voir cela comme de simples questions de personnes. Mais Marx nous a enseigné que l’histoire est modelée par des forces sociales qui déterminent les conditions dans lesquelles les hommes agissent.

Pourquoi ce qui était impensable est devenu réalité ? Pourquoi la Russie a-t-elle résisté à la politique de Biden, aux tentatives d’isolement diplomatique et économique ? Pourquoi la soi-disant Union Européenne s’est-elle à ce point affaiblie ? Ces questions révèlent des mouvements profonds à l’œuvre depuis plusieurs décennies, au centre desquels nous allons trouver les BRICS, le « Sud global » et la Chine.

1. Les changements des rapports internationaux découlent de l’émergence des BRICS, du « Sud global » et de la Chine

1.2. Les rapports internationaux ont changé :

Depuis plusieurs décennies, quelques pays impérialistes, rassemblés autour des USA (le G7) s’auto-proclamait « la communauté internationale ». Il donnait le tempo de l’idéologie dominante mondiale et avait le droit exclusif de décider qui était un « bon pays » et quel pays devait être sanctionné, bombardé, voire détruit.

C’est sur cette base que Joe Biden, et l’ensemble des dirigeants du G7 ont mis à l’isolement forcé la Russie, ce qui devait mener à son effondrement économique, à son échec militaire et à sa capitulation politique avec le départ inéluctable de son président Vladimir Poutine.

Rien de tout cela n’a eu lieu.

Encore récemment, Trump a menacé l’Inde de sanctions si elle continuait à acheter du pétrole russe. Nouvel échec.

L’occident ne maîtrise plus le commerce mondial : (diapo 5)

D’autres organisations ont vu le jour et se développent :

Les BRIC / S / + (diapo 6) : 4 pays au départ. 1er sommet en 2009 à Ekaterinbourg en Russie.

Aujourd’hui : 10 membres BRICS+ ; auxquels s’ajoutent 9 membres partenaires, 1 adhésion non finalisée (Arabie Saoudite) et 7 demandes répertoriées. (voir graphiques)

Phrase clé : Lors du sommet des BRICS à Kazan en Russie en octobre 2024, Zelenski s’indigne de la présence d’Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU. Celui-ci lui répond très simplement : « Je ne peux pas refuser de participer à un sommet où plus de la moitié de l’humanité est représentée ». (diapo 7)

Pourquoi cela change-t-il les rapports mondiaux ? Parce que la problématique majoritaire dans le monde est la question du développement, et que le développement nécessite des investissements adéquats, l’accès aux financements, aux compétences et aux outils, machines, usines, marchandises nécessaires.

Deux projets majeurs ont porté de nouvelles réponses à ces questions : les Nouvelles Routes de la Soie (cadre financier d’aide au développement porté par la Chine de manière souveraine) et Nouvelle Banque de Développement (institution multilatérale de financement portée par les BRICS).

  • La BRI (Belt and Road Initiative), c’est : 150 pays concernés, 1000 millliards de $ d’engagements financiers.
  • La NBD n’a pas les mêmes moyens (les parts de la NBD sont réparties à égalité entre les 5 membres fondateurs, tous n’ont pas les moyens de la Chine) : 33 milliards d’encours de prêts approuvés en 2023, mais monte en puissance et la BRI ralentit en parallèle.

L’ensemble offre une réelle alternative aux pays en développement à la recherche de prêts et d’investissements. Ces initiatives (contrairement au FMI et aux financiers occidentaux) ne posent pas de condition politique (type : réduction des politiques publiques) et la Chine apporte une aide technique et des produits / outils à des tarifs bien plus intéressant que l’occident.

Les BRICS sont un bloc de pays qui aspirent à créer ensemble les conditions du développement, tout en s’émancipant de la domination politique et commerciale des USA et de l’occident. Le moteur de cette dynamique, c’est le développement considérable de l’économie et de l’industrie chinoise depuis 70 ans.

1.2. Le moteur économique et industriel de ce changement fondamental est la Chine et son développement depuis 70 ans.

Trois données pour montrer l’ampleur de ce développement :

a) D’abord la production mondiale d’acier (diapo 8) La Chine a égalé en 30 ans la production d’acier du reste du monde. Cette production est essentiellement transformée en Chine, dans des industries majeures (bâtiment, automobile, ferroviaire, chantiers navals, armement …).

b) Le commerce mondial : En 1980, à l’exception de la Mongolie, tous les pays du monde avaient comme principal partenaire commercial les USA. En 2018, il en reste moins de vingt. Les autres ont pour premier partenaire la Chine. (diapo 5)

c) La science et la technologie : « Avec 1,1 milliard d’internautes (source : 50ème rapport statistique CNNIC août 2023), la Chine dépasse l’UE (393 millions source : INSEE) et les USA (311 milllions source : DataReportal : Global Digital Insight 2023) réunis. La Chine a émis 1 (1,043) million de publications scientifiques en 2023, contre 714 412 pour les USA (en 2005, les USA en produisaient 497 846 et la Chine 162 264, environ 3 fois moins). (diapo 9)

1.3. Cette transformation est conforme à la théorie de l’histoire de Marx et il l’avait pressentie et annoncée

Rappelons les lois générales du développement et de l’histoire telles que formulées par Marx : le matérialisme historique, la théorie scientifique de l’histoire établie par Marx.

L’humanité produit en société, et en pensant collectivement et socialement, ses conditions de vie et de reproduction et c’est à partir de cette production matérielle et de sa répartition que s’organise la société en classes opposées. Cette production matérielle et cette organisation en classe, les contradictions qui en résultent, déterminent la production intellectuelle, culturelle et sociale, les représentations et les positions. Lorsque les rapports sociaux, et notamment les rapports de propriété ne correspondent plus au développement économique des forces productives, la société entre en crise et seul l’avènement d’une société supérieure permet de reprendre la marche en avant du développement.

Mais à l’inverse, comme le souligne Marx dans la Critique du Programme de Gotha en 1874 « le droit ne peut jamais être plus élevé que l’état économique de la société et le degré de civilisation qui y correspond. » . Les rapports mondiaux ne peuvent changer que lorsque l’état économique et le degré de civilisation ont franchi certains seuils.

Le capitalisme naît dans l’Europe arriérée et divisée du Moyen Âge. A partir de 1492, la découverte de l’Amérique lui donne son élan en accélérant l’accumulation primitive du capital. Cette découverte place l’Europe au centre du commerce mondial, en position dominante pour l’accumulation des richesses. Le capitalisme naît guerrier, « conquistador » et colonisateur.

Mais le capitalisme ne peut exister sans révolutionner en permanence les moyens techniques de la production et avec eux, l’ensemble des structures sociales, le commerce mondial et les rapports internationaux. Entretenant une relation dialectique permanente entre centre et périphérie (Samir Amin), le capitalisme se développe en créant sans cesse de nouveaux centres industriels, toujours plus larges et de nouvelles routes commerciales. Il élargit sans cesse son espace de domination, révolutionnant les techniques de production pour accumuler toujours plus de capital, approfondir l’exploitation et élargir sa domination.

Nous rappelons dans le livre la phrase écrite par Marx en 1850 dans la Neue Reinische Zeitung (2 février 1850): (diapo 10)« Nous en venons maintenant à l’Amérique, où est survenu un événement plus important que la révolution de février [1848], la découverte des mines d’or californiennes. Dix-huit mois après l’événement, on peut déjà prévoir qu’elle aura des résultats plus considérables que la découverte de l’Amérique elle-même. (…) »

« Le centre de gravité du commerce mondial était l’Italie au Moyen Âge, l’Angleterre à l’ère moderne, c’est maintenant la partie méridionale de la péninsule nord-américaine. »

Mais Marx pressent aussi que ce mouvement n’est pas terminé et que les bouleversements produits par l’extension du capitalisme vont produire en Asie des conséquences déterminantes :

(diapo 11)

« Il est bien possible que le socialisme chinois ressemble à l’européen comme la philosophie chinoise à l’hégélianisme. Quoi qu’il en soit, on ne peut que se réjouir que l’empire le plus ancien et le plus solide du monde ait été entraîné en 8 ans, par les balles de coton des bourgeois anglais, au seuil d’un bouleversement social qui doit avoir, en tous cas, les conséquences les plus importantes pour la civilisation

K. Marx, Nouvelle Gazette Rhénane, 1850

Marx pressent ici les 20ème et (?) 21ème siècles : le développement du capitalisme en dissolvant les empires les plus solides en quelques années, est porteur d’accélérations révolutionnaires prodigieuses qui surprendront les capitalistes eux-mêmes.

Il faut pour les comprendre revenir sur les mécanismes historiques et géographiques à l’ère capitaliste et dans la transition vers le socialisme.

2. De l’impérialisme « stade suprême » à sa décomposition dans l’émergence du socialisme (diapo 12)

2.1 Le stade impérialiste colonialiste et néo-colonialisme

Le capitalisme constitue des empires coloniaux, qui se répartissent le monde colonisé comme base de leur développement et de leur domination.

L’impérialisme, comme stade du capitalisme n’est pas simplement la domination politique d’un pays sur un autre, c’est le régime de domination qui permet l’appropriation de la plus-value par le centre capitaliste au détriment de la périphérie.

Comme le note Lenine dans « l’impérialisme, stade suprême du capitalisme », avec le développement de l’accumulation du capital, la concurrence libre fait place aux cartels, aux monopoles. Les puissances capitalistes se muent en pays rentiers. Il cite l’Angleterre où «Le revenu des rentiers est cinq fois plus élevé que celui qui provient du commerce extérieur, et cela dans le pays le plus « commerçant » du monde ! Telle est l’essence de l’impérialisme et du parasitisme impérialiste. » (diapo 13)

Le monde est partagé entre une poignée de pays impérialistes qui exploitent la rente coloniale, sous forme capitaliste et pré-capitaliste. (diapo 14)

Rapidement, la colonisation fait place à l’affrontement entre puissance impérialistes pour dominer le système mondial. C’est la 1ère guerre mondiale.

Lenine conclut plus tard « L’impérialisme est le prélude de la révolution sociale du prolétariat. Cela s’est confirmé, depuis 1917, à l’échelle mondiale. » 

De la 1ère guerre mondiale naît la révolution russe, 1ère révolution prolétarienne parvenant à établir un état socialiste stable et de taille conséquente, qui va accomplir une première transformation des rapports mondiaux.

2.2. L’URSS crée de nouvelles bases pour la transformation sociale au niveau mondial

(diapo 15) L’Union Soviétique, fondée par Lénine en 1922 a été le facteur majeur de transformation des rapports mondiaux au 20ème siècle. Elle a accompli les tâches suivantes :

  1. Mettre fin à la 1ère guerre mondiale en transformant cette guerre en révolution sociale (en Russie, puis dans les empires centraux).
  2. Construire dans le monde entier des partis communistes avec des tâches révolutionnaires nouvelles.
  3. Se développer comme état socialiste et développer les forces productives.
  4. Vaincre le fascisme et le nazisme en Europe et en Asie.
  5. Contribuer de manière décisive à la liquidation du colonialisme et soutenir la constitution de nouveaux états socialistes.
  6. Maintenir la paix et le progrès social en constituant un contre-pouvoir des forces impérialistes dominantes.

L’URSS n’a pas permis l’étape d’un socialisme dominant à l’échelle de la planète, elle a mis en place des conditions concrètes complètement nouvelles et meilleures aujourd’hui pour réaliser cette tâche. Comme nous le soulignons dans le livre : « La Chine est aussi l’héritière de l’URSS ». Nous pourrions ajouter, la France modernisée en 1945 – 1946 aussi.

Précision importante : L’URSS ni la Chine populaire ne sont des états impérialistes. Elles ont un rôle mondial, une influence très importante, mais elles n’exploitent pas de colonies, elles ne vivent pas de la rente impérialiste. Leurs échanges avec de nombreux pays sont souvent déficitaires et elles appuient leur développement.

Elles ne peuvent d’ailleurs pas l’être : au moment de leur (URSS et Chine populaire) développement, les rapports coloniaux sont déjà dépassés, le monde entièrement partagé et les peuples colonisés en ébullition et au seuil de leur émancipation. L’URSS, comme la Chine, sont contraintes de secouer elle-mêmes le joug impérialiste et elles montrent donc le chemin de l’émancipation, non celui de l’acceptation de la domination.

L’URSS se construit à l’époque de l’acquisition de l’indépendance politique des pays dominés. La Chine populaire actuelle se construit à l’époque de l’indépendance économique, dans le cadre de nouveaux rapports mondiaux, c’est-à-dire au stade de l’accès de tous les pays au développement économique et industriel.

C’est tout le sens de l’invite de la Chine, que nous reproduisons dans l’introduction : (diapo 16)

« Nous sommes un très vieux pays, nous avons tenté bien des expériences et nous savons ce qui est bon pour nous : le socialisme à la chinoise. Nous sommes prêts à vous expliquer ce choix sans vous demander de l’adopter. Mais sachez qu’il nous contraint à penser ce qui est bon pour nous en relation avec le bien de tous, ce destin commun. Notre rajeunissement nécessaire en dépend, c’est notre rêve d’avenir, très concret, celui que nous planifions sur cinq, dix, cinquante ans. « 

2.3. Le verrou « néo-colonialiste » et « néo-impérialiste »

Dans les années 50 et 60, il y a construction concomitante du système socialiste, dans ce qu’on appelle alors « l’est » qui s’étend vers le sud et reconstruction d’un nouveau système impérialiste (l’ouest) autour d’un nouveau centre industriel, financier et militaire les USA, dominant à la fois l’Europe occidentale et le Japon.

Cette reconstruction s’accompagne d’une nouvelle génération de systèmes productifs, nouvelle énergie (le pétrole), nouvelle chimie (le plastique), nouvelles technologies, nouveaux modes de vie et de communication (automobile, radio, cinéma puis télévision, téléphone, péri-urbanisation, …).

Dans les années soixante et soixante-dix, le système impérialiste est en crise : baisse du taux de profit (selon la loi de Marx), révolution cubaine, défaite du Vietnam, montée des revendications démocratiques et émancipatrices. Il va réagir en s’adaptant, en contre-attaquant et en établissement un nouveau mode de domination mondiale, basée notamment sur le contrôle des flux financiers, la dérégulation économique, l’accroissement de la population mondiale et l’énorme besoin de développement et d’investissement qui en résulte.

Ce système va exploiter la mise en concurrence des travailleurs sur une échelle jamais atteinte jusqu’alors, combinée à une puissante offensive idéologique anti-communiste et au déploiement de guerres massives, menant à la destruction de pays entiers en tant qu’état (Yougoslavie, Irak, Libye, Syrie, Ukraine, …) comme moyen ultime de freiner le développement et l’émancipation et d’élargir la sphère de domination du capitalisme et de son centre impérialiste. Ces guerres justifient le développement du complexe militaro-industriel états-unien à un niveau inouï, financé par l’augmentation de la rente impérialiste.

Aujourd’hui, le G7, centre impérialiste dominant etats-unien et ses vassaux, Europe et Japon représente moins de 10 % de la population mondiale mais ses bourgeoisies détiennent entre 60 et 70 % des capitaux productifs mondiaux, dont ils exploitent la rente et avec lequel, jusqu’à ces dernières années, ils pouvaient contrôler le développement mondial des forces productives à leur profit.

3. Comment la Chine a brisé le plafond de verre du développement (diapo 17)

3.1. Les conditions du développement de la Chine (p.162 à 240)

La Chine doit franchir un saut qualitatif de développement supérieur par rapport à ce qu’a réalisé l’URSS. Elle doit en particulier nourrir une population qui va dépasser rapidement le milliard d’individus.

La période 1950 – 1978 n’est pas une période de stagnation, mais au contraire d’intense développement. L’idée, souvent colportée, que le développement de la Chine aurait commencé avec son ouverture au capitalisme est invalidée par les faits.

Illustrons-le par quelques statistiques : (diapo 18)


Rapport Chine / Inde 1950Rapport Chine / Inde 1970
Houille193%458 %
Pétrole128 %450 %
Electricité122 %198 %
Acier67 %191 %
Minerai de fer110 %296 %

Le nombre d’écoliers et d’étudiants chinois est multiplié par 3,7 entre 1952 et 1980. Le nombre de techniciens et de scientifiques est multiplié par 10. Le développement de la Chine entre 1950 et 1980 est rapide et conséquent. Mais la croissance simultanée de la population (x2 dans la même période) fait que ce développement se traduit peu dans l’amélioration importante du niveau de vie. (p 170).(diapo 19)

« En 1978, la constitution du capital brut dans l’industrie est déjà 13 fois plus élevée qu’en 1952, mais la consommation ménagère globale n’a encore été multipliée que par 3. Entre 1950 et 1978, la population passe de 550 à 962 millions d’individus. La richesse produite doit être répartie entre bien plus de gens. » Peter Franssen

Qu’est ce que le socialisme dans une telle situation ?

« La société socialiste constitue la première phase du communisme ; la période historique qu’elle représente peut durer très longtemps. Sa tâche primordiale est de développer les forces productives pour élever graduellement le niveau de vie matérielle et culturelle du peuple. L’expérience faite entre 1958 et 1979 nous apprend que la pauvreté, ce n’est pas du socialisme : ce système veut au contraire la faire disparaître. » Deng Xiaoping, 1985 (diapo 20)

Dans un article au Quotidien du Peuple, Li Junru écrira en 2017 (diapo 21): « ( …) la connotation du stade primaire du socialisme est le socialisme sous-développé. La raison de cette situation réside dans ce que le socialisme de notre pays est né de la société semi-coloniale et semi-féodale, les missions de l’industrialisation et de la modernisation ne sont pas terminées. Il faut réaliser dans la condition socialiste des missions qui sont terminées dans beaucoup d’autres pays dans la condition capitaliste. Tant que ces missions ne seront pas terminées, notre pays se trouvera toujours dans le stade primaire du socialisme et la Chine demeurera toujours le plus grand pays en développement dans le monde, ce statut international ne changera pas. »

3.2. La stratégie chinoise de développement

Mais dans sa stratégie, la Chine va faire un choix très différent de celui de l’URSS. Le Parti Communiste Chinois n’a pas suivi, en 1956, la critique Khroutchevienne de Staline et de l’histoire de l’URSS. Il ne suivra pas la voie gorbatchévienne.

(diapo 22) Le rôle du parti communiste est maintenu et défendu contre les tentatives de déstabilisation qui ne manquent pas. L’économie reste à base socialiste. La planification est développée et elle pilote le rôle et l’espace dévolu au marché.

La Chine va également imposer des conditions aux capitaux impérialistes : interdiction de pénétrer certains secteurs, négociation de transferts de savoir-faire, rejet de toute contrainte politique associée au financement et maintien du rôle régulateur de l’état, haut niveau d’investissement public. Elle maintient, modernise et développe un vaste secteur public. Elle garde la main sur une grande partie des investissements, selon une planification établie sur très longue durée.

Grâce à la direction politique du PCC, la Chine a évité le piège de la dérégulation, de l’affaiblissement de l’état, imposé par les bailleurs occidentaux à tous les autres pays en développement. Elle va accomplir une nouvelle longue marche, une longue marche de modernisation et de développement industriel pour franchir le plafond de verre imposé par l’impérialisme à tous les pays en développement.

L’économie socialiste de marché a saisi la force de mouvement de l’impérialisme pour la retourner contre lui. Elle s’est saisie de la politique d’externalisation et de délocalisation, de la recherche de débouché pour l’investissement, de la soif de profit ainsi que de l’idée occidentale fausse de « l’entreprise sans usines ». Elle a fait de tout cela un levier pour son propre développement. Partant d’une industrie de main d’œuvre, elle a remonté les chaînes de valeur, acquis les savoir-faire et les savoirs scientifiques les plus pointus pour bâtir une économie de dimension élargie, et de technicité supérieure à ce qui existait. Elle est désormais le nouveau centre industriel dominant, le nouveau centre d’accumulation des forces productives les plus développées, le centre de développement technologique majeur.

« En 2023, la Chine a produit deux fois plus d’électricité que les USA, 12,6 fois plus d’acier et 22 fois plus de ciment. (…) La Chine a produit 30,2 millions de véhicules, pratiquement 3 fois plus que les 10,6 millions des USA ». (p. 108)

Cette politique profite aux travailleurs notamment par une augmentation rapide des salaires. (diapo 23)

Ex : délocalisation des smartphones Apple : seule la Chine peut apporter à Apple la création des chaînes industrielles des nouveaux modèles.

3.3. Les leçons à en tirer :

1) la nécessité du pouvoir populaire ; la constitution de la classe populaire en organisations de masse et en parti, la constitution et la direction par la classe ouvrière d’une alliance de classe prenant et exerçant le pouvoir politique.

2) la construction et la défense de la souveraineté et le développement de partenariats internationaux dans le respect des souverainetés de chaque nation.

3) la priorité du développement et à la modernisation des forces productives comme base de l’établissement et du renforcement de la société socialiste (NB : ce n’est pas si éloigné de la « bataille de la production », que mena le PCF en 1945 – 1946 pour garantir l’indépendance de la France).

4) le réalisme le plus total dans la conduite de ce développement dans les conditions réelles. Celles-ci nécessitent une articulation dialectique entre la planification centralisée démocratique et la survivance de mécanismes de marché.

5) l’articulation pragmatique de différentes formes de propriété des moyens de production, la propriété nationale étant la forme supérieure, celle des instruments stratégiques et de la base nationale.

4. Une voie alternative pour la France (diapo 24)

L’impérialisme hégémonique est en difficulté, mais il n’a pas cédé. Il se raidit. Trump, incapable de reprendre pied face à la Chine et aux BRICS a décidé de piller l’Europe consentante pour sauver le dollar et financer le complexe militaro-industriel US.

La France dont la désindustrialisation est ancienne est laissée sans défense par ses dirigeants bourgeois et cherche la voie de son émancipation. Dès aujourd’hui, il existe une alternative à la soumission et à la régression : la France peut et doit rejeter le diktat de Trump, solliciter son adhésion aux BRICS et entrer de plain pied dans le monde multipolaire. C’est le sujet dont personne ne veut parler, mais c’est le centre de notre argumentation. Pour cela, il faut revenir au moment clé de l’histoire moderne de la France, la modernisation nationale de 1945 – 1946 et la reprise en main par la bourgeoisie dès 1947 avec le soutien actif des USA.

4.1. Origine et situation de la crise française (diapo 24)

« Après la crise des années 1930 et la catastrophe de 1940, le Conseil National de la Résistance et le Gouvernement Provisoire avaient posé les bases d’une puissante modernisation de la France sur tous les plans. Craignant d’y perdre son pouvoir, le capitalisme financier français a choisi, dès 1946 – 1947 de se protéger de l’influence du Parti Communiste Français en s’abritant sous le parapluie états-unien ».

(diapo 25) « La France fut arrimée au bloc pro-américain [avec l’acceptation du Plan Marshall (1947)] l’adhésion à l’OTAN (1949) et à la CECA (ancêtre de l’UE, 1951). Elle fut aussi placée seconde dans les schéma de reconstruction, priorité étant donnée à l’industrie allemande. Pendant plusieurs décennies, la France a tenu une position intermédiaire, d’un côté favorable au capitalisme, de l’autre, maintenant une politique de développement autonome, portée par l’influence du PCF et de la CGT. D’un côté, les marchés, de l’autre des formes de planification et un secteur nationalisé très présent».

Deux remarques ici :

1) La soumission à l’étranger par peur du peuple est une vieille tradition des classes dominantes françaises, il y eut Coblence, refuge de l’aristocratie réactionnaire à la révolution, il y eu « plutôt Hitler que le Front populaire » en 36 – 40, puis « plutôt l’OTAN que le PCF » et nous avons aujourd’hui « plutôt Trump que les BRICS » aussi par peur du peuple.

2) la France du CNR a ainsi plusieurs piliers d’une économie socialiste de marché au sens chinois. Mais il manque l’essentiel : le pouvoir politique entre les mains des travailleurs et de leurs organisations qui aurait permis de préserver et de développer ces piliers au lieu d’organiser leur abandon et leur pillage.

4.2 La régression des forces productives :

La désindustrialisation s’accélère :

  • 2,5 millions d’emplois industriels perdus entre 1974 et 2020
  • Automobiles : 3,5 millions en 2005, 1,3 en 2022 (légère amélioration depuis)
  • Acier : 20 millions de tonnes en 2004, 12 millions en 2022

Elle enclenche une régression générale des forces productives :

  • Naissances : 832 000 par an en 2010, 663 000 en 2024
  • Hausse de la mortalité infantile : mortalité de 1 à 27 jours passe de 1,5 °/°° à 2,0 °/°° entre 2011 et 2024, touchant particulièrement les familles populaires. Dans la fragilisation actuelle des forces productives (cf. atelier d’Estéban sur l’automobile) et du tissu social français, l’accord Trump – Von der Leyen de 1300 milliards et de 15 % de droits de douane constitue une menace existentielle pour la France et une forme de trahison de l’intérêt national particulièrement grave.

Le budget Bayrou qui soulève déjà une large réprobation n’est qu’un hors d’oeuvre par rapport à ce qui sera nécessaire pour financer les USA dès demain.

4.3 L’alternative : les BRICS, la voie socialiste pour la France et le rôle du Parti Communiste

L’émergence des BRICS change deux choses fondamentales pour l’avenir de la France :

1) La France, comme les autres pays, ne doit plus choisir entre soumission à l’ordre impérialiste ou isolement. Elle peut reprendre en main son avenir, choisir son mode propre de développement tout en s’insérant librement dans le monde multipolaire.

2) L’économie socialiste de marché de la Chine confirme d’une certaine manière les orientations portées par le PCF en 1945 – 1946 (vastes nationalisations, intégration industrielle, planification, priorité à la recherche, à l’éducation et au développement des infrastructures, dans le cadre d’une planification de longue durée et d’une intervention politique des travailleurs organisés à tous les niveaux) ainsi que l’importance du pouvoir des travailleurs pour maintenir ces choix politiques dans la durée. C’est cela le choix de la société socialiste, et pour la France, c’est retrouver le chemin ouvert par la Commune de Paris.

3) Les BRICS sont une alliance qui n’exige pas de renoncement de souveraineté mais qui au contraire valorise le développement de coopération dans le respect des souverainetés de chaque nation. C’est un type de rapport mondiaux plus avancés que le néo-colonialisme et l’UE. C’est la voie que le PCF a toujours défendu.

Surmonter la crise nécessite plus qu’un projet, plus qu’une adhésion par le vote ou une majorité parlementaire. Elle nécessite comme en 1945 la mobilisation active, consciente et organisée de la classe du travail, du peuple et de la nation.

Seule l’action consciente et organisée des travailleurs peut arracher le pouvoir des mains de la bourgeoisie française et ouvrir la voie vers la résolution des contradictions profondes qui détruisent notre société.

Le rôle du Parti Communiste en découle, ainsi que la nécessité pour lui de retrouver sa force théorique et pratique : d’une part le marxisme et l’internationalisme, d’autre part l’implantation comme force organisatrice et conscientisante dans la classe ouvrière et au sein du peuple, le parti révolutionnaire.

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3 Commentaires

  • Eric RUIZ

    Bonjour,
    Combien de temps a duré cette présentation ?
    L’image montre une cinquantaine de présents. Quel a été l’accueil des présents ? Quelles ont été les réactions ? Y-avait-il quelques responsables nationaux, élus, cadres fédéraux ?

    Répondre
    • admin5319
      admin5319

      (Franck Marsal) La présentation a duré 45 minutes. Le texte ci-dessus est le texte que j’avais préparé et que j’ai suivi, mais dans la présentation, j’ai fait quelques ajouts, notamment des références à l’atelier très complémentaire présenté par Estéban Evrard sur l’industrie automobile. J’ai également fait quelques coupes pour tenir le timing et laisser place au débat. La présentation a été filmée par Pierre alain Millet (que je remercie encore ainsi que tous ceux qui ont contribué à ce travail collectif) et sera mise en ligne prochainement. La salle était pleine, même debout il n’y avait plus de place et au moins une dizaines de camarades ont dû repartir. Je n’ai pas dressé de liste des participants, mais le débat a été riche et très intéressant, dans l’esprit du travail que nous avons mené, qui est d’ouvrir à la réflexion collective le développement de la Chine, les changements mondiaux et les leçons à en tirer.

      Répondre
      • admin5319
        admin5319

        (Franck Marsal) Nous avons aussi plusieurs demandes pour des débats et formations, à différents niveaux. Il y aura donc des occasions de poursuivre la discussion.

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