Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Un bond qualitatif face à la sidération d’un monde qui meurt, par Xuan

Les contradictions au sein du monde impérialiste ne datent pas d’aujourd’hui, ni les reculades successives des pays européens face aux USA, mais elles sont parvenues aujourd’hui à un stade qui s’apparente à la guerre ouverte et simultanément au « choix de la défaite », comme dirait Annie Lacroix-Riz, pour les anciens empires coloniaux et impérialistes : plutôt les taxes que la défaite face à la Russie et la fin de la guerre.

Ill. : L’humiliante capitulation pour éviter l’excommunication de l’empereur Henri IV au château de Canossa face au pape Grégoire VII

Les contradictions au sein du monde impérialiste ne datent pas d’aujourd’hui, ni les reculades successives des pays européens face aux USA, mais elles sont parvenues aujourd’hui à un stade qui s’apparente à la guerre ouverte et simultanément au « choix de la défaite », comme dirait Annie Lacroix-Riz, pour les anciens empires coloniaux et impérialistes : plutôt les taxes que la défaite face à la Russie et la fin de la guerre.

Et ce stade constitue un saut qualitatif par rapport aux escarmouches précédentes. Dans l’article « Les droits de douane imposés par Trump à l’Inde et à la Chine pourraient littéralement laisser les Américains à poil et sans casquette MAGA », Franck parle d’un effet de sidération, comparable à l’arrivée au pouvoir d’Eltsine préparée par Gorbatchev. Mais cette fois ce sont les grandes bourgeoisies européennes qui sont sidérées. https://histoireetsociete.com/2025/08/01/les-droits-de-douane-imposes-par-trump-a-linde-et-a-la-chine-pourraient-litteralement-laisser-les-americains-a-poil-et-sans-casquette-maga/

Le 1er juillet sur Asia Times, Sebastian Contin Trillo-Figuero faisait l’autopsie de l’aveuglement européen : « Le cas de Friedrich Merz est plus scandaleux. Dans son premier discours de politique étrangère, il a répété comme un perroquet la notion d’« axe des autocraties », assimilant la Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord à une menace indifférenciée – tandis que l’industrie automobile allemande se demande qui parle en leur nom. Il appelle à une présence navale européenne « permanente » dans la région indopacifique, un fantasme alors que l’Europe peine à soutenir l’Ukraine. Il a averti les entreprises allemandes qu’investir en Chine représentait un « risque important » et a clairement indiqué que son gouvernement ne les renflouerait pas. À Munich, sa déférence envers Washington a reçu la réponse qu’elle méritait : J.D. Vance l’a ignoré et a rencontré l’AfD à la place. Message reçu » https://asiatimes.com/2025/07/in-trumps-game-the-us-and-china-win-and-europe-pays-the-bill/

Le 31 juillet il décrit dans « Le coût de la grande capitulation de l’Europe face à Trump » l’effondrement du monde tripolaire, que les bourgeoisies européennes avaient théorisé à travers « l’autonomie stratégique ». Son article évoque « La colonisation inversée la plus épique de l’histoire… » :

Aujourd’hui « un nouvel ordre mondial s’est cristallisé avec une clarté brutale. Dans cette nouvelle arithmétique du pouvoir, l’Amérique contraint, la Chine contient, l’Europe obéit. »

Notons que cette nouvelle configuration ne comprend pas que les USA, l’UE et la Chine, mais aussi et pour une part majeure tout le sud global. D’autre part si la guerre entre les impérialismes US et européens ne date pas de la présidence de Trump, ni de la généralisation des tarifs protectionnistes, la capitulation des grandes bourgeoisies européennes ne signifie pas que la guerre soit achevée pour autant entre l’impérialisme US et l’ensemble des nations du monde. Elle confirme seulement que les puissances européennes ne sont plus en mesure de retrouver leur statut antérieur.

L’article d’Afonine indique que les rapports mondiaux de production vont laisser les USA « à poil et sans casquette », avec l’aggravation des contradictions de classe à cause de la vie chère.  Et pour les bourgeoisies européennes, rien n’est terminé. Au contraire, l’article de William Pesek présenté par Danielle montre que les nouveaux tarifs de Trump sont inapplicables. C’est-à-dire que le conflit ne prend pas fin avec la capitulation des bourgeoisies. Comme un racket n’a aucune raison de s’interrompre, il se poursuit du début à la fin du processus, la fin de l’hégémonisme. Il engendre non seulement l’aggravation des contradictions de classe aux USA, mais il divise l’Europe et il oppose les classes au sein de chaque pays.

La sidération de la bourgeoisie (mais elle concerne aussi la petite-bourgeoisie atlantiste) appelle notre offensive. Ici prend tout son sens l’appel de Fabien Roussel pour un « large front contre l’impérialisme américain ».

Xuan

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Le coût de la grande capitulation de l’Europe face à Trump

Sebastian Contin Trillo-Figueroa 31 juillet 2025 https://asiatimes.com/2025/07/the-cost-of-europes-great-capitulation-to-trump/#

Oubliez l’ordre mondial trilatéral : dans la nouvelle arithmétique du pouvoir, l’Amérique contraint, la Chine contient et l’Europe obéit. La colonisation inversée la plus épique de l’histoire s’est produite par une simple poignée de main. Lors du sommet d’Écosse (27 juillet), les dirigeants européens ont fait la queue pour signer l’abandon de la souveraineté économique de leur continent, sous les flashs des appareils photo et les sourires. L’ironie serait à couper le souffle si elle n’était pas si tragique : les héritiers des empires qui ont autrefois partagé l’Asie et l’Afrique avec des stylos à plume ont eux-mêmes été partagés par un président américain avec un compte Truth Social.

La véritable réussite de Donald Trump réside dans la consécration de la loi de la jungle comme légitime dans les relations internationales. Ce qui rend cette transformation particulièrement grotesque, c’est la façon dont l’Europe a volontairement contribué à sa propre soumission. L’Écosse a marqué le moment précis où l’UE a cessé de prétendre être une puissance mondiale et a adopté sa véritable vocation : l’application de paiement préférée des Américains. Alors que les responsables de Bruxelles célébraient leur compromis avec Washington – accepter des droits de douane de 15 % sur les exportations européennes tout en exemptant entièrement les produits américains – ils ont manqué la vérité essentielle de leur capitulation. Citoyens européens, ne croyez pas vos dirigeants : l’Europe n’a pas négocié. Elle a été volée sous la menace d’une arme, tandis que le voleur saluait ses talents de négociateur. Au lieu de cela, une fois la poussière retombée après la deuxième investiture de Trump, un nouvel ordre mondial s’est cristallisé avec une clarté brutale. Dans cette nouvelle arithmétique du pouvoir, l’Amérique contraint, la Chine contient, l’Europe obéit. Le monde tripolaire que les élites européennes ont passé des années à théoriser à travers « l’autonomie stratégique » s’est effondré dans une certitude bipolaire sans ambiguïté, Bruxelles étant reléguée au rôle de sponsor d’une compétition qu’elle ne peut influencer. 

Mécanique de soumission

Le retour de Trump au pouvoir a transformé les relations transatlantiques, passant d’un partenariat à une extorsion organisée. Les droits de douane annoncés en avril, à l’occasion du « Jour de la Libération », – une base de référence de 10 % avec des taux « réciproques » atteignant 50 % – n’ont jamais visé à libérer l’Amérique de pratiques commerciales déloyales ni à corriger des déséquilibres, mais à ériger un chantage en art politique. Ils ont finalement permis de déterminer quelles puissances résisteraient et lesquelles capituleraient. Le message était simple : payer ou s’exposer à la catastrophe économique. Tandis que la Chine refusait d’en payer le prix, l’Europe s’est portée volontaire pour les assumer, suivant un cycle d’auto-illusion : d’abord, les annonces rituelles de contre-tarifs, gestes théâtraux bien accueillis par les flagorneurs, destinés à préserver la dignité plutôt qu’à imposer des coûts.

Puis vint l’inévitable recul, justifié par des euphémismes sur le « maintien du dialogue » et la « préservation des relations ». Finalement, la lâcheté politique des dirigeants européens fut révélée au grand jour et ils se rendirent totalement, déguisés en « meilleur accord possible ». L’accord signé en Écosse représente l’apothéose de l’incapacité d’Ursula von der Leyen à gouverner, négocier et diriger : 750 milliards de dollars d’achats d’énergie américains, 600 milliards de dollars d’investissements supplémentaires et l’acceptation de tarifs douaniers punitifs en échange de rien du tout – des conditions qui auraient déclenché des guerres au cours des siècles précédents.

Cependant, les négociateurs européens sont sortis victorieux de ce parcours, justifiant leur victoire par la menace apparente de Trump de conditions encore plus sévères. En résumé, la logique du conjoint battu : la gratitude pour des coups moins durs.

Masterclass minimaliste de la Chine

Pékin a observé l’humiliation de l’Europe avec l’amusement d’un propriétaire de casino voyant les joueurs doubler leurs mises après avoir perdu. Car la réponse de la Chine à la pression américaine révèle une sophistication que les dirigeants européens ne peuvent pas imaginer : le pouvoir de dire non.

Lorsque Trump a intensifié ses menaces de droits de douane, la Chine a réagi avec une précision drastique. Les restrictions à l’exportation de terres rares ont provoqué des crises immédiates dans les chaînes d’approvisionnement des industries occidentales, évitant ainsi une escalade qui aurait pu contraindre Washington à une confrontation totale. Le message était parfaitement calibré : nous pouvons vous faire du mal, mais notre objectif est de ne pas le faire. À vous de choisir, pour l’instant. L’accord de juin sur les terres rares qui a suivi a démontré la maîtrise du minimalisme tactique par la Chine. Pékin a accepté de reprendre des livraisons limitées dans le cadre d’accords de licence stricts, créant ainsi une stabilité d’approvisionnement suffisante pour prévenir l’effondrement de l’économie occidentale tout en maintenant une incertitude suffisante pour préserver son influence. Pékin a accordé à Washington des concessions visant à sauver la face, sans rien concéder de substantiel.

Comparez cela à l’approche européenne à la même période. Alors que les usines chinoises bourdonnaient d’une production restreinte mais continue, les fabricants européens étaient confrontés à des pénuries d’approvisionnement. VDL s’est exclamé : « Nous avons tous été témoins du coût et des conséquences de la coercition exercée par la Chine au moyen de restrictions à l’exportation ! Ce modèle de domination, de dépendance et de chantage perdure aujourd’hui. » Plus tard, Bruxelles a réprimandé Pékin pour ses relations avec la Russie tout en réclamant des terres rares. Les responsables européens semblent incapables de saisir la contradiction : on ne peut pas faire la leçon à son fournisseur tout en dépendant de sa clémence.

L’ironie est exquise : les dirigeants européens ont agi comme si la Russie était un satellite chinois, tout comme l’UE elle-même est devenue un satellite militaire et économique des États-Unis, avec des uniformes assortis. La politique d’endiguement de la Chine envers l’Europe reflète cette même logique froide. Pékin maintient son accès au marché et ses relations diplomatiques sans faire de concessions significatives aux exigences européennes. Pourquoi le ferait-elle ? L’UE a démontré à maintes reprises qu’elle absorberait toute sanction plutôt que d’imposer des coûts aux autres. 

Faiblesse pathologique européenne

L’effondrement de l’Europe résulte d’une confusion quant à la nature du pouvoir. Les dirigeants européens estiment que les postures morales peuvent se substituer à l’influence matérielle, et que les cadres juridiques peuvent contraindre des acteurs qui ne connaissent d’autre loi que la force.

La réponse de l’UE à la guerre entre la Russie et l’Ukraine illustre cette illusion. Bruxelles a imposé des sanctions sur l’énergie russe tout en finançant les efforts de guerre de Moscou par des achats continus. En 2024, les paiements énergétiques de l’UE à Vladimir Poutine ont totalisé 23 milliards d’euros (26,3 milliards de dollars).

Depuis le début de l’invasion, l’Union européenne a transféré au Kremlin l’ équivalent du coût de plus de 2 400 avions de combat. Les responsables européens ont interdit les exportations de technologies vers la Russie tout en maintenant une dépendance aux chaînes d’approvisionnement chinoises qui, selon les dirigeants de l’UE, servent en fin de compte les intérêts russes. Cette approche schizophrénique de la sécurité s’étend aux dépenses de défense européennes, ce qui illustre une fois de plus la confusion qui se fait passer pour une détermination. Les dirigeants de l’UE ont convenu d’augmenter les dépenses militaires à 5 % du PIB – un chiffre qui ruinerait la plupart des États membres – sans aucune justification cohérente au-delà des exigences américaines. Le traité de Versailles a imposé des charges plus légères et a déclenché une guerre mondiale : il ne s’agit pas d’un partage des charges mais d’un paiement de tribut déguisé en solidarité de l’OTAN.

Le sommet du golf en Écosse a cristallisé la faillite stratégique de l’Europe. Les négociateurs européens sont arrivés convaincus que se conformer aux exigences américaines élèverait leur statut de partenaire mineur à celui d’allié indispensable. Au lieu de cela, la soumission des dirigeants a confirmé leur rôle de source de financement plutôt que de partenaire à consulter. Les responsables européens (Von der Leyen, Kallas, Sefcovic) ont d’abord nié la réalité de ce qu’ils avaient signé, puis ont semblé surpris par ce résultat, comme si leurs années de contribution à la faiblesse institutionnelle pouvaient soudainement se transformer en force par l’alchimie bureaucratique. Lorsque vos victoires correspondent parfaitement aux intérêts de votre adversaire, vous ne négociez pas, mais vous capitulez. Ils devraient partir, de préférence avant qu’ils ne vendent aux enchères les derniers vestiges de souveraineté européenne.

Nouvel ordre mondial

L’architecture mondiale émergente comporte trois couches distinctes.

L’Amérique a perfectionné l’extraction coercitive. Washington a découvert que menacer ses alliés produit de meilleurs résultats que les persuader, et que l’ultimatum est plus efficace que les négociations. Elle a obtenu des gains concrets – contrats militaires, achats d’énergie, accès au marché en franchise de droits – sans résistance. Cela confirme la transformation de l’Amérique, de leader de l’alliance à prédateur de l’alliance. L’accord sur le terrain de golf prouve que la conformité européenne peut être obtenue par une intimidation flagrante. Pourquoi nouer des partenariats quand on peut exercer des activités de protection grâce à l’immunité diplomatique ?

La Chine maîtrise parfaitement la dissuasion mesurée. Pékin impose des coûts de manière sélective, tout en évitant la confrontation totale qui pourrait imposer des choix difficiles à toutes les parties. Les restrictions chinoises sur les terres rares nuisent aux chaînes d’approvisionnement occidentales sans déclencher de guerre, créant ainsi un effet de levier sans éliminer d’autres options. Il s’agit d’une stratégie politique consistant à opérer une frappe chirurgicale plutôt qu’à bombarder en tapis, infligeant juste assez de souffrance pour que quelqu’un y réfléchisse à deux fois avant de frapper à nouveau. La position renforcée de la Chine crée un précédent pour de futurs conflits, soulignant le rôle croissant de Pékin comme égal à Washington.

L’Europe a adopté la subordination à l’Amérique et une attitude d’affirmation performative envers la Chine. Bruxelles finance les ambitions de Washington tout en ne recevant que le privilège de survivre, puis fait la morale à Pékin tout en dépendant des chaînes d’approvisionnement chinoises pour survivre. Les dirigeants européens ont découvert que la capitulation est plus payante que la résistance : jouer les clients de Washington et les remontrances de Pékin est plus confortable que la concurrence réelle. Mais la tragédie de la passivité européenne dépasse l’économie et touche à des questions existentielles sur la nature même de la souveraineté. Des entités politiques refusant de défendre leurs intérêts peuvent-elles prétendre représenter autre chose que des expressions géographiques ? L’Union européenne existe-t-elle autrement qu’en tant que mécanisme de collecte et de transfert de ressources vers des puissances plus affirmées ? Les responsables européens se consolent en rêvant d’une éventuelle gratitude américaine, imaginant qu’une conformité suffisante pourrait leur redonner leur voix dans les affaires mondiales. C’est la pensée des colonisés, la croyance que la servitude pourrait éventuellement leur valoir le respect. L’histoire suggère le contraire.

La question à laquelle l’Europe est confrontée est simple : saura-t-elle retrouver son autonomie avant de devenir une filiale permanente dans un monde bipolaire qu’elle n’a pas créé ? Les sommets de la semaine dernière avec la Chine et les États-Unis laissent entrevoir la réponse, mais le dernier chapitre reste (pour l’instant) non écrit.

Sebastian Contin Trillo-Figueroa est un stratège géopolitique basé à Hong Kong, spécialisé dans les relations Europe-Asie.

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