Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le nouveau contexte géopolitique, le poids de la défaite en URSS et le « défi démocratique », par Danielle Bleitrach

Comment à partir de cette amère défaite que fut la fin du socialisme en URSS et en Europe essentiellement, l’impérialisme nous impose-t-il aujourd’hui un mode d’exploitation sans limite par la guerre présentée comme le nec plus ultra de la « démocratie » ? Si nous voulons relever le défi démocratique que l’histoire nous lance à nous qui voulons trouver une solution, il s’avère que nous ne pouvons le faire pleinement qu’en éclairant le but et les moyens de nos choix politiques, puisque chacun sent bien que rien ne peut demeurer en l’état. Ce qui nous oblige à ouvrir le débat sur le bilan réel du socialisme et le consensus atlantiste imposé, mais ce retour au passé doit se faire par rapport aux possibilités d’aujourd’hui, aux tâches concrètes. Nous devons aborder la situation historique, ce basculement, dans une temporalité renouvelée: celle où l’impérialisme n’a plus les moyens de son projet, celui comme en 1933 d’empêcher y compris par la guerre l’apparition d’un monde alternatif, rival. Il ne peut plus comme lors de la chute de l’URSS et des pays socialistes prétendre imposer sa logique comme celle qui dominerait l’ordre international. Il est même contraint de suivre la dynamique de la Chine. Donc le bilan du socialisme intervient dans le prise de conscience de l’existence d’un nouveau rapport des forces en faveur du socialisme, ce qui est déterminant. En France, en Europe, alors que les peuples ne croient plus en leurs dirigeants, découvrent la manière dont ces vassaux capitulent en les sacrifiant, il manque toujours l’alternative qui aiderait à échapper au diktat des Etats-Unis, le sentiment d’être trop faible, face à cette superpuissance omnipotente. L’idée de l’union nécessaire grandit mais avec celle de démission face à l’échec, la faiblesse et l’ignorance de ce qui est. Tout est fait pour que les peuples pétrifiés, sidérés, face à la brutalité caricaturale de Trump et de ses exigences en matière de surarmement comme de tarifs douaniers se replient vers l’UE qui pourtant les trahit. Ce serait le rempart contre les exigences demeurées du suzerain mais aussi celles à l’horizon borné qui est le leur de la Russie, de la Chine. C’est l’autre face du combat pour le socialisme que nous devons mener. Faire mesurer ce qui est déjà en transformation irréversible. Et toujours, préciser la nature concrète de la tâche, le rassemblement, l’organisation pour la réaliser…

Il s’agit de contextualiser la situation de l’Ukraine, de voir que ce conflit appartient à la série d’interventions « démocratiques » de l’empire, mais pour la première fois confronte en Europe même des puissances nucléaires… Le poids de l’échec et du consensus créé autour de la criminalisation du socialisme pèse lourd dans notre difficulté actuelle à construire une perspective.

C’est pour cela qu’il nous paraît nécessaire de défendre le bilan et d’alimenter un débat concret sur les facteurs qui ont contribué au démantèlement du socialisme. Parce que ce non dit empêche la France, le continent européen de saisir les opportunités actuelles, celles de ce monde multipolaire dont la Chine communiste a le leadership.

C’est ce que nous définissons comme le défi démocratique, la conscience qui détermine l’intervention populaire. La question du parti, de l’État et de la viabilité de l’alternative socialiste au capitalisme à l’impérialisme se pose à la fois sous le poids de la propagande lié à l’effondrement et à ses effets organisationnels mais aussi par rapport à un projet renouvelé, celui du destin commun de l’humanité sous le leadership de la Chine communiste qui ne peut pas et ne doit pas être analysé comme une simple reproduction ou revanche de la chute de l’URSS. La situation actuelle démontre à quel point étaient fausses les thèses tirées de cet épisode, qu’il s’agisse de la fin de l’histoire ou que l’on veuille nous faire croire que nous sommes aujourd’hui dans un « choc de civilisations ».

Bien sûr la thèse de la fin de l’histoire ne signifiait pas qu’il n’y aurait plus de conflits mais que ceux-ci auraient toujours comme finalité une amélioration de l’indépassable libéralisme, la manière dont la bourgeoisie avait créé la démocratie et son mode de régulation des intérêts divergents au sein de la cité. Face à sa crise profonde, aux inégalités monstrueuses qu’il a engendré le capitalisme tout en se revendiquant comme la seule forme démocratique se retourne en son contraire et détruit lui même tout ce qui le gène dans son droit à l’exploitation et au pillage.

Il en est de même du choc des civilisations, le basculement historique auquel nous assistons porte un projet civilisationnel pour l’humanité, ce que nous avons défini comme la longue marche de l’émancipation humaine et c’est ce projet que nous devons expliciter, enrichir et nous proposons pour cela de comprendre en écoutant ce que la Chine nous en dit. Cela pose de multiples questions sur le socialisme, sur le partenariat stratégique avec la Russie, et toutes renvoient au rôle joué par le socialisme dans ce qui se présente comme la seule alternative à la crise terminale de l’impérialisme, ses conséquences, ses périls y compris la destruction possible de l’espèce et de son environnement.

Si nous faisons un bilan du socialisme, celui de l’URSS et des pays de l’est, c’est pour donner ses chances à la France, à la classe ouvrière, à la jeunesse, à l’immense majorité de la population de voir l’opportunité que représente le monde multipolaire, c’est ça ou la catastrophe imminente sans moyen de la conjurer…

Je vous propose pour approfondir mon propos de lire un livre court, clair et précis qui analyse les facteurs de démantèlement de l’Etat socialiste en URSS. C’est Bahman Azad, un universitaire américain, marxiste qui a produit cette démonstration, très documentée et qui répond à bien des questions.(1) Il part d’un constat qui pourrait être utilement posé dans chacune de nos débats, voire de nos querelles entre militants sur le « bilan du socialisme », celui de l’URSS mais aussi sur ce qu’est la Chine. L’Ukraine qui pour la première fois confronte deux puissances nucléaires, n’est qu’une des interventions « humanitaires » « démocratiques », qui se sont étirées sur quelques décennies depuis cet événement « où profitant de la chute de l’URSS et du camp socialiste, puis de l’événement catastrophique et catalyseur, un nouveau Pearl Harbor » du 11 septembre 2001, l’impérialisme américain et ses alliés se déchaînèrent et commencèrent à attaquer un pays après l’autre tout en écartant les Nations Unies et les remplaçant par l’OTAN, le principal gendarme du nouvel ordre mondial. Durant la guerre froide, les conflits restaient dans les pays du sud, mais là ils se rapprochèrent des régions clés d’Europe d’Asie orientale et du Moyen orient avec le dépeçage de la Yougoslavie, puis ce fut la tentative du coup d’Etat au Venezuela et l’invasion militaire de l’Afghanistan suivie de l’invasion de l’Irak, l’offensive militaire contre la Libye, la Syrie, les attaques de drone contres le Pakistan et le Yemen ». Il en manque… Et surtout, tout cela fut mené sous le seul but de défendre la domination des Etats-Unis en donnant lieu à une nouvelle course aux armements. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que tout cela a un but avoué, le « pivot » asiatique, l’encerclement de la Chine dans le but déclaré de déployer au moins 60% sur ce terrain là et donc d’impliquer dans l’affaire les Etats-vassaux, ceux du G7 dans le financement de cette escalade vers la troisième guerre mondiale.

En imposant par la force et avec l’assentiment des mêmes le démantèlement du socialisme en URSS et en Europe de l’est, dit Bahman Azad dans cet excellent livre (ibid; p.10), non seulement les forces impérialistes réactionnaires ont détruit une alternative en progression constante à leur propre système défaillant, mais elles ont également réduit à néant l’espoir d’un monde meilleur pour des milliards de personnes à travers le monde. La désillusion laissée par ce recul désastreux, venant s’ajouter à la propagande impérialiste systématique sur « la fin de l’histoire », « la fin des idéologies » et la fin du communisme, a éloigné une partie significative de la classe ouvrière des pays capitalistes avancées de l’idée de la lutte des classes et du socialisme, pour les propulser dans les bras des forces social démocrates, opportunistes, récidivistes de la collaboration de classe, qui ont capitulé et persistent dans cette capitulation devant les diktats de l’impérialisme victorieux. C’est dans ce contexte critique que le rôle du mouvement communiste dans le leadership des luttes anti-impérialistes et des luttes des classes devient plus important que jamais »…

Ce n’est pas l’objet de cet article que de présenter les raisons que Bahman Azid donne pour expliquer la chute de l’URSS. Si comme la Chine, et les communistes russes eux-mêmes, il privilégie les raisons externes comme les agressions fascistes et capitalistes, il est intéressant de voir qu’au titre des erreurs « subjectives », on retrouve celles qui dominent dans l’eurocommunisme et encore aujourd’hui dans ceux qui continuent la liquidation : tout rejeter sur la culte de la personnalité de Staline ou encore montrer le subjectivisme du XXIe congrès qui en confondant communisme et socialisme, va nier les obstacles à vaincre dans le socialisme même. Il ne s’agit pas d’une aggravation de la lutte des classes, mais de la contradiction entre les besoins que fait naitre le socialisme et la base matérielle, économique, politique pour les réaliser.

Mais ce sur quoi insiste l’auteur c’est sur le fait que les instruments plus que jamais indispensables, à savoir le parti, l’Etat et donc la viabilité de l’alternative socialiste au capitalisme à l’impérialisme se pose très concrètement comme un défi supplémentaire, celui de restaurer la confiance au plan idéologique… Ici dans ce site histoireetsociete comme dans nos livres nous avons eu conscience de l’importance de ce défi, non pour nier les faiblesses évidentes et souvent inévitables de l’URSS et des autres pays socialistes mais pour montrer « le flambeau d’espoir » sous lequel se sont produites tant de conquêtes non seulement pour ce tiers de l’humanité vivant sous le socialisme mais pour ce temps dit des trente glorieuses où l’existence d’une alternative à la brutalité et à l’inhumanité du système capitaliste a exclu pauvreté, analphabétisme, le chômage, les sans logis et fournissant un droit à la santé, à l’éducation, à la culture, à tous y compris les femmes, gens de toutes races… Les jours heureux ne se sont pas limités à la France mais parti de l’URSS, de la victoire sur le nazisme cela s’est étendu aux quatre coins du monde… Comme Bahman Azad, nous rappelons tout cela parce que l’espoir renait et que la situation est trop grave pour rater le coche. Pour ne pas mesurer ce qui se passe sous leadership du parti communiste chinois.

L’Ukraine, la guerre entre deux puissances nucléaires, la France de Macron aux premières loges de l’escalade aux côtés du dirigeant client de l’impérialisme, le régime ukrainien, la politique que l’on nous impose dans cette logique paranoïaque, prend sens et issue dans un contexte géopolitique qui détermine notre capacité d’intervention citoyenne.

Mais il ne s’agit pas d’une simple reproduction de ce moment de conquête, les jours heureux, le temps de l’URSS, de la crainte qu’elle inspirait, et de la force des mouvements ouvriers, des luttes de libération nationale ; le monde part d’une autre expérience. Il faut savoir voir comment se présente l’adversaire qui a aggravé sa propre crise… et ce qu’il installe pour tenter non pas de nous bercer de ses triomphes supposés en dehors de toute crédibilité mais pour tenter de poursuivre sa trajectoire d’exploitation et de guerre dans des conditions aggravées en continuant à plus que jamais nous effrayer avec le « communisme ». Un de leur thème est la nocivité de l’Etat, son coût exorbitant, auquel s’opposerait le dynamisme de l’entreprise… En fait, il n’y a pas de suppression de l’Etat mais la totalité des moyens de celui-ci doit être dirigé vers les capitalistes, les monopoles financiarisés. C’est même l’essentiel de la liberté qu’ils revendiquent face aux supposés systèmes autoritaires.

Ces monopoles dévastent tout sur leur passage et ils ont procédé en France comme ailleurs à des vagues de désindustrialisation, de destruction du service public et de tous les atouts français. Alors que sous prétexte de « sécurité », ils créent les conditions de la répression de toute protestation en feignant d’exalter une police et une armée qu’ils ont détruit comme le reste… Ils ont multiplié les institutions parallèles qui échappent au contrôle citoyen. Dans l’UE, mais partout dans les pays en voie de développement où ils tentent d’établir des formes concurrentes au multipolaire, aux créations chinoises.

Rappelons le document célèbre « Reconstruire les défenses de l’Amérique: stratégie, forces et ressources pour un nouveau siècle » par le think tank américain néo-conservateur Project for the New American Century. La priorité pour l’impérialisme était d’obtenir le contrôle total des ressources d’énergie et de combustible fossile, mais ce document de 90 pages contenaient bien d’autres directives stratégiques qui ont été toutes en fait appliquées par les administrations américaines qu’elles soient républicaines ou démocrates. Il y a une dimension « idéologique », reaganienne, trumpienne qui porte le projet jusqu’à la justification quasi religieuse de l’exceptionnalisme américain. Si à côté du contrôle total de l’énergie et du combustible fossile, vous ajoutez quelques autres recommandations, les aspects les plus erratiques du mandat trumpien peuvent retrouver une certaine logique. Mieux encore vous pouvez comprendre la manière dont l’administration américaine utilise des institutions ad hoc, mis en place pour développer des institutions qui échappent au contrôle des citoyens, tout en utilisant les moyens de l’Etat. La plupart de ces institutions créent les conditions non pas seulement pour se prémunir contre des menaces réelles y compris militaires mais pour utiliser ou prétendre utilise les secteurs comme l’informatique et les nouvelles technologies dans laquelle la Chine investit et des « adversaires comme l’Iran, l’Irak et la Corée du nord, s’efforcent de mettre au point des missiles balistiques et des armes nucléaires pour faire obstacle à toute intervention militaire dans les régions qu’ils cherchent à dominer ». Oui, vous avez bien lu, il est interdit de mettre obstacle au pillage qui accompagne l’intervention militaire. Si vous avez perçu cette logique paranoïaque qui oppose clairement le leadership américain à celui de l’ONU et à toute forme de « neutralité », et le fait que « l’OTAN ne cède pas sa place à l’Union européenne, ce qui priverait les Etats-Unis d’une voix dans les affaires de sécurité de l’Europe », vous percevez mieux ce qui est le fond de la politique des USA. Il reste à ajouter que depuis ce projet rédigé en 2000, il y a trois dynamiques qui ont totalement changé la donne :

1) Ils n’ont pas pu arrêter la montée de la Chine ;

2) de nombreux pays émergents exigent une répartition plus juste, mettent en place des échanges sud-sud, et tentent de se protéger de la crise des USA ;

3) les USA n’ont plus les moyens de leur politique, Trump est à sa manière un syndic de faillite qui prétend faire payer comme d’habitude aux pays en développement le poids de sa dette abyssale et le retard de fait accumulé sur le plan de la production, mais qui s’attaque à ses alliés en exigeant d’eux qu’ils assurent leur part de la suprématie, un racket de plus en plus insupportable qui crée les conditions de leur déstabilisation comme celle des guerriers par procuration de l’empire.

Donc il faut analyser la situation dans une temporalité renouvelée, celle où l’impérialisme n’a plus les moyens de son projet d’empêcher y compris par la guerre l’apparition d’un monde alternatif, rival. Il ne peut plus comme lors de la chute de l’URSS et des pays socialistes prétendre imposer sa logique comme celle qui domine l’ordre international, Il est même contraint de suivre la dynamique de la Chine et même si le cas de la France, de l’Europe parait illustrer l’incapacité de ses vassaux à choisir l’alternative qui les aiderait à échapper au diktat des Etats-Unis y compris sous la forme brutalement caricaturale de Trump et de ses exigences en matière de surarmement comme de tarifs douaniers, on peut considérer que ce monde-là est pris dans une dérive des continents sur laquelle joue la patience chinoise.

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