Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Sur les ruines de Yalta. C’est la Russie et la Chine qui dicteront les conditions du nouvel ordre mondial.

Comme nous ne cessons de le signaler, on voit de plus en plus monter les conditions d’une négociation de la part de l’hégémon : un congrès de Vienne, après Waterloo, un nouveau Yalta mais si l’on regarde le dessous des cartes ainsi apparemment distribuées entre « grandes puissances » du côté des BRICS et du côté des USA et de leurs vassaux, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pour l’hégémon que d’offrir au monde le même système, avec le même maitre les USA, le dollar, les institutions existantes, la même logique. Un monde unipolaire dans une nouvelle orchestration dit justement l’article. Et ce choix là se joue sur tous les terrains où il y a conflit, guerre, blocus, etc … partout la « négociation » y compris en Ukraine n’a d’autre but que de faire accepter ce scénario qui confirme notre analyse de Trump comme syndic de faillite. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://svpressa.ru/politic/article/475361

La Pax Americana n’est pas éternelle, mais cela ne signifie pas la fin de l’histoire

Texte : Valery Badov

La prospective est une sorte d’industrie. Des centaines de « think tanks » dans l’Ancien et le Nouveau Monde se livrent à des prédictions et à la « construction » de l’avenir. L’un des scénarios emblématiques est le rapport détaillé des éminents politologues américains Richard Haas et Charles Kupchan intitulé « Comment éviter une catastrophe et renforcer la stabilité dans un monde multipolaire ».

Ce document créatif et approfondi s’apparente en quelque sorte au célèbre mémorandum de George Kennan, précurseur de la guerre froide entre l’Occident et l’URSS. Depuis deux ans, le plan stratégique de Haas-Kupchan fait parler de lui dans la communauté élitiste des experts géopolitiques américains.

Les auteurs du mémorandum sont convaincus que « l’Occident perd non seulement sa supériorité matérielle, mais aussi idéologique. Partout dans le monde, les démocraties sont victimes de l’autoritarisme, tandis que la Chine en pleine croissance, aidée par la Russie, tente de défier l’Occident et les approches républicaines. Les tentations illibérales se répandent dans le monde : souveraineté nationale, protectionnisme, modèles néo-keynésiens de croissance économique ».

Et une reconnaissance sans équivoque : « Les discours sur la fin de l’histoire n’étaient que fanfaronnades et, en substance, des sottises savantes ». On a inévitablement l’impression que le projet de Haas-Kupchan dévoile, dans l’esprit de la Realpolitik, un plan stratégique… de retrait des États-Unis. Il s’agit peut-être d’une « fuite » délibérée d’une stratégie de secours de l’État profond dans le cadre d’une métamorphose planifiée du monde unipolaire.

À Washington, on se rappelle Waterloo ?

En contrepoint à la stratégie de l’administration Biden visant à faire monter les enchères géopolitiques (les sur-réactions manifestes lors des négociations avec la délégation chinoise à Anchorage, le bloc militaire AUKUS, l’escalade des tensions autour de Taïwan), les auteurs du mémorandum sont partis d’un postulat réaliste, mais non explicitement nommé : la Pax Americana n’est pas viable. « La Pax Sinica ne fonctionne pas non plus ». À la place, ils proposent une sorte de concert des principales puissances occidentales et de certains pays du G20. Sur le modèle du congrès historique de Vienne de 1815, après Waterloo, la défaite de la France napoléonienne.

La Russie, la Grande-Bretagne, l’Autriche et la Prusse ont convenu à Vienne de créer un concert des puissances qui s’efforcerait de mettre fin aux querelles, aux effusions de sang et aux campagnes militaires ruineuses au nom d’une paix durable et du bien-être des peuples de l’Europe chrétienne. Le système westphalien a défini les bases de la coexistence des États-nations.

Le « concert des puissances » a perduré jusqu’à la guerre de Crimée.

Sorte de remake de l’ordre mondial établi à Vienne au XIXe siècle, l’accord des grandes puissances dans le projet Haas-Kupchan vise à donner un nouveau contenu à la Charte de l’Atlantique des Anglo-Saxons et de leurs alliés au sein du bloc militaire.

Par défaut, l’OTAN est un vestige de l’époque révolue de l’opposition entre le « monde libre » et le communisme mondial. Cette vision, cette définition des objectifs, n’est pas en phase avec la nouvelle conception d’une « OTAN mondiale », proclamée avec emphase lors du sommet anniversaire du Traité de l’Atlantique à Washington en juillet 2024.

Le « concert des puissances » hypothétique est appelé à remplacer les anciennes alliances et juridictions. Et sous le couvert d’une rhétorique plausible de construction de la paix, il vise en fait à remplacer le Conseil de sécurité de l’ONU, au sein duquel la Russie et la Chine disposent d’un droit de veto « en béton » à durée indéterminée.

Les six participants au Concert mondial proclamé, y compris la Chine, représentent 70 % du PIB mondial. La Russie, qui serait à la traîne en termes de PIB par rapport au Brésil et au Canada, ne fait pas partie du cercle des élus.

Qui est donc le « chef d’orchestre » ? Serait-ce le président actuel ou le prochain président des États-Unis ? En réalité, il s’agit d’un establishment mondialiste impersonnel, dont la métropole se trouve aux États-Unis. Le nid des magnats de la finance internationale à New York. Un monde élitiste et isolé de Johnnies, sans attaches, fidèles serviteurs des multinationales.

Selon l’éminent politologue Samuel Huntington, cette communauté cosmopolite présente les caractéristiques généalogiques d’une « nation de citoyens du monde ».

Un monde unipolaire dans une nouvelle orchestration

Le magnifique Concert des puissances semble être une chimère. En réalité, il s’agit d’une nouvelle orchestration habile de l’ancien ordre mondial hégémonique des États-Unis, qui a épuisé ses ressources. Ce n’est pas la diplomatie qui prime, mais la puissance militaire et l’inébranlabilité du dollar, la monnaie de réserve mondiale.

Les pays du BRICS contestent la toute-puissance du dollar dans le commerce et les finances internationales. Mais la création de nouvelles monnaies de réserve est, pour le moins, une tâche ardue.

Si la rhétorique « noble » de la société ouverte, la ruse et la séduction pour infiltrer le camp adverse sont interdites, on recourt alors à des scénarios violents de « révolutions colorées ».

Le projet Haas-Kupchan mentionne vaguement les manœuvres géopolitiques de George Soros, mais sous-entend le recours, dans les situations extrêmes, à une « cinquième colonne », au conflit entre les générations, à un mélange idéologique explosif d’ « occidentalisme », de séparatisme et d’anarchisme. La mainmise sur les communications internes des pays touchés par le biais des plateformes Internet Google, YouTube, Meta* et autres.

Au plus fort de l’affrontement violent entre la Russie et « l’Occident collectif » sur les fronts ukrainiens, l’administration Biden a poussé les enjeux géopolitiques à leur paroxysme. Elle s’est fixé l’objectif irréalisable de renverser l’État russe, de diviser son territoire et ses ressources en une douzaine de pseudo-États séparatistes, quasi-ethniques et coloniaux.

Le projet créatif du Concert des puissances suppose une version plus « soft » du Grand Jeu historique des Anglo-Saxons. Le plan de retraite stratégique tacite de l’Occident, selon le concept de Haas-Kupchan, diffère de la politique étrangère belliqueuse de la Maison Blanche.

Le « Modéré », Jake Sullivan, qui donnait le ton au Conseil national de sécurité, ne dédaignait pas les escapades belliqueuses. Les « Cassandres » du Pentagone ont fixé les dates d’une guerre « inévitable » avec la Chine : 2027-2029. La fièvre militariste a atteint son paroxysme à la veille des élections présidentielles de 2024.

Que va-t-il se passer, le « courant dominant » mondial va-t-il changer ? Est-il possible que les marionnettistes de l’État profond, anticipant « le moment critique » où l’ordre mondial s’effondrera, ressortent des réserves géopolitiques le scénario du Concert de Vienne rétro ? La situation géostratégique des prochaines années le clarifiera.

Ce qui semblait être un « conflit d’intensité moyenne » ne s’est pas produit sur le champ de bataille ukrainien. L’équipement de l’armée proxy de l’OTAN en armes lourdes, les attaques de missiles des forces armées ukrainiennes contre des cibles situées en profondeur sur le territoire de la Fédération de Russie ont entraîné un risque inacceptable de guerre « chaude » collective de l’Occident contre la Russie. L’eschatologie de ce qui se passe sur les fronts de l’ancienne Ukraine est extrême. Il ne reste plus grand-chose des fondements granitiques de l’ordre mondial de Yalta.

La scission irréversible de l’establishment américain au cours de la lutte acharnée entre Trump et Harris annonce le crépuscule du monde unipolaire. Le paradigme d’un ordre mondial sans hégémonie devient de plus en plus réel. La Russie, la Chine, l’Inde et d’autres pays du BRICS prennent l’initiative de la reconstruction du monde.

L’idéologie créative et ambiguë du « concert des puissances de Vienne » passe au second plan. La manœuvre sophistiquée de retrait stratégique des États-Unis, dont l’objectif est de « reformater » l’hégémonie mondiale américaine dans l’intérêt de l’État profond, contredit la devise du triomphateur, l’indomptable Donald Trump : « La paix par la force ! ».

Si, à peine franchi le seuil de la Maison Blanche, le nouveau maître menace de transformer le Canada en 51e État des États-Unis, le réglage subtil des instruments géopolitiques par les « chefs d’orchestre » sera-t-il utile ?

Les partisans d’Eltsine ne se sont pas opposés à la destruction imposée par l’Occident de l’économie planifiée autosuffisante de l’URSS. Au cours des années 90, environ un billion et demi de dollars de fonds de roulement de l’économie abandonnée de la « nouvelle Russie » ont été détournés vers l’Occident. Dans le projet de Haas-Kupchan, on entrevoit la reprise du paiement par la Russie d’un « impôt colonial » sous la forme d’un échange de marchandises inéquitable avec les Anglo-Saxons et leurs acolytes. Le fait que la Russie n’ait pas eu « l’honneur » de participer à l’hypothétique « concert des puissances » suppose une dégradation de son statut à celui de pays du capitalisme périphérique. La rupture du partenariat géostratégique entre Moscou et Pékin relève tout à fait du domaine de la fantaisie.

Rand Corporation et autres Cassandre se sont trompés. Peu de gens en Occident avaient prévu que les « sanctions infernales » infligées à la Russie pour son opération militaire affaibliraient davantage l’économie occidentale.

Le « capitalisme de casino » a tout perdu. L’Union européenne est en proie à la récession et au découragement… Les économies russe et chinoise sont en plein essor. L’alliance commerciale, économique, géopolitique et militaire entre les deux géants eurasiatiques est faite pour durer.

* Meta Platforms Inc. a été reconnue comme une organisation extrémiste par une décision du tribunal du district de Tverskoy à Moscou le 21 mars 2022, et ses activités sont interdites sur le territoire russe.

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